samedi 31 janvier 2015

« Cinq-Mars » de Charles Gounod - Opéra de Versailles - 29/01/2015

Véronique Gens
La foule des grands soirs était réunie jeudi à Versailles pour célébrer Charles Gounod autour de la résurrection de l’une de ses œuvres les plus méconnues, Cinq-Mars. Ce grand opéra en quatre actes s’intéresse à la figure historique du marquis de Cinq-Mars (1620-1642), ancien favori de Louis XIII et auteur de nombreuses conspirations contre Richelieu, avant de finir décapité à Lyon en même temps que son complice François-Auguste de Thou. Si Meyerbeer a un temps caressé l’idée d’une adaptation du roman écrit par Alfred de Vigny en 1826, c’est finalement Gounod qui reprend cette idée pour l’un de ses derniers opéras, composé en 1877, dix ans tout juste après Roméo et Juliette. L’œuvre n’eut qu’une carrière modeste, et ce malgré l’existence d’une seconde version présentée quelques mois seulement après la création. C’est précisément cette version avec récitatifs (en lieu et place des dialogues parlés), augmentée d’un Cantabile pour de Thou et d’un superbe quatuor avec chœur, que l’on découvre à l’Opéra de Versailles, quelques jours seulement après Munich et Vienne.

L’œuvre déçoit quelque peu d’emblée par une Ouverture aux thèmes peu saillants (il est vrai desservie par un Orchestre de la radio de Munich aux cordes bien timides), très séquentielle, impression qui persiste pendant la première demi-heure, lorsque le complot s’installe autour de récitatifs assez nombreux. Une fois passé ce démarrage en demi-teinte, Gounod captive constamment par sa variété de couleurs, alternant habilement airs et ensembles régulièrement soutenus par le chœur (très sollicité au niveau des pupitres masculins), tout en introduisant des danses dans la scène du bal au II, intrigue secondaire qui sert de prétexte à un divertissement léger. Le grand opéra laisse sans doute trop de place à l’amour contrarié entre Cinq-Mars et la Princesse Marie, manquant aussi la scène tragique de l’échafaud, assez sobre d’effets, que Gounod ponctue par un ultime cri de l’héroïne. Au premier acte, l’attention se concentre à partir de la scène V pour se délecter de la «Nuit resplendissante» de la Princesse Marie, l’un des airs les plus fameux de l’œuvre, entre poésie et délicatesse – qu’un Saint-Saëns n’aurait certainement pas renié.


Véronique Gens interprète une Marie tour à tour rêveuse puis amoureuse, toute de grâce dans ses différentes interventions. Comme à son habitude, la soprano française, régulièrement invitée à Versailles, distille toutes les subtilités de son timbre corsé autour d’une interprétation intense et théâtrale. Dans cette version de concert, les constants regards lancés à ses partenaires sont autant de signes d’une admirable volonté d’imposer le sens au-delà du seul chant. Dommage que Charles Castronovo, concentré sur la partition, ne réponde à ses intentions que très sporadiquement. Une imagination dramatique moindre qui ne l’empêche pas
d’en imposer par son aisance vocale, très convaincante. Avec un timbre un peu assombri depuis sa belle prestation dans la Mireille donnée à Garnier voilà cinq ans, il offre à Saint-Mars les contours d’un homme plus mûr, plus «politique» que réellement éperdu d’amour pour Marie. La diction en français se montre quasi parfaite, à l’instar d’Andrew Foster-Williams, à la ligne de chant d’une tenue idéale, ou de Tassis Christoyannis, à l’éloquence toujours aussi radieuse. On pourra aussi citer la soprano Norma Nahoun, d’une fraîcheur délicieuse à chaque intervention, ou un superlatif Jacques-Greg Belobo. Un plateau vocal globalement de haut niveau, très investi.

Le Chœur de la Radio bavaroise ne faillit pas quant à lui à sa réputation, impressionnant surtout par sa diction parfaite du français. On pourra évidemment noter, ici et là, quelques prudences au niveau de l’intention dramatique, évidemment compensées par la cohésion et l’engagement de chaque instant. Ulf Schirmer dirige avec l’attention et la minutie caractéristiques de ce chef souvent présent à Bastille pendant l’ère Gall (Le Chevalier à la Rose, La Femme sans ombre ou Lulu). L’actuel directeur musical de l’Opéra de Leipzig conduit ses troupes avec une belle respiration, très à l’aise dans les passages dansés – seulement desservi, comme on l’a vu plus haut, par des cordes parfois peu audibles. Un spectacle vivement applaudi par un public visiblement ravi, encore une fois bien gâté par toute l’équipe du Palazzetto Bru Zane, à l’origine de ce beau projet.

mercredi 28 janvier 2015

« Les Fêtes vénitiennes » d'André Campra - Opéra Comique - 26/01/2015

Un an après une Platée multipliant les références à la fashion week, William Christie et Robert Carsen retrouvent l’Opéra-Comique pour célébrer Les Fêtes vénitiennes, un opéra-ballet du rare André Campra (1660-1744). Si Hugo Reyne en a donné quelques extraits avec son ensemble en 2010, il faut remonter à 1991 pour avoir entendu cet ouvrage dans son intégralité, avec Jean-Claude Malgoire à la direction. Le chef français a ensuite défendu la tragédie lyrique Tancrède en 2000 – une œuvre reprise l’an passé à Versailles par Olivier Schneebeli. Est-ce le début d’un retour en grâce pour un compositeur habituellement cantonné à son seul Requiem ou à ses motets?

