lundi 28 septembre 2015

« Quatuors à cordes Ben 359, 360 et 361 » de Joseph Pleyel - Ignaz Pleyel Quartett - Disque Ars Produktion


On craignait le pire avec cette jaquette un rien aguicheuse nous annonçant des «joyaux méconnus» d’Ignaz Joseph Pleyel (1757-1831). Il n’en est rien heureusement, tant ces quatuors se situent à un niveau très proche de ceux de Haydn, véritable référence en ce domaine au XVIIIe siècle. Après un disque paru en début d’année autour d’œuvres symphoniques, Ars Produktion et la Société internationale Ignaz Joseph Pleyel récidivent en nous offrant cette nouvelle réussite en première mondiale. Il s’agit en réalité du premier volume dédié à une série de six quatuors composés en 1792 par le natif de Ruppersthal. Alors au fait de ses moyens, l’Autrichien se distingue cette année-là lors des fameuses joutes – uniquement dédiées au répertoire symphonique – l’opposant à son ancien professeur Haydn. Si ces quatuors se situent dans la lignée de ceux composés l’année précédente par le grand maître (les six fameux de l’Opus 64), Pleyel n’est pas pour autant un jeune premier dans ce domaine puisqu’il a déjà derrière lui pas moins de cinquante-cinq quatuors composés sur les soixante-dix qu’il laissera à la postérité. Seule la structure des œuvres en trois mouvements diffère des quatre habituellement proposés par Haydn dans ses symphonies et quatuors.

C’est surtout le tout premier quatuor gravé ici qui impressionne par son impact dramatique immédiat. Une belle vivacité innerve cette véritable symphonie en miniature, permettant aux instruments de se répondre sans répit ou presque – même si le violoncelle se montre très légèrement en retrait. On retient également une simplicité apaisante, lumineuse de justesse dans le mouvement lent, tandis que le Finale se fait plus narratif. Moins orageuses, les deux œuvres suivantes jouent davantage sur la mélodie que sur la rythmique, restant dans les mêmes hauteurs sereines et ouvragées dans leurs mouvements lents respectifs. Le très honnête Quatuor Ignaz Pleyel se montre investi dans chaque œuvre, insufflant un équilibre harmonieux entre sens des couleurs et expressivité. Un beau disque à découvrir, qui nous rappelle que Mozart – suite à la découverte des Quatuors Opus 1 de Pleyel en 1784 – voyait en lui l’un des possibles successeurs de Haydn.

dimanche 27 septembre 2015

« Morte e sepoltura di Christo » d'Antonio Caldara - Fabio Biondi - Disque Glossa

Si Antonio Caldara (1671?-1736) se fait plus rare au disque que Vivaldi, son illustre compatriote vénitien et cadet de sept ans, un bel enregistrement avait été salué en début d’année avec l’un de ses nombreux opéras, La concordia de’pianeti. Caldara n’a pas été en reste dans le domaine de l’oratorio puisque vingt-trois sont aujourd’hui recensés. En choisissant de s’attaquer au neuvième d’entre eux, Fabio Biondi privilégie une partition écrite au cours de la période autrichienne, en 1724. Œuvre de la maturité, on y retrouve une synthèse des influences italiennes et germaniques propre au goût alors en vogue à la cour impériale de Charles VI de Habsbourg, où Caldara occupait les fonctions de vice-maître de chapelle – le titulaire principal de la charge étant le respecté Johann Joseph Fux (1660-1741).
Un compositeur autrichien que l’on retrouve également sur ce double disque, puisque Biondi a eu la bonne idée d’adjoindre des pièces instrumentales de contemporains (Fux et Vivaldi), ainsi que de Caldara lui-même (deux motets extraits des Douze motets à deux et trois voix opus 4, parus en 1715), et ce afin de varier l’alternance un rien rébarbative entre airs et récitatifs. Des ajouts orchestraux d’une quinzaine de minutes au total, alors que la durée du double disque dépasse légèrement les deux heures. Si les récitatifs se font heureusement assez courts, on note aussi la présence de deux chœurs concluant chacune des deux parties qui structurent l’œuvre.
De quoi permettre d’appréhender au mieux cette œuvre sérieuse qui ne se dévoile pas forcément à la première écoute, mais gagne infiniment à y revenir, tant l’intériorité et le recueillement de Biondi impressionnent par leur force de concentration. Ses chanteurs, tous excellents, sont au diapason, insistant particulièrement sur la diction et la beauté des timbres. Un très beau disque pour parfaire la connaissance du maître vénitien.

