lundi 30 septembre 2019

« Le Docteur Miracle » de Charles Lecocq - Studio Marigny à Paris - 28/09/2019


On connaît l’histoire: à l’issue d’un concours lancé en 1856 par Jacques Offenbach, les jeunes Gorges Bizet (1838-1875) et Charles Lecocq (1832-1918) allaient tous deux s’illustrer l’année suivante, sur un même livret, en remportant la compétition ex aequo. Quel plus bel hommage pour Lecocq, dont on ne se souvient plus aujourd’hui que de son succès La Fille de Madame Angot (1873), et ce malgré la cinquantaine d’autres ouvrages composés, de figurer aux côtés de l’illustre Bizet! Si l’on peut encore voir se monter la partition de ce dernier (notamment à Avignon en 2012, ce qui a donné lieu à l’édition d’un disque paru chez Timpani), celle de Lecocq est tombée dans l’oubli, malgré son ivresse rythmique, délicieuse et pétillante. Grâce soit donc rendue au Palazzetto Bru Zane de nous la restituer dans sa version piano-chant, avec une troupe de bonne qualité au niveau vocal.

A l’instar du spectacle précédent monté à Marigny par les équipes du Palazzetto en mai dernier, on regrettera surtout une direction d’acteur qui manque de finesse, préférant le tapage omniprésent à la nuance. On aimerait que le Palazzetto face davantage confiance à ces petits bijoux de finesse qui rendent hommage à Goldoni, dans la lignée de toute une série d’ouvrages au siècle précédent (voir notamment Lo speziale de Haydn, donné notamment en 2012 aux Athévains). Deux scènes sont particulièrement à chérir: celle de l’introduction du faux valet Silvio au sein de la famille, dont le charme ambigu le rapproche du séducteur du film Théorème de Pasolini, et plus encore la fameuse scène de l’omelette, au texte irrésistible de drôlerie allusive. Las, la mise en scène de Pierre Lebon ne joue guère sur ces ambivalences et préfère se moquer du peu d’épaisseur psychologique en présence, en grimant ses interprètes en personnages de cirque, surmaquillés et tout de rouge vêtus. Peut-être que les représentations scolaires prévues les 12 et 13 décembre prochain expliquent ces choix trop réducteurs.


Quoi qu’il en soit, ces défauts sont accentués par le décor, certes superbe, mais beaucoup trop envahissant au milieu de la petite scène de Marigny, où les interprètes paraissent constamment à l’étroit. Si l’idée des multiples trappes est séduisante, elle ne peut être correctement exploitée dans un espace aussi réduit, tandis que les déplacements nombreux occasionnent de nombreux bruits parasites. Ces imperfections seront certainement gommées lors des représentations prévues à Saint-Etienne et Tours, avec des scènes plus vastes.


Les interprètes du spectacle se montrent heureusement à la hauteur, sans pour autant briller. Ainsi du solide Laurent Deleuil (le Podestat), qui doit encore gagner en potentiel comique, ou de la truculente Lara Neumann (Véronique), à la gouaille tapageuse. C’est toutefois Makeda Monnet qui sait trouver le ton juste entre farce et sensibilité, afin de donner davantage d’intérêt à son rôle de Laurette. David Ghilardi (Silvio) a pour lui l’abattage et l’aplomb comique, mais ne peut faire oublier qu’il n’a en rien le physique du bellâtre ou le timbre du séducteur. Enfin, Martin Surot montre beaucoup de délicatesse et de toucher félin au piano, oubliant toutefois que la partition requiert davantage de caractère en maints endroits. Dommage.

dimanche 29 septembre 2019

« Les Indes galantes » de Rameau - Clément Cogitore - Opéra Bastille à Paris - 27/09/2019


Il est finalement peu de soirées à l’issue desquelles on a l’impression d’avoir assisté à un spectacle qui fera date pour une génération, et ce malgré quelques imperfections bien compréhensibles pour une toute première mise en scène d’opéra. Ainsi de ces Indes galantes confiées au plasticien d’origine alsacienne Clément Cogitore (36 ans), jeune surdoué touche à tout qui s’est illustré aussi bien dans les expositions d’art contemporain qu’au cinéma (César du meilleur premier film pour « Ni le ciel ni la terre », en 2016). Son travail surprend ici par l’aura de mystère et d’imprévisible constamment à l’oeuvre, le tout baigné dans une pénombre énigmatique et envoûtante, toujours animée des chorégraphies endiablées de Bintou Dembélé. Si l’on est guère surpris de trouver la danse aussi présente dans cet ouvrage qui marie si bien les genres, c’est bien davantage l’apport de danses issues des «quartiers» (banlieues ou cités – peu importe le nom politiquement correct à donner), qui enthousiasme par sa richesse expressive. En faisant appel à la compagnie Rualité, le hip-hop fait ainsi son entrée au répertoire de la grande maison, sans jamais sacrifier au style.