Si monter un opéra-ballet constitue un défi contemporain, la production de Carsen s’en acquitte aisément en imbriquant harmonieusement la danse à la musique et au théâtre – tous à parts égales comme le veut ce genre typiquement français. Le metteur en scène canadien joue la carte du pur divertissement, en parfaite cohérence avec les intentions d’une œuvre au propos léger. Construite en un Prologue («Le Triomphe de la Folie sur la Raison») et trois entrées («Le Bal», «Les Sérénades et les Joueurs», «L’Opéra»), comme autant d’histoires indépendantes, l’œuvre s’est enrichie depuis sa création en 1710 de nouvelles parties composées au gré de son phénoménal succès. Ici, le mythe de Venise est davantage vu sous ses atours libertins qu’en référence à sa modernité politique. Qu’importe, l’idée est bien de divertir.


Avec Carsen, tout semble s’enchaîner naturellement au gré des changements du décor, décomposé pour figurer la place Saint-Marc ou les appartements du Doge. Comme toujours, le moindre détail est finement réglé, avec fluidité et élégance, autour de costumes d’époque souvent revisités par une touche de modernité inattendue, telles ces robes à crinoline rapidement déchirées pour mieux laisser entrevoir la folie du jeu. Cette adaptation toujours fidèle à l’œuvre comporte quelques touches décalées lorsque le chœur apparaît en habit contemporain – prétexte à une critique de la société de consommation en fin d’opéra, quand la place Saint-Marc se vide de ses touristes pour faire place à leur seuls détritus. Carsen a aussi l’idée de transposer l’opposition entre la Folie et la Raison, ici incarnée par des libertins face à des religieux, vites défaits. Si son travail apparaît très convaincant avant l’entracte, il s’essouffle quelque peu en seconde partie, moins inspiré par les deux dernières entrées, au scénario plus convenu. Sa scène de danse des moutons se révèle ainsi bien poussive, contrairement à la scène initiale du bal ou plus encore à l’affrontement désopilant entre les maîtres de danse et de musique.


Contrairement à l’opéra italien, où le chant a déjà pris l’ascendant sur le théâtre (Campra ne se privant pas de se moquer des vocalises transalpines), la déclamation française réunit harmonieusement le chant et le théâtre. Jugée ennuyeuse par certains, cette déclamation prend toute sa saveur lorsqu’elle est portée par des interprètes de premier plan, comme c’est le cas dans cette production. William Christie prend soin de réunir des chanteurs parfaitement rompus au répertoire baroque et pour la plupart francophones, hormis Rachel Redmond. L’Ecossaise se montre très à son aise dans la diction, toujours précise, ne laissant transparaître qu’un infirme accent. Seule la sérénade italienne manque de folie interprétative pour bien rappeler les intentions parodiques de Campra. A ses côtés, on retient surtout l’impressionnant Marc Mauillon, à la parfaite diction, au timbre profond et corsé. Un régal à chaque apparition. Aucune fausse note dans le reste de la distribution, hormis peut-être Marcel Beekman, un rien cabotin dans ses différentes interventions.


Autour de l’impeccable ballet néerlandais Scapino, Christie enflamme le propos de son geste vif et précis, toujours revigorant. Avec son bel ensemble (superlatives flûtes), il n’est pas pour rien dans la réussite de cette soirée, vivement applaudie.

mardi 27 janvier 2015

« Idomeneo » de Wolfgang Amadeus Mozart - Opéra de Lyon - 23/01/2015


On aura beau dire que mettre en scène Idoménée relève d’une gageure, force est de constater que le travail de Martin Kusej n’a pas convaincu vendredi soir lors de la première à Lyon. Déjà copieusement huée à Londres en fin d’année dernière, cette production a reçu le même accueil dans la capitale des Gaules. Le metteur en scène autrichien aura au moins eu le courage de monter sur scène pour affronter le mécontentement, écartant ses collaborateurs pour avancer seul face à la rampe et faire signe au public de sa seule responsabilité face à l’échec.

Tout avait pourtant bien débuté, Kusej ayant la bonne idée de faire venir un à un les esclaves troyens pendant l’Ouverture, tout juste avant l’air initial d’Ilia, la princesse troyenne. Une entrée en matière saisissante avec ces hommes en haillons, dévastés par la défaite de leur camp face aux Crétois. Mais très vite, le statisme s’installe autour d’une mise en scène minimaliste qui cultive le noir et blanc et le peu d’effets visuels. Un plateau tournant en arrière-scène permet de voir des personnages s’agiter au loin pendant que les chanteurs semblent tourner en rond au premier plan, faute de réelle direction d’acteurs. En transposant le récit au milieu du XXe siècle, Kusej imagine un Idoménée de retour sur ses terres non plus pour offrir son fils Idamante en offrande à Poséidon mais pour reprendre le pouvoir que ce fils lui aurait substitué. Une idée intéressante, en lien avec les sources historiques du livret, malheureusement insuffisamment convaincante dans les deux premiers actes (donnés à la suite), qui paraissent bien longs, faute d’action. Il aurait sans doute fallu davantage d’imagination pour éviter cette désagréable impression d’une mise en espace établie à la va-vite. Seul le dernier acte apporte davantage de satisfaction avec les mouvements du chœur parfaitement maitrisés et plus encore l’image marquante d’Idoménée à terre après son ultime monologue, piétiné par une foule ivre du succès d’Idamante.


