mercredi 30 août 2017

« Die römische Unruhe oder Die edelmütige Octavia » de Reinhard Keiser - Faculté de théologie à Innsbruck - 25/08/2017

On doit à l’infatigable curiosité de René Jacobs, alors directeur artistique du festival d’Innsbruck, d’avoir su remettre au goût du jour la musique de Reinhard Keiser (1674-1739) à l’occasion de l’édition remarquée, en 2000, d’un enregistrement de son opéra Croesus (Harmonia Mundi). L’actuel directeur du festival, Alessandro de Marchi, nous propose cette année La Généreuse Octavia (1705), l’un des huit opéras de Keiser encore conservés de nos jours, sur un total de plus de soixante-dix composés pendant sa longue carrière essentiellement hambourgeoise. Comme chaque année (voir notamment le Cesti donné en 2016), il revient à de jeunes interprètes, sur les planches comme à l’orchestre, de parfaire en public leur aptitude aux codes baroques dans le cadre idéal de la cour de la faculté de théologie, à l’acoustique très appréciable pour des conditions en plein air. Le surtitrage proposé en allemand permet aux germanophones de pleinement suivre l’action d’Octavia, singspiel écrit essentiellement dans la langue de Goethe – certains passages ayant recours à l’italien ou... au français.

Le défi pour ces jeunes pousses est à la hauteur de cet opéra écrit dans le style vénitien de Cavalli, mêlant le drame individuel d’Octavia avec moult complots et querelles politiques autour de son mari l’empereur Néron, tandis que les intrigues secondaires multiples – d’une truculence digne des comédies de Shakespeare – s’appuient sur les pas moins de onze interprètes réunis. On jugera aussi de l’importance de cet ouvrage aux conditions de sa création, Keiser ayant voulu répondre au Néron (malheureusement perdu) composé la même année par son rival Haendel: la musique, d’une inventivité constante, s’appuie ainsi sur une orchestration particulièrement riche (notamment les vents), tandis que les récitatifs assez courts s’enchainent harmonieusement avec de tout aussi brefs airs – ces derniers étant plus développés dans la seconde partie, globalement plus sombre de l’ouvrage.


La mise en scène de François de Carpentries, dont les habitués de l’Opéra de Tours pourront découvrir le savoir-faire en octobre prochain avec Rigoletto, met l’ensemble des interprètes au cœur de l’action grâce aux nombreux sous-textes ajoutés ici et là: les attitudes narquoises et les jeux de regard ajoutent beaucoup à l’opéra, tandis que tous les interprètes se retrouvent fréquemment sur scène alors même qu’ils ne chantent pas, comme s’ils jouaient à se moquer des aventures de Néron ici présentées. La constante manipulation des panneaux de décors à l’ancienne participe également de cette évocation simple mais efficace d’un jeu d’illusions commun.


L’autre grande satisfaction de la soirée vient avec le plateau vocal réuni, quasiment parfait. Si l’on peut oublier le pâle Piso de Camilo Delgado Diaz ou le Fabius maladroit d’Akinubo Ono, c’est le Néron impeccable d’articulation et de souplesse de Morgan Pearse, tout autant que de force de conviction, qui emporte l’adhésion générale. Suzanne Jerosme (Octavia) n’est pas en reste avec son aigu solaire et ses couleurs admirables, même si elle se montre un rien en dessous dans les récitatifs, avec un positionnement de voix parfois instable. Federica di Trapani (Flora, Ormoena) fait valoir sa petite voix agile, avec quelques manques de substance par endroit, mais c’est plus encore Yuval Oren qui s’impose dans son rôle de Livia à force de fraîcheur et d’excellence dans l’interprétation. Robyn Allegra Parton (Clelia) se distingue également par son timbre gracieux et son aisance aérienne, particulièrement notable dans l’aigu. On mentionnera encore les beaux graves de Paolo Marchini (Seneca), qui n’évite pas, cependant, quelques décalages avec l’orchestre.
Jörg Halubek
L’expérimenté Jörg Halubek (né en 1977) dirige du clavecin un excellent Barockensemble:Jung, toujours attentif à la respiration et à l’expression des couleurs de ce singspiel savoureux, pour le grand bonheur du public ravi à l’issue de la représentation.

mardi 29 août 2017

Concert de l'Akademie für Alte Musik Berlin - Isabelle Faust - Hofburg à Innsbruck - 23/08/2017