samedi 26 septembre 2015

Concertos pour violoncelle de Joseph Haydn et Paul Wranitzky - Enrico Bronzi - Disque Concerto Classics

C’est toujours un plaisir que de retrouver les deux Concertos pour violoncelle de Haydn, authentiques chefs-d’œuvre à bien des égards différents, le Premier (composé dans les années 1760) irrésistible de fraîcheur rythmique, tandis que le Second (1783) apporte davantage de respiration et de profondeur. Mais l’on ne saurait choisir entre les deux, tant leurs qualités respectives en font d’indiscutables piliers du répertoire concertant pour violoncelle. Si l’archet fort correct d’Enrico Bronzi ne peut faire oublier ses prédécesseurs illustres, de Rostropovitch à Queyras, sa direction d’orchestre est à saluer, nerveuse et allante – insistant particulièrement sur les graves. Parfois un peu martelée, cette lecture sait aussi soutenir quelques nuances notables dans les mouvements lents. On retient surtout les finales empreints de légèreté et d’allégresse, et portés par un orchestre moyen qui compense par une vigueur véritablement communicative.

Mais c’est évidemment pour Paul Wranitzky (1756-1808) que ce disque tient toute son originalité, avec un bel enregistrement de son Concerto pour violoncelle en ut. Elève de Kraus et Haydn, le compositeur morave a fait l’essentiel de sa carrière à Vienne, recueillant l’estime de ses pairs, dont Mozart et Beethoven. La longue introduction orchestrale qui ouvre le concerto montre une structure très élaborée, en un esprit enjoué et vif. De bonne facture, cette œuvre certes peu originale montre un travail d’écriture notable concernant les vents, très présents. Un disque globalement intéressant, mais qui pèche par ses interprètes, honnêtes sans plus.

vendredi 25 septembre 2015

« Oeuvres symphoniques - Volume 3 » de Hendrik Andriessen - David Porcelijn - Disque CPO


C’est peu dire que les disques consacrés à Hendrik Andriessen (1892-1981) ne se bousculent pas, ce que l’on regrette fort à l’écoute de ce troisième volume des œuvres orchestrales du compositeur néerlandais. Le premier d’entre eux, paru en 2012, avait déjà fait l’objet d’une critique élogieuse, invitant à la découverte de l’un des nombreux oubliés du répertoire classique. Une lacune que le disque nous permet de découvrir aujourd’hui plus largement.

Particulièrement prolifique tout au long de sa vie, Hendrik Andriessen – à ne pas confondre avec le compositeur baroque Hendrick Andriessen (1607–1655) – reste surtout connu de nos jours pour son œuvre pour orgue, mais également en tant que père des compositeurs Jurriaan et Louis, ainsi que de la flûtiste Heleen. A l’instar des œuvres gravées sur le premier volume, on retrouve dans la Troisième Symphonie (1946) une inspiration néoclassique, ici mâtinée de quelques échos brucknériens dans les ambiances contemplatives et les rares scansions aux cuivres. L’orchestration évite toute brutalité en alternant accents énigmatiques et tragiques, en une urgence savoureuse de vitalité. La transparence élégante, parfois évanescente, des cordes dans l’aigu s’avère le principal moteur de l’orchestration de cette œuvre très réussie, plus enchevêtrée dans le Finale, tout en gardant sans cesse une inspiration mélodique remarquable.


On reste dans le même élan lumineux avec la Symphonie concertante, plus tardive (1962), au ton plus lyrique qui flirte davantage vers la musique de film. Les premières notes irrésistibles font place aux harpes volontiers mystérieuses, avant que les cordes n’entonnent une mélodie entêtante qui raisonne encore après l’écoute. Encore moins de dissonances ici pour cette œuvre agréable et toute aussi inspirée que la symphonie. L’Ouverture «Chantecler» (1972) qui conclut ce disque malheureusement trop court (tout comme les deux premiers volumes) ne se situe pas au même niveau, en proposant une écriture plus verticale, alternant passages méditatifs et scansions aux vents.