Cogitore a la bonne idée de lier les différentes entrées du livret en parsemant l’ouvrage de fils rouges, tout particulièrement la problématique de l’apparence et du costume que l’on endosse pour rendre crédible le rôle que la société tend à nous faire jouer : le prologue donne ainsi à voir l’habillage à vue des danseurs comme un miroir du nécessaire apprentissage des conventions sociales, avant que les trois entrées successives n’opposent les puissants et leurs obligés par l’omniprésence d’un Etat policier incarné par des CRS aux faux airs de samouraïs. Faut-il reconnaître des migrants syriens dans les réfugiés visibles à l’issue de la tempête de l’entrée du Turc généreux ? On le croit, tant le message de Cogitore consiste à nous rappeler combien la communauté humaine se doit d’être unie, bien au-delà de l’illusion des rôles et des égoïsmes nationaux.

Le spectacle perd toutefois en force en deuxième partie, lorsque la danse se fait moins présente. Si la première partie comique de l’entrée des Fleurs s’avère séduisante par son décor de quartier rouge, le spectacle n’évite pas ensuite quelques naïvetés avec son manège, sa «chanteuse papillon» dans les airs ou ses pom-pom girls maladroites, avant de se reprendre par quelques bonnes idées, tel le joueur de flûte qui conduit les enfants et surtout la brillante conclusion en arche : la reprise inattendue du défilé de mode du prologue permet une revue de tous les artistes du spectacle, chanteurs et danseurs, noyant la chaconne conclusive sous les applaudissements déchaînés du public. De mémoire de spectateur, on n’a jamais entendu une audience aussi impatiente dans la manifestation de son plaisir, en une ambiance digne d’un concert pop, rompant en cela tous les codes de l’opéra : cette spontanéité démontre combien le spectacle a fait mouche, le tout sous le regard du «tout-Paris» venu en nombre pour l’occasion, sans doute attiré par les promesses de cette production. On aura ainsi rarement vu autant de directeurs de maisons d’opéra – Amsterdam, Anvers, Versailles ou Dijon – à une première.
 
Sabine Devielhe
La grande réussite du spectacle revient tout autant au grand chef baroque Leonardo García Alarcón, dont on essaie désormais de ne rater aucune de ses grandes productions lyriques. Après la réussite d’Eliogabalo de Cavalli voilà trois ans, le chef argentin fait à nouveau valoir l’intensité expressive dans l’opposition détaillée des plans sonores, le tout en une attention de tous les instants à ses chanteurs. Tout le plateau vocal réuni n’appelle que des éloges par sa jeunesse irradiante et son français parfaitement prononcé.

Ainsi de Stanislas de Barbeyrac, à l’éloquence triomphante et puissante, et plus encore d’Alexandre Duhamel, impressionnant de présence dans son hymne au soleil, notamment. Florian Sempey n’est pas en reste dans la diction, même si on note une tessiture un peu juste dans les graves dans le prologue. Edwin Crossley-Mercer assure bien sa partie malgré un timbre un rien trop engorgé, tandis que Mathias Vidal soulève encore l’enthousiasme par son chant généreux et engagé, et ce malgré un aigu un rien difficile dans certains passages. Mais ce sont plus encore les femmes qui donnent à se réjouir du spectacle, tout particulièrement la grâce diaphane, les nuances et les phrasés aériens de Sabine Devieilhe, véritable joyau tout du long. Jodie Devos et Julie Fuchs sont des partenaires de luxe, vivement applaudies elles aussi, de même que l’excellent Choeur de chambre de Namur, toujours aussi impressionnant de justesse et d’investissement.