Au niveau interprétatif, on retiendra surtout l’impeccable Ilia d’Elena Galitskaya, vivement applaudie à l’issue de la représentation. La soprano russe impose un chant rayonnant, parfaitement en place et idéalement projeté. A ses côtés, Kate Aldrich (Idamante) offre une belle musicalité, en phase avec la subtilité de son interprétation dramatique. On ne lui reprochera qu’un léger vibrato, assez gênant dans les airs. Autre belle prestation avec l’Idoménée de Lothar Odinius, émouvant dans sa dernière scène, mais parfois un peu tonitruant avec sa voix puissante qui n’évite pas quelques passages en force. Très applaudi, le Lyonnais Julien Behr (Arbace) assure son rôle mineur avec aisance, tandis qu’Ingela Brimberg déçoit en Electre. Un rôle visiblement trop lourd pour la soprano suédoise, au timbre métallique, en lutte constante pour remplir sa partie – alors qu’elle était tellement plus à son aise en Leonore à Verbier l’an passé.


Un plateau vocal en demi-teinte malheureusement desservi par une direction uniforme, trop carrée, ne retenant que la fureur au détriment de tout moment de grâce. Le geste rageur de Gérard Korsten dans l’Ouverture avait aussitôt donné le ton, impressionnant de noirceur mais bien usant à la longue. Dommage car l’Orchestre tout comme le Chœur de l’Opéra de Lyon s’avèrent tous deux très affutés, sauvant la soirée par leur engagement constant.

lundi 26 janvier 2015

« Il Rè pastore » de Wolfgang Amadeus Mozart - Théâtre du Châtelet - 22/01/2015


L’affiche futuriste du spectacle, façon manga, en aura étonné plus d’un, faisant croire à un énième avatar de la comédie musicale rock sur Mozart présentée à Paris voilà six ans. Bien au contraire, Le Roi pasteur est un opéra méconnu du jeune prodige autrichien, dernier ouvrage de sa période dite «de jeunesse», composé six ans avant son premier chef-d’œuvre lyrique, Idoménée. Négligée du fait de cet illustre voisinage, l’œuvre souffre d’un découpage classique alternant récitatifs et airs, sans aucun chœur, et est couronnée d’un seul duo en fin de premier acte puis d’un ensemble regroupant les cinq solistes pour conclure l’ouvrage. De même, cet opéra de chambre ne se distingue pas par la variété des tessitures de ses solistes (trois sopranos et deux ténors). L’histoire, quant à elle, se rapproche plus des bluettes souvent mises en musique par son contemporain Haydn dans ses opéras que des œuvres plus tardives de Mozart. Résolu à faire monter sur le trône le jeune Aminta, berger ignorant de ses origines royales, le roi de Macédoine Alessandro lui accorde la main de Tamir, pourtant promise au noble Agenore. Lui-même amoureux éperdu d’Elisa, Aminta hésite, avant qu’Alessandro ne décide in extremis à satisfaire tout le monde au nom de la noblesse de cœur des deux couples amoureux.

Beaucoup d’écueils pour un seul opéra, ce qui explique pourquoi ce Roi pasteur reste souvent oublié au disque comme à la scène – la représentation donnée à Zurich en 2011 en constituant l’une des exceptions notables. Pour autant, la musique pétillante d’un Mozart de seulement 19 ans fait mouche autour d’un brio digne des concertos pour violon, exactement contemporains. Et c’est la mine réjouie que l’on quitte le Châtelet après une ovation finale des plus enthousiastes de la part du public nombreux à la première. Une fois encore, le directeur général du Châtelet, Jean-Luc Choplin, a eu le flair de réunir deux artistes qui osent, le plasticien Nicolas Buffe – découvert ici même dans un controversé Orlando paladino de Haydn en 2012 – et le metteur en scène Olivier Fredj, ancien assistant de Robert Carsen. Oser n’étant pas toujours un gage de réussite, l’apparition initiale des personnages fait craindre le pire avec leurs costumes assez cheap qui ne craignent pas le ridicule.


Un second degré assumé pleinement par les deux hommes, qui multiplient les références à l’univers visuel des mangas et jeux vidéos tout droit venus du Japon – pays d’adoption de Nicolas Buffe. Toute la fascination pour la subculture geek transpire dans le travail du plasticien, qui s’en donne à cœur joie pour donner vie à ses robots anthropomorphes aux faux airs d’Astroboy, ses soldats aux chorégraphies désopilantes façon «Bioman» ou son Alessandro grimé en X-OR. Véritable réussite visuelle, ces différents clins d’œil raviront la génération abreuvée de japanisation, mais les moins jeunes s’y retrouveront aussi, tant le spectacle se tient de bout en bout. Olivier Fredj apporte en effet un soin constant à la direction d’acteurs, finement réglée, afin de donner vie à l’imaginaire poétique et fantasmagorique de son comparse.


Il a surtout l’idée magistrale de résoudre l’une des principales faiblesses dramatiques de l’œuvre, à savoir le retournement soudain d’Alessandro en fin d’opéra. Fredj choisit d’introduire dès le début un compte à rebours pour trouver un héritier à Alessandro – nouveau clin d’œil aux jeux vidéo – dont la durée de 90 minutes correspond à celle de l’œuvre, permettant à la clémence finale d’intervenir logiquement, dans l’urgence de cet impératif. Fredj s’appuie aussi sur le découpage classique de l’œuvre, où les cinq chanteurs donnent leur premier air les uns après les autres, pour introduire lors de leur première apparition une drolatique fiche descriptive des personnages. Cet ajout bienvenu à l’allure futuriste, tout comme les bruitages au synthétiseur pendant les récitatifs, renforcent l’illustration de l’univers propre à la science-fiction. Ces effets au synthétiseur avait déjà été mis en œuvre dans Il mondo della Luna de Haydn, présenté à Bobigny par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris en 2013.


