jeudi 30 avril 2015

Symphonies d'Ernst Theodor Amadeus Hoffmann et Friedrich Witt - Kölner Akademie - Michael Alexander Willens - Disque CPO


Figure littéraire bien connue des mélomanes, Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (1776-1822) a inspiré plusieurs œuvres bien installées au répertoire à l’instar de Casse-Noisette de Tchaïkovski ou des Contes d’Hoffmann d’Offenbach. Le natif de Königsberg fut tout au long de sa vie un incroyable génie touche-à-tout, capable de réussir dans son métier de juriste pour embrasser en même temps la littérature, la critique musicale, la peinture ou la caricature. Admirateur de Mozart pour qui il fit changer l’un de ses prénoms en Amadeus, Hoffmann s’essaya aussi à la composition, s’investissant principalement dans la musique lyrique avec une dizaine d’opéras à son actif. L’éditeur CPO contribue ces dernières années à la redécouverte de son œuvre – son opéra Amour et jalousie (Liebe und Eifersucht) ayant été enregistré en 2010, avant son Miserere l’an passé.


Hoffmann s’est montré plus discret dans le genre symphonique, ne composant en 1806 qu’une unique Symphonie en mi bémol majeur. Son introduction lente fait d’emblée penser aux premiers accords de la Trente-neuvième Symphonie de Mozart, tandis que résonne l’influence rythmique de Haydn, omniprésente dans cette œuvre. Sous la baguette précise de Michael Alexander Willens, cette entrée en matière majestueuse respire harmonieusement, avant de laisser éclater une énergie revigorante dans la suite du mouvement. Vive et enjouée, la direction du chef américain fait ressortir les aspects verticaux, même si elle en fait un peu trop dans le finale, où la scansion des cuivres et timbales est trop prononcée. L’élan musclé et vigoureux produit donne ainsi une belle énergie à l’ensemble mais semble trop uniforme et réducteur, particulièrement dans ce répertoire.


En complément de programme, les deux ouvertures d’opéra ici enregistrées laissent entrevoir les mêmes travers, le surcroît d’énergie ne parvenant pas à masquer le manque de finesse de l’orchestration d’Hoffmann, particulièrement dans Undine. L’Ouverture d’Aurora apparaît heureusement plus variée dans sa construction, une introduction lente lui étant adjointe à l’instar de la symphonie. Mais c’est surtout la Symphonie en la du compositeur Friedrich Witt (1770-1837), parfait contemporain d’Hoffmann, qui surprend en contraste par ses qualités d’agilité et de légèreté. Un indéniable savoir-faire irrigue cette œuvre due à un véritable symphoniste – on lui en doit plus d’une vingtaine, l’une d’elle, appelée Symphonie «Iéna», ayant pendant quelques années été attribuée à rien moins que Beethoven. Ici, la baguette de Willens offre davantage de transparence dans la douceur, se régalant de l’imagination mélodique de Witt.

samedi 25 avril 2015

Concert de l'Orchestre philharmonique de Radio France - Auditorium de la Maison de la Radio - 24/04/2015

Mikko Franck
Départs de congés scolaires et quais de Seine fermés pour protéger l’Ambassade de Turquie auront fait manquer à de nombreux spectateurs le début de ce concert intégralement consacré à Sibelius. Des vicissitudes que le site internet de France Musique permet rapidement d’oublier, l’intégralité du concert étant d’ores et déjà en ligne suite à sa captation en direct. Mikko Franck ouvre ce programme par le Nocturne en majeur, premier mouvement de la Suite de la musique de scène Le Roi Christian II publiée en 1898. Sibelius y laisse transpirer un lyrisme principalement dédié aux cordes, que le chef ne cherche pas à étouffer, offrant une belle respiration à ce bref mouvement.