samedi 28 septembre 2019

« Norma » de Vincenzo Bellini - Anne Delbée - Opéra de Toulouse - 26/09/2019


Une soirée d’exception invite nécessairement à l’usage de superlatifs et l’on n’en voudra pas à Christophe Ghristi de s’enthousiasmer, à l’issue du spectacle, pour l’ensemble des artistes qu’il a su réunir autour de lui. En connaisseur avisé et reconnu des voix, le directeur de l’Opéra de Toulouse nous gâte en invitant l’une des plus grandes spécialistes actuelles du rôle-titre en la personne de Marina Rebeka: vivement applaudie par un public toulousain enthousiaste, la soprano lettone n’est pas pour rien dans la réussite de cette production, tant son timbre gorgé de couleurs et son sens du théâtre font mouche. Sa puissance vocale fait trembler les murs du Capitole dans l’incarnation de la fureur, vibrante et sincère. On pourra juste noter quelques passages de registre un peu rudes, notamment dans le célébrissime «Casta diva», qui requiert davantage de souplesse. Mais ce n’est là qu’un détail, tant l’ivresse sonore nous saisit tout du long, aussi bien dans les airs que dans les duos avec Karine Deshayes, qui ne lui cède en rien dans la vérité dramatique – composant une Analgisa de grande classe, aux phrasés ensorcelants de précision et aux aigus parfaitement maîtrisés. On retombe malheureusement quelque peu des cimes avec le solide mais trop marmoréen Airam Hernández (Pollione), qui doit prendre davantage de risques à l’avenir pour dépasser sa zone de confort. Les seconds rôles sont à la hauteur, hormis le pâle Flavio de François Almuzara, en délicatesse avec la justesse, tandis que le Chœur du Capitole surprend encore par son engagement qui ne sacrifie jamais au sens. Un atout majeur bien connu à Toulouse, avec le toujours excellent Orchestre national du Capitole, sous la baguette attentive de Giampaolo Bisanti. Le chef italien, régulièrement invité par l’Opéra royal de Wallonie à Liège, se délecte des moindres nuances de l’inspiration de Bellini, tout en donnant une vigueur peu commune au récit. Il parvient à toujours garder l’équilibre entre fosse et plateau, le tout magnifié par l’acoustique détaillée du Capitole.

A ce régal de subtilité interprétative répond la non moins réussie mise en scène d’Anne Delbée, bien connue des amateurs de théâtre, pour lequel elle a tant donné à la fois comme comédienne et metteur en scène. Outre quelques succès littéraires (notamment la biographie de Camille Claudel, Une femme, en 1982), l’ancienne collaboratrice d’Antoine Vitez s’est illustrée par quelques rares mises en scène d’ouvrages lyriques, dans les années 1980 à Nancy et Nantes notamment, avant l’opportune reconnaissance du chef-d’œuvre comique de Cherubini, Le Porteur d’eau, donné à Karlsruhe dans sa version allemande en 1989. Delbée nous rappelle ici combien Norma est une héroïne dont le destin la rattrape inexorablement, tant les forces surnaturelles dont elle se réclame semblent lui échapper peu à peu: avec l’ajout du personnage théâtral du Grand Cerf, elle convoque une figure énigmatique qui donne une grandeur symbolique aux événements, tel un fatum imperturbable. Elle relie ainsi Norma aux épisodes tragiques de la littérature classique grecque, tout en la liant à ses origines celtes, nous invitant à méditer sur les errances troubles de cette mère vengeresse aux faux airs de Médée. Quel dommage toutefois que nous soit imposée une inutile voix off qui, non contente de nous ennuyer de la vacuité sentencieuse de sermons druidiques, se permet d’intervenir plusieurs fois pendant les épisodes orchestraux! C’est d’autant plus regrettable que la scénographie intemporelle et épurée d’Abel Orain donne un écrin raffiné à l’action pendant toute la soirée, en plaçant l’intense direction d’acteur au centre de l’attention.

lundi 23 septembre 2019

« Les Contes d’Hoffmann » de Jacques Offenbach - Marc Minkowski - Opéra de Bordeaux - 19/09/2019


