dimanche 28 février 2021

Trios de Mendelssohn, Arenski et Chostakovitch - Trio Zeliha - Disque Mirare

Premier essai, coup de maître? Réussir cette performance est bien entendu le rêve de chaque artiste, compositeur ou interprète, lorsqu’il ose enfin se confronter au regard de ses contemporains. Le pari est gagné haut la main pour le tout récent Trio Zeliha, créé en 2018 par de jeunes diplômés du Conservatoire à rayonnement régional de Paris, tous âgés de 25 ans ou à peu près. Ces talents ont la bonne idée de mettre en miroir des premiers essais de grands noms, Chostakovitch et Mendelssohn, auxquels s’adjoint le plus rare Anton Arenski (1861-1906), plus connu comme professeur de Scriabine et Rachmaninov que pour ses compositions. Créé en 1894, le Premier Trio d’Arenski fait déjà valoir un compositeur sûr de ses moyens, aussi bien dans la souplesse des transitions que l’épanouissement serein de la mélodie. Le Trio Zeliha s’empare de cet ouvrage du romantisme tardif en mettant en avant ses couleurs chaudes et son attention aux nuances, sans jamais perdre de vue la narration globale. Le piano de Jorge Gonzalez Buajasan est un régal de finesse, tour à tour piquant et félin, tandis que les cordes ne sont pas en reste par leur mélange d’attaques franches et de soyeux, en un lyrisme toujours maîtrisé.


Le répertoire russe semble leur convenir, tant les longues errances sinueuses du Premier Trio (1923) de Chostakovitch n’ont aucun secret pour eux: on est d’emblée embarqué dans les profondeurs méditatives d’un compositeur alors étudiant au Conservatoire, pas encore auréolé du succès de sa Première Symphonie (1925). Quoiqu’il en soit, ce premier essai surprend autant par sa brièveté (un seul mouvement) que par le nombre d’idées développées, là aussi avec un art des transitions déjà achevé. On est également emporté par la fragilité qui émane du début Premier Trio de Mendelssohn (1840), entonné avec une douceur qui fait ressortir les couleurs des instruments. Les premiers tutti ne chassent pas cette première impression, tant le trio ne semble jamais forcer le trait, toujours sûr de son élan souverain. On attend avec impatience le deuxième disque de cet ensemble déjà au sommet!

samedi 20 février 2021

« Electra » de Christian Cannabich - Frieder Bernius - Disque Hänssler Classic


Reconnu comme l’un des plus éminents symphonistes de son temps en tant que chef de l’orchestre de l’école de Mannheim dès 1774, Christian Cannabich (1731-1806) ne s’est qu’exceptionnellement illustré dans le domaine lyrique, avec son unique opéra Azakia (1778) et son seul mélodrame, Electra (1781). Son amitié et son estime réciproque avec Mozart sont documentées par les récits des nombreux séjours que le jeune prodige fit à Mannheim, avant la création d’Idoménée avec l’Orchestre et le soutien de Cannabich. C’est probablement dans la foulée de la découverte de cet opéra, grandement apprécié par son commanditaire Carl Theodore de Bavière, que Cannabich fut chargé de composer son mélodrame, s’inspirant des premières réussites dans le genre dues à Benda (Medea et Ariane à Naxos en 1775). Mozart avait également découvert ces petits bijoux de concision, avec grande admiration, à Mannheim.

Cannabich se montre on ne peut plus inspiré dans son ouvrage, d’un peu moins d’une heure, au livret ramassé et d’une grande efficacité dramatique: le message vibrant de la récitante Isabelle Redfern prend aux tripes d’emblée, tant l’engagement de la comédienne, à la fois rugueux et hargneux, trouve le ton juste. Cannabich parvient quant à lui à relancer l’action par sa sensibilité musicale et sa science de l’orchestre, dont la palette de courts motifs étonnamment variés touche au cœur. Il est vrai que l’attention aux moindres détails du coloriste Frieder Bernius n’est pas pour rien dans cette réussite, donnée en concert à Stuttgart voilà deux ans. On regrette toutefois, alors que le concert avait démontré tout son intérêt, que le Concerto pour clarinette de Johann Stamitz (ancien professeur de Cannabich) n’ait pas pu être gravé sur ce disque. Un bémol sans lequel une cotation maximale aurait été attribuée à cet enregistrement.
 

dimanche 14 février 2021

Quatuors à cordes d'Anton Webern, Leos Janácek et Johannes Brahms - Quatuor Joyce - Salle Cortot - 11/02/2021

Devant un parterre d’à peine dix personnes, tous réunis dans la prestigieuse salle Cortot, Léo Marillier (né en 1995) s’interroge sur le moment qu’il est en train de partager avec ce public réduit et la caméra devant lui: est-ce là une captation, une diffusion ou un concert? Un peu de tout ça à la fois, bien évidemment, mais on est au moins certain d’une chose, c’est que le fondateur et premier violon du Quatuor Joyce a du caractère et de l’énergie à revendre. On ne s’en plaindra pas en cette période difficile, tant sa volonté de pédagogie pour mettre en perspective le programme proposé cherche à donner du sens, bien au-delà du simple plaisir de l’écoute. Rien d’étonnant lorsque l’on sait que ce jeune homme doué est déjà fondateur et premier violon de l’ensemble A-Letheia, mais aussi directeur artistique de Fest’inventio, un festival de musique de chambre itinérant installé en Seine-et-Marne, son département d’origine.

