samedi 24 août 2019

« La Périchole » de Jacques Offenbach - Marc Minkowski - Disque Glossa


On pourra s’étonner de trouver La Périchole d’Offenbach parmi les livres-disques, toujours aussi luxueux, de la collection éditée par le Palazzetto Bru Zane depuis 2014 (et son tout premier jalon dédié à Amadis de Gaule de Johann Christian Bach). Ca n’est donc pas là une rareté, mais force est de constater qu’on ne croule pas sous les versions discographiques de ce chef-d’œuvre délicieux, aux mélodies toujours aussi entêtantes bien après l’écoute. Les deux principales alternatives au présent disque restent les gravures de Lombard en 1976 et Plasson en 1981, qui, pour satisfaisantes qu’elles soient, surtout la première, trouvent ici une version de référence, autant dans l’orchestre coloré et vivant de Minkowski qu’au niveau de l’excellent plateau vocal réuni – le tout en une superbe prise de son. Seuls les dialogues modernisés un rien outrés déçoivent par endroit, tandis que Minkowski fait le choix contestable d’une version hybride entre les deux disponibles, retenant les quatorze premiers numéros donnés lors de la création en 1868, puis la fin composée en 1874 avec quelques coupures (numéros 19, 19 bis, 20 et 21). Ces deux réserves coûtent à ce disque un Must qu’il aurait amplement mérité sans cela.

Malgré une émission un rien engorgée, Alexandre Duhamel fait montre d’un beau tempérament au service d’une prestation technique sans faille, tandis que Stanislas de Barbeyrac impressionne plus encore par son éclat et sa prononciation parfaite. Aude Extremo est un peu plus en retrait sur la lisibilité du texte, en restant toutefois très satisfaisante, et ravit par l’intelligence de ses phrasés, tout autant que ses couleurs bienvenues et son velouté dans l’émission. Elle fait montre aussi de belles qualités dramatiques dans les passages parlés, dont les accents ironiques dans les graves rappellent souvent la comédienne Michèle Laroque. Outre les seconds rôles superlatifs, le Chœur de l’Opéra national de Bordeaux démontre une belle cohésion. On retrouvera dès le 19 septembre prochain Offenbach en ouverture de la saison bordelaise, avec Les Contes d’Hoffmann cette fois. Suite au scandale provoqué l’an passé par le recours aux Musiciens du Louvre pour interpréter La Périchole, Minkowski a choisi cette fois de recourir à l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine, comme en 2017.

vendredi 23 août 2019

« Les Fêtes de Polymnie » de Jean-Philippe Rameau - György Vashegyi - Disque Glossa



Le présent disque constitue le tout premier jalon du réjouissant partenariat conclu en 2014 entre le Centre de musique baroque de Versailles (CMBV) et le chef hongrois Győrgy Vashegyi, déjà salué récemment au disque avec Naïs du même Rameau ou au concert avec Isbé de Mondonville (voir le concert donné à Budapest en 2016, suivi d’un disque édité avec le soutien du CMBV, lui aussi vivement recommandable).

Le ballet héroïque Les Fêtes de Polymnie est la révélation d’un chef-d’œuvre méconnu de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), écrit en 1745, une année particulièrement riche pour ce compositeur alors très demandé: pas moins de quatre ouvrages lyriques verront le jour cette année-là, dont l’inclassable Platée. Jusqu’alors, seule la splendide ouverture des Fêtes de Polymnie était connue pour avoir été enregistrée à plusieurs reprises, faisant résonner toute l’imagination ramélienne autour d’un thème inoubliable et entêtant, repris tout au long du Prologue («Le Temple de Mémoire»). Trompettes et timbales sont ici convoquées en un fracas majestueux qui s’affronte aux interventions non moins spectaculaires du chœur, très présent lui aussi tout du long. Cette grande page, magnifiée par un superlatif Chœur Purcell, justifie à elle seule l’achat de ce disque, même si l’on pourra noter que la version quasi intégrale choisie par Győrgy Vashegyi préfère celle abrégée par Rameau quelques jours après la création, amputant précisément quelques chœurs dans ce Prologue. Quoi qu’il en soit, Rameau a su préserver un équilibre ici rendu par un saisissant Vashegyi, dont l’opulence symphonique donne une noblesse bienvenue à ce petit bijou rythmique.