Isabelle Faust
On ne boude pas son plaisir, une fois encore, de rejoindre le superbe festival de musique baroque d’Innsbruck, organisé chaque année pendant la quasi-totalité du mois d’août dans les hauteurs de la capitale du Tyrol. C’est précisément dans le cadre prestigieux de la Hofburg, résidence impériale reconstruite par l’impératrice Marie-Thérèse en un style rococo assez sage, qu’a lieu l’un des concerts les plus attendus de cette édition: l’Académie de musique ancienne de Berlin y rend hommage aux Bach avec les forces de la violoniste allemande Isabelle Faust. Las, l’enthousiasme initial fait rapidement place à la déception, tant l’acoustique des lieux ne rend pas hommage à la qualité indiscutable de l’ensemble des interprètes réunis. La hauteur très importante du plafond explique sans aucun doute les résonnances multiples qui donnent à l’auditeur l’impression désagréable d’une bouillie sonore continue. Lors de votre venue au festival d’Innsbruck, il faudra donc résolument éviter de choisir un concert à la Hofburg afin de privilégier la salle espagnole du château d’Ambras ou encore celle du Théâtre du Land voisin.

On en veut aussi à Isabelle Faust de ne pas mieux s’adapter à ces contraintes périlleuses que tout interprète se doit de maîtriser: en adoptant un tempo métronomique et rapidissime, certes en phase avec son style et ses choix artistiques, elle n’aide pas l’auditeur à y trouver son compte. Restent les mouvements lents, où la respiration se fait un peu plus harmonieuse en limitant les effets négatifs de la résonance: le legato d’Isabelle Faust refuse tout sentimentalisme en une lecture qui évoque davantage le renoncement, s’appuyant sur une technique sûre qui évacue tout vibrato et toute virtuosité individuelle. On est souvent à la limite de la sécheresse interprétative, mais il n’en reste pas moins que la probité artistique impressionne tout du long.


Les affrontements rageurs entre pupitres de la Symphonie en si mineur de Carl Philip Emanuel Bach, composée en 1773, conviennent mieux à l’acoustique de la Hofburg, et ce d’autant que les attaques plus franches des interprètes berlinois permettent de bien identifier les ruptures. C’est donc là une lecture de caractère d’autant plus excitante et plaisante que le plaisir de jouer ensemble se lit sur les visages des interprètes, très en forme. Le bis emprunté à Vivaldi permet quant à lui de mettre en avant le premier violoncelle engagé de Kathrin Sutor, avant que les interprètes ne reçoivent une ovation à la hauteur de leur réputation.

dimanche 20 août 2017

L’Orchestre d’Auvergne et L’Escadron Volant de la Reine - Festival Bach en Combrailles - 12/08/2017

Organisé chaque année la deuxième semaine du mois d’août, le festival Bach en Combrailles est né en 1999 de la passion dévorante de son fondateur Jean-Marc Thiallier, aujourd’hui disparu, pour la musique de Jean-Sébastien Bach. Cet ancien vétérinaire a laissé une empreinte encore très marquante aujourd’hui dans l’esprit des habitants de Pontaumur, tous largement actifs afin de perpétuer le rêve de son fondateur dans la charmante région des Combrailles, située au nord-ouest de Clermont-Ferrand. Qui, en effet, pouvait imaginer qu’un village de seulement 700 âmes se doterait de la réplique exacte de l’orgue d’Arnstadt en Thuringe (où Bach fut organiste entre 1703 et 1707)? Ce projet inouï accompli en 2003, le festival pouvait dès lors se déployer d’année en année pour atteindre, désormais, une semaine entière de concerts.