La soirée se poursuit avec le Concerto pour violon (1905), un des tubes du répertoire souvent entendu en concert – contrairement à l’œuvre précédente. Déjà entendue en octobre dernier (dans le Concerto pour violon n° 1 de Szymanowski, toujours avec le Philharmonique), c’est Baiba Skride (née en 1981) qui officie ce soir, remplaçant au pied levé Alina Pogostkina, absente pour cause d’heureux événement. Le début de l’Allegro moderato se nimbe d’une aura de mystère, les cordes murmurant les premières notes en une lecture analytique, assez lente. Cette optique se poursuit tout du long, Franck privilégiant un accompagnement doux avec la violoniste, plus rude lorsque l’orchestre rugit seul lors des tutti aux accents verticaux. Les contrechants apparaissent plus affirmés, niant les dialogues entre instruments au profit d’une affirmation individuelle nette des différents pupitres. Toute l’éloquence narrative de Sibelius est gommée pour mieux faire ressortir les détails de la partition, le violon solo ne prenant jamais le dessus. La violoniste lettone soupèse chaque note, ne prenant que peu de risques techniques – ce qui ne l’empêche pas de montrer certains limites dans l’aigu, à la limite de la justesse.


Le deuxième mouvement (Adagio di molto) la montre plus à son aise, bien aidée il est vrai par le velouté de cors enveloppants et du rythme aussi métronomique qu’obsédant des cordes. Mikko Franck se tourne souvent vers elle, construisant ses crescendos avec une lenteur toujours aussi patiemment sculptée, impressionnante de précision à l’orchestre. Un régal de chaque instant tant le chef nous surprend par sa capacité à renouveler l’écoute de cette œuvre. Le dernier mouvement (Allegro ma non tanto) poursuit dans cette veine avec une scansion aux allures chambristes, régime minceur qui insiste sur la rythmique presque mécanique des cordes, avant un tutti puissant en contraste qui illustre la capacité de Mikko Franck à lâcher la bride dès lors qu’il en a décidé ainsi. Baiba Skride semble elle-même davantage dans l’extraversion, avant de retrouver un certain apaisement dans le bis donné en complément – le sempiternel Andante de la Deuxième Sonate de Bach.


Retour à un Sibelius plus juvénile et rayonnant avec le poème symphonique En Saga (1892, révisé en 1902). D’emblée, Franck joue sur les textures avec des cordes soyeuses, tandis que le respect des nuances et l’exacerbation des contrastes piano/forte rappellent la manière de Bruckner. Une lecture déroutante qui offre un visage moderniste inattendu à Sibelius, la mélodie principale étant constamment niée au profit des contrechants tandis que la rythmique est mise en valeur. La dette évidente de l’œuvre à la Shéhérazade de Rimski-Korsakov apparaît ici gommée pour tourner Sibelius vers un langage que n’aurait pas renié le Revueltas de La Nuit des Mayas.


Le concert se conclut avec l’une des toutes dernières œuvres symphoniques de Sibelius, sa Septième Symphonie (1924). Mikko Franck poursuit dans sa veine séquentielle et sa lenteur architecturée (toujours marquée par les tutti en contraste, particulièrement les cuivres) autour d’une réduction chambriste qui déçoit ici. Pourquoi dégraisser une musique déjà voulue par Sibelius comme telle? A faire subir un régime minceur à ce Sibelius-là, on ne lui laisse que la peau sur les os. Une lecture toujours aussi impressionnante de mise en place, mais bien sèche et terre à terre, loin de l’optimisme serein porté par cette œuvre. Mikko Franck aurait sans doute intérêt à se tourner vers des œuvres plus lyriques, à l’orchestration plus riche, marquées du sceau de l’influence de Tchaïkovski – comme le sont les deux premières symphonies.

jeudi 23 avril 2015

« La Chute d’Arkona » de Zdeněk Fibich - Opéra de Prague - 18/04/2015


C’est peu dire que l’on connaît peu la vie et l’œuvre de Zdeněk Fibich (1850-1900), de neuf ans le cadet de Dvorák. Emporté subitement par une banale pneumonie, le compositeur tchèque est décédé quelques jours avant la création de ce qui devait finalement constituer son ultime opéra, La Chute d’Arkona. C’est précisément cette œuvre que l’Opéra national de Prague a décidé de remonter pour la saison 2014-2015, après plus de quatre-vingts ans d’absence sur les planches, y compris en République tchèque. Il est vrai que, parmi ses douze ouvrages lyriques, seuls La Fiancée de Messine et Sárka font encore leur apparition au répertoire des maisons d’opéra les plus audacieuses. D’abord influencée par Smetana, la musique de Fibich est surtout redevable à Wagner par l’emploi d’une déclamation dramatique soutenue par un orchestre opulent et très cuivré, même si son dernier opéra laisse entrevoir une savoureuse vivacité rythmique des bois, dans la lignée de Richard Strauss.

