mercredi 28 décembre 2016

« Messes et pièces sacrées » de Lorenzo Perosi - Disque Angelicum

Plus jeune membre de la «Giovane Scuola» – cette «jeune école» qui rassembla toute une génération de compositeurs italiens particulièrement doués, au premier rang desquels Puccini – Lorenzo Perosi (1872-1956) eut pour particularité de se concentrer principalement sur la musique religieuse, ne composant aucun opéra au cours de sa carrière pourtant prolifique. On cite souvent une phrase que Puccini aurait prononcée à son endroit, sans qu’on soit sûr d’y déceler une part d’ironie: «Il y a plus de musique dans la tête de Perosi que dans la mienne et celle de Mascagni mises ensemble». Puccini voulait-il insinuer que la conséquente production de l’Abbé Perosi n’avait que faire de paraître moderne, épousant de simples mais lumineuses oppositions homophones entre pupitres?

C’est en effet ce qui frappe d’emblée à l’écoute de la musique de Perosi, dont les quatre disques ici réunis couvrent une période homogène – les messes ayant toutes été composées entre 1895 et 1899, hormis la Seconde Messe pontificale (1906). Le disque ne comporte malheureusement pas de notice en dehors de la liste des œuvres et il n’existe pas, semble-t-il, de catalogue complet des œuvres de Perosi, ce qui explique pourquoi les pièces religieuses du quatrième disque ne peuvent être datées précisément. Quoi qu’il en soit, cette réédition de gravures réalisées de la fin des années 1970 aux années 1990 est à saluer, autant pour l’importance artistique des œuvres réunies que pour la qualité fort correcte de ces enregistrements, plus homogènes qu’il n’y parait. La plupart des messes, accompagnées à l’orgue et parfois de solistes, ont ainsi été confiées à la baguette efficace d’Egidio Corbetta à la tête du Chœur de la Chapelle immaculée de Bergame, certes à la limite de la justesse dans les difficultés techniques (heureusement assez rares), mais qui s’en sort globalement bien, comme les solistes.


On recommandera pour débuter la découverte de ce coffret l’écoute de la Première Messe pontificale (1897), pièce de grande ambition dont les interventions du chœur de garçons font parfois penser à certains passages de la Huitième Symphonie de Mahler – l’emphase en moins. La Messe Saint Gervais et Saint Protais (1895) fait également appel au chœur de garçons en remplacement des femmes: dommage que la prise de son inconstante ne rende davantage justice à cette belle œuvre, plus spectaculaire en comparaison. Les autres messes font davantage place à l’épure – l’une des marques de fabrique de Perosi, maître de l’émotion intériorisée et pudique, révélatrice d’une foi sincère.


Si l’on peut faire l’impasse sur un décevant Requiem (1898) pour voix d’hommes, on s’intéressera plus volontiers à la Messe eucharistique (1897) et à la Messe dite «Cerviana» (1898), à la musique limpide, presque statique et évanescente par endroit, dont le charme discret et envoûtant résonne longtemps dans l’esprit. Outre les superbes pièces religieuses courtes du dernier disque (ne pas manquer le Vieni Creator Spiritus, l’Offertoire sur le «Vieni Creator Spiritus» et le Te deum), il ne faudra surtout pas faire l’impasse sur les trois pièces d’orgue solo, où Perosi laisse entrevoir tout son don mélodique assis sur la simplicité déjà décrite plus haut.


A noter qu’un autre coffret consacré à quatre oratorios de Perosi est d’ores et déjà paru chez Angelicum. Il s’agit là aussi d’une réédition d’enregistrements divers, d’où émerge le nom de la soprano Mirella Freni dans un oratorio de 1899, Il Natale del Redentore (Sarx, 1963).

jeudi 22 décembre 2016

« Symphonies n° 21, 27 et 34 » de Mozart - Manfred Huss - Disque Bis


On doit à Manfred Huss la création en 1984 du Sinfonietta Haydn de Vienne, formation sur instruments d’époque qui a enregistré de nombreux disques depuis 1989. Si le chef autrichien s’est principalement concentré sur Mozart et Haydn dans ses premières gravures éditées par ADV, son nouveau contrat débuté en 2006 avec Bis a inauguré un intérêt vers d’autres compositeurs – Schubert, Händel, C. P. E. Bach. Le retour à Mozart s’effectue aujourd’hui avec la réédition remasterisée (VMS/Zappel Music, 2006) de deux symphonies de jeunesse, les Vingt-et-unième et Vingt-septième, auxquelles s’ajoute la Trente-quatrième de 1780 – nouvellement enregistrée par Bis avec un son meilleur, moins réverbéré. Relativement méconnue, la Trente-quatrième a été composée la même année que le chef-d’œuvre lyrique Idoménée. Ces trois mouvements s’expliquent par l’absence du Menuet dans la partition, dont les feuillets ont été arrachés alors qu’il figurait en deuxième position. Est-ce là une volonté de Mozart ou le forfait d’un individu peu scrupuleux? Nul ne le sait. Toujours est-il que cette absence est parfois compensée par l’ajout du Menuet K. 409, composé en 1782: c’est le choix que fait ici Manfred Huss, le plaçant curieusement en troisième position.