Les deux entrées suivantes montrent une inspiration plus inégale en comparaison, tout en faisant place à des états d’âme plus apaisés, bien loin du prétexte de la création du ballet, donné pour fêter la récente victoire militaire française à Fontenoy – et ce bien avant Madame Favart d’Offenbach, dont l’action fait aussi référence à cette bataille (donnée récemment à l’Opéra-Comique). On retrouve la pompe majestueuse des débuts de l’ouvrage lors de la troisième entrée, souvent considérée comme la meilleure, qui bénéficie de la toujours parfaite Véronique Gens, aux phrasés ensorcelants de style et d’intelligence au service du texte – là où Emőke Baráth fait valoir sa voix ronde et charnue, à la diction passable sans plus. Si Aurélia Legay laisse entrevoir quelques imperfections dans l’aigu, elle assure globalement sa partie, tout comme Thomas Dolié, un peu léger dans la tessiture grave, mais à l’éclat bienvenu. En ce domaine, personne ne fera d’ombre à Mathias Vidal, toujours aussi impérial dans la déclamation du français. On admire toujours autant sa prononciation parfaite et son engagement: quelle classe dans l’interprétation! Un grand album à chérir, assurément.

lundi 12 août 2019

Récital de Ruzan Mantashyan et Juan Diego Flórez - Festival de Peralada - 09/08/2019

Ruzan Mantashyan et Juan Diego Flórez
Parmi les événements les plus attendus de cette édition 2019 du Festival de Peralada, le récital de Juan Diego Flórez (né en 1973) a logiquement rassemblé un public venu en nombre: aux côtés de la star péruvienne, la jeune soprano arménienne Ruzan Mantashyan (née en 1990) joue le jeu un rien ostentatoire de baisers langoureux d’opérette, d’autant plus étonnant que Flórez est marié avec l’ancienne chanteuse australienne Julia Trappe. Que l’on soit ou non dupe de cette comédie, on pourra noter que le couple n’est pas vraiment assorti au niveau vocal, tant le Péruvien fait valoir sa petite voix au service de phrasés ensorcelants, en une grâce jamais prise en défaut, tandis que l’Arménienne joue davantage sur la beauté du timbre et l’impact physique – même si quelques sauts de registre dans l’aigu apparaissent mal négociés. On retrouve chez Flórez une propension à rester au plus près du sens, donnant une vérité dramatique à chacune de ses interventions, là où Mantashyan a de gros progrès à faire en ce domaine – son air des bijoux, bien exécuté techniquement, s’avère ainsi d’une platitude rare. C’est d’autant plus surprenant que la soprano a déjà chanté le rôle de Marguerite à plusieurs reprises, dont l’an passé à Genève.

On pourra être aussi quelque peu dubitatif quant au choix des airs et duos, tournés vers un répertoire qui demande un éclat vocal que Flórez a du mal à atteindre, du fait de son manque de puissance. On aurait préféré l’entendre dans les opéras français ou italiens du début du XIXe siècle, là où son style raffiné fait merveille. Pour autant, les interprètes reçoivent suffisamment d’applaudissements pour se produire dans un ultime duo dédié à Puccini, avant que Flórez ne nous gratifie de ses bis habituels, de Granada d’Agustin Lara à ses petites pièces solos pour guitare et voix. Le public exulte, tandis que l’imperturbable Orchestre symphonique de Vallès (petite ville de la banlieue de Barcelone) ne peut que constater cette prise en otage, sous le regard compatissant de son chef Guillermo García Calvo. Pendant toute la soirée, ce dernier aura logiquement montré sa soumission aux deux artistes, en ralentissant ses tempi et en demandant manifestement à sa formation de ne pas couvrir les chanteurs. Quoi qu’il en soit, autant par le choix d’un programme original que par sa direction vive et souple, le chef espagnol, ancien assistant d’Iván Fischer, aura montré sa capacité à donner le meilleur de l’orchestre catalan.

