lundi 29 juin 2015

« Symphonies concertantes Ben 114 et 115 » et « Symphonie Ben 160 » de Ignaz Joseph Pleyel - Disque ARS


Déjà le seizième volume pour cette édition lancée en 2008 par ARS Produktion et l’Internationale Ignaz Joseph Pleyel Gesellschaft («Société internationale Ignaz Joseph Pleyel») basée à Ruppersthal – la ville natale du compositeur, située à quelques encablures de Vienne. Le volume 7 avait déjà promu, dans sa version pour piano et violon, la Symphonie concertante Ben 115 de 1802, l’une des toutes dernières œuvres d’un homme déjà tourné vers l’édition et la manufacture de piano. Il s’agit cette fois de l’orchestration dévolue aux vents entre flûte, hautbois, cor et basson, tout en étant débarrassée des scories romantiques ajoutées au cours du XIXe siècle. Si cette œuvre plaisante souffre d’une construction maladroite en deux mouvements, on retrouve ce déséquilibre dans la Symphonie concertante Ben 114 de 1792, également gravée sur ce disque. Ici, le premier mouvement Allegro apparaît plus long que les trois autres réunis.

Cette réserve mise à part, la Ben 114 apparaît passionnante à plus d’un titre. Elle s’inscrit en effet dans le cadre de la compétition organisée à Londres, en 1791 et 1792, entre Haydn et son élève Pleyel. C’est précisément pendant cette période que ce dernier compose deux symphonies concertantes (dont la Ben 114) pour se confronter à Haydn et sa fameuse Symphonie concertante en si bémol («n° 105»). Si le vieux maître apparait indiscutablement supérieur au niveau de l’imagination mélodique, Pleyel n’en reste pas moins très habile dans l’agencement séduisant des différentes sonorités offertes aux bois. A l’Allegro initial très réussi, succède ainsi un Adagio au début étonnamment grave avant de poursuivre vers une gaité délicieusement lumineuse. Nouveau changement d’atmosphère avec le tout dernier mouvement espiègle autour de son rythme de balancier hypnotique, qui n’est pas sans annoncer le fameux tic-tac de la Cent-unième Symphonie «L’Horloge», révélée deux ans plus tard par Haydn.


La Symphonie en ré mineur Ben 160, qui conclut ce disque et dont on ne peut précisément dater la période de composition, est enregistrée en première mondiale. Si la période d’activité de Pleyel s’est étendue entre 1778 et 1805, c’est plutôt au tout début de sa carrière que cette symphonie semble se rattacher, lorgnant vers un Sturm und Drang emporté caractéristique de cette période. L’influence de la Vingt-cinquième Symphonie de Mozart comme de la Trente-neuvième de Haydn est évidente, en raison notamment de la scansion aux cors, en son début. On retient surtout un bel Adagio aux multiples variations optant pour une veine sévère, où les cordes dominent largement les vents.


Un disque au programme intéressant, servi par une direction efficace et attentive, même si l’orchestre, globalement bon, n’affiche pas de très belles sonorités au niveau des cordes. Dommage, car les solistes se montrent tous impeccables à leurs côtés.

jeudi 25 juin 2015

« Daphnis et Chloé » et « Pavane pour une infante défunte » de Maurice Ravel - Yannick Nézet-Séguin - Disque Bis


Et de deux «Must» pour Nézet-Séguin! On en viendrait presque à s’excuser de donner à nouveau la note maximale (déjà obtenue en janvier dernier avec Poulenc et Saint-Saëns) au phénomène québécois. On peut évidemment s’agacer à l’envi de ses nombreuses couvertures de disques aussi narcissiques que démonstratives, ou encore de sa boulimie s’agissant des postes éminents actuellement occupés, à tout juste quarante ans: chef principal de l’Orchestre Métropolitain de Montréal (depuis 2000) comme de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam (depuis 2008), sans parler de son poste de directeur musical de l’Orchestre de Philadelphie (depuis 2012)... Et tout cela sans compter sa passion pour l’enregistrement de disques, partagée entre des éditeurs tout aussi fournis – Deutsche Grammophon, Bis, EMI, Atma Classique, LPO...!

Les différentes gravures consacrées à Bruckner ou Mahler, diversement appréciées, n’avaient pas apporté de grande satisfaction. Est-ce à dire que la musique française lui réussit bien? Il est vrai que Nézet-Séguin en revient à ses premières amours, lui qui avait déjà enregistré la Seconde Suite de Daphnis et Chloé pour EMI en 2009, en s’attaquant cette fois au ballet intégral – toujours avec le même Orchestre de Rotterdam, mais cette fois chez Bis.


Les premières mesures charmeuses du lever du soleil donnent le ton, telles une caresse qui prend le temps d’installer une atmosphère songeuse, presque rêveuse. Tout au long de cette «symphonie chorégraphique», le chef québécois émerveille à force de construction de crescendo et decrescendo tous plus envoûtants les uns que les autres. L’art des transitions surprend sans cesse tant Nézet-Séguin paraît en son élément ici, offrant un fondu global dont les ruptures ne tombent pas en des effets de manche faciles. Le geste se fait volontiers alerte et léger dans les parties dansantes, en démontrant notamment de vrais traits d’humour dans la «Danse grotesque», particulièrement outrée.