Pour cette édition 2017, la dernière journée du festival se déroule en deux temps, tout d’abord à Châtel-Guyon avec les forces de l’Orchestre d’Auvergne, avant la traditionnelle clôture à Pontaumur en soirée, avec les jeunes troupes de Lionel Sow. On découvre d’abord la belle station thermale de Châtel-Guyon, dans les hauteurs de Riom, dotée d’un petit théâtre de 450 places construit au début du XXe siècle. Rénové récemment, ce théâtre à l’italienne attenant au casino possède une bonne acoustique, dont s’empare un Orchestre d’Auvergne manifestement en forme. Las, la direction en noir et blanc du chef d’orchestre et violoniste français Guillaume Chilemme (né en 1987) s’oriente vers une parfaite mise en place et des tempi allants, mais s’en tient à une lecture uniforme et raide, fatale à la fantaisie des œuvres descriptive et populaire de Telemann ici proposées. Habitué du festival de Pâques de Deauville et passionné de musique de chambre, Chilemme s’avère heureusement plus en phase avec le classicisme de Rameau ou l’énergie de Carl Philipp Emanuel Bach, mais déçoit en tant que soliste dans l’oubliable Premier Concerto pour violon de Mendelssohn – une œuvre de jeunesse composée en 1822, à seulement 13 ans. Trop appliqué et terne, il peine à convaincre, y compris dans son bis dédié à Bach, beaucoup trop marmoréen.

Lionel Sow
Changement de décor en soirée dans la belle église de Pontaumur et son écrin de verdure qui surplombe la ville: c’est là que les jeunes troupes réunies pour le festival par Lionel Sow, chef du Chœur de l’Orchestre de Paris depuis 2011, nous donnent l’un des plus beaux concerts entendu cet été. Autour d’un effectif réduit à huit cordes, vents et percussions, les seize chanteurs répartis en quatre groupes de voix se distinguent individuellement dans les différents solos des deux cantates de Bach proposées, bien aidés par l’engagement et la ferveur de Lionel Sow, toujours très agréable à regarder tant le chef français prend visiblement plaisir à diriger et à donner le meilleur avec ses troupes. Avec une précision millimétrée, Sow impressionne dans la construction des crescendos, magnifiquement étagés, tout en mettant en valeur la scansion entêtante des bois dans la Cantate BWV 46, plus joyeuse que la précédente, par des pianissimi inattendus. On louera également les qualités d’articulation de l’ensemble, tout autant que la qualité globale des solos. La seconde partie du concert fait place à l’interprétation superbe de la Passacaille de Jean-Sébastien Bach à l’orgue, où Olivier Houette, titulaire de l’orgue de la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers, se distingue par sa maîtrise et ses variations subtiles. Retour ensuite à l’éclat vocal avec le Te Deum de Charpentier, entonné en un rythme assez vif, au rebond lumineux. En bis, le dernier choral du Te Deum est repris avec le même entrain communicatif, pour le plus grand bonheur des festivaliers.

samedi 19 août 2017

Musique de chambre - Festival Pablo Casals de Prades - 09/08/2017

Michel Lethiec
Comme la veille, les concerts de la journée se déroulent sous la houlette de Michel Lethiec, attentif à présenter chaque programme en début de représentation: c’est là le fruit d’une passion sincère pour la musique de chambre, sans cesse partagée avec un public fidèle. Le tout premier concert prend place dans l’intimité du salon du Grand Hôtel de Molitg-les-Bains, établissement dédié aux cures thermales où Pablo Casals organisa jadis des concerts. Si les lieux ont été manifestement modernisés en un style passe-partout depuis cette époque glorieuse, la proximité avec les artistes est ici appréciable, tant elle invite à une écoute attentive. Pour autant, le programme appelé malicieusement «Forfait beauté» ne réserve que peu de découvertes réellement intéressantes. On pense ainsi à l’adaptation décevante des extraits les plus fameux de Don Giovanni qui donne la part belle au premier violon – les trois autres comparses étant réduits à faire de la figuration. C’est d’autant plus regrettable que Peter Schuhmayer apparaît un peu en retrait, sans doute fatigué par l’accumulation des concerts à Prades (voir par exemple la veille) – le dernier avant le retour du Quatuor Artis à Vienne. On passera également sur le Wedding cake, qui ne montre pas Saint-Saëns à son meilleur, pour mettre en avant le violon ardent de Ju-Young Baek dans les autres petites pièces du programme, même si on pourra parfois lui reprocher un certain détachement au niveau interprétatif. La pianiste française Xénia Maliarevitch montre quant à elle davantage de sensibilité, en solo comme dans l’accompagnement.

