samedi 22 avril 2017

Concert de l'Orchestre philharmonique de Radio France - Karen Gomyo - Auditorium de la Maison de la Radio - 16/04/2017

Karen Gomyo
On se souvient encore de la remarquable venue de Jakub Hrůsa à Paris l’an passé, à la tête du Philarmonique de Radio France dans un programme aussi original que passionnant. Le jeune chef de 36 ans récidive en ce printemps en réunissant trois œuvres majeures de la première moitié du XXe siècle, dont la plus célèbre conclut fort justement le concert par une emphase éclatante en ut majeur: on connaît bien le Poème de l’extase et ses volutes impressionnistes associées à la mélodie entêtante ressassée par la trompette solo, quasi concertante ici. Avec ses attaques équilibrées et son sens du legato, Hrůsa choisit d’en rester à une certaine mesure dans la progression irrépressible vers l’extase finale, au détriment de l’excitation et de l’étreinte que d’autres versions au disque (Maazel notamment), par les couleurs et les contrastes, ont choisie d’exalter. C’est donc une vision plutôt sage qui se conclut par la présence inhabituellement imposante du carillon tubulaire (ou cloche d’orchestre) en fin de partition. L’effet ainsi produit déséquilibre l’ensemble, et ce d’autant plus que le malheureux percussionniste à l’œuvre hier soir rate le silence qui suit en faisant très légèrement résonner son instrument.


On avait déjà pu constater, dans Le Mandarin merveilleux de Bartók donné en début de soirée, le goût de Hrůsa pour une mise en place impeccable au service de phrasés étirés en une lenteur ensorcelante, construisant des climats indépendants au détriment, malheureusement, de l’architecture d’ensemble. L’aspect fragmentaire de cette œuvre exigeante ressort plus encore ici, n’aidant pas le novice à en percer les mystères nombreux, basés sur une expression et un chatoiement des timbres si audacieux en 1919, année de la composition de ce ballet.


La soirée trouve heureusement son point d’orgue avec les débuts parisiens de la jeune violoniste canadienne Karen Gomyo (née en 1982), véritable phénomène à réinviter au plus vite tant le son chaud et généreux de son instrument emporte rapidement l’adhésion. Le rare Concerto pour violon de Britten trouve la une interprète pleinement investie, au son pur et profond, dont on pourra seulement reprocher, mais ça n’est là qu’un infime bémol, un manque de substance dans les accélérations. Le Concerto comporte peu, cependant, de passages verticaux et nerveux, pour mieux privilégier l’enchevêtrement imaginatif des timbres du formidable orchestrateur qu’est Britten. On s’en réjouira d’autant plus que l’acoustique intime de l’auditorium de la Maison de la radio rend justice à toutes les subtilités ici à l’œuvre – là où la salle Pleyel, hélas, n’avait pu faire de même avec Janine Jansen en 2011.


En bis, la Canadienne se montre un rien moins investie dans Tango Etude n° 4 d’Astor Piazzolla, un de ses compositeurs de prédilection. C’est d’autant plus regrettable que l’on aura évité, une fois n’est pas coutume, les sempiternels bis pour violon consacrés à Bach.

mardi 18 avril 2017

« Snegourotchka » de Rimski-Korsakov - Aida Garifullina - Opéra national de Paris - 15/04/2017


Si Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) reste aujourd’hui connu pour ses formidables talents d’orchestrateur qui lui ont permis d’achever nombre d’ouvrages lyriques de ses contemporains, notamment ceux de Moussorgski et Borodine, son célébrissime chef-d’œuvre symphonique Shéhérazade (1888) masque plus encore l’étendue de sa propre production, considérable dans tous les domaines. Dès les années 1990, on doit à Valery Gergiev d’avoir su révéler en dehors de la Russie quelques-uns de ses quinze opéras, en gravant cinq pour Decca, mais faisant l’impasse sur La Fille de neige (1882), pourtant considéré comme le meilleur d’entre eux par l’auteur lui-même. On pourra en effet se laisser aisément transporter par l’imagination orchestrale toute de légèreté et de clarté faisant la part belle aux vents, au bénéfice d’élans envoûtants et poétiques, un rien naïfs et sucrés ici ou là, mais incontestablement séduisants.