Assurément une version de référence pour cette œuvre qui passe comme un souffle, tant Nézet-Séguin en saisit habilement toutes les infimes variations. En complément, une Pavane pour une infante défunte tout aussi raffinée, même si le pupitre de cors n’apparaît pas des plus séduisants ici.

mardi 23 juin 2015

« Così fan tutte » de Wolfgang Amadeus Mozart - Maison des Arts de Créteil - 20/06/2015


En cette fin de saison, on ne saurait trop recommander – une fois encore – le tout dernier spectacle concocté par les équipes de l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris. Après la vibrante Iphigénie en Tauride de Gluck entendue au Théâtre de Saint Quentin-en-Yvelines en mars dernier, la talentueuse troupe investit la grande salle de la Maison des arts de Créteil sur pas moins de quatre soirées. Le XVIIIe siècle est remis à l’honneur avec Così fan tutte, l’un des tout derniers chefs-d’œuvre de Mozart, créé en 1790, un peu plus d’un an avant sa mort.

L’acoustique très mate de la salle de près de 1000 places surprend dès l’Ouverture, entamée à un tempo assez lent par Jean-François Verdier. Avec les jeunes de l’Orchestre-Atelier Ostinato, le chef français impose une lecture sans vibrato, autour de textures claires et allégées. Si l’Ouverture déçoit par un manque d’allant presque amorphe, Verdier se révèle plus convaincant dans l’accompagnement, toujours attentif à ne jamais couvrir les chanteurs. Sa direction parfois inégale (quelques raideurs notamment) sait aussi réserver de merveilleux moments de grâce, tel le superbe ensemble au premier acte où les amoureux se séparent autour d’un festival de couleurs raffinées et délicatement étagées à l’orchestre.


Côté voix, il fallait être présent dans le car de retour vers Paris pour comprendre combien ces jeunes chanteurs jouent ici leur carrière, se donnant à fond pour se faire remarquer, et ce pour la plus grande satisfaction d’un public manifestement très attentif samedi soir. La joie d’Olga Seliverstova était ainsi à la hauteur de sa brillante incarnation de Fiordiligi, puissante et investie. Autres débuts réussis en production scénique pour Armelle Khourdoïan, qui impose une Despina piquante, au caractère bien affirmé et particulièrement à l’aise dans les récitatifs. Andrea Hill (Dorabella) n’est pas en reste autour d’un timbre corsé savoureux, tandis que Piotr Kumon (Guglielmo) assure sans vaciller. C’est surtout Yu Shao qui reçoit une ovation pour son rôle de Ferrando magnifiquement chanté. Un chant très propre, presque trop, qui impressionne au niveau technique. Seul petit bémol avec la prestation du «vétéran» Pietro Di Bianco (Don Alfonso) dont les efforts pour imposer un timbre à l’émission profonde ne permettent pas une expression scénique naturelle.


Et déjà de trois mises en scène pour Dominique Pitoiset avec l’Atelier lyrique: après L’Isola disabitata de Haydn à Suresnes en 2005 (repris voilà deux ans à la Ferme du buisson de Noisiel), puis Orphée et Eurydice de Gluck à Bobigny en 2011, l’ancien directeur du Théâtre national de Bordeaux reste bien ancré dans la mise en scène d’opéra. Comme à son habitude, il se montre assez sobre en transposant l’action en un shooting de mode classieux où le noir et blanc domine. Très réussie visuellement, sa mise en scène s’appuie sur une direction d’acteur serrée, même si elle semble quelque peu manquer d’idées pour réellement animer le second acte, plus statique. On est également peu convaincu par le choix de ne pas grimer les deux amoureux autrement que par un changement de costume – ceci pour signifier que l’apparence prend décidément trop de place dans nos sociétés contemporaines? Les pistes manquent pour être plus affirmatif.


D’infimes réserves cependant pour cette excellente production à voir jusqu’au 24 juin afin de profiter de la formidable cohésion de cette équipe déjà bien aguerrie.

dimanche 21 juin 2015

« Metamorfózy », « Baladická suita » et « Symfonietta rustica » d'Eugen Suchon - Neeme Järvi - Disque Chandos


C’est à la découverte d’un véritable petit joyau que nous convie Neeme Järvi avec les Métamorphoses composées en 1953 par le compositeur slovaque Eugen Suchon (1908-1993). La seule écoute de cette œuvre justifie l’achat de ce disque qui aurait mérité une note plus élevée encore avec des compléments du même niveau. Ne boudons pas notre plaisir tant on se délecte de ces variations au lyrisme débordant qui évoquent à maints endroits les grands symphonistes anglais de la première moitié du XXe siècle, tout en apportant une touche de raffinement toute française dans l’orchestration – à l’instar d’un Ravel. Les sonorités originales de Bartók ne sont pas loin non plus, même si Suchon se révèle moins audacieux en restant toujours accroché à une certaine consonance lumineuse et légère.


La Suite balladesque de 1935 se situe à un niveau d’inspiration moindre, particulièrement en raison d’une orchestration trop chargée en cuivres, même si on retrouve l’expression du fort tempérament de ce symphoniste brillant. Il prouve déjà sa maîtrise de la grande forme influencée par l’impressionnisme, tout en y incluant ici et là des éléments du folklore slovaque. La Sinfonietta rustique (1955-1956) qui conclut le disque reste dans la veine lyrique et éloquente de ce compositeur à l’énergie rythmique véritablement exaltante. Adaptée d’une sonate pour piano écrite pour sa femme (par ailleurs soliste reconnue), cette œuvre montre un Suchon plus classique, rendant manifestement hommage aux racines slovaques qu’il défendit tout au long de sa vie.