dimanche 11 août 2019

Récital de Núria Rial et Juan Sancho - Festival de Peralada - 08/08/2019

 Núria Rial et Juan Sancho
Comme chaque année, l’Eglise du Carme de Peralada accueille plusieurs concerts et récitals du festival, donnant l’occasion d’admirer cette église gothique rénovée au XIXe siècle, et tout particulièrement son splendide plafond en bois polychrome. C’est probablement ce matériau, tout comme la faible largeur de la nef (et sa quinzaine de sièges par rangée), qui expliquent pourquoi l’acoustique des lieux est étonnamment peu réverbérée pour un édifice religieux ancien. Dès lors, on comprend aisément pourquoi le festival ne se contente pas des récitals voix/piano, à l’instar de notre dernière venue en 2017 (voir ici et ici) et ose, comme c’est le cas avec ce concert, accueillir une formation symphonique assez fournie.

Parmi sa programmation éclectique, le Festival de Peralada n’oublie pas, à chaque édition, de donner une place à la musique baroque, ce qui explique l’invitation de la Capella Cracoviensis – un ensemble polonais acclamé lors des enregistrements réalisés pour Decca, Adriano in Siria de Pergolèse en 2016, puis Germanico in Germania de Porpora en 2018, à chaque fois avec des grands noms tels que Franco Fagioli ou Max Emmanuel Cencic. On retrouve le ténor Juan Sancho, déjà présent dans le disque Porpora, en soliste de ce concert catalan, accompagné d’une autre spécialiste du baroque en la personne de Núria Rial. L’un et l’autre rivalisent d’attention pour donner au public l’impression d’une complicité amoureuse, à même de justifier le titre un peu racoleur du concert, «Human love, love divine». Pour autant, ce programme entièrement dédié à Haendel apparaît très bien cohérent dans sa construction, en élevant peu à peu les difficultés vocales et en alternant airs et duos avec de courtes pièces symphoniques. On est surtout agréablement surpris par la variété des pièces choisies, chantées en italien ou anglais, qui donnent un vaste aperçu de la production du maître germano-anglais.

Si Juan Sancho se montre un rien timide au début, ce qui traduit par une bouche étonnamment peu ouverte lors de ses interventions, il fait rapidement valoir son timbre agréable et la noblesse de ses phrasés. On pourra évidemment noter, ici et là, une émission étroite dans l’aigu, un rien nasal, mais ce n’est là qu’un détail, tant le ténor sait toujours séduire par son élégance, au service du texte. Núria Rial ne lui cède en rien au niveau de la grâce, même si la prononciation est parfois moins précise que celle de son partenaire. Elle l’emporte toutefois dans la vaillance et la puissance, autour d’un aigu rayonnant de souplesse.

On met davantage de temps à s’habituer au geste apaisé de Jan Tomasz Adamus, qui opte pour une respiration surprenante dans ce répertoire, avec des attaques douces et des angles volontairement polis. On est à l’opposé de la conception plus franche et virtuose d’un Jacobs, afin de privilégier, à l’inverse, un legato souverain et un accompagnement doucereux. Les passages rapides s’animent un peu plus, mais sans jamais forcer l’archet aux cordes ou se distinguer trop individuellement dans les vents. Très applaudie à l’instar des solistes, la formation polonaise reprend en bis l’un des plus beaux duos de la partition, celui de l’Allegro, il Penseroso ed il Moderato divinement accompagné par le basson et le hautbois.

samedi 10 août 2019

« La traviata » de Giuseppe Verdi - Festival de Peralada - 07/08/2019


On a beau avoir entendu La Traviata (1853) plusieurs fois dans sa vie, la redécouvrir dans le cadre du parc du château de Peralada (Catalogne) est toujours un enchantement: après une journée torride, la fraîcheur de la nuit apporte un réconfort bienvenu, également apprécié par les cigognes qui ont trouvé refuge dans ce havre de verdure. Leurs craquètements joyeux en témoignent, avant de rapidement disparaître dès les premières mesures du drame: il faut dire que la direction de Riccardo Frizza (né en 1971), toute de respiration et d’élégance, appelle d’emblée à la concentration en offrant un écrin de toute beauté.