Un disque néanmoins hautement recommandable, autant pour la direction inspirée de David Porcelijn que pour découvrir l’art de ce petit maître dont on se souviendra que Bernard Haitink lui-même a notamment enregistré son Etude symphonique (1952).

Concert de Yannick Nézet-Séguin - Oeuvres de Bach, Mahler et Bruckner - Montréal - 20/09/2015

Yannick Nézet-Séguin
Le lendemain de sa rentrée avec Madame Butterfly, l’Orchestre Métropolitain investissait cette fois la «petite» salle de la Maison symphonique de Montréal avec son chef principal Yannick Nézet-Séguin à la baguette. Lors d’une brève présentation d’avant-concert, l’occasion nous était donnée d’apprendre son renouvellement jusqu’en 2021, ainsi que l’enregistrement dans les conditions du direct de la Deuxième Symphonie de Bruckner jouée en seconde partie de concert. Il s’agit en effet de poursuivre l’intégrale éditée par Atma Classique depuis 2007, dont ConcertoNet s’est fait largement l’écho en des avis contrastés (voir les différents comptes rendus concernant successivement les Septième, Neuvième, Quatrième et Sixième symphonies). Il ne restera donc plus à graver que les Première et Cinquième, à moins que le chef québécois ne choisisse de s’intéresser aux plus rares symphonies dites «00» (1863) et «0» (1869), toutes deux rejetées par le compositeur lui-même.

Un Nézet-Séguin décidément passionné par la musique du maître de Saint-Florian, puisqu’il a également interprété cet été, au festival de la Renaudière puis à Salzbourg, la Messe en fa mineur (1868). Rien d’étonnant à cela tant de nombreuses citations font apparaître une parenté évidente entre cette messe et la Deuxième Symphonie (1872, révisée en 1876 et 1877), toutes deux contemporaines. Entre les différentes versions de cette symphonie dédiée à Liszt, Yannick Nézet-Séguin choisit la dernière mouture, plus courte que les précédentes.


D’emblée, les phrasés assez lents et sans aucun vibrato désarçonnent par une lisibilité éloquente mais trop extérieure. Les différents entrecroisements thématiques sont joués sur le même mode serein, s’évertuant à lisser les arêtes et les alternances caractéristiques entre emphase des cuivres et retour à des passages plus lyriques. Mais point de lyrisme ici, tant Nézet-Séguin évite tout pathos, sans attaques sèches. Un rien nébuleuse, cette optique bridée ne convainc guère au niveau de l’architecture globale propre à chaque mouvement. Seul le Finale apparaît plus éruptif en son début, avec quelques passages impressionnants dans la maîtrise des silences, sans éviter pour autant quelques baisses de tension. Un Bruckner beaucoup trop lisse pour réellement nous emporter le temps d’un concert.


Le début de la soirée avait été l’occasion de découvrir une transcription méconnue d’une œuvre de Bach par Leopold Stokowski – une manière pour Nézet-Séguin de rendre hommage à son prédécesseur à la tête de l’Orchestre de Philadelphie, à quelque cent ans d’intervalle. L’occasion aussi de faire l’étalage de son art de la respiration harmonieuse, aux transitions d’une souplesse irrésistible, en une vision assez lente là encore. On notera un équilibre particulièrement réussi entre les aigus et les graves, dans cette œuvre très courte de 5 minutes seulement. Avec les Rückert-Lieder, la vitalité du soutien orchestral impressionne tout du long, parfaitement rendu par un Orchestre Métropolitain aux graves de velours. Dorothea Röschmann se situe dans une optique similaire, se jouant aisément des difficultés de cette œuvre sombre, admirablement orchestrée au niveau des vents.