Après le retrait du très attendu Eric Cutler dans le rôle-titre, l’Opéra de Bordeaux a su trouver en Adam Smith un jeune ténor promis à un bel avenir, du fait d’un timbre charmeur et de phrasés de belle tenue, mais encore insuffisamment aguerri en termes de projection et de présence pour tenir la comparaison face à l’excellent plateau vocal réuni pour l’occasion. C’est là le grand point fort de cette production de rentrée, qui donne l’occasion de revoir la rare Jessica Pratt en France: la soprano australienne relève le défi d’interpréter les rôles féminins principaux, dans un français irrésistible de vérité dramatique, le tout en une maestria vocale digne des plus grandes. On pourra bien entendu noter quelques imperfections dans les accélérations, où le velouté est moindre, et plus encore dans les périlleux suraigus du rôle d’Olympia, qui mettent à mal la justesse. Elle emporte toutefois l’adhésion par son engagement et sa sincérité à toute épreuve. Chaleureusement applaudie en fin de représentation, Aude Extrémo démontre une fois encore toute sa classe vocale, entre précision technique et ivresse de l’interprétation: ses couleurs chaudes et son émission opulente sont un régal de chaque instant, le tout au service du sens. L’investissement dramatique constitue la marque générale de cette production, qui ne néglige aucun des seconds rôles, souvent savoureux, du livret. Ainsi de l’impayable Marc Mauillon, aux phrasés millimétrés et radieux, très naturel dans ses interventions comiques, ou du non moins génial Christophe Mortagne, qui enrichit son rôle essentiellement parlé de sa faconde habituelle. Nicolas Cavallier et Jérôme Varnier se distinguent quant à eux dans l’articulation et la projection, sans jamais négliger le théâtre. On aurait seulement aimé que la mise en scène distingue leurs rôles respectifs afin de leur donner davantage de noirceur et d’équivoque.

Le travail de Vincent Huguet se montre fidèle au livret, autour d’une scénographie élégante, un rien trop sage dans ses partis-pris visuels minimalistes. On a là une mise en scène sérieuse et respectueuse de l’ouvrage, dont la direction d’acteur se concentre sur les personnages principaux au détriment des chœurs, trop statiques. Aucun immobilisme dans la fosse, on s’en doute, tant Marc Minkowski enflamme cette musique qui n’a plus aucun secret pour lui. Ses vifs tempi mettent parfois à mal les chœurs, mais restent globalement l’un des motifs de satisfaction de cette soirée réussie, seulement gâchée lors du dernier ensemble : le réveil inopiné et bruyant de la soufflerie, tout comme l’illumination de la salle, trouveraient leur explication dans un incident technique. Coïncidence troublante quand on sait combien les relations entre Minkowski et ses équipes techniques demeurent houleuses. On espère vivement que le dialogue nécessaire saura s’installer entre eux, comme cela semble désormais être le cas avec les musiciens, afin de retrouver la sérénité indispensable au bon fonctionnement de l’institution.

mardi 17 septembre 2019

« Something in Between » par le Trio Zadig - Disque Fuga Libera

Formé en 2015 et auréolé de plusieurs prix internationaux, le Trio Zadig a rapidement investi les scènes incontournables de la musique de chambre, en France et à l’étranger, avant de se consacrer à son tout premier enregistrement discographique, paru en début d’année. C’est là un véritable coup de maître, tant la formation nous embarque d’emblée dans son geste nerveux et impétueux, au service d’une lecture d’une sensibilité à fleur de peau dans les parties plus apaisées. Comme à leur habitude, les musiciens franco-américains font preuve de leur curiosité pour l’exploration du répertoire en rendant hommage à Leonard Bernstein, dont on fêtait l’an passé le centenaire de la naissance. L’arrangement de West Side Story réalisé par le pianiste et compositeur Bruno Fontaine (né en 1957) incorpore davantage de pièces que la suite orchestrale réalisée par Bernstein en 1961: on y retrouve ainsi tous les tubes de ce délicieux chef-d’œuvre d’invention rythmique et mélodique, tandis que le Trio Zadig ne ménage pas son énergie pour investir cette musique colorée et vivante, au caractère particulièrement vibrant ici. 