Un disque à chérir, porté par le geste flamboyant de Neeme Järvi, toujours à l’aise dans ces grandes cathédrales sonores extraverties.

samedi 20 juin 2015

« Les Martyrs » de Gaetano Donizetti - Mark Elder - Disque Opera Rara


Fondé à la fin des années 1970 pour permettre l’édition de raretés absolues du répertoire belcantiste, Opera Rara a jeté son dévolu sur des compositeurs aussi délaissés que Mercadante, Pacini ou Mayr, tout en offrant un éclairage inédit sur des œuvres inconnues de Donizetti, ceci afin de faire connaître le grand maître au-delà de la dizaine d’ouvrages encore montés de nos jours. Parmi les plus de soixante-dix opéras écrits tout au long de sa carrière, l’éditeur britannique en est déjà à son vingt-quatrième enregistrement, incarné ce mois-ci par Les Martyrs, grand opéra créé en 1840 pour conquérir Paris, capitale lyrique alors incontournable. Cette œuvre est en réalité l’adaptation française de Poliuto, transformé par Scribe en quatre actes avec l’ajout d’éléments tirés de l’œuvre éponyme de Chateaubriand en 1809. Donizetti n’en oublie pas de «franciser» l’ouvrage en recomposant tous les récitatifs, un nouveau finale à l’acte I, ou encore en ajoutant de nombreux airs, trios et danses.

Si l’on doit au chef britannique David Parry d’innombrables enregistrements parus chez Opera Rara, son compatriote Mark Elder n’est pas en reste depuis sa nomination récente à la direction artistique de cet éditeur. C’est principalement Donizetti qui fonde l’intérêt de l’actuel chef principal de l’Orchestre Hallé de Manchester, dont toute la fougue se retrouve dans cet enregistrement, autour d’attaques franches à l’orchestre et d’un tempo allant. L’originale ouverture avec insertion du chœur sur la fin est un régal de mise en place et d’équilibre. Côté solistes, le plateau est dominé sans conteste par un impérial Michael Spyres (Polyeucte), toujours aussi à l’aise dans la diction de notre langue – même si l’on peut remarquer dans cet enregistrement une désagréable propension à rouler les r. Son engagement éloquent et son timbre chaleureux apportent beaucoup à ce disque. Dommage que Joyce El-Khoury (Pauline) ait bien du mal à contrôler son organe puissant, particulièrement ses aigus criards.


Outre l’impeccable Opera Rara Chorus, à la prononciation très correcte, un superlatif Félix incarné par Brindley Sherratt ravit à chacune de ses apparitions. Si la prise de son manque de chaleur, on regrettera aussi des seconds rôles tout justes corrects. Reste à mentionner la qualité du livret, richement illustré au niveau iconographique et longuement documenté. Une belle somme pour parfaire la pleine découverte de l’œuvre de Donizetti.

vendredi 19 juin 2015

« Requiem » et motets de Michael Haydn - Oeuvres de Rameau, Dittersdorf et Ola Gjeilo - Notre-Dame du Liban - 17/06/2015

Eglise Notre-Dame du Liban

Si le nom de Michael Haydn (1737-1806) reste évidemment plus rare au concert en comparaison de son illustre frère Joseph, sa production religieuse et plus particulièrement son très beau Requiem lui permettent de conserver une certaine notoriété. Il faut dire que Mozart lui-même fut très influencé par cette œuvre composée en 1771, au point qu’on y retrouve des similitudes dans son célèbre Requiem pourtant écrit vingt ans plus tard. Outre la formidable mémoire du génie salzbourgeois, l’amitié durable qu’il entretint avec le cadet des frères Haydn explique cette troublante parenté. On ne peut que féliciter Philippe Lerat de partager son intérêt pour ce répertoire audacieux, interprété par un ensemble orchestral et des chœurs composés de professionnels et d’amateurs. Une gageure, tant ce genre de programme prend le risque de ne pas remplir la salle – les compléments de programme, outre Rameau, s’inscrivant autour de la figure toute aussi injustement négligée du symphoniste classique Karl Ditters von Dittersdorf (1739-1799).

Le concert prend place dans la cathédrale Notre-Dame du Liban, nichée entre quelques rues discrètes du Ve arrondissement de Paris. Ecrin intime rempli à craquer en ce mercredi soir, ce lieu est bien connu des mélomanes pour avoir accueilli les enregistrements de l’éditeur Erato pendant près de trente ans. Ses dimensions modestes expliquent sans doute l’excellente acoustique des lieux, sans réverbération excessive, même si les bois y ressortent moins que les cordes ou les cuivres. C’est particulièrement marquant dans la symphonie de Dittersdorf, où les contrechants manquent de poésie pour bien contrebalancer les scansions bien étagées par Lerat. Constante de sa direction, l’attention aux nuances est respectée avec une admirable précision, tout comme dans les extraits de Dardanus de Rameau. Si l’orchestre laisse entendre quelques insuffisances aux violons principalement, il faut souligner l’excellence des pupitres de violoncelles et de cuivres, ainsi que le bon niveau global d’ensemble.