Florian Uhlig
Le concert en soirée propose des œuvres autrement plus ambitieuses autour d’un programme original qui regroupe la Sonate pour violon et piano de Pablo Casals ainsi que les deux œuvres de Mozart et Schubert présentées par le Catalan lors du tout premier festival de Puerto Rico en 1957. C’est là qu’il s’installa à la fin de sa vie, tout en continuant à se produire à Prades lors du festival annuel. On passera rapidement sur le Second Quatuor avec piano de Mozart, pièce mineure, pour se concentrer sur la belle Sonate de Casals, une œuvre certes tournée vers le passé mais qui, par son ampleur et la diversité de ses thèmes, séduit tout du long. Dommage que le déséquilibre acoustique désavantage à ce point le piano élégant d’Yves Henry, mettant particulièrement en avant le violon conquérant de Philippe Graffin, pas exempt d’imprécisions techniques, mais d’une belle générosité dans l’élan et les couleurs déployés. Trois interprètes superbes concluent la représentation avec le Second Trio avec piano de Schubert, chef-d’œuvre bien connu du compositeur qui trouve là une interprétation proche de l’idéal, assez vive et exaltée, dont on aimerait seulement davantage de fragilité dans les premières notes en clair-obscur. Malgré un violon parfois un rien trop linéaire, Hagai Shaham se montre d’une précision redoutable, tandis qu’Ivan Monighetti déploie de superbes couleurs au violoncelle, bien épaulé par l’autorité et la variété de phrasés de Florian Uhlig – le pianiste le plus intéressant entendu ces deux jours à Prades.

vendredi 18 août 2017

Musique de chambre - Festival Pablo Casals de Prades - 08/08/2017

Rien ne saurait mieux résumer l’état d’esprit qui règne habituellement au festival Pablo Casals de Prades que le concert surprise organisé cette année en un de ces lieux insolites dont Michel Lethiec a le secret. Avec humour et fantaisie, le directeur artistique du festival et éminent clarinettiste n’a pas son pareil pour réunir autour de lui une pléiade de musiciens aussi talentueux que sympathiques, tous conviés à une heure de plaisanterie musicale avec le public. Rendez-vous est d’abord pris devant l’église Saint-Pierre de Prades avec une cinquantaine de curieux, avides de deviner où on va les conduire, avant qu’une brève pérégrination à travers les rues de la sous-préfecture des Pyrénées-Orientales ne les mène dans les jardins ombragés d’un hôtel jadis prestigieux. C’est là, nous apprend Michel Lethiec, que Pablo Casals se réunissait avec l’ensemble des organisateurs et bénévoles pour conduire aux destinées du festival de musique de chambre.

Aujourd’hui, le programme fait la part belle à de courtes pièces savoureuses et précédées d’anecdotes malicieuses, tel ce récit de Patrick Gallois affrontant le vent dantesque du Théâtre antique à Orange voilà quelques années. Michel Lethiec ne résiste pas à quelques blagues plus ou moins heureuses, avant de nous embarquer dans un improbable solo réalisé avec un tuyau d’évacuation des eaux de machine à laver! Performance hilarante qu’il réalisera quelques jours plus tard pendant les répétitions d’un concert, mettant à rude épreuve la patience de l’accordeur du piano, incapable de faire son travail dans ces conditions... Le concert surprise sait aussi retrouver son sérieux avec les raffinements chopiniens au piano, tandis que les variations sur le thème Happy birthday ravissent l’assistance. Mais c’est sans doute le final d’improvisations klezmer avec neuf clarinettistes qui impressionne le public par son ostinato hypnotique: pendant près de quinze minutes, les différents solistes se distinguent individuellement à tour de rôle, jusqu’à Michel Lethiec lui-même. Les habitués auront reconnu parmi eux son propre petit-fils, bien parti pour assurer la relève de son aîné.



Quatuor Artis
Fallait-il ce moment de détente et de plaisir partagés pour affronter ce monument de la musique de chambre qu’est le Quatuor pour la fin du Temps de Messiaen, donné en soirée à l’abbaye Saint-Michel de Cuxà? C’est la l’une des questions que l’on se pose à l’issue du concert où Michel Lethiec semble manifestement très ému, comme un hommage rendu en ce vingt-cinquième anniversaire de la disparition du compositeur. Avec ses trois comparses, il se joue aisément des passages tour à tour tourmentés et volontiers statiques, tandis que les trois solos parfaitement maîtrisés, d’une douleur intériorisée, rendent plus poignante encore cette œuvre majeure de Messiaen. Plus tôt dans la soirée, la mise en bouche assez brève dédiée au Prélude et Fugue n° 3 de Mozart d’après Jean-Sébastien Bach, avait permis de faire valoir une clarté sereine, avant que le Quatuor Artis ne nous régale de son sens de l’engagement et du caractère dans le magnifique Quatuor «Lever de soleil» de Haydn. Sans aucun vibrato, les quatre interprètes (récemment remarqués au disque dans un très beau programme) font valoir leurs attaques tranchantes et vives au service d’une lecture d’une grande lisibilité, toujours probe. A peine pourra-t-on leur reprocher une certaine raideur ici et là, mais ce n’est là qu’un détail à ce niveau interprétatif superlatif.