Pour autant, ce sont probablement les faiblesses dramatiques de l’argument qui ont conduit Gergiev à écarter ce troisième ouvrage lyrique, inspiré par les contes de fées et illustrant la veine panthéiste de l’auteur. Autour du récit initiatique de l’impossible éveil amoureux de la belle Snegourotchka, envoyée parmi les hommes par ses parents l’Hiver et le Printemps, le livret se disperse trop sur des considérations contemplatives qui rendent hommage à la puissance et à la beauté de la nature. Des moments essentiels de l’histoire sont ainsi ramassés au détriment de toute vraisemblance, comme le retournement soudain de Mizguir, faisant la cour à Snegourotchka sous les yeux de sa promise Kupava, ou la non moins rapide conversion de cette dernière aux charmes du berger Lel.


Comme attendu, le metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov – dont c’est là la troisième incursion dans l’univers lyrique de Rimski-Korsakov après les réussites de La Fiancée du Tsar et de La Légende de la Cité invisible de Kitège et de la vierge Févronia – choisit d’évacuer le contexte féerique pour donner davantage de cohérence dramatique aux personnages. Sa transposition de l’action dans une communauté hippie autonome, non contente de proposer une splendide traduction visuelle dans une forêt retranchée, lui permet d’interroger le monde contemporain à travers les velléités de ses interprètes à reconstituer un folklore disparu ou encore de moquer les nouveaux modèles de séduction hétérosexuelle à travers l’aspect androgyne et efféminé de Lel (rôle confié à un contre-ténor en lieu et place d’un contralto).


Les choix de Tcherniakov ont aussi pour avantage de donner davantage d’épaisseur aux personnages de cette histoire: la Fée Printemps devient dès lors une diva prisonnière de son cours de danse misérable avec les enfants du village grimés en animaux, tandis que son portrait truculent réalisé par le Tsar Berendeï, transformé en peintre gourou, évoque la nostalgie de leurs amours de jeunesse. On notera enfin les nombreux sous-textes ajoutés ici et là, comme le chant amoureux entre Kupava et Lel au III, où les deux protagonistes hilares font mine de ne pas avoir vu Snegourotchka pour mieux lui faire regretter ses illusions perdues. De même, le rejet du cadavre de l’héroïne au devant de la scène, en un geste péremptoire à la fin de l’opéra, sera l’ultime illustration de son incapacité à se fondre dans les règles de la communauté, provocant l’indifférence du gourou déjà retourné à ses affaires. On reconnaît là l’esprit incisif de Tcherniakov pour saisir la cruauté humaine dans toute son étendue.


L’entrée au répertoire de l’Opéra de Paris de cet ouvrage est aussi l’occasion de découvrir dans le rôle-titre la soprano russe Aida Garifullina, déjà applaudie à plusieurs reprises à Vienne et annoncée comme l’une des grandes stars de demain. Ne nous y trompons pas: le triomphe fort justement recueilli lors de la première samedi soir nous fait dire que la jeune femme, à seulement 29 ans, est déjà au firmament. Aussi bien l’incarnation théâtrale, toujours juste et maîtrisée, que l’émission fluide et aérienne, sont au service d’un timbre d’une pureté pénétrante. Loin de se contenter de ce joyau, la production parvient à réunir un autre chanteur d’exception en la personne de Yuriy Mynenko (Lel), d’une puissance étonnante pour un contre-ténor, à l’expression naturelle et souple, à l’aise dans toute la tessiture.


On se félicitera également du choix de Martina Serafin dont les aigus perçants contrastent avec le soyeux des graves, offrant à sa Kupava une superbe noirceur vocale dans la fureur, un rien plus en retrait dans la douleur (une critique déjà émise ici même dans son incarnation d’Elsa de Brabant ici-même en début d'année). A ses côtés, le Mizguir de Thomas Johannes Mayer aux faux airs de Bryn Terfel déçoit quelque peu par un timbre fatigué et une émission engorgée, tandis que Maxim Paster (Le Tsar Berendeï) laisse entrevoir toute sa classe autour d’une ligne de chant d’une noblesse éloquente, digne de ce pilier de la troupe du Bolchoï. Outre un chœur parfait, on notera l’excellence des seconds rôles, au premier rang desquels les truculents Vasily Gorshkov (Bobyl Bakula) et Carole Wilson (Bobylicka).


Directeur musical du théâtre Michel de Saint-Pétersbourg, Mikhail Tatarnikov se distingue dans la fosse par son souci du détail et des nuances toujours au service de l’œuvre: jamais alanguie, sa direction avance en soutenant constamment les chanteurs par la vivacité de son imagination. Comme la jeune Aida Garifullina, ses débuts parisiens sont une incontestable réussite.