On perçoit aussi une influence du vérisme dans les différents choix effectués lors de l’élaboration du livret, dû à sa muse et amante Anezka Schulzová – suite à une commande de l’Opéra national de Prague. Loin de se limiter au sujet historique célébrant la christianisation du peuple slave de l’île de Rügen (au nord-est de l’Allemagne actuelle), le livret ajoute un prologue «domestique» afin d’apporter des motivations psychologiques à l’intransigeance des deux personnages principaux, le Grand Prêtre païen Dargun et son opposant chrétien Absalon – tous deux amoureux de la même femme, Helga. Les trois actes se déroulent vingt ans après les événements relatés lors du prologue, déroulant une trame confuse autour de ce contexte religieux, tandis qu’un nouveau triangle amoureux dévastateur sert d’intrigue secondaire entre le couple formé par Jaroměr et Margrit, jalousé par Radana.


La mise en scène de Jirí Herman choisit de simplifier cette histoire difficile à suivre en réduisant l’impact religieux et guerrier par une transposition au milieu du XXe siècle, en une bourgade côtière où le contexte marin et social apparaît omniprésent. On trouve là un écho à la vive admiration de Fibich pour Ibsen, qui caressa un temps l’idée d’adapter La Dame de la mer avant de renoncer au projet. En référence au symbolisme, Herman choisit de faire apparaître Helga comme un fil conducteur nécessaire entre le prologue et l’opéra, son errance fantomatique irriguant toute la seconde partie de sa présence, désormais muette du fait de sa mort prématurée. Herman s’appuie sur un dispositif scénique d’une remarquable beauté, toujours très stylisé, aux éclairages variés. Le plateau tournant permet ainsi d’offrir de multiples et inattendues perspectives au décor unique, figurant alternativement un quai, un bateau ou un champ de bataille, tandis que d’imposantes parois de tôle représentent des caissons de chargement maritime – éloquents symboles de la puissance économique ennemie. Même s’il en fait parfois un peu trop dans le déploiement des figurants, Herman démontre une maîtrise formelle superbe, fort justement applaudie à l’issue de la représentation.


Autre figure acclamée en fin d’opéra, le chef d’orchestre américain John Fiore adopte un tempo mesuré, admirablement narratif, en opposant les groupes d’instruments qui semblent se répondre comme des personnages à part entière de l’histoire. Sur scène, outre de superlatifs chœurs, c’est l’incandescente Eva Urbanová (Radana) qui sidère par la force de caractère de son jeu. Son magnifique timbre corsé est un régal de chaque instant. A ses côtés, Pavla Vykopalová campe une charmante et délicieuse Margit, tandis que Maria Kobielska (Helga) séduit par une ligne de chant parfaitement maîtrisée. Les rôles masculins sont dominés par la vaillance du Jaroměr de Martin Srejma et l’impeccable Dargun de David Szendiuch, très en voix. Seul Martin Bárta (Absalon) déçoit, avec un chant trop appliqué et peu puissant. On touche sans doute là l’une des grandes difficultés de cette œuvre, qui nécessite des voix capables d’affronter un orchestre omniprésent et opulent.

mercredi 22 avril 2015

« Le Jacobin » d'Antonín Dvorák - Opéra national de Prague - 17/04/2015


En dehors de son chef d’œuvre Rusalka largement représenté sur les plus grandes scènes européennes (et en ce moment même à Paris), point de salut pour les autres œuvres lyriques de Dvorák en dehors de son pays natal. Des livrets de qualité inférieure expliquent la mise à l’écart de ces ouvrages pourtant dignes de l’imagination mélodique irrésistible du célèbre compositeur tchèque. Fort heureusement, l’Opéra de Prague défend admirablement son patrimoine national en inscrivant à son répertoire les autres joyaux que sont Le Diable et Catherine (1899) ou Le Jacobin (1889). C’est précisément cette œuvre contemporaine de la Huitième Symphonie, composée avant la période américaine, que l’on a pu découvrir dans la mise en scène de Jirí Herman – décidément incontournable à Prague puisqu’on pouvait au même moment se délecter de son travail dans une autre production très réussie, celle de La Chute d’Arkona de Fibich.