Très affûté, l’Orchestre de l’Opéra de Barcelone répond avec vivacité à cette lecture légère et aérienne, toujours au service de la narration. C’est là l’un des plus beaux atouts de la soirée, avec les solistes réunis et l’impeccable Chœur Intermezzo, très précis dans ses interventions. Peralada parvient en effet, au-delà des seconds rôles de très bonne tenue (hormis le placement de voix perfectible de Carles Daza dans le court rôle de Douphol), à réunir un trio vocal de premier plan, indispensable à la réussite de toute Traviata. Ekaterina Bakanova incarne une Violetta saisissante de vérité, imposant son tempérament pendant toute la représentation, particulièrement au II. Elle laisse entrevoir quelques imperfections techniques dans les changements de registre au I et quelques aigus forcés, mais se rattrape par de belles couleurs et quelques nuances bienvenues dans les piani. A ses côtés, René Barbera (Alfredo) ne se distingue guère au niveau dramatique – c’est un euphémisme – mais compense par une émission de velours, aux phrasés toujours nobles. C’est plus encore Quinn Kelsey (Giorgio) qui marque les esprits par son impact physique immédiat, donnant à sa voix large une belle résonance. Il faut toutefois prendre un peu de temps à s’habituer à son timbre particulier qui peut faire croire à une émission voilée – heureusement en phase avec ce rôle de père plus fragile qu’il n’y paraît, cerné par les remords en fin d’ouvrage.

Dommage que la mise en scène très visuelle de Paco Azorín ne soit pas tout à fait à la hauteur de l’événement: non pas qu’elle manque de qualités, avec ses beaux costumes à l’ancienne discrètement modernisés et sa direction d’acteur nerveuse (surtout au niveau du chœur, grimé en meute décadente), mais elle n’aide guère à la compréhension de l’œuvre en plaçant les interprètes dans un décor unique pendant toute la représentation, incarné par quatre billards mouvants. Le démon du jeu, qui permet à Alfredo d’imaginer pouvoir reconquérir Violetta au II, est ainsi mis au centre de l’attention. Pourquoi pas. Mais qu’apportent le renversement de ces billards à la verticale et les acrobaties de comédiens dans les hauteurs, si ce n’est l’impression d’un gadget conçu pour le seul plaisir des yeux? Le texte d’intention du metteur en scène a beau insister sur la figure de Violetta comme femme forte, cela ne se traduit absolument pas dans la mise en scène, qui semble manquer d’idées au-delà du confort visuel susmentionné. Dommage.

vendredi 9 août 2019

Michel Lethiec et le Quatuor Meta4 - Festival Pablo Casals à Prades - 06/08/2019

Le Quatuor Meta4
Le festival de Prades nous a concocté un de ces délicieux programmes dont il a le secret, sur le thème du souvenir. On retrouve deux visages différents de Tchaïkovski, autour d’œuvres composées à des moments différents moments de sa vie. C’est tout d’abord Souvenir d’un lieu cher (1878) qui donne à entendre un compositeur exalté, alors en pleine tourmente personnelle (mariage raté, tentative de suicide...). La première pièce, «Méditation», reprend un mouvement lent initialement composé, la même année, pour le Concerto pour violon. On retrouve immédiatement le lyrisme propre à ce chef-d’œuvre bien connu, dominé par la clarté lumineuse du violon de Boris Garlitsky. Plus en retrait, le piano d’Elena Garlitsky respire harmonieusement, tandis que le violon gomme les angles et les ruptures en une lecture qui valorise la pureté du son, sans vibrato. L’archet semble moins à l’aise dans les accélérations, avec quelques décalages, mais ce n’est là qu’un détail à ce niveau.