Le concert débute avec la découverte du rare Quatuor de Webern, sans numéro d’opus, dit «1905» (année de composition de cette œuvre de jeunesse), dont le Quatuor Joyce s’empare en faisant ressortir les longs phrasés sinueux, comme les silences marqués. Assez séquentiel, cet ouvrage reste encore tourné vers le XIXe siècle en son début qui fait la part belle à la mélodie à l’unisson des pupitres, avant que ceux-ci ne s’individualisent peu à peu, donnant davantage d’ampleur à l’ensemble. Le ton global est au tragique, porté par un long crescendo lancinant et sévère, dans le style déjà affirmé de Webern.

Le Premier Quatuor «Sonate à Kreutzer» (1923) de Janácek apporte un ton plus lyrique, dont les envolées sont contrastées par des scansions colorées dans l’aigu. Si elles n’évitent pas une certaine verdeur dans les couleurs, les attaques franches des interprètes permettent de bien distinguer l’entrecroisement virtuose des idées développées par Janácek, en un bel élan narratif. Les courts motifs ombrageux et entêtants sont bien rendus par ce sentiment d’urgence, avec un premier violon aussi nerveux qu’expressif.


Après une courte pause, le concert reprend avec le Premier Quatuor (1873) de Brahms, dont Léo Marillier rappelle qu’il est le premier que le compositeur ait jugé digne, après une vingtaine d’essais infructueux. Contemporain des Variations sur un thème de Haydn, ce quatuor fait valoir un Brahms enflammé dans certains passages, notamment au violoncelle – solidement tenu par Emmanuel Acurero, que l’on voudrait toutefois sortir davantage de sa zone de confort, le jeune soliste ayant toute la palette technique requise. Les quatre interprètes se montrent moins à l’aise dans certains passages plus flottants dans le medium, mais se rattrapent aisément dans leur aisance au niveau des tutti.

L’engagement de ces jeunes talents sera à découvrir sur YouTube dès le 23 février prochain à 19 heures. La nouvelle génération est prête, ne la manquez surtout pas!

lundi 1 février 2021

« Croquer Saint-Saëns. Une histoire de la représentation du musicien par la caricature » de Stéphane Leteuré - Livre Editions Actes Sud / Palazzetto Bru Zane

Depuis sa création en 2009, le Palazzetto Bru Zane - Centre de musique romantique française, a multiplié les projets d’édition dans tous les domaines, que ce soient des partitions, des correspondances ou écrits de compositeurs, sans négliger les monographies ou ouvrages universitaires collaboratifs. Autant la qualité des auteurs que le soin apporté au travail éditorial font de ces ouvrages des références à consulter bien après leur première lecture.

Depuis 2015, les dernières sorties en poche sont reconnaissables entre toutes grâce à l’emploi d’une caricature en couverture, annonçant le présent ouvrage et son regard original sur Saint-Saëns: il s’agit ici de rendre hommage au compositeur, dont on célèbre cette année le centenaire de la mort, par le biais original de la moquerie illustrée. On ne peut que se réjouir, depuis plusieurs années, des nouvelles approches toujours plus stimulantes imaginées par les chercheurs, qu’elles soient ethnomusicologique pour Bruno Messina (Berlioz) ou géopolitique pour Stéphane Leteuré (Camille Saint-Saëns et le politique, Vrin, 2014, et Camille Saint-Saëns, compositeur globe-trotter, Actes Sud, 2017), par exemple.

C’est précisément le spécialiste de Saint-Saëns que l’on retrouve avec cette étude détaillée des caricatures du compositeur français. Agrégé d’histoire-géographie et docteur en musicologie, Leteuré a réuni une impressionnante collection de dessins: pas moins de soixante-dix-huit caricatures issues principalement des collections de la ville de Dieppe (Médiathèque et Château-Musée), de la Bibliothèque nationale de France et des bibliothèques des opéras de Paris et Genève, ainsi que des recherches menées dans la péninsule ibérique ou auprès de particuliers. Si l’on a d’abord l’impression d’assister à une visite commentée d’une exposition, l’auteur examinant chaque œuvre l’une après l’autre, on entre peu à peu dans cette approche à la fois ludique et passionnante dans sa capacité à évoquer la personnalité complexe du compositeur. On a ainsi la surprise de découvrir les dessins réalisés par Saint-Saëns ou ses proches, dont Fauré, révélant une facette étonnamment tendre du compositeur, bien éloignée des raideurs du personnage public.

On peut regretter que les dessins avec force détails ne soient reproduits dans un format plus important, comme cette magistrale galerie de compositeurs réunis dans le «Jardin de l’harmonie» (pages 94-95), où Wagner semble en mauvaise posture face au diapason accusateur brandi par Charles Lecocq. On aurait aussi aimer davantage de parti pris dans les choix bibliographiques, mais ce n’est là qu’un détail, tant l’ouvrage donne envie de découvrir plus avant la vie de Saint-Saëns. Compte tenu de son érudition manifeste sur le sujet, on ne peut qu’encourager Stéphane Leteuré à proposer une nouvelle monographie détaillée de la vie et l’œuvre de Saint-Saëns, afin de combler un vide: le seul ouvrage conséquent, écrit par Jean Gallois (Mardaga, 2004), est en effet épuisé et quasi introuvable en occasion.