Seule petite déception, les éclairages apparaissent souvent sous-utilisés, sans doute en raison de la présence des images projetées en décor, renforçant l’effet cheap ou kitsch. Mais ce n’est là qu’un détail tant l’énergie et l’imagination débridée des deux hommes nous emporte pleinement, jusque dans son dernier numéro, enrichissant le moralisme conclusif attendu en le libérant de son statisme classique. Une énergie que l’on retrouve dans la fosse avec Jean-Christophe Spinosi, en résidence au Châtelet depuis 2007. Sens du relief et vie théâtrale sont les caractéristiques de sa direction, manquant seulement de couleurs dans les bois, très sollicités dans cette œuvre. Spinosi reste toujours très attentif à ses chanteurs, leur offrant toute la respiration nécessaire pour déployer un chant harmonieux.


Le plateau vocal est dominé sans conteste par son trio féminin, très à l’aise. C’est surtout l’Aminta de Soraya Mafi qui ravit à chaque apparition autour de la souplesse des transitions, la subtilité de la diction, l’intelligence du phrasé. Petite voix, elle est vivement applaudie à l’issue de la représentation. Autant de qualités que l’on retrouve chez sa comparse Elisa, incarnée par Raquel Camarinha, plus à l’aise encore dans la projection, mais sans doute un rien moins agile dans les différents passages de registres. Si Marie-Sophie Pollak (Tamir) et Krystian Adam (Agenore) se révèlent impeccables, Rainer Trost déçoit quelque peu avec des problèmes d’ampleur de tessiture, heureusement compensés par une interprétation hors pair en souverain farfelu.


Assurément un spectacle à ne pas manquer pour découvrir un jeune Mozart magnifié par une production aussi audacieuse que savoureuse. Un compositeur décidément à l’honneur puisqu’on retrouvera son opéra suivant, Idoménée, en deux productions différentes données aux opéras de Lille et Lyon jusqu’au 6 février.

mercredi 21 janvier 2015

« L'Elixir d'amour » de Gaetano Donizetti - Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines - 16/01/2015

David Stern
Labellisé «scène nationale» par le ministère de la Culture, le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines accorde chaque année une place non négligeable à la musique classique en dehors de sa principale dévolution au théâtre. La très belle production d’Armida de Haydn accueillie en octobre dernier – et actuellement en tournée dans toute la France – avait ainsi lancé la saison sous les meilleurs auspices. Le TSQY s’appuie également depuis dix ans sur la résidence de l’ensemble Opera Fuoco. Fondée en 2003 par David Stern, la formation sur instruments d’époque créé plusieurs spectacles par an qui lui permettent de rayonner au-delà de sa maison mère, du Théâtre des Champs-Elysées (Jephtha en 2009) à la Cité de la musique, notamment, tout en gravant des disques chez Zig-Zag Territoires: on pense par exemple à l’enregistrement de Zanaida de Johann Christian Bach.

C’est à une version de concert de L’Elixir d’amour de Donizetti, une des œuvres emblématiques du bel canto, que nous convie Opera Fuoco en ce début d’année. Rien d’aride cependant, les cinq solistes ayant choisi de ne pas faire usage des pupitres et partitions, interprétant leurs personnages avec des costumes façon XVIIIe siècle autour de quelques bouquets et outils villageois en bord de scène. Egalement grimé, l’Ensemble vocal de Saint-Quentin-en-Yvelines arbore quant à lui sa partition – seule petite concession à cette mise en espace finalement bienvenue dans sa simplicité même. Mais cette production a surtout comme intérêt de nous faire découvrir un plateau vocal de jeunes chanteurs, encore peu connus et très investis dans leurs rôles.


Place tout d’abord à Vannina Santoni, incontestable tête d’affiche de cette production, qui impose une Adina pétillante et savoureuse, autour d’une agilité vocale impeccable. La très belle ligne de chant se joue des difficultés avec un chant suave, précis, toujours très souple dans les modulations. A peine pourrait-on lui suggérer quelques prises de risque supplémentaires pour nous embarquer complètement et prendre sa place parmi les plus grandes. A ses côtés, Sahy Ratianarinaivo surprend tout d’abord par son beau timbre au velouté séduisant, mais qui fatigue quelque peu au cours de la soirée avec une émission de plus en plus nasale. Rien de tel heureusement dans son air célébrissime «Una furtiva lagrima» au second acte, bien travaillé. Parfois un peu en retrait côté interprétation, on lui préfèrera de ce point de vue l’impeccable Oded Reich, très convainquant dans son autoritarisme naïf, à la belle projection vocale. Rien de tel malheureusement pour Hyalmar Mittroti, à la tessiture réduite, aux problèmes de souffle constants, qui se rattrape quelque peu par sa truculente composition de Dulcamara. Eleonora de la Pena donne à son court rôle de Gianetta un mordant bienvenu, entourée par un Ensemble vocal de Saint-Quentin-en-Yvelines sincère mais souvent trop appliqué.