Les chœurs ici réunis, aux deux tiers féminins et composés d’amateurs, n’affichent malheureusement pas le même niveau dans la première partie de concert – motets de Michael Haydn et court Ubi caritas du compositeur norvégien Ola Gjeilo, né en 1978 – chantée a capella, où les sopranos ne brillent guère. L’homophonie du Requiem de Haydn leur réussit mieux, faisant oublier ce départ bien poussif. A leurs côtés, les solistes apportent un souffle de jeunesse bienvenu, porté par le chant radieux de Julien Dubarry, toujours très en voix. Il est actuellement membre du chœur de l’Orchestre de Paris, à l’instar de Nida Baierl et Christoph Engel. Ces deux derniers se montrent un peu plus en retrait, la première sans doute tétanisée par l’événement avec sa ligne de voix instable, le second un peu trop timide pour réellement porter son chant élégant au-delà des quelques premiers rangs. La grande satisfaction de la soirée reste cependant à l’actif de Stéphanie Boré, alto au timbre chaud et puissant, à l’aise sur toute la tessiture.

jeudi 18 juin 2015

« Orchestral works 1 » - Concertos pour piano n° 3 et 4, et Pavasario siuita de Vytautas Bacevicius - Christopher Lyndon-Gee - Disque Naxos


Inépuisable mine de découvertes, Naxos nous emmène cette fois à la rencontre du compositeur lituanien Vytautas Bacevicius (1905-1970). On doit cet intérêt au chef d’orchestre Christopher Lyndon-Gee, déjà auteur d’une remarquable intégrale des œuvres orchestrales du grand Igor Markevitch, parue en sept volumes chez Marco Polo dès 1997. Un chef qui ne perd jamais de vue son geste léger et gracieux, particulièrement ensorcelant dans le Troisième Concerto pour piano, une œuvre gravée en première mondiale (à l’instar de la Suite du printemps). Composé entre 1946 et 1949, ce concerto séduit d’emblée par son orchestration raffinée qui évoque à maints endroits Ravel, en écho aux séjours nombreux que Bacevicius fit à Paris, tandis que le lyrisme de Prokofiev n’est pas loin. Si l’orchestre soumis rappelle le passé de pianiste virtuose du compositeur, cette œuvre reste toujours très plaisante avec sa belle inspiration mélodique.

Changement d’atmosphère avec la Suite du printemps (1958), où la mélodie semble se dissoudre irrémédiablement en une orchestration plus dense et complexe. Diffuse et mystérieuse, cette œuvre dotée d’un superbe Lento annonce la «période cosmique» du compositeur, en une volonté de dépasser le système tonal pour embrasser les grandes cathédrales de ses prédécesseurs, tels Varèse et Scriabine qu’il admirait. Cet idéal artistique cherchant à éviter toute l’austérité du dodécaphonisme est notamment marqué par l’achèvement d’un Poème cosmique (1959) et d’une Sixième Symphonie (1960), comportant également ce même sous-titre de «cosmique». C’est dans ce contexte que la composition du Quatrième Concerto pour piano intervient, avec son atonalité qui évite toute sécheresse.


Un disque indispensable pour comprendre l’évolution du style de ce compositeur exigeant, méconnu du fait de sa personnalité peu expansive, dont l’univers musical a été parfaitement capté par Christopher Lyndon-Gee et Gabrielius Alekna au piano.

mercredi 17 juin 2015

« Les Mousquetaires au couvent » de Louis Varney - Opéra Comique - 15/06/2015



Pari réussi pour Jérôme Deschamps à l’heure de quitter l’Opéra-Comique: son mandat se devait de finir par un feu d’artifice de malice et de bonne humeur, à l’image du travail réalisé pendant huit saisons. La production créée à Lausanne fin 2013 ravit ainsi d’emblée par son imaginaire ludique joyeusement déjanté, fondé sur des costumes à l’ancienne, revisités en un festival de couleurs pétillantes, et des décors plus sobres en comparaison (décors qui ne sont pas sans rappeler la production de La Fiancée vendue donnée à Paris en 2008 et 2010). A l’instar de la Ciboulette reprise cette année, Deschamps dépoussière le chef-d’œuvre de Louis Varney (1844-1908) en lui insufflant une énergie comique qui met du temps à s’installer au premier acte avant de déferler sur les deux suivants. Il faut dire que le vif tempo imposé par Laurent Campellone, à la tête de l’Orchestre symphonique de l’Opéra de Toulon, ne ménage pas ses interprètes – souvent dépassés dans les accélérations périlleuses. La prononciation s’avère aussi un peu sacrifiée au début de l’œuvre, particulièrement par le chœur.


Pour autant, la mayonnaise prend très vite grâce aux variations et à l’invention mélodique irrésistible de Varney, tout comme son sens implacable du rythme. Sans temps mort, ce digne successeur d’Offenbach affiche un métier sûr, aussi élégant que percutant, bien aidé par une histoire enrichie des gags de Deschamps, autour des péripéties de deux mousquetaires coureurs de jupons rapidement introduits dans un couvent par la grâce d’un jeu de masques savoureux. Des dialogues modernisés, tout comme la mise en scène et ses nombreux anachronismes volontaires, permettent de se délecter d’un anticléricalisme bon enfant, volontiers potache. Nicole Monestier en mère supérieure rappelle les outrances d’une Jacqueline Maillan, tandis que le gouverneur interprété par Deschamps lui-même emprunte son maniérisme campagnard à... Paul Préboist. Des hommages involontaires sans doute mais infiniment savoureux, qui ne prennent jamais le pouvoir sur la musique.