En fin de soirée, place à un Tchaïkovski autrement plus affirmé, alors au sommet de sa carrière, dans le bien connu sextuor Souvenir de Florence (1892). L’excellence des solistes réunis explique pourquoi on retrouve un musicien de la trempe de Jan Talich au second violon, tout en donnant une vigueur inhabituellement soutenue à cet ouvrage. Les interprètes s’affrontent avec une intensité expressive remarquable, sous la houlette de l’autorité naturelle d’Ulf Wallin, toujours aussi engagé, donnant à ce sextuor une variété très fouillée dans les détails exacerbés.


Plus tôt, la délicieuse transcription pour violoncelle et ensemble du Silence des bois (1883) de Dvorák aura résonné dans l’abbaye avec bonheur, faisant scintiller un élan symphonique dominé par le violoncelle souverain d’Emil Rovner, aussi narratif que lyrique. Ce quasi-mouvement de concerto n’a qu’un défaut: sa brièveté un rien frustrante. Le morceau de choix de la soirée avait toutefois été donné peu avant l’entracte, avec Souvenirs de voyage (1967) de Bernard Herrmann, dont on a pu entendre l’unique opéra à Nancy en début d’année. Une même musique fuyante et nostalgique, assez sombre et aride, parcourt le début de ce quintette avec clarinette mené de main de maître par les Meta4 et Michel Lethiec. Ce dernier a d’ailleurs déjà présenté cet ouvrage ici même en 2013 avec le Fine Arts Quartet – un concert capté dans les conditions du direct, puis édité par Naxos trois ans plus tard. Lethiec fait une fois encore valoir un son généreux et plein, d’une précision redoutable qui capte bien toute la mélancolie de ces pages. L’engagement des Meta4 n’est pas en reste, faisant ressortir les rares traits de lumière ou les brefs points d’orgue émotionnel. Un climat doux-amer conclut l’ouvrage, achevant de nous convaincre de l’intérêt de défendre ce compositeur trop restreint à ses seules musiques de film.

jeudi 8 août 2019

Le Quatuor de Shanghai - Festival Pablo Casals à Prades - 06/08/2019

Prieuré de Serrabonne

Joyau de l’art roman, le prieuré de Serrabonne est investi chaque année par quelques concerts du Festival Pablo Casals, qui n’a pas manquer d’identifier sa parfaite acoustique. Il faudra prendre quelques minutes avant le concert pour déambuler dans la tribune aux nombreuses colonnes en marbre rose, surmontées de splendides chapiteaux sculptés, tous réalisés au XIIe siècle par l’atelier qui a notamment officié à l’abbaye Saint-Michel de Cuxà.

Le programme réunit avec beaucoup de pertinence de courtes pièces inachevées, toutes composées au XIXe siècle, dont la plus connue d’entre elle est l’unique mouvement du Douzième Quatuor (1820) de Schubert. Si l’Autrichien fut coutumier des ouvrages abandonnés, à l’instar de Mozart, il parvient en quelques mesures de pure grâce à nous emporter: il faut dire que le Quatuor de Shanghai est ici dans son répertoire de prédilection, faisant valoir une pulsation rythmique légère et aérienne, en un élan stimulant. L’acoustique très détaillée sert cette conception qui manque parfois de puissance au premier violon, mais qui emporte l’adhésion par son sens des nuances et des couleurs. Les interprètes se saisissent ensuite du Premier Quatuor (1889) de Rachmaninov, une œuvre de jeunesse qui rappelle parfois Mendelssohn, avec déjà un beau lyrisme.