Quatre ans séparent ces deux mises en scène, permettant de mesurer tous les progrès accomplis par Jirí Herman depuis 2011. C’est particulièrement notable dans la première partie du Jacobin, qui survalorise les aspects bouffes en multipliant les interventions du chœur et des danseurs – un tourbillon d’énergie souvent jubilatoire, mais parfois proche de la gesticulation. Il n’en reste pas moins qu’on ne s’ennuie jamais lors de ce spectacle survitaminé, la transposition de l’action en une classe d’école apportant un côté potache et bon enfant, idéal pour le jeune public très présent dans la salle. L’imagination débridée de Herman permet de passer outre la multiplication des personnages, sans réel «vedette» (neuf au total, le Jacobin n’ayant finalement qu’un rôle assez secondaire), ainsi que le mélange étonnant de comique et de sérieux. Il faut dire que Dvorák lui-même compense les faiblesses dramatiques du livret par sa capacité à soutenir constamment l’attention – l’alternance des airs, ensembles et chœurs apportant un rythme et une variété aussi admirables qu’inépuisables.


Le plateau vocal réuni se montre d’une homogénéité sans failles, dominé par l’irrésistible brio vocal d’Alzběta Polácková (Terinka) ou par le désopilant Luděk Vele (Filip). On notera également la belle prestance de Jakub Kettner (Bohus), tandis que Jan Markvart offre à son Benda un raffinement bienvenu qui fait oublier son timbre un peu fatigué. Enfin, la direction vive et pétillante de David Svec fait merveille, bien épaulé par un orchestre sans failles et des chœurs superlatifs – à l’instar des autres spectacles vus à Prague. Une réussite d’ensemble d’autant plus à souligner qu’il s’agit ici d’un spectacle donné une fois par mois par des interprètes différents, dans le cadre de l’alternance du répertoire pratiquée à Prague (à la façon des théâtres allemands).

mardi 21 avril 2015

« Mefistofele » de Arrigo Boito - Opéra d'état de Prague - 15/04/2015


Il a récemment été question dans ces colonnes de la sortie en DVD d’un Mefistofele revisité par Robert Carsen – une production qui avait fait date dans les années 1980, relançant l’intérêt pour le chef-d’œuvre de Boito à travers les Etats-Unis tout particulièrement. Si l’œuvre reste plus rare en Europe, l’Opéra de Prague vient de l’inclure opportunément à son répertoire en tout début d’année, autour d’une nouvelle production qui sera reprise au long de la saison 2015-2016.

D’emblée, la mise en scène d’Ivan Krejcí affiche un minimalisme qui repose sur un décor unique pendant toute la représentation, constitué d’une sorte de paravent épousant la forme en demi-cercle du fond de scène. Très présente, la vidéo est utilisée pour créer de nombreux effets de superposition de motifs géométriques, figurant des ambiances et atmosphères résolument irréelles et fantastiques. Si les quelques accessoires, tel un podium inaugurant un défilé de mode, rythment les nombreuses interventions des figurants et danseurs, ils ne parviennent pas à totalement masquer le peu de moyens manifestement accordés à cette production. Quant à l’idée de présenter Mefistofele en magnat de la haute-couture, réduisant la foule à des fidèles incrédules, elle séduit dans un premier temps mais ne convainc pas réellement sur la distance. La scène du sabbat se révèle assez sobre, mais Krejcí ose davantage ensuite avec la scène de l’agonie de Margherita, cernée de cadavres de bébés sur des lits de morgue. Une rare audace pour une mise en scène efficace mais trop sage.