La production s’appuie également sur un plateau vocal sans faille, dominé par l’énergie revigorante d’Anne-Catherine Gillet (Simone), très en voix et d’une belle aisance dans l’aigu, sans parler de ses graves de velours. A ses côtés, Franck Leguérinel interprète un abbé Bridaine désopilant, merveilleux de diction, tandis que les deux tourtereaux s’en sortent honorablement – Sébastien Guèze (Gontran) nous régalant de son beau timbre, à l’émission malheureusement parfois un peu forcée et trop nasale. Rien de tel pour le chant raffiné et délicieux d’Anne-Marie Suire (Marie de Pontcourlay) et Antoinette Dennefeld (Louise de Pontcourlay), toutes deux très convaincantes dans leurs rôles respectifs.


Il reste encore quelques places pour les dernières représentations: précipitez-vous! N’oubliez pas aussi de faire l’achat du très beau programme confectionné par les équipes de l’Opéra-Comique, qui non content de nous faire mieux connaître la figure de Varney, y ajoute de superbes photos de la production et des dessins préparatoires des costumes de Vanessa Sannino. De quoi profiter encore du travail de cette belle maison, quelques semaines avant sa fermeture prévue pour dix-huit mois – à l’instar du Théâtre de la Ville et du Théâtre du Châtelet.

samedi 13 juin 2015

« New seasons » - Oeuvres de Philip Glass, Arvo Pärt, Giya Kancheli et Shigeru Umebayashi - Gidon Kremer - Disque Deutsche Grammophon



Plus de vingt ans après avoir consacré un disque au Premier Concerto de Philip Glass, déjà chez Deutsche Grammophon, Gidon Kremer s’intéresse de nouveau au compositeur américain, toujours passionné par la forme du concerto. C’est en réalité le troisième concerto pour violon de Glass, le compositeur ayant choisi de détruire le tout premier composé en 1960, alors qu’il étudiait sous la férule de Darius Milhaud. Né en 1937, il a très vite embrassé le courant minimaliste, en devenant l’un de ses représentants emblématiques avec Steve Reich. Si le Concerto pour violon de 1987 en porte la marque profonde avec ses scansions entêtantes, le dernier-né s’en éloigne quelque peu en adoptant un style plus épuré, au lyrisme contenu, mais toujours très accessible. L’orchestration légère offre un rôle de tout premier plan au soliste, tandis que l’atmosphère globalement sombre ne perd jamais de vue son caractère évocateur.

Si l’intérêt du Letton Gidon Kremer n’est sans doute pas étranger aux origines lituaniennes de Glass (rapprochant ainsi une fois encore les pays baltes), il nous permet de nous délecter de son archer tout en sensibilité, qui fait merveille ici. Pas étonnant, dès lors, de retrouver aussi son compatriote Arvo Pärt (né en 1935) au programme, dans un court clin d’œil où les pizzicati de Kremer nous révèlent une Berceuse estonienne savoureuse, accompagné du Chœur de filles «Liepaitės» de Vilnius. Autre apport surprenant avec le thème immédiatement identifiable du film Yumeji (1991), repris et popularisé en 2000 par le film In the Mood for Love de Wong Kar-wai. Ici encore, Kremer n’a pas son pareil pour apporter un peu plus d’intérêt à cette pièce très simple de Shigeru Umebayashi (né en 1951), au minimalisme en phase avec les autres œuvres gravées sur ce disque.


C’est aussi l’occasion de faire connaître plus encore l’œuvre de Giya Kancheli (né en 1935), compositeur géorgien des plus intéressants. Ecrit en 2006, son Ex contrario, d’une ampleur conséquente avec son unique mouvement de près de trente minutes, fait la part belle aux cordes en nous emportant vers des ambiances mélancoliques, volontiers épurées là aussi. La mélodie s’étire doucement, sans jamais ennuyer, jouant sur les timbres (le clavecin apportant ainsi une étrangeté bienvenue) et d’infimes variations. Une tristesse aux accents mahlériens conclut cette très belle œuvre, offrant un intérêt supplémentaire à cette publication aux côtés du très réussi nouveau concerto de Glass. Avec l’interprétation idéale de Kremer et son ensemble Kremerata Baltica, ce disque en comblera plus d’un.

vendredi 12 juin 2015

« Silvana » de Carl Maria von Weber - Ulf Schirmer - Disque CPO


Sentiment ambivalent à la découverte de la Silvana de Carl Maria von Weber (1786-1826), une œuvre de jeunesse composée en 1810, la même année que son délicieux singspiel en un acte, Abu Hassan. A bien des égards passionnant, Silvana mériterait de faire son retour sur les planches avec une distribution cependant plus convaincante que celle réunie sur ce disque. Les premiers morceaux dévolus à l’orchestre et au chœur permettent en effet de comprendre immédiatement pourquoi cet opéra comique rencontra un vif succès à sa création, avec son mélange savoureux d’airs et d’ensembles variés, sans oublier de nombreuses musiques populaires, tels les chœurs des chasseurs rappelant furieusement Haydn (tout comme l’Ouverture!). On se délecte aussi d’un très original finale au premier acte se concluant pianissimo, ou encore de son équivalent beaucoup plus élaboré au II, même si l’acte III perd quelque peu en inspiration.