Comme pour les trois autres concerts entendus à Montréal en cette fin d’été, les applaudissements font place quasi immédiatement à une standing ovation – une automaticité un peu déroutante pour un Européen habitué à un public plus critique sur le vieux continent. Sont-ce les artistes ou lui-même (se félicitant de son choix de concert) que le public applaudit ainsi? Il faudrait sans doute davantage parler d’usages différents, nous rappelant qu’un vaste océan continue de nous séparer, jusque dans la manière de manifester un contentement.

jeudi 24 septembre 2015

« Madama Butterfly » de Giacomo Puccini - Opéra de Montréal - 19/09/2015

Alors que les autres maisons d’opéra canadiennes ouvrent leurs portes en octobre pour la plupart, Montréal débute déjà sa saison pour les derniers feux de l’été. Chaleur quelque peu étouffante à l’extérieur, climatisation glaciale à l’intérieur de la vaste salle principale – 3000 places! – du complexe de la Place des Arts, inaugurée en 1963. L’acoustique déçoit d’emblée avec des voix bien lointaines pour un seizième rang d’orchestre. Dès lors, un changement de place s’impose: la seconde partie sera ainsi beaucoup plus satisfaisante au deuxième rang, plongé cette fois-ci au cœur de la musique.


Malgré cela, cette production ne restera pas dans les annales. En panne d’imagination, le metteur en scène québécois François Racine opte pour un décor unique pendant toute la représentation, illustrant classiquement la demeure de Butterfly autour des vastes portes coulissantes traditionnelles et des inévitables cerisiers en fleur au dehors. Les éclairages ont beau être habilement variés, puis quelques éléments ajoutés au II en guise d’accessoires: le compte n’y est pas. Il faut dire que la direction d’acteur, pratiquement absente, plombe les interprètes dans un statisme désarmant, souvent placés face à la rampe et quelque peu laissés à eux-mêmes.


Côté fosse, une même mesure domine. Trop appliqué dans les passages verticaux, James Meena peine à animer l’Orchestre Métropolitain, pourtant en forme. Toute l’écriture pétillante de Puccini aux bois est ici lissée pour une lecture trop sage, assez impersonnelle. A l’image de la mise en scène, cette direction tout en pastel a au moins l’avantage de ne pas mettre en difficulté les interprètes, jamais couverts. Mais on aurait aimé, ici et là, davantage de nerf pour pousser Melody Moore dans ses retranchements afin d’offrir une incarnation plus réussie encore. La soprano américaine fait en effet l’étalage de beaux atouts avec sa voix charnue, idéalement souple, aux phrasés aériens. Mais il lui manque une force de conviction et un impact dramatique permettant de dépasser les artifices du mélodrame.


A ses côtés, Antoine Bélanger (remplaçant de dernière minute suite au forfait de Demos Flemotomos) fait l’étalage d’un timbre d’une belle pureté, parfaitement maîtrisé dans l’aigu, dont on pourra seulement regretter une projection un peu juste. Un détail cependant, tant son interprétation convainc de bout en bout. Même investissement dramatique pour Morgan Smith, au timbre malheureusement moins flatteur, perturbé par un léger vibrato. Aucune réserve en revanche pour la Suzuki de luxe interprétée par une revigorante Allyson McHardy, applaudie chaleureusement à l’issue de la représentation, avec le reste de la troupe, par un public manifestement moins sévère que l’auteur de ces lignes.

mercredi 23 septembre 2015

Concert de Yan Pascal Tortelier et Ray Chen - Oeuvres de Penderecki, Sibélius et Rachmaninov - Montréal - 17/09/2015

Yan Pascal Tortelier
Quelques jours après avoir proposé une version de concert de Pelléas et Mélisande en ouverture de saison, l’Orchestre symphonique de Montréal retrouvait sa résidence place des Arts, dans la toute nouvelle salle ultramoderne inaugurée voilà quatre ans. Avec pas moins de 2100 places, cette salle en forme de «boîte à chaussures» surprend d’emblée par son acoustique dotée d’une forte résonance, rappelant celle de la salle Pleyel d’avant la rénovation de 2006.

Le programme débute par l’Adagio de la Troisième Symphonie de Krzysztof Penderecki, mené par le compositeur lui-même à la baguette. Si la présence du maître polonais est à saluer, on ne pourra que s’étonner du choix d’interpréter une infime partie de cette œuvre composée entre 1988 et 1995. A peine quinze minutes pour un mouvement certes réussi – dans la lignée de Chostakovitch et du retour au postromantisme effectué par Penderecki à la fin des années 1970 – mais dont la direction déçoit par une prudence et un manque d’imagination constants. L’ambiance sombre, dans cette version pour cordes seules, se noie ainsi dans un tempo trop lent et finalement bien ennuyeux.