On pourra regretter également la constante propension à placer les chanteurs en bord de scène, sans doute pour les aider à déjouer les pièges de l’acoustique très sèche de l’Opéra d’Etat de Prague, écrin splendide pour les yeux qui bénéficie judicieusement – comme le Théâtre national – de surtitres en anglais. Dans le rôle de Mefistofele, Peter Mikulás arrive à faire oublier un timbre un peu terne par une technique solide, d’une belle ampleur. Si le Faust de Raúl Gabriel Iriarte affiche une belle musicalité, il se montre plus à la peine dans l’aigu, souvent forcé - peu aidé par une émission étroite. Incontestable joyau vocal de la soirée, Alzběta Polácková impose une Margherita à la ligne souple et agile dans son air conclusif au III, intense et bouleversante. A peine regrettera-t-on un manque de projection notable dans les ensembles.


Autour d’elle, tous les seconds rôles sont parfaits, particulièrement le beau timbre corsé de Jitka Svobodová (Helena), tandis que les chœurs très précis de l’Opéra d’Etat de Prague secondés par un superlatif chœur de garçons font merveille. Si la direction de Marco Guidarini manque parfois de relief, elle exalte les timbres par une lenteur ensorcelante, évitant tout pompiérisme pour mettre en avant une ferveur toujours impressionnante d’équilibre et de justesse.

lundi 13 avril 2015

Oeuvres orchestrales de Patric Standford - David Lloyd-Jones - Disque Naxos


Naxos a choisi de rendre hommage à Patric Standford (1939-2014), disparu l’an passé, en rééditant un disque publié par la British Music Society (BMS) en 2012. C’est semble-t-il l’une des trois seules gravures consacrées à ce compositeur anglais, élève d’Edmund Rubbra et Witold Lutoslawski. On perçoit précisément l’influence de son aîné polonais par la luxuriance des timbres enchevêtrés, aux dissonances bien présentes mais jamais envahissantes. Dans les œuvres ici enregistrées, au lyrisme certain, Standford ne perd jamais de vue sa veine mélodique. Décrivant les quatre saisons, la Première (1972) de ses cinq Symphonies débute par l’explosion des cordes et cuivres en une nervosité rythmique très verticale – un printemps énergique qui contraste avec l’aridité et le ton grave de l’été, interprété par les cordes seules. Chostakovitch n’est pas loin. L’automne très coloré distille ensuite de courtes mélodies qui parcourent l’orchestre en un bel élan discontinu et brusque. L’hiver laisse davantage de place à l’expressivité méditative des cordes, soutenues par des bois rêveurs, les cuivres se contentant de rares interventions. Assurément une œuvre à découvrir, ne serait-ce que pour la formidable science de l’orchestration de ce compositeur.

Inspiré du cinquième mouvement du Requiem allemand de Brahms (compositeur intensément admiré par Standford), le Concerto pour violoncelle a été composé en 1974. Ses premières notes font preuve d’une belle intensité, avec la scansion inquiétante du piano dans les graves, tandis que les cordes offrent en contraste un aigu rayonnant. Le violoncelle très narratif soutient ce riche accompagnement orchestral, aux couleurs toujours très séduisantes, par une belle expansivité lyrique. Raphael Wallfisch affiche une technique superlative, faisant preuve d’une belle virtuosité dans les deux derniers mouvements – le tout en une captation sonore idéale, particulièrement dans l’équilibre avec l’orchestre. David Lloyd-Jones fait montre d’une verve rythmique délicieuse qui ne sacrifie jamais à la beauté des timbres de l’excellent Royal Scottish National Orchestra. Un disque très réussi, indispensable pour découvrir la figure méconnue de Patric Standford.

dimanche 12 avril 2015

« Flowers of the Field » - Oeuvres de Butterworth, Finzi, Gurney et Vaughan Williams - London Mozart Players - Hilary Davan Wetton - Disque Naxos


C’est à un très beau panorama de la musique anglaise du début du XXe siècle que nous convie ce nouveau disque centré autour de la Première Guerre mondiale. Honneur tout d’abord à George Butterworth (1885-1916), un compositeur trop tôt disparu pendant la bataille de la Somme, alors qu’il était considéré comme un des talents les plus sérieux aux côtés de son ami Ralph Vaughan Williams. Ce dernier lui rendra hommage en lui dédiant sa London Symphony, fruit de leur stimulante émulation. Avec la rhapsodie pour orchestre A Shropshire Lad (Un Gars du Shropshire – un comté anglais frontalier du Pays de Galles) composée en 1912, Butterworth fait valoir un puissant lyrisme contrasté avec des passages plus retenus, délicatement mélancoliques, d’une maîtrise orchestrale solide.