Il faut dire que cette Silvana eut une gestation difficile, Weber réutilisant des parties d’un ancien opéra de jeunesse composé à seulement douze ans, Le Pouvoir de l’amour et du vin, aujourd’hui perdu), tout en retravaillant le livret avec Franz Carl Hiemer. Si l’opéra comporte, à l’instar de La Muette de Portici d’Auber, un rôle-titre de sauvageonne muette, on pourra aussi noter un certain déséquilibre dans la construction globale, le I étant principalement dévolu au chœur accompagnant les tribulations désopilantes de Rudolf et son écuyer Krips, tandis que le II permet l’entrée de sa promise Mechtilde, très présente, et son père le comte Adelhart.


Le plateau vocal de bon niveau déçoit dès lors que les interprètes doivent monter dans l’aigu. C’est principalement notable pour le musical Rudolf de Ferdinand von Bothmer et la Mechtilde de Michaela Kaune. Egalement en difficulté dans ses vocalises, cette dernière compense ses faiblesses par un chant de caractère, particulièrement notable dans son air «
Weh mir, es ist geschehen», l’un des sommets de la partition. A ses côtés, on retiendra surtout un impeccable Detlef Roth (Adelhart), tandis que Simon Pauly (Krips) se distingue par une belle diction. Habituel défenseur du répertoire germanique chez CPO (voir notamment Intermezzo de Strauss et Le Fils du prince de Lehár, gravés récemment), Ulf Schirmer conduit ses troupes munichoises avec un sens de l’équilibre toujours à propos, même si on aimerait parfois, ici et là, davantage d’emportement.


Une bonne version d’attente en somme, mais pas encore la référence pour cette œuvre, ici imparfaitement défendue par les voix.

« Musique pour les feux d’artifice royaux » de Georg Friedrich Haendel et oeuvres de Lully, Mouret, Donninger, Fischer, Fasch et Porpora - Ensemble Zefiro - Orangerie du Château de Versailles - 10/06/2015

Orangerie du Château de Versailles
Un air de festival flottait sur Versailles aux dernières lueurs du couchant: rien d’étonnant, le château s’est enfin décidé à concurrencer ses homologues – Potsdam, par exemple, dont les Musikfestspiele commencent ce 12 juin – autour d’alléchantes manifestations estivales. Outre les traditionnels et incontournables concerts à l’opéra et à la chapelle royale, l’orangerie accueillera plusieurs événements en plein air, des ballets de Monte-Carlo à un prestigieux récital d’Anna Netrebko le 4 juillet, en passant par les pyrotechnies de Groupe F. Cette société de création de spectacles pyrotechniques, fidèle habituée des lieux pour avoir produit depuis de nombreuses années la manifestation des grandes eaux nocturnes, reste principalement connue pour la conception du grandiose feu d’artifice du passage à l’an 2000 autour de la tour Eiffel.

Décidément incontournable, Groupe F innove cette année en accompagnant l’ensemble italien Zefiro, chargé d’interpréter la spectaculaire Musique pour les feux d’artifice royaux composée en 1749 par Haendel. Un spectacle agréable, fondé sur des feux d’artifice variés et une astucieuse mise en lumière du site, mais dont on aurait aimé comprendre en quoi il se rapproche - ou non - des pyrotechnies possibles du temps de Louis XIV et ses successeurs. Malheureusement muet à ce sujet, le programme se contente de disserter sur le brio haendelien, omettant également toute mention sur la première partie du concert consacré à un superbe florilège de musiques baroques pour vents et percussions.


Sur scène, une véritable armée composée de pas moins de vingt-cinq hautbois entourés de treize bassons, neuf cors, neuf trompettes et d’une triple paires de timbales, se succèdent au grand complet dans les œuvres de Haendel, Lully, Fasch et Porpora ici réunies, apportant un faste et une pompe dignes des musiques guerrières auxquelles elles font référence. En utilisant des effectifs plus modestes en comparaison pour les autres pièces, ce programme s’avère admirablement construit – les savoureuses danses françaises du méconnu Johann Caspar Ferdinand Fischer (1656-1746) répondant aux fanfares de chasse dévolues aux cors chez Jean-Joseph Mouret (1682-1738). Mais c’est tout de même le contexte guerrier qui prédomine dans ce beau programme, Alfredo Bernardini, hautboïste baroque et actuel chef de l’ensemble Zefiro, révélant une brillante «bataille navale» mise en musique par Ferdinand Donninger (1715-1781). L’occasion pour les trompettes et timbales de s’opposer vigoureusement.


Une interprétation globalement satisfaisante, même si l’on aura pu noter, ici et là, quelques problèmes de justesse pour les cors ou un tempo qui manque de respiration dans Haendel. Un concert également marqué par un temps splendide, seulement perturbé par quelques malicieuses bourrasques de vent obligeant les interprètes à se battre pour conserver leur partition devant eux, tandis que le souffle puissant s’engouffrant dans les micros a pu faire penser à l’ajout d’un éoliphone (ou héliophone), cet instrument précisément inventé au XVIIe siècle pour reproduire le son du vent.