Changement d’atmosphère avec les verticalités sombres et les scansions minimalistes de Benjamin Attahir (né en 1989), qui trouvent une expressivité bien rendue par les attaques sèches de la formation. Le disque se clôt sur le superbe Trio avec piano (1914) de Ravel, interprété avec une volonté de contraste tout aussi éloquente et revigorante, sans jamais forcer le trait pour autant. On ne manquera pas de retrouver les Zadig en concert lors de la «Nuit du trio» organisée à la Philharmonie le 5 octobre prochain, en compagnie d’autres grandes formations.

mardi 10 septembre 2019

« Benvenuto Cellini » d'Hector Berlioz - John Eliot Gardiner - Opéra de Versailles - 08/09/2019

Michael Spyres et Sophia Burgos
Quel plaisir de retrouver John Eliot Gardiner qui, du haut de ses 76 ans, n’a rien perdu de son éclat et son énergie! Si le chef britannique dirige désormais assis, il ne renonce en rien à sa lecture fouillée et particulièrement articulée des moindres intentions de Berlioz, dont la mise en valeur de l’énergie roborative dans les tutti trouve des effets de contrastes superbes de couleurs dans les parties plus apaisées. Il faut dire que Gardiner n’oublie jamais de distinguer les détails savoureux de l’orchestration, en plaçant par exemple les quatre harpes par deux de chaque côté en avant-scène, ou en demandant aux cuivres de se lever à plusieurs reprises dans les parties spectaculaires. Gardiner continue ainsi de fêter avec bonheur le cent cinquantième anniversaire de la mort de Berlioz à travers le monde, après la Symphonie fantastique donnée notamment à Paris et New York l’an passé, puis gravée en DVD par Château de Versailles Spectacles. La présente production de Benvenuto Cellini fera aussi l’objet d’un DVD, ainsi qu’une diffusion sur Mezzo, à ne pas manquer si vous n’avez pas pu assister à l’un des concerts de la tournée européenne.

Outre la direction enflammée de Gardiner, le concert bénéficie de la mise en espace astucieuse de Noa Naamat, qui se joue habilement de l’exiguïté du plateau versaillais en faisant souvent intervenir les personnages aux côtés du chœur en arrière-scène, rendant ainsi crédibles de nombreuses situations, telles que la scène de Carnaval. L’Israélienne multiplie les traits d’humour bienvenus autour d’une direction d’acteur savoureuse de malice, réussissant à caractériser finement chaque personnage, de la couardise maladroite de Fieramosca à l’indifférence blasée du Pape. Ce travail réussi confirme combien l’on peut faire beaucoup avec très peu de moyens, si tant est qu’on a des idées. Laurent Brunner a la bonne idée de présenter ce spectacle dans l’un des rares décors du XIXe siècle encore préservé de nos jours, récemment restauré, dans lequel Berlioz assura un concert à Versailles, à peu près en même temps que la création de Benvenuto Cellini.

L’ensemble des interprètes réunis montre un bon niveau homogène, duquel se distingue le toujours excellent Chœur Monteverdi, dont les interventions impressionnent par l’attention à la prosodie, au service du sens. On a là l’un des grands atouts de la soirée, tant la musique de Berlioz résonne d’une précision rythmique rarement atteinte, tandis que Michael Spyres (Cellini) fait valoir ses habituelles qualités de souplesse et d’intelligence des phrasés, même si l’on dénote un éclat moindre que jadis dans l’aigu, très limite dans son dernier air. Si Maurizio Muraro campe un solide Balducci, au timbre fatigué en phase avec son rôle, c’est plus encore Lionel Lhote qui surprend dans sa composition irrésistible de crétin flamboyant: à l’instar de Spyres, le baryton belge fait un sort à chaque mot, avec une détermination millimétrée, donnant à son Fieramosca une présence scénique très crédible. Composant un Pape cocasse dans l’esprit de celui imaginé par Nanni Moretti avec son film Habemus papam en 2011, Tareq Nazmi, par ailleurs impérial au niveau vocal, ne lui cède en rien dans l’incarnation. On espère le revoir très vite sur les planches, à l’instar du superlatif Ascanio d’Adèle Charvet, à l’émission souple et ronde.