Si l’on connaît davantage la figure de Gerald Finzi (1901-1956), on sait moins qu’il subit lui aussi les affres du conflit mondial par la perte de son très proche professeur et mentor, Ernest Farrar (lui-même élève de Charles Villiers Stanford et ami de Vaughan Williams), à qui le Requiem da camera est dédié. Cette œuvre enregistrée en première mondiale (tout comme The Trumpet d’Ivor Gurney) commence par un prélude envoûtant, où Finzi se délecte des atmosphères brumeuses et songeuses qu’il chérit tant. Les trois mouvements suivants font recours aux solistes et au chœur, sur des textes poétiques – un autre point commun avec Gurney. Mais là où Ivor Gurney (1890-1937) utilise souvent le chœur à l’unisson, en un ton franc et direct, Finzi opte pour une élégie raffinée et enveloppante, d’une splendide sérénité. Assurément la plus belle œuvre gravée sur ce disque.


Le disque se conclut par An Oxford Elegy, une œuvre pour récitant d’une vingtaine de minutes composée par Ralph Vaughan Williams entre 1947 et 1949, période où l’Anglais expérimente de nouvelles sonorités (l’harmonica ou le tuba par exemple). Les sombres textes poétiques de Matthew Arnold trouvent ici un écrin parfait. Immédiatement, la luxuriance orchestrale s’oppose au chœur fantomatique et glacial, tandis que le récitant évite toute emphase en un sérieux presque monotone. A ce jeu-là, Jeremy Irons est parfait – attendant, imperturbable et serein, la douce lumière de la délivrance finale. Un Vaughan Williams grave et pessimiste – assurément une œuvre en phase avec le sujet du disque. Le meilleur se situe plus encore au niveau de la direction de Hilary Davan Wetton, superlative et magnifiquement captée. Un disque qui donne envie d’aller plus loin encore dans la découverte de cette musique anglaise si riche de talents variés pendant la première moitié du XXe siècle.

lundi 6 avril 2015

« Anna Bolena » de Gaetano Donizetti - Fabio Biondi - DVD et Blu-ray Dynamic


Drôle d’idée que de monter cette version révisée d’Anna Bolena, de dix ans postérieure à la création originale. Une version totalement oubliée pour des raisons évidentes: tous les changements opérés par Donizetti avaient pour but de s’adapter au nouveau plateau vocal réuni, de loin inférieur à celui de 1830. Le rôle-titre tout comme celui de Percy perdent ainsi leur brillant pour un registre beaucoup plus central. L’opéra subit aussi quelques coupures, censées rendre plus accessible le déroulement de l’action pour l’audience. Autre changement avec l’allégement de l’effectif orchestral, lui aussi justifié par le recours à une autre version historique... de 1833! Sacré tripatouillage.


Bref, si l’on accepte le parti pris de ces modifications, qu’en est-il de la réalisation scénique? Rien à attendre de ce côté-là, tant la mise en scène de Cesare Scarton semble avoir misé sur une prudence presque caricaturale en ce qui concerne le statisme des chœurs ou des chanteurs, visiblement laissés à eux-mêmes. La transposition de l’action au début du XIXe siècle n’apporte rien, si ce n’est un classicisme convenu dans les costumes. Les robes de satin et colliers de perles lorgnent vers le côté classieux des mises en scène de Carsen, sans jamais aller au-delà de cet aspect formel – les éclairages eux-mêmes restant dans cette optique «joli-joli» aux ambiances bleutées à la longue bien lassantes.