Ce détail mis à part, tout dans son interprétation n’appelle que des éloges. Le début au phrasé martial laisse entrevoir tous les détails de l’orchestration de Mozart, déjà plus élaborée que les deux symphonies de jeunesse. La direction de caractère de Huss met davantage d’accent à l’évanescent Andante qui suit, ralentissant ensuite le tempo dans le Menuet, toujours très détaillé mais à l’élan robuste porté par une vitalité qui relance toujours le discours musical. L’Allegro final se montre un peu trop sérieux, Huss privilégiant une impressionnante mise en place fondée sur le rebond rythmique.


Les deux autres symphonies enregistrées précédemment sont globalement interprétées dans un tempo encore plus vif en comparaison. Nulle sécheresse cependant, tant Huss parvient à rester fluide dans l’urgence donnée aux contre-champs nerveux. On notera dans le Menuet de la Vingt-et-unième (1772) la mise en valeur des cors, puissants et surprenants, à la manière d’Harnoncourt (dans la fameuse Trente-unième de Haydn par exemple).


Globalement, on ne s’ennuie guère avec ce chef qui parvient à un équilibre étonnant entre attaques sèches et expression des couleurs de son ensemble, de bonne qualité, où l’on retrouve le vétéran Simon Standage au premier violon (tout comme à l’Orchestre Orfeo de Budapest). Un très beau disque pour découvrir ou redécouvrir ces œuvres du premier Mozart.

vendredi 9 décembre 2016

Concert de l'Orchestre national de France - David Afkham - Auditorium de la Maison de la Radio - 08/12/2016

David Afkham
C’est à un superbe programme de musique anglaise et française de la première moitié du XXe siècle que nous convie à la Maison de la radio le jeune chef David Afkham (né en 1983), régulièrement invité par l’Orchestre national de France (voir notamment en 2015). On pourra noter la place prépondérante donnée à l’élément marin dans les pièces ici réunies (seul le Concerto d’Elgar dénotant quelque peu), source d’inspiration pour le courant impressionniste musical dominé par Debussy. Il revient à Ravel d’ouvrir la soirée avec Une barque sur l’océan, pièce brève orchestrée en 1906 à partir de l’original pour piano extrait du recueil Miroirs – seul Alborada del gracioso aura également cet honneur. Le chef allemand fait valoir son souci habituel des textures allégées, admirablement porté par la souplesse des transitions et l’importance égale donnée aux pupitres: ici, le fondu domine en une suite d’ambiances un rien statique mais délicatement évocatrice.


Déjà entendue en début d’année avec le Philharmonique de Radio France, la violoncelliste Sol Gabetta (née en 1981) semble former un couple idéal avec Afkham: pas seulement en raison de leurs ravissants minois respectifs, mais bien plutôt pour cette entente artistique évidente qui imprime d’emblée une aura de concentration autour du Concerto pour violoncelle d’Elgar. L’Argentine épouse en effet le geste mesuré et subtil d’Afkham par la grâce toute de probité et de précision qui est la marque de son style. On pourra évidemment décrier son manque évident de puissance, qu’elle ne cherche cependant en rien à cacher, jouant davantage sur l’évocation et la poésie, à rebours de versions plus spectaculaires bien connues telle que celles de Jacqueline du Pré (avec Barenboim ou Barbirolli). Afkham s’évertue à ne jamais couvrir sa soliste, tout en faisant valoir son sens de la respiration harmonieux en un tempo mesuré. Très étagée, sa direction évite tout vibrato pour privilégier une lecture probe à l’émotion pudique. En bis, Sol Gabetta et le pupitre des violoncelles s’emparent du charmant Chant des oiseaux de Pablo Casals, achevant de recueillir l’approbation d’une salle quasi comble.

Sol Gabetta
Après l’entracte, l’allégement des textures voulu par Afkham réussit moins aux quatre mouvements symphoniques extraits du Peter Grimes de Britten, l’orchestration déjà raréfiée du compositeur anglais supportant mal cette radiographie imposée. Aucun climat de mystère n’entoure les premières notes de l’«Aube», tandis que la page suivante, «Dimanche matin», avance en un geste vif évitant tout sentimentalisme. Globalement, on retrouve ici certains tics de direction contemporains, où l’on ralentit les mouvements lents à l’extrême pour accélérer plus encore, en contraste, les passages rapides. Le «Clair de lune» n’évite pas ce parti pris et s’enfonce dans un immobilisme plat et sans intensité. Le tout dernier mouvement s’avère plus réussi, avec une nette propension à privilégier les graves autour d’une lecture verticale, presque sauvage, refusant tout lyrisme sur la fin.


Mis en difficultés par les intentions d’Afkham, les cuivres et les cors se rattrapent dans La Mer de Debussy, il est vrai aidés par leur meilleure connaissance de cette œuvre emblématique du répertoire français. Après un début hésitant où le chef allemand refuse une fois encore toute lecture narrative, son geste convainc davantage par les détails révélés, tandis que les attaques souples offrent des contours inattendus aux oppositions entre les pupitres, moins marquées qu’à l’habitude. On retiendra encore le solo hypnotisant du cor anglais du toujours excellent Laurent Decker, tout en insistant sur la meilleure maîtrise d’Afkham dès lors qu’il s’agit de «déromantiser» une œuvre: La Mer, sans doute, possède encore certains échos du wagnérisme et du franckisme pour permettre ce dégraissage toujours intellectuellement intéressant, à défaut de nous emporter physiquement.