mardi 15 août 2017

« Madama Butterfly » de Giacomo Puccini - Ermonela Jaho - Festival de Peralada - 07/08/2017


Disons-le tout net: le spectacle réglé par Johan Anton Rechi ne restera pas dans les annales, et ce malgré l’idée initiale intéressante mais finalement trop intellectuelle de transposer l’action de l’opéra avant et après le bombardement nucléaire funeste de Nagasaki. Le metteur en scène andorran peine en effet à dépasser le statisme imposée par la scénographie unique pendant toute la représentation: un vaste temple emblématique de l’architecture officielle américaine emplit ainsi la scène pendant tout le premier acte, avant que les suivants ne dévoilent les colonnes désormais brisées comme un symbole des conflits perdus, tout autant que des blessures psychologiques de l’héroïne. On peut aussi voir ce temple renversé comme annonciateur d’un tombeau pour Butterfly, mais ces suggestions visuelles ne résistent pas à la durée de la représentation, tant les personnages semblent livrés à eux-mêmes au niveau interprétatif. Restent des costumes années 1940-1950 de toute beauté qui, exception faite de Butterfly, s’éloignent du folklore japonisant habituel, tandis que les éclairages stylisés et variés se distinguent dans cette mise en scène en fin de compte très classique.


Incontestable spécialiste du rôle-titre qu’elle a interprété à travers le monde, Ermonela Jaho fait étalage d’une grande classe vocale à force de couleurs et de pianissimi de rêve, même si on la préférera en pleine voix, là où les dialogues en parlé-chanté montrent un chant moins souple que ses partenaires masculins. Manifestement peu ou mal dirigée, la soprano albanaise agace aussi à plusieurs reprises en poussant outre mesure l’opéra vers le mélodrame, sans parler des applaudissements conclusifs où elle surjoue l’émotion face à l’engouement du public. Rien de tel avec Bryan Hymel, qui donne à son Pinkerton une prestance un rien pataude mais heureusement compensée par un investissement vocal harmonieux et naturel, et ce malgré une émission étroite. Ses phrasés homogènes assurent une grande maîtrise du rôle, tandis que le Sharpless de Carlos Alvarez s’en sort bien également malgré une tessiture peu marquée dans les graves et une puissance moindre par rapport à ses partenaires. Régional de l’étape, il reçoit cependant une ovation du public, là où Hymel doit se contenter du minimum requis. On mentionnera également une Gemma Coma-Alabert (Suzuki) convaincante mais peu en phase avec Jaho dans le duo des fleurs, tandis que le Chœur du Liceu démontre une nouvelle fois ses qualités de cohésion. Enfin, le chef israélien Dan Ettinger tire le meilleur de l’Orchestre symphonique de Bilbao, lançant le drame en des tempi assez vifs, avant de suspendre son attention aux déchirements de l’héroïne.


Malgré une mise en scène décevante, on ne boudera pas le plaisir de cette belle soirée vocale en plein air dans le parc du château de Peralada, baignée des caquètements insolites des cigognes qui y ont trouvé refuge pour l’été. Créée en début d’année à l’Opéra de Duisbourg dans la Ruhr, cette nouvelle production de Madame Butterfly sera reprise à l’automne à Düsseldorf, puis en début d’année prochaine à nouveau à Duisbourg, avec un plateau vocal différent de Peralada.

lundi 14 août 2017

Récital de Gregory Kunde et José Ramón Martín - Festival de Peralada - 06/08/2017


Après le récital relativement décevant donné la veille en l’église du Carme, place cette fois au ténor américain Gregory Kunde (né en 1954), assez rare en France malgré une longue carrière entamée à la fin des années 1970. Sa prestation dans Les Huguenots à Strasbourg remontant à cinq ans déjà, il faut dès lors voyager en dehors de l’Hexagone ou se contenter du DVD (voir notamment Roberto Devereux et Norma) pour apprécier l’art de ce vétéran au timbre toujours éclatant malgré les années passées.