Avec Sibelius, on change de chef et l’on n’y perd pas au change: place à Yan Pascal Tortelier et au violoniste Ray Chen, tous deux réunis pour une lecture assez déroutante du célèbre Concerto pour violon. Là où le chef français déroule un accompagnement de velours, écrin splendide tel un murmure en plusieurs passages, Chen affiche une interprétation plus dramatique, volontiers romantique dans ses accents mariant habilement couleurs et virtuosité maîtrisée – un rien sentimental dans l’Adagio. Si les deux conceptions peinent à réellement dialoguer, on reste saisi par la respiration sereine de l’orchestre, allégé et dénervé. Un rien séquentielle, l’optique de Tortelier semble faire écho aux élégantes transparences recherchées par Sibelius lui-même dans les Troisième et Septième Symphonies. Vivement applaudi, à l’instar de Penderecki, Ray Chen choisit le Caprice n° 21 de Paganini pour s’offrir les vivats d’un public visiblement conquis, pardonnant de bon gré quelques infimes failles dans l’aigu.


Après la pause, c’est un orchestre du XXe siècle au grand complet que l’on retrouve pour la Deuxième Symphonie de Rachmaninov. Là encore, Tortelier allège les textures, supprimant tout vibrato aux cordes pour imprimer un tempo assez vif. Le Français n’a cure des motifs mélodiques superbes de Rachmaninov, mis au second plan au profit de variations de climat qui jouent sur les effets de surprise mais renforcent plus encore l’aspect séquentiel précédemment observé. Entre sauvageries inattendues et geste péremptoire, Tortelier avance, ôtant toute émotion au superbe Adagio, cœur de l’œuvre. L’orchestre, d’une précision remarquable, n’est pas en cause. C’est bien Tortelier qui marche ici dans la manière tranchante de Paul Paray, longtemps chef de l’Orchestre symphonique de Detroit. Si le dernier mouvement convient mieux à cette lecture, rapprochant les éléments épars pour les entrecroiser de manière virtuose, Tortelier n’évite pas quelques huées et un public pressé de partir à l’issue du concert.


Rapidement, de manière surprenante, le chef fait signe à la salle et s’adresse à tous dans un silence recueilli: «C’est un rêve de travailler avec cet orchestre» commence-t-il. Le véritable sujet de son intervention est ailleurs, l’homme vient de perdre sa mère, Maud Martin (1926-2015), et a tenu à jouer pour lui rendre hommage. Moment d’émotion lorsque Tortelier rappelle que son nom illustre cache une autre musicienne, selon lui tout aussi talentueuse. Elle rejoint ainsi son mari Paul Tortelier (1914-1990).

vendredi 4 septembre 2015

« Elisa o Il viaggio al monte San Bernardo » de Luigi Cherubini - Alfredo Simonetto - Disque Myto Historical

Sentiment partagé à la découverte de cette archive au son bien précaire mais à l’intérêt historique certain. Il faut ainsi pas mal de temps pour s’habituer à la captation lointaine de l’orchestre et des voix, tout comme aux nombreux bruits parasites tout droit venus d’une salle peu concentrée en début de l’opéra. Et pourtant, peu à peu, la musique de Cherubini fait feu de tout bois pour nous convaincre tout à fait de l’importance de ce compositeur admiré de Beethoven et Weber.

Créé en 1794 au Théâtre Feydeau à Paris, en langue française, Eliza ou le voyage aux glaciers du mont Saint-Bernard est un opéra-comique dont la version italienne ici enregistrée ne comporte que de peu de dialogues parlés. On est saisi par l’atmosphère dramatique imprimée par les cordes dès l’Ouverture, suivie d’une transition orchestrale nimbée de mystère, en guise d’écrin pour l’entrée d’un chœur initial superbe. Le premier air soliste n’est pas en reste, Cherubini faisant preuve de toutes ses qualités d’écriture pour la voix, sans parler de son soutien orchestral inventif. Si l’on perçoit encore ici et là une dette à Mozart, le natif de Florence lorgne vers le romantisme par son souffle et sa capacité à engendrer la tension. Contrairement à Médée (1797), cette œuvre véritablement inspirée n’a malheureusement pas les faveurs de la scène aujourd’hui, du fait d’un livret mélodramatique bien faible, ainsi qu’une construction peu équilibrée. Le rôle-titre n’intervient ainsi qu’à la toute fin du premier acte, laissant le champ libre aux seules voix masculines.