Plus tôt, le Quatuor pour piano et cordes (1876) de Mahler semble lui aussi avoir fait grande impression sur le public avec ses thèmes entêtants et envoutants. C’est là aussi un ouvrage de jeunesse qui regarde vers le passé, mais qui démontre déjà toute la maîtrise du compositeur. Plus à l’aise que la veille, Silke Avenhaus évite tout sentimentalisme au service de phrasés félins, tandis que le violoncelle habité de Torleif Thedéen se distingue par un son riche, parfaitement épaulé par ses partenaires. La Sonate inachevée pour violon et piano de Saint-Saëns fait ensuite raisonner un ton plus badin, en une démonstration de virtuosité presque frivole, le tout mené par le piano de caractère d’Yves Henry. Avec Peter Schuhmayer, il s’amuse à nous faire entendre les premières mesures du second mouvement inachevé, habituellement écarté. Le concert se poursuit avec la Sonate pour alto et piano (1828) de Glinka, ici donnée dans sa version pour clarinette. Las, Isaac Rodriguez semble mal à l’aise tout du long, semble-t-il gêné par la moiteur qui règne dans le prieuré. Quelques problèmes de salive viennent voiler le son harmonieux de son instrument, aux sonorités moins généreuses que lors du concert de la veille. Dommage.

mercredi 7 août 2019

Les quatuors de Shanghai et Meta4 - Festival Pablo Casals à Prades - 05/08/2019


Paradis des randonneurs, la région de Prades est aussi le rendez-vous incontournable des amateurs de musique de chambre depuis que Pablo Casals y a fondé «son» festival en 1950. Le festival s’apprête donc à fêter ses 70 ans l’an prochain avec fière allure, et ce d’autant plus que Michel Lethiec continue de présider à la direction artistique avec son énergie et sa faconde coutumières. Les habitués connaissent bien sa malice autant que son érudition, qui réservent des moments privilégiés en ouverture de chaque concert, avec notamment ce programme original appelé «Envol de nuit», qui s’insère parfaitement dans la thématique du rêve promue cette année par Michel Lethiec.

Haut lieu du tourisme local, l’abbaye de Saint-Michel de Cuxà accueille depuis plusieurs années la grande majorité des concerts: on ne se lasse pas d’admirer au coucher du soleil le granit rose du cloître (dont une partie reste visible au fameux musée des cloîtres de New York), avant de pénétrer dans la large nef, à l’excellente acoustique. Le concert débute avec l’un des plus fameux chefs-d’œuvre de la maturité de Haydn, le Quatuor «L’Alouette» (1791). D’emblée, le Quatuor de Shanghai fait valoir son goût pour une expression des couleurs harmonieuse et sensible, admirablement conduite par le premier violon sûr de Weigang Li, qui ne cherche jamais à tirer la couverture à lui. La musicalité qui se dégage de l’ensemble bénéficie des détails piquants mis en valeur par chaque soliste, tout particulièrement le violoncelle poétique de Nicholas Tzavaras. Le mouvement lent fait valoir plus encore la subtilité des phrasés et le sens des nuances, avant un finale rapidissime qui démontre toute la dextérité de la formation, sans jamais chercher le «gros son».


le Quatuor de Shanghai
Après cette mise en bouche raffinée, place au non moins délicat «Ainsi la nuit» (1977) de Dutilleux qui donne à entendre le Quatuor Meta4, tout droit venu de Finlande. Changement radical de style avec une interprétation debout (hormis le violoncelle), plus physique et engagée. L’écoute réciproque donne une intensité expressive stimulante aux sept sections qui composent cet unique quatuor du maître français, donnant une impression de circulation naturelle des motifs entre les instruments. Les brefs crescendos et accélérations virevoltent en un ton léger et aérien, au service d’une interprétation narrative d’une précision d’horloger. La raréfaction du tissu musical, comme le jeu sur les sonorités suraiguës des instruments, apportent une touche d’étrangeté tel un cauchemar éveillé, avant de s’éteindre sous les applaudissements du public, conquis. Voilà certainement l’ensemble le plus stimulant entendu pendant ces deux jours à Prades: nous allons le suivre de très prêt à l’avenir, en concert comme au disque.