C’est surtout la direction précise de David Stern, attentive au texte, qui offre à la soirée un intérêt constant. Si l’Ouverture laisse apparaisse quelques défaillances individuelles (les bois notamment), cette formation réduite à vingt cordes s’en sort bien dans l’ensemble, sans trop couvrir les chanteurs dans la vaste salle de Saint-Quentin-en-Yvelines. Une soirée agréable, sans être au niveau atteint par la plupart des versions de concert du voisin versaillais, mais tout à fait plaisante.

samedi 17 janvier 2015

Symphonies 1-5 de Boris Liatochinski - T. Kuchar - Disque Naxos

La réédition de l’intégrale des Symphonies de Boris Liatochinski (1895-1968) est un événement à saluer vivement, tant ce compositeur ukrainien reste encore aujourd’hui bien méconnu alors même que la seule écoute de ces œuvres suffit à convaincre immédiatement de leur valeur. Les cinq symphonies composées entre 1918 et 1966, à quarante-huit ans d’intervalle, permettent aussi d’établir un passionnant panorama des évolutions musicales et politiques en Russie, des premières années bolchéviques jusqu’au dégel consécutif à la mort de Staline en 1953. Achevée en 1919 pour terminer son enseignement au Conservatoire de Kiev, la Première Symphonie doit beaucoup à Glière, son professeur de composition, mais plus encore à Scriabine – disparu en 1915. La répétition enivrante des mélodies qui traversent les pupitres de l’orchestre rappelle l’enchevêtrement virtuose du Poème de l’extase, tout en donnant une place de premier plan aux flûtes en opposition aux cuivres. Le superbe deuxième mouvement apporte en contraste une atmosphère plus méditative évoquant un champ de ruines – sans doute en écho aux événements guerriers récents. Le troisième et dernier mouvement (seule la Troisième Symphonie en comporte quatre) revient à la profusion des timbres entremêlés – ici magnifiquement enregistrés, autour de la direction magistrale de Theodore Kuchar.

Le geste du chef américain d’origine ukrainienne, au tempo assez lent, exalte les couleurs d’un orchestre en grande forme, tout en bâtissant patiemment des cathédrales sonores exaltantes. On retrouve ce geste sûr dans la Deuxième Symphonie, composée en 1935 et révisée cinq ans plus tard. L’influence de Scriabine a disparu au profit d’un langage moderniste dans la lignée de la Lady Macbeth de Chostakovitch, Liatochinski ayant comme lui rejoint très tôt l’Association pour la musique contemporaine russe, participant activement à la section de Kiev. Tout comme son cadet de onze ans, Boris Liatochinski est accusé de formalisme avec sa Deuxième Symphonie – cette œuvre n’étant finalement créée qu’en 1964, peu de temps après le dégel lancé par Nikita Khrouchtchev et dans la foulée de la création de la Quatrième Symphonie de Chostakovitch en 1961. Les cuivres imposants donnent un climat martial au premier mouvement, tandis que l’Andante apporte davantage de lyrisme, avec un rôle toujours marquant des flûtes, très sollicitées. Le dernier mouvement voit revenir une écriture plus verticale, ponctuée par les percussions. Contrairement à Chostakovitch, qui s’amende rapidement avec la Cinquième Symphonie, présentée en 1937, Liatochinski met un certain temps avant de retrouver les grâces du régime. Son exclusion de l’Union des compositeurs de l’URSS (qui avait fusionné toutes les autres associations musicales en 1932) en est le symbole le plus saillant.


Le purgatoire prend fin en 1946, quand il reçoit son premier Prix Staline avec le Quintette ukrainien, illustration d’un patient travail de recueil de mélodies traditionnelles. Né à Jitomyr, ville à l’intense activité culturelle, berceau de nombreux artistes (dont Sviatoslav Richter), Liatochinski est resté toute sa vie attaché à l’Ukraine, la «Petite Russie» célébrée par Tchaïkovski dans sa Deuxième Symphonie. On trouve plusieurs traces de ces sources ukrainiennes dans la Troisième Symphonie, composée en 1951 et révisée en 1954. Créée par rien moins qu’Evguéni Mravinski et le Philharmonique de Leningrad, cet ouvrage constitue l’un des plus mémorables de son auteur, d’une inspiration moins avant-gardiste, mais à l’élan généreux où les idées se bousculent harmonieusement. Là encore, le natif de Jitomyr réussit un très bel Andante marqué par la répétition hypnotique d’un mouvement de balancier qui n’est pas sans rappeler la planète Saturne mise en musique par Gustav Holst pendant la Première Guerre mondiale.


La confrontation entre les versions Mravinski (enregistrement de la création, en mono) et Kuchar s’avèrent passionnante, le chef américain se distinguant notamment par une interprétation plus lente de 7 minutes par rapport à son illustre aîné. Deux visions opposées mais toute aussi intéressantes l’une que l’autre – la première nerveuse et exaltant la rythmique, l’autre plus apollinienne, à l’ample respiration, idéale pour savourer les timbres de l’orchestre ainsi mis en valeur. Autre œuvre emblématique contemporaine, la ballade pour orchestre Grazyna, composée pour le centième anniversaire, en 1955, de la mort du poète polonais Adam Mickiewicz. Le style est plus dépouillé et plus sombre, mais l’inspiration est toujours là, faisant parfois penser au Rachmaninov de L’Ile des morts. La dernière période créatrice voit la production de deux ultimes symphonies en seulement trois ans (1963-1966), la Quatrième se rapprochant du lyrisme de la Septième de Prokofiev, tandis que la Cinquième, dite «Slave», utilise de nombreux chants traditionnels russes et yougoslaves.