Le meilleur se situe au niveau de la direction de Biondi, qui imprime, par ses attaques sèches et ses ruptures dynamiques, une vision excitante bien qu’un peu raide par moments. L’orchestre Europa Galante manque de couleurs, avec des bois parfois un peu verts, mais reste surtout desservi par une prise de son imprécise, par trop réverbérée. Un défaut que l’on retrouve au niveau des chanteurs, aux individualités peu mises en valeur dans les ensembles. C’est bien dommage car Marta Torbidoni (Anna Bolena) mérite mieux qu’une attention polie. Elle déploie son timbre de velours en une éloquente ligne de chant, avec beaucoup d’agilité dans l’aigu. A peine pourra-t-on lui reprocher un chant un rien extérieur à certains endroits – étant peu aidée, on l’a vu, par la paresseuse mise en scène. A ses côtés, Laura Polverelli (Giovanna Seymour) n’a pas le timbre le plus aguicheur, sous-utilisant le médium, mais se montre néanmoins convaincante par son implication théâtrale constante. Martina Belli séduit en Smeton par une aisance vocale certaine, même si son interprétation manque de finesse. Le plateau masculin se montre plus problématique, avec un Federico Benetti (Enrico VIII) piètre acteur et bien placide côté chant, tandis que Moisés Marín García (Riccardo Percy) peine à faire oublier quelques problèmes de placement de voix (et les faussetés associées) par un bel engagement. Les seconds rôles sont corrects, tout comme le chœur.

dimanche 5 avril 2015

« Geistliche Festmusik » - Oeuvres religieuses de Johann Pachelbel - Disque Christophorus

Connait-on vraiment Johann Pachelbel (1653-1706) en dehors de son Canon et Gigue en ré majeur pour trois violons et basse continue? Le présent disque démontre que l’on a tort de cantonner le natif de Nuremberg au rôle de prédécesseur obscur de Jean-Sébastien Bach. Diffusée dans toute l’aire germanique en son temps, la musique de Pachelbel se voit ici parfaitement mise en valeur dans toute sa diversité. Les réjouissances fastueuses des concerts sacrés Lobet den Herrn in seinem Heiligtum et Gott sei uns gnädig témoignent ainsi de l’influence italienne. Ces œuvres de vaste dimension enchaînent en une admirable variété, parties solistes, duos, chœurs et interventions orchestrales avec usage de force trompettes et timbales. Parfaitement captées, les forces en présence se déploient autour d’un festival de couleurs porté par l’Ensemble Johann Rosenmüller. Il faut dire que la direction d’Arno Paduch avance, offrant à ces œuvres une majesté évitant tout pompiérisme.

La cantate Christ lag in Todesbanden (1700?), probablement l’une des œuvres les plus tardives enregistrées sur ce disque, est plus retenue dans son expression, bâtissant son choral luthérien à partir d’anciennes mélodies de chants spirituels du Moyen Age. Après un savoureux interlude au théorbe, le disque se conclut par l’un des treize Magnificat conservés de Pachelbel, l’un des plus riches en matière d’accompagnement orchestral avec ses vents notamment. Ce sont cependant les voix solistes qui dominent, d’une égale homogénéité dans l’excellence des interprètes ici réunis. Assurément un disque idéal pour aller plus loin dans la connaissance de l’œuvre de ce petit maître.

samedi 4 avril 2015

« Lucia di Lammermoor » de Gaetano Donizetti - Diana Damrau - Joseph Calleja - Disque Erato


Rien d’étonnant à voir réunies une kyrielle de stars à Munich. La capitale bavaroise accueillait à l’été 2013 une série de versions de concert de l’opera seria le plus fameux de Donizetti, Lucia di Lammermoor. Un événement capté sur le vif, auquel la firme Erato a ajouté – dans le même temps – une séance d’enregistrement supplémentaire en studio. Une précaution nécessaire pour Diana Damrau, incandescente Lucia, qui impressionne à force d’intentions et de contrastes dans son interprétation, mais dont l’aigu un rien forcé marque quelques duretés dans les brusques passages de registres imposés par la partition. Des défaillances imparfaitement corrigées par le disque – même s’il faut souligner l’excellence de la prise de son.