La direction vivante et cursive de Franco Capuana fait ici merveille et galvanise un plateau vocal correct, particulièrement les hommes, bien en voix. On est plus déçu, en revanche, par une Gabriella Tucci à la limite de la justesse en de nombreuses occasions. En complément, place à Maria Callas en trois extraits de son répertoire favori du XIXe siècle, complétés par trois airs dévolus à Gianni Raimondi – déjà présent dans l’enregistrement d’Elisa. Le son apparaît, là aussi, trop étouffé, mais permet tout de même d’entendre Callas dans les conditions du direct – là où son impact dramatique reste toujours aussi impressionnant. Un bon complément pour un disque réservé aux plus curieux.

mardi 1 septembre 2015

Concerts de Hervé Niquet - Oeuvres de Couperin, Charpentier, Delalande, Lochon, Chein, Haendel et Corelli - Sinfonia en Périgord - 29/08/2015

Et déjà le vingt-cinquième anniversaire pour le festival Sinfonia en Périgord! Basée à Périgueux, la manifestation permet de découvrir chaque été la capitale de la Dordogne en ses multiples facettes, de la découverte du vieux centre et ses charmantes places ombragées, aux très belles églises qui jalonnent toute la ville. A quelques minutes en voiture du centre, l’abbaye de Chancelade accueille aussi plusieurs concerts, donnant l’occasion de découvrir un havre de paix à l’acoustique particulièrement flatteuse du fait de l’étroitesse de la nef où se déroulent les concerts. On retrouve ainsi la forme en «boîte à chaussures» souvent encensée par les meilleurs spécialistes à travers le monde, autour d’une petite jauge intimiste et recueillie, pour un concert de musique religieuse française au temps de Louis XIV. Parmi les «tubes» de ce répertoire, les trois Leçons de ténèbres de François Couperin (1668-1733), chef-d’œuvre bien connu de leur auteur, sont données avec beaucoup de grâce par les six chanteuses ici réunies, toutes parfaites. Hervé Niquet dirige à l’orgue un ensemble réduit avec des tempi allants, imprimant au superbe Miserere de Michel-Richard Delalande (1657-1726) une belle vitalité: il est vivement applaudi à l’issue de ce concert varié par quelques brefs extraits de pièces instrumentales baroques.

Changement d’atmosphère et de répertoire le lendemain dans le ravissant parc Gamenson au nord-est de la ville. Hervé Niquet officie toujours à la baguette, cette fois entouré d’un ensemble plus fourni mais encore insuffisamment pour surmonter les difficultés habituelles d’un concert en plein air, non sonorisé. C’est d’autant plus regrettable que les œuvres abordées, des Water Music (1717-1736) à la Fireworks Music (1749) de Haendel, ont été écrites pour des festivités royales rassemblant une pléthore d’interprètes chargés d’impressionner l’auditoire rassemblé pour l’occasion. Ici, les vingt cordes et dix vents répondent aux cors et trompettes par trois – ces deux derniers groupes s’opposant en écho à gauche et à droite de la scène. Si les extraits de ces œuvres célèbres de Haendel ravissent par leur irrésistible séduction mélodique, elles reposent aussi sur des cuivres capables d’en affronter les redoutables difficultés techniques. Las, les cors déçoivent par une justesse très relative, tandis que les trompettes se montrent plus à leur aise.


Il faut dire que Niquet impose, comme souvent, un tempo des plus vifs dans les passages rapides, même s’il ralentit quelque peu dans les rares mouvements plus apaisés. On aimerait ainsi, ici ou là, davantage de respiration et de variation dans cette battue un rien trop mécanique. Seul le bref morceau de Corelli apporte un semblant de poésie à ce concert finalement assez court, conclu en bis par le thème du «Joyeux anniversaire» entonné par l’orchestre pour fêter l’événement. Ajoutons enfin une mention particulière aux nombreuses pyrotechnies élaborées pour l’occasion derrière l’orchestre. Simples et efficaces, elles permettent de mettre en valeur le parc et son relief romantique d’arbres vénérables, tous illuminés indirectement par les feux multiples. De quoi animer plus encore cette belle nuit d’été sous les ors de la musique de Haendel.