Ces trois disques (auxquels on peut ajouter le disque consacré à son élève et compatriote Evguéni Stankovitch, également enregistré par Kuchar), déjà parus chez Marco Polo en 1994, et ce pour fêter les cent ans de la naissance de Liatochinski l’année suivante, ressortent donc chez Naxos. Une réédition exemplaire pour un compositeur à découvrir d’urgence!

mercredi 14 janvier 2015

Concerto pour orgue de Poulenc et Troisième symphonie de Saint-Saëns - Y. Nézet-Séguin - Disque LPO


Yannick Nézet-Séguin
Si l’on doit à l’orgue la réunion de ces deux œuvres composées à cinquante-deux ans d’intervalle, force est de constater qu’elles partagent une égale hauteur d’inspiration. Nettement moins connu que la dernière symphonie de Saint-Saëns, le Concerto pour orgue de Poulenc est constitué d’un vaste mouvement continu d’une vingtaine de minutes, que l’on peut décomposer en sept courtes parties. Ici, le geste lyrique de Yannick Nézet-Séguin rapproche Poulenc de Ravel en privilégiant une lecture chambriste, autour d’une respiration équilibrée et lumineuse. Les atmosphères sombres du concerto sont gommées pour une vivacité rythmique du meilleur effet, tandis que James O’Donnell offre une lecture souple et allante à l’orgue – se situant dans la même optique que le jeune chef québécois.

Cet allant se retrouve plus encore dès les premières mesures de la Troisième Symphonie de Saint-Saëns, assise sur une superbe transparence des cordes, évitant tout vibrato, tandis que le rebond rythmique des bois s’avère particulièrement saisissant. Si l’allégement orchestral est perceptible, cela n’empêche en rien d’offrir à cette lecture une graduation dramatique excitante, bien nuancée par des passages plus mystérieux où Nézet-Séguin montre une subtilité remarquable, d’une étonnante douceur dans l’étreinte progressive. On pourra noter aussi une propension à jouer avec les tempos, ralentissant le Poco adagio pour mieux accélérer ensuite lors de l’Allegro moderato. Autre surprise avec le vif tempo un rien trop martial de la dernière partie, qui donne un caractère autoritaire à ce mouvement, loin de l’hédonisme de Bernstein dans la même œuvre. Mais ce ne sont là que d’infimes réserves tant le propos général se montre convaincant, il est vrai parfaitement soutenu par un orchestre merveilleux de couleurs, très à l’aise dans cette partition. Rien de surprenant quand on se rappelle que cette œuvre a été commandée par la Royal Philharmonic Society, avant sa création à Londres en 1886. Un retour aux sources vivifiant!

mardi 13 janvier 2015

Oeuvres orchestrales de Johan Halvorsen - Neeme Järvi - Disques Chandos

C’est à une véritable fête des sens que nous convie le très beau coffret édité par Chandos regroupant les quatre disques consacrés à la musique orchestrale de Johan Halvorsen (1864-1935) et parus séparément entre 2010 et 2012. A l’intérieur, on y retrouve les quatre notices originelles, toutes richement documentées autour des nombreuses œuvres enregistrées. Violoniste virtuose puis chef d’orchestre particulièrement reconnu en son temps, Halvorsen a longtemps dirigé la formation que nous appelons aujourd’hui l’Orchestre philharmonique de Bergen, avant de prendre les rênes en 1919 du tout nouvel Orchestre philharmonique d’Oslo, bien avant les Mariss Jansons, André Previn ou Vasily Petrenko.


Accaparé par son métier, Halvorsen écrivit de nombreuses musiques de scène pour les théâtres de Bergen et Oslo et perfectionna ses qualités d’orchestrateur virtuose, lui valant ainsi le surnom de «Rimski-Korsakov norvégien». Cette influence se perçoit indubitablement dans la brillante Scène de danse tirée de La Reine Tamara, qui rappelle l’orientalisme de la Shéhérazade du compositeur russe. Parmi les musiques de scène composées entre 1905 et 1922, on retrouve par deux fois le nom du dramaturge national Ludvig Holberg (1684-1754), tout d’abord avec la savoureuse Suite ancienne, au néoclassicisme proche du Prokofiev de la Première Symphonie, dont la Sarabande fait aussi penser à Elgar. Puis Mascarade, une œuvre festive et dansante où Halvorsen laisse éclater toute son irrésistible énergie rythmique. De la même hauteur d’inspiration, tout aussi raffiné et élégant, le drame Fossegrimen est un immense succès à sa création – aujourd’hui prisé pour l’utilisation du pittoresque violon Hardanger, l’instrument national norvégien. On est moins convaincu en revanche par les Scènes de contes merveilleux norvégiens, que Halvorsen fit pourtant éditer à ses frais en 1933.


Le coffret fait aussi la part belle à de nombreuses œuvres symphoniques composées de 1919 à 1929 pour quinze instruments, Halvorsen étant alors obligé de licencier le reste de son orchestre. Si les suites Mascarade et Scènes de contes merveilleux norvégiens appartiennent à cette période, les rhapsodies, ainsi que Cygnes noirs et Bergensiana en font également partie. Un Halvorsen plus intimiste, souvent inspiré par le recueil de mélodies traditionnelles de l’ouest de la Norvège, est ici dévoilé. Son infatigable curiosité l’a aussi poussé vers la transcription, adaptant en premier lieu des œuvres de son illustre aîné et contemporain Grieg – La Procession nuptiale norvégienne en témoigne ici. Mais c’est bien entendu avec son instrument de prédilection qu’Halvorsen maintient aujourd’hui encore son nom dans les programmes des salles de concert, avec la célèbre adaptation de la Passacaille de la Suite pour clavecin n° 7 en sol mineur (HWV 432) de Haendel. Composée en 1897, cette œuvre au répertoire de tous les grands violonistes ne doit pas faire négliger les autres charmantes pièces pour violon et orchestre, dont les danses norvégiennes et l’Andante religioso.