Aux côtés du rôle-titre, les partenaires masculins se montrent plus mesurés dans l’impact théâtral. Joseph Calleja impose son timbre de miel au bénéfice d’une éloquence et d’une projection jamais mises en défaut. A peine souhaiterait-on une assise plus affirmée dans les graves. Aucun problème de ce côté-là pour l’Enrico de luxe de Ludovic Tézier, toujours impeccable de souplesse et d’une noblesse de phrasés désarmante. Nicolas Testé fait valoir son timbre chaleureux et sa ligne de chant parfaitement maîtrisée, tandis que les seconds rôles en présence se montrent tous parfaits, en particulier un superlatif Andrew Lepri Meyer (Normanno).


La direction enlevée du toujours impeccable Jesús López-Cobos marque par son dramatisme, bien soutenue par un chœur remarquable de précision et d’homogénéité. Mais l’une des principales nouveautés de ce disque réside dans l’ajout d’une cadence pour harmonica de verre – transposition d’une cadence pour flûte de plus de deux minutes incluse en 1888 par Mathilde Marchesi. Une curiosité plus qu’un réel atout, cet ajout rendant à l’œuvre l’intention originelle de Donizetti, qui avait du y renoncer faute de pouvoir payer un instrumentiste supplémentaire.

vendredi 3 avril 2015

« Brass too » - Oeuvres de Chostakovitch, Glanert, Tomasi, Piazzolla et Hindemith - Cuivres du Concertgebouw Amsterdam - Disque RCO Live



Disons-le d’emblée: on ne pensait pas prendre autant de plaisir à l’écoute de ce nouveau disque consacré au répertoire très sous-estimé des ensembles de cuivres. Et pourtant, la réussite est complète. On doit au trompettiste flamand Wim Van Hasselt, ancien membre de l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam, la volonté de mettre en valeur le répertoire des cuivres par l’enregistrement d’un disque dédié en 2007. Huit ans après «Brass», RCO Live présente un deuxième volume, intitulé «Brass Too», dont seul l’enregistrement consacré à la Konzertmusik d’Hindemith a été capté sur le vif, avec les cordes en supplément. Cette œuvre commandée par Serge Koussevitzky pour le cinquantième anniversaire de l’Orchestre symphonique de Boston, en 1931, annonce de très près la Symphonie «Mathis le peintre», chef-d’œuvre du compositeur allemand. Hindemith y assagit le discours moderniste des années 1920 pour privilégier un entrecroisement des mélodies en un élan exaltant. Kurt Masur marque les scansions sans temps mort, à la tête – faut-il le préciser? – d’un superlatif pupitre de cuivres.


Autre compositeur bien connu en entame de ce disque, avec Chostakovitch et l’une de ses musiques de film. Si l’on connaît davantage les partitions de Korngold ou Prokofiev, les Néerlandais enregistrent ici l’une des partitions les plus fameuses de Chostakovitch en la matière, écrite pour le film Le Taon (1955). Des douze mouvements de cette Suite, l’adaptation de Steven Verhaert ne retient que cinq extraits (1, 5, 6, 8 et 12), dont l’irrésistible «Romance», extrait le plus fameux, inspiré de la Méditation de Thaïs de Massenet. La référence est ici moins marquante du fait de la disparition du solo de violon, mais le morceau reste un beau moment de poésie contrastant idéalement avec les autres parties de la Suite, plus martiales.


Le disque fait ensuite une place à Detlev Glanert (né en 1960), en résidence à l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam. Le compositeur allemand propose une courte pièce savoureuse qui parodie la musique de cabaret, mâtinée d’emprunts au jazz. Si les deux extraits de l’opéra-tango María de Buenos Aires restent dans la même veine joyeuse et dansante, ce disque a la bonne idée d’inclure la rare musique du compositeur corse Henri Tomasi (1901-1971). On retrouve les Fanfares liturgiques tirées de son premier opéra Don Juan de Manara (1944), véritable délice d’imagination mélodique, en une veine néoclassique proche de Ravel qui rappelle aussi parfois l’orchestration brillante du Roi David d’Honegger.


Un disque à la programmation admirablement variée, idéal pour bien percevoir toutes les possibilités offertes aux différentes individualités du pupitre des cuivres.