dimanche 7 juin 2015

« Symphonies 1 à 4 » de Salomon Jadassohn - Howard Griffiths - Disque CPO


Rapidement oubliée après sa mort, la musique de Solomon Jadassohn (1831-1902) nous revient avec l’enregistrement de l’intégrale de ses quatre Symphonies, composées entre 1861 et 1889. Théoricien respecté, Jadassohn fut l’une des grandes figures de l’enseignement musical à Leipzig à la fin du XIXe siècle, aux côtés de Carl Reinecke. Résolument conservatrice, sa musique porte l’empreinte de Mendelssohn et surtout de Schumann, en privilégiant la grande forme équilibrée et la mélodie. Ses deux premières symphonies, composées à quatre ans d’intervalle, offrent le regard insouciant d’un geste influencé par Schubert, brillant et sautillant, empreint de légèreté. Très optimistes, ces deux œuvres laissent une part importante à des passages dansants, tandis que la Marche funèbre de la Première Symphonie se tourne davantage vers l’exemple de Beethoven. La Deuxième Symphonie (d’une durée d’un peu moins de 30 minutes, contrairement à ce qu’affirme par erreur le livret) reste sous les mêmes auspices joyeux, insufflant une énergie mélodique portée par des premiers violons omniprésents. Véritable constante dans l’orchestration symphonique de Jadassohn, cette propension déçoit tant elle ne laisse qu’une faible part à la poésie des bois ou aux possibilités lyriques des cuivres. On notera néanmoins dans cette symphonie un bel Andante, très élaboré.

Les deux dernières symphonies montrent un Jadassohn volontiers plus sombre, comme le prouvent à la fois le choix du mode mineur et l’ajout de trois trombones dans l’orchestre. La Troisième (1876) se montre ainsi très inspirée, variant un peu plus son orchestration, tandis que le Menuet surprend par son charme répétitif quasi hypnotique. Plus décevante, la dernière symphonie de 1889 n’apporte rien à la gloire de son auteur, manifestement sans idées marquantes et toujours empêtré dans son incapacité à se confronter à ses contemporains plus audacieux, tels Bruckner ou Strauss. Seule la figure sereine de Brahms semble se refléter en de lyriques et charmantes Cavatines pour violon (1882) et violoncelle (1894, sa dernière œuvre orchestrale) gravées en complément des symphonies.


Idéalement capté, ce disque bénéficie par ailleurs de la direction très détaillée, à la rythmique implacable, de Howard Griffiths. Une nouvelle réussite après ses excellentes gravures des symphonies de Ferdinand Ries et Franz Danzi.

vendredi 5 juin 2015

« Otello » de Giuseppe Verdi - Renée Fleming - Semyon Bychkov - DVD Decca


Pas de surprise à attendre, une fois encore, de cette production tout droit venue du Metropolitan Opera en 2012. Outre-Atlantique, la recette à succès est toujours la même: une mise en scène fidèle à l’œuvre (pas de Regietheater à l’allemande) et des grandes stars capables de remplir l’immense salle de près de 4000 places. A ce jeu-là, on ne sera pas bousculé par la sage production d’Elijah Moshinsky, convoquant capes et épées autour d’un véritable ballet chorégraphique parfaitement réglé, sans jamais se départir d’une veine réaliste et littérale aussi confortable que prévisible. Les hommes ferraillent vaillamment d’un côté, avant que ne résonne le son de la mandoline autour de Desdemona distribuant des fleurs autour d’elle. Rien de bien passionnant dans cette mise en scène trop raisonnable.

Fort heureusement, le plateau vocal réuni apporte beaucoup de satisfaction, au premier rang desquelles l’impériale Desdémone de Renée Fleming, au timbre toujours aussi gorgé de soleil et d’un soyeux ensorcelant. Une interprète qui vit pleinement son rôle avec un engagement éloquent, même si elle est toujours à la limite d’en faire un peu trop. A ses côtés, Falk Struckmann est tout autant passionné par son personnage de Iago, bousculant ses propres limites vocales. Son manque de couleurs n’est pas gênant tant il semble en phase avec le rôle. Rien de tel pour le puissant ténor sud-africain Johan Botha (Othello), très agile vocalement et très constant pendant toute la soirée. On n’en dira pas autant de son jeu scénique limité – astucieusement masqué par la réalisation vidéographique qui montre souvent ses comparses lors de ses différentes interventions.


Les excellents seconds rôles n’apportent que des louanges, tandis que la direction nerveuse et tranchante de Semyon Bychkov donne un vibrant caractère aux scènes guerrières ou à l’aria Vanne! La tua meta già vedo de Iago, au début du II. Le chef n’en oublie pas pour autant de se montrer plus délicat dans les scènes poignantes – même si la prise de son ne lui rend que faiblement justice. De même, le chœur et les ensembles laissent percevoir des déséquilibres dans la captation sonore. On pourra aussi faire l’impasse sur le court et anecdotique bonus (près de dix minutes) où la soprano Sondra Radvanovsky interroge ses collègues en coulisse lors de la soirée. Une production à découvrir pour les seules voix.

mardi 2 juin 2015

« Uthal » de Etienne-Nicolas Méhul - Opéra de Versailles - 30/05/2015

Jean-Sébastien Bou
Aujourd’hui complètement oublié malgré cinq symphonies et une trentaine d’opéras composés tout au long de sa carrière, Etienne Nicolas Méhul (1763-1817) pourrait être qualifié de véritable «Talleyrand du monde musical». Originaire des Ardennes, il effectue ainsi à seulement quinze ans ses premiers pas à Paris auprès de Gluck – alors protégé de la reine Marie-Antoinette, avant de se rendre célèbre pendant la Révolution avec le Chant du départ (1794), encensé par Robespierre. L’avènement du Premier Empire ne ternit pas son aura, Méhul devenant en 1804 l’un des premiers français à obtenir la Légion d’honneur (en même temps que Gossec et Grétry), tandis que la Restauration lui offre une prestigieuse nomination au Conservatoire. S’il fut habile en politique, sa musique a néanmoins rapidement disparu des programmes de concert après sa mort, et ce alors même qu’elle recueillait l’estime de Berlioz ou Wagner.