Seule Sophia Burgos (Teresa) déçoit quelque peu en mettant beaucoup de temps à se chauffer au I, au détriment de la justesse, avant de se rattraper quelque peu ensuite. Sa technique peu sûre laisse toutefois craindre le pire pour la suite de sa carrière, tant le peu de souffle et l’émission serrée pourraient vite briser son élan. Cette infime réserve n’empêche heureusement pas la salle remplie à craquer de réserver un triomphe mérité à l’issue de la représentation, sous le regard paternel de Gardiner, visiblement ravi de tant d’enthousiasme.

lundi 9 septembre 2019

« Les Saisons » du Quintette Aquilon - Disque Klarthe Records


On suit déjà depuis plusieurs années le Quintette Aquilon dont chaque nouveau disque ne laisse pas de nous surprendre positivement, tant par le choix audacieux des programmes (voir notamment en 2015 et 2018) que par l’humour toujours piquant à l’œuvre dans l’interprétation. On retrouve plus encore cet esprit facétieux dans le présent disque qui étonne par sa couverture insolite, parsemée de graines de fleurs sauvages à fortes teneurs en nectar et pollen, afin d’aider nos abeilles butineuses et lutter contre le réchauffement climatique! Voilà donc le «tout premier disque à planter», à mettre à l’actif de cette formation qui n’en oublie pas de nous contenter au niveau du contenu musical proprement dit, au-delà de ce geste militant pour l’écologie.

Le contenu du disque est à la hauteur de la réputation du quintette, qui nous propose un programme varié autour des Quatre Saisons de Buenos Aires de Piazzolla, dont la composition s’est étalée entre 1965 et 1970, ici présentées dans l’ordre des saisons et non pas dans l’ordre chronologique. Chaque saison trouve son miroir avec une pièce homonyme d’Henri Tomasi, Samuel Barber, Jennifer Higdon (compositrice décidément choyée en ce moment – voir son superbe Concerto pour harpe récemment gravé en première mondiale chez Azica) et Cecilia McDowall (née en 1951).

S’il est heureux de découvrir deux œuvres méconnues de Tomasi et Barber, c’est surtout le choix de deux compositrices contemporaines qui marque durablement: le raffinement de Higdon fait mouche ici encore, autour d’une fluidité aérienne pleine d’esprit, dans le style néoclassique de Stravinski. McDowall fait valoir davantage d’états d’âme et de caractère, le tout parfaitement mis en valeur par l’élan et la grâce des interprètes, encore une fois à leur meilleur. Un très beau disque.

vendredi 6 septembre 2019

« American Rapture » par l’orchestre de Rochester - Ward Stare - Disque Azica


On avouera avoir été attiré par ce disque pour la belle symphonie de jeunesse de Samuel Barber (1910-1981), dont la musique résonne encore trop peu dans nos contrées en dehors de l’inévitable Adagio pour cordes. Si la version un rien trop sage de Ward Stare fait valoir la parfaite mise en place de l’orchestre de Rochester, on préféra néanmoins, dans ce style apollinien, la gravure réalisée en 2003 par Wolfgang Sawallisch avec la Radio bavaroise (Farao Classics). Ceux qui préfèrent un geste plus sanguin se tourneront vers Howard Hanson (Mercury, 1958), déjà avec l’Orchestre de Rochester – une formation décidément familière de cette Première Symphonie (1936), dont le souffle épique évoque souvent Sibelius et Holst.

Le disque trouve toutefois un intérêt de premier plan avec le premier enregistrement mondial du Concerto pour harpe de Jennifer Higdon (née en 1962), une compositrice défendue avec constance par Hillary Hahn depuis plusieurs années (voir notamment son Concerto pour violon sorti chez Deutsche Grammophon en 2011). Son style néoromantique semble avoir évolué vers une primauté plus grande de la mélodie, tout en faisant valoir de superbes jeux de timbres, finement entremêlés avec quelques emprunts minimalistes. Yolanda Kondonassis porte ce disque de toute son élégance et de sa sensibilité à la harpe, au service d’une interprétation qui n’en oublie jamais l’élan narratif global. Autre création avec Rapture de Patrick Harlin (né en 1984) qui fait entendre plus encore les influences minimalistes, relançant sans cesse l’attention par une fine rythmique nerveuse et mystérieuse en arrière-plan, efficace et entêtante.


On regrettera seulement le minutage trop court de ce disque. Il aurait été possible, par exemple, de graver d’autres ouvrages symphoniques de Barber, notamment l’un des trois méconnus Essais symphoniques (1937, 1942 et 1978) ou le plus familier et réussi Knoxville: Summer of 1915 (1947).