Particulièrement exigeant envers lui-même (insatisfait, il fit ainsi disparaitre la partition de son unique Concerto pour violon, créé en 1909), Halvorsen n’osa aborder le genre prestigieux de la symphonie qu’à la toute fin de sa carrière. On perçoit à nouveau le style néoclassique du compositeur, mâtiné des influences de Tchaïkovski et Dvorák, toujours élégant et d’un intense éclat orchestral. L’Orchestre philharmonique de Bergen se montre de bout en bout superbe sous la baguette d’un Neeme Järvi inspiré, tour à tour flamboyant et émouvant, pour mieux nous surprendre dans les subtils passages dansants. Assurément une direction contrastée d’une vive intelligence, qui donne ses lettres de noblesse à ce compositeur sous-estimé, délibérément «passéiste», sans doute moins innovant que Sibelius, mais digne successeur de Grieg dans son lyrisme généreux et communicatif. Assurément un des plus beaux coffrets à offrir pour lutter contre la grisaille hivernale!

lundi 12 janvier 2015

Oeuvres de Haydn et Hummel - Trio Chausson - Disque Carus



C’est à passionnant programme que nous convie le Trio Chausson, qui se tourne enfin vers le XVIIIe siècle après avoir consacré ses quatre premiers disques (tous chez Mirare) à des compositeurs français contemporains d’Ernest Chausson, tout en s’intéressant par ailleurs aux figures bien connues de Schubert, Chopin et Liszt. Le trio formé en 2001 se tourne vers l’un des maîtres de la musique de chambre en la personne de Joseph Haydn, figure du classicisme viennois qui aura traversé tout le siècle pour embrasser le baroque finissant avant d’aborder le préromantisme dans ses deux derniers oratorios. Ses trios, moins souvent joués que ses quatuors, comportent de nombreuses merveilles que le programme ici élaboré nous permet d’appréhender pleinement.

Le Trio Chausson s’intéresse en effet à trois périodes bien distinctes de la carrière de Haydn, celle de l’arrivée en 1761 à Esterháza, concomitante des trois premiers chefs-d’œuvre symphoniques (Symphonies «Le Matin», «Le Midi» et «Le Soir»), suivie des dernières années dans cette grande famille princière, avant l’indépendance – dernière période féconde de la maturité. Trois œuvres issues de chacune de ces périodes, auxquelles s’ajoute un trio de son élève Hummel, composé en 1799 – année où La Création est donnée pour la première fois au Burgtheater de Vienne.


Si le court Cinquième Trio (1760-1765) se tourne encore vers le baroque avec son rôle mineur pour le violoncelle, c’est bien la mélodie principale du piano qui marque constamment – le violon se contentant d’ornements. Le tempo mesuré, le souci d’équilibre et les arêtes peu tranchées du Trio Chausson donnent une atmosphère résolument sérieuse. Si Haydn trouve davantage d’ampleur avec le Vingt-cinquième Trio (1788 ou 1789), on aimerait davantage de folie dans le jeu interprétatif, et ce pour faire ressortir toute la rythmique chaleureuse du maître viennois. C’est finalement dans le Quarante-troisième Trio (1797), chef-d’œuvre du genre, que les Chausson se montrent le plus à leur aise, même si le violoncelle apparaît trop en retrait.


Avec le Deuxième Trio (1799) de Hummel, on retrouve tout le talent du successeur de Haydn à Esterháza, charmant et mélodieux mais parfois trop décoratif. La rythmique semble plus convenue, tandis que les Chausson restent dans leur optique gracieuse, peu démonstrative. On espère que ces interprètes sauront donner davantage de caractère à leur prochain opus discographique.

jeudi 8 janvier 2015

« Die letzten Dinge » de Louis Spohr - Frieder Bernius - Disque Carus



Parfait contemporain de Weber, Meyerbeer et Rossini, le compositeur allemand Louis Spohr (1784-1859) reste surtout connu de nos jours pour sa musique symphonique, notamment ses concertos pour violon. C’est avec son instrument de prédilection que le natif de Brunswick allait se faire connaître avant d’imposer son nom en Allemagne et en Angleterre comme digne successeur de Beethoven et Weber, trop tôt disparus. Outre le domaine symphonique, la curiosité de Spohr nous a laissé d’innombrables œuvres de musique de chambre, tout en offrant une place à la musique lyrique, couronnée par le succès de l’opéra Jessonda en 1821. Cinq ans plus tard, la composition de son deuxième oratorio Die letzten Dinge (L’Apocalypse) s’inscrit dans cette période féconde, où Spohr laisse entrevoir toute son admiration pour Haydn et un style déjà proche de Mendelssohn. Son jeune cadet s’inspirera clairement du charme distingué, de l’invention mélodique et du brio orchestral propres à Spohr.