Fidèle à sa mission de promouvoir la musique romantique française, le Palazzetto Bru Zane a choisi cette année de faire revivre en version de concert l’opéra Uthal de Méhul, une œuvre de la maturité, créée en 1806 – un an tout juste avant son chef-d’œuvre, Joseph. Avec Uthal, Méhul allait surprendre ses contemporains par la suppression insolite des violons au profit des altos, et ce pour donner une teinte sombre à son orchestration, en lien avec les brumes romantiques de son histoire. Le compositeur français choisit en effet de s’intéresser aux poèmes, dits «gaéliques», du barde écossais Ossian (en réalité une supercherie littéraire élaborée par son «traducteur» James Macpherson), alors très en vogue dans toute l’Europe. Dès lors, Méhul convoque l’inévitable harpe afin de colorer son histoire (finalement peu originale) d’amoureux contrariés sur fond de conflit guerrier – Malvina désespérant de pouvoir épouser son cher Uthal, rival de son propre père.


Manifestement influencée par Gluck, l’orchestration de Méhul affiche une transparence toute française, installant des atmosphères assez austères habilement contrastées par la coloration subtile de bois très présents. Mais c’est surtout le plaisir de la déclamation qui surprend d’emblée: on reste saisi d’admiration devant cette éloquence bien portée par l’ensemble des interprètes ici réunis. Un plateau d’autant plus difficile à constituer que les chanteurs se doivent de réunir des qualités lyriques et dramatiques – de nombreuses parties parlées, sans compter les récitatifs, venant interrompre le discours musical. Peu d’airs, mais aussi un chœur uniquement masculin – l’opéra ne manque pas de surprises. Une autre, plus désagréable, tient à sa durée très courte (une heure) à laquelle les organisateurs auraient pu pallier en joignant par exemple une autre œuvre brève de Méhul, telle la cantate Ariane à Naxos composée en 1807 pour l’obtention du prix de Rome.


Ce concert express aura été l’occasion d’entendre la fine fleur du chant français actuel, à commencer par la figure rayonnante de Jean-Sébastien Bou, impressionnant de la première à la dernière note par son élocution idéale et sa force d’expressivité. La compréhension du texte s’avère un rien plus délicate avec Karine Deshayes, une difficulté heureusement compensée par ses qualités de projection et son engagement constants. A ses côtés, Yann Beuron affiche une superbe ligne de chant dans le rôle-titre, toujours parfaitement en place. Les seconds rôles superlatifs sont dominés par un excellent Philippe-Nicolas Martin, tandis que les forces masculines du Chœur de chambre de Namur font valoir leurs habituelles qualités de précision et de diction. On saluera enfin le travail de Christophe Rousset à la tête de son ensemble Les Talens Lyriques, toujours aussi équilibré dans son approche dynamique
.

lundi 1 juin 2015

« Oratorios de Pâques et de l'Ascension » de JS Bach - Frieder Bernius - Disque Carus


Sentiments partagés à la découverte du nouvel album de Frieder Bernius à la tête du Chœur de chambre de Stuttgart qu’il a lui-même créé en 1968 et avec lequel il a enregistré de nombreux disques pour Sony (magnifiques Zelenka) et plus récemment pour Carus (non moins superbes Mendelssohn). L’éditeur allemand réédite en effet l’Oratorio de Pâques gravé en 2004 aux côtés d’œuvres de Carl Philipp Emanuel Bach, pour lui adjoindre cette fois un enregistrement inédit de l’Oratorio de l’Ascension en un disque désormais entièrement consacré à Jean-Sébastien Bach. Un choix discutable tant il est rare de coupler une gravure ancienne à une autre plus récente, mais qui pourra néanmoins séduire ceux qui ne possèdent pas le premier disque.


L’interprétation de l’Oratorio de Pâques par Bernius avait ainsi été considérée comme un événement à sa sortie en 2005, remportant notamment le Preis der deutschen Schallplattenkritik en Allemagne. Quel plaisir de retrouver cette lecture dégraissée sur instruments d’époque, toujours aussi impressionnante d’allant irrésistible autour de sa pulsation rythmique implacable. Bernius évite toute sécheresse en restant équilibré dans sa conception, bénéficiant de surcroît de son chœur superlatif et de chanteurs de bon niveau.


Dix ans plus tard, Bernius n’a rien perdu de cette énergie, offrant un Oratorio de l’Ascension de très bonne tenue, mais malheureusement un cran en dessous du précédent. Est-ce le tempo vif qui ne parvient pas à respirer suffisamment? Ou bien des tutti un rien trop appuyés? Des détails sans doute, mais qui nous éloignent quelque peu de ce sentiment de perfection sereine immédiatement audible à l’écoute des meilleures gravures du chef allemand (voir notamment L’Apocalypse de Spohr).


Un disque néanmoins tout à fait recommandable, bénéficiant de chanteurs et d’un chœur très satisfaisants, que l’auditeur choisira en fonction du couplage qui lui convient le plus.