On retombe quelque peu des cimes après l’entracte avec la plus sévère Petite musique nocturne (1954) de Dallapiccola, qui donne à entendre des jeux de timbres en écho dans le style dodécaphonique de l’après-guerre. Si on ne comprend guère l’intérêt d’exhumer cette œuvre dispensable, peut-être est-ce dû à l’interprétation moyenne des solistes réunis, avec un premier violon et un hautbois peu concernés, et un clarinettiste et un flûtiste autrement plus impliqués. La jeune chef réquisitionnée pour diriger tout ce petit monde, Katharina Dickopf, n’y peut rien: la mayonnaise ne prend pas. Fort heureusement, on retrouve ensuite l’un des plus beaux trios de Beethoven pour conclure la soirée, celui dit «des esprits» (1808). Le jeune Jérémy Garbarg, révélation classique de l’Adami en 2019, remplace Torleif Thedéen avec un aplomb qui grandit tout au long de sa prestation, où ses nombreux échanges de regards avec le violon nerveux d’Ulf Wallin apportent des confrontations stimulantes. Si son aîné opte pour des phrasés percutants, au détriment parfois du «beau son», Garbarg préfère mettre en avant un violoncelle volontiers épanoui et brillant, tandis que le piano véloce de Xénia Maliarevitch fait merveille dans les verticalités, tout en manquant d’imagination dans les parties apaisées.

dimanche 4 août 2019

« La Sérénade royale de la Galerie des glaces » - Château de Versailles - 03/08/2019


Vous n’avez pas le temps de prévoir une visite approfondie du château de Versailles avant d’assister aux «Grandes eaux nocturnes» dans les jardins? En ce cas, il est possible d’assister à une déambulation musicale d’environ 40 minutes dans les plus belles pièces du palais, où se mêlent de courts spectacles de chant, danse et escrime, le tout en costumes d’époque. Si l’on peut regretter le nombre trop important de spectateurs (200 environ!) réunis pour chaque session, l’ensemble est suffisamment bien construit pour s’enchaîner sans temps mort, de l’introduction avec un comédien dans le salon d’Hercule jusqu’à la truculente passe d’armes (sur fond de guerre des sexes) dans la splendide Cour de marbre en fin de visite. Entre les deux, on regrettera que la soprano (dont le nom ne nous a pas été communiqué) accompagnée du luth, ne soigne pas davantage sa diction, si essentielle dans le répertoire français. Le point d’orgue est atteint dans la Galerie des glaces, où quatre musiciens de bon niveau nous régalent de l’excellente acoustique des lieux, accompagnés des danseurs. Ces derniers se livrent à une joute charmante entre courtisans et Turcs, le tout avec de superbes costumes d’époque.

On l’aura compris, cette déambulation s’adresse à quelques spectateurs pressés, mais ne saurait remplacer une soirée musicale dans les lieux de prestige voisins – à la Chapelle royale ou à l’Opéra royal. C’est toutefois une introduction parfaite pour poursuivre la soirée dans les jardins et admirer les fontaines en eau, mises en valeur par un dispositif d’éclairages variés. Disons-le tout net: on ne s’attendait pas à éprouver un tel plaisir à redécouvrir les jardins ainsi, tant cet agrément semble désormais indissociable de la splendeur attribuée à l’ensemble. Au vue du nombre de visiteurs sur tout le site (6000: une «petite soirée» selon l’un des gardiens!), on pourra se contenter des seules fontaines recommandées et faire l’impasse sur certains bosquets. Quoi qu’il en soit, deux heures sont suffisantes pour faire un tour complet avant le feu d’artifice attendu pour clore la soirée. Tout au long du parcours, la visite est agrémentée de musique baroque enregistrée, diffusée par une sono de bonne qualité. Les meilleures versions ont bien évidemment été choisies, même si l’on note une propension à privilégier un répertoire festif et d’apparat, un rien redondant à la longue. Les tenants de la musique vivante pourront toujours opter pour les concerts en plein air organisés dans le parc du château en différentes occasions (voir notamment en 2015).