Ce deuxième oratorio, chef-d’œuvre du compositeur en ce domaine, a déjà été gravé plusieurs fois au disque avec bonheur. Outre la version pionnière de Gustav Kuhn (Philips, 1987), très équilibrée, la référence était jusqu’alors celle de Bruno Weil (Capriccio, 2008), au dramatisme flamboyant. Les disques de Carsten Zündorf (Kaleidos, 2010), Jürgen Budday (Maulbronn Monastery Edition, 2012) ou, dans une moindre mesure, Ivor Bolton (Oehms Classics, 2014), sont restés plus confidentiels. Pour cette nouvelle version, on retrouve le prolifique chef d’orchestre allemand Frieder Bernius, infatigable graveur de raretés pour l’éditeur Carus. On pourra ainsi citer les excellents disques consacrés à des œuvres de Norbert Burgmüller, Justin Heinrich Knecht ou Franz Danzi, tous enregistrés aux côtés du brillant cycle choral consacré à la figure bien connue de Mendelssohn. Des choix artistiques qui montrent ainsi un véritable attrait pour le répertoire du début du XIXe siècle, trop souvent réduit à quelques figures majeures.


On retrouve le geste souple et cristallin de Bernius, autour d’une direction qui respire, poétique et aérienne. Le tempo mesuré laisse toute sa place à la diction, toujours essentielle pour ce chef. La lisibilité ainsi obtenue, assise sur un legato aux notes courtes, alterne les passages fervents et recueillis dans une optique résolument spirituelle, là où Weil adoptait une vision plus opératique – Kuhn se situant entre les deux. Dans cet oratorio très symphonique autour des deux longues ouvertures (pour chaque partie), les chanteurs se situent dans l’optique voulue par Bernius, très attentif à la diction, volontairement en retrait pour bien marquer le sens, et ce pour éviter tout effets de manche inutiles. Le Chœur de chambre de Stuttgart se révèle superbe, comme toujours, alliant sa cohésion avec un entrain souvent irrésistible dans les pages tourmentées, tels le chœur de la chute de Babylone ou la savante fugue finale. On retiendra aussi l’un des sommets de la partition «Et toutes les créatures» (I.7), page d’une noblesse sereine où Bernius fait preuve d’une touchante et délicate poésie.


Assurément la version de référence pour cette œuvre attachante, à connaître pour les amateurs de Mendelssohn et, plus largement, pour se délecter de l’art si subtil du magicien Bernius.

mercredi 7 janvier 2015

« Hänsel und Gretel » d'Engelbert Humperdinck - Franz Welser-Möst - Blu-ray Arthaus Musik


Déjà plusieurs fois éditée en DVD, cette production captée à Zurich en 1999 est désormais disponible sur support Blu-ray. Une réédition bienvenue, tant les décors de Maurice Sendak avaient marqué les esprits à la création de ce spectacle à l’Opéra de Houston en 1997, avant sa reprise un peu partout aux Etats-Unis et en Europe. Le célèbre illustrateur pour la jeunesse, bien connu pour son album Max et les Maximonstres (Where the wild things are) adapté au cinéma, imagine un décor aux abondants détails centrés sur l’univers de l’enfance. Tous les éléments de la scène, des décors aux objets, représentent une réalité déformée par un dessin farfelu et grotesque, poétique dans ses disproportions même. On retrouve ainsi une immense effigie de la sorcière naviguant en fond de scène dès l’Ouverture, sorte d’animation rudimentaire qui fleure bon l’hommage aux imageries simples de l’enfance. Cette vision classique au charme volontiers désuet, assumant le premier degré, respecte l’œuvre originale sans chercher à exploiter les sous-entendus psychanalytiques propres au conte. Elle instaure aussi quelques modifications, telle la présence au premier acte du chœur d’enfants qui chante avec les deux héros à la toute fin de la scène initiale. On notera aussi l’ajout de deux danseurs en collants noirs entourant les enfants comme deux mauvais génies, aux déplacements inquiétants dans leur maniérisme quasi animal. Ils apparaissent dès le récit de la légende de la sorcière au premier acte, pour la seconder ensuite dans ses basses œuvres.

On retrouve dès l’Ouverture le visage poupin de l’Autrichien Franz Welser-Möst, alors fraîchement nommé chef principal de l’Opéra de Zurich – un poste qu’il occupera de 1995 à 2008. Sa direction très symphonique exalte d’emblée les couleurs, les ruptures et les effets. L’orchestre constitue une voix à part entière, où la mélodie principale semble mise sur le même plan que les mélodies secondaires. Une direction très cursive, excitante par sa virtuosité pure mais décevante sur l’aspect théâtral qui ne semble pas intéresser le chef. Il est vrai que la prise de son assez réverbérée avantage la fosse au détriment des voix. Et c’est pourtant bien là que cette soirée convainc pleinement. Grâce à Liliana Nikiteanu et Malin Hartelius, deux superbes rôles-titres illuminent le plateau de leur voix puissantes parfaitement placées et idéales de diction, tandis que la mère interprétée par Gabriele Lechner impose son timbre au caractère marquant, également portée par une intense projection. Relative déception en revanche avec le père d’Alfred Muff au timbre terne un peu usé, tout comme le souffle court de la sorcière de Volker Vogel – des défaillances vocales heureusement compensées par une belle composition. On regrettera également un chœur d’enfants un peu indolent, particulièrement dans le chœur final toujours très attendu. Rien à dire en revanche sur les courts rôles, parfaitement maîtrisés, du Marchand de sable et de la Fée de la rosée.


En fin de compte, une version très recommandable pour les tenants d’une mise en scène classique au parfum nostalgique, portée par des Hansel et Gretel d’exception.