C’est en effet à une véritable leçon de chant qu’il nous est donné d’assister avec cette alternance d’airs d’opéra et de concert, accompagnés par le pianiste José Ramón Martín (né en 1983), originaire de Valence. Contrairement à la veille, on regrette que des morceaux en solo ne lui permettent pas de faire valoir ses qualités individuelles en dehors de l’accompagnement: cela aurait été d’autant plus appréciable que ces quelques intermèdes auraient offert l’occasion à Gregory Kunde de se reposer, évitant ainsi de tronquer la dernière partie de l’air «Asile héréditaire» du Guillaume Tell de Rossini ou de proposer deux bis complaisants, les chansons What a wonderful world et My way.


On a donc là visiblement un chanteur soucieux de se préserver, mais qui parvient à faire l’étalage de la beauté de son timbre, autour de phrasés harmonieux, souple et naturel qui ne donnent jamais l’impression d’un effort technique. C’est plus marquant encore dans les airs virtuoses, tel Vanne, o rosa fortunate de Bellini, que Kunde affronte avec un engagement d’une puissance vocale insolente. Quelle tenue de note, aussi, dans ces morceaux de bravoure qui donnent le frisson! On pourra évidemment reprocher au ténor américain une certaine uniformité dans cette volonté d’éclat qui manque de couleurs à certains endroits. Pour autant, Kunde emporte l’adhésion par la force brute de son chant de caractère, généreux et revigorant: assurément un interprète qui ne laisse personne indifférent.

dimanche 13 août 2017

Récital de Julia Lezhneva et Mikhail Antonenko - Festival de Peralada - 05/08/2017


Situé à quelques dix minutes en voiture de Figueres, le village de Peralada attire chaque année de nombreux touristes charmés par la rénovation parfaite des vieilles bâtisses de son centre médiéval, tout autant que le parc splendide autour de son «château». Il s’agit en réalité d’un ancien couvent réhabilité par son riche propriétaire au siècle dernier, avant que l’implantation voisine d’un casino n’attire une clientèle fortunée dans ces lieux d’exception. Le festival de Peralada s’y épanouit chaque année depuis trente-et-un ans autour d’une programmation éclectique, astucieusement centrée pendant plusieurs jours sur la musique classique. C’est aujourd’hui l’un des rares festivals espagnols capable d’attirer des noms aussi prestigieux que ceux de Jonas Kaufmann, Klaus Florian Vogt en 2015 ou encore Bryan Hymel en 2016.


L’affiche proposée cet été ne fait pas exception avec les récitals de Pretty Yende, Julia Lezhneva et Gregory Kunde, tandis que Bryan Hymel fait son retour avec rien moins qu’Ermonela Jaho dans une Butterfly très attendue en version scénique. Le premier coup de cœur du festival vient avec la découverte de la splendide église du Carme, qui semble avoir été construite tout récemment tant son état général harmonieux respire le neuf: il s’agit pourtant d’un bâtiment du XIVe siècle, rénové au XIXe, dont on admirera particulièrement le plafond à caissons de style gothique-mauresque. Les récitals prennent place traditionnellement dans cet écrin à l’acoustique correcte sans être exceptionnelle: il faudra privilégier un placement au plus près des interprètes pour éviter le déséquilibre entre voix et piano – ce dernier manquant de détails.


Cet écueil est particulièrement audible dans le récital de Julia Lezhneva (née en 1989), où l’accompagnement de Mikhail Antonenko manque souvent de vigueur pour donner le change à sa compatriote. Le pianiste fait pourtant étalage d’une véritable sensibilité dans ses passages solos, que ce soient dans son Schubert félin, vif et racé, ou dans la Sinfonia de Bach au touché léger et sautillant. Plus en retrait dans l’accompagnement, il laisse à Lezhneva la possibilité d’exprimer tout l’éclat de sa virtuosité, de la souplesse des transitions entre les registres aux vocalises rapidissimes, sans parler des nuances pianissimo admirablement maîtrisées. On s’en tiendra cependant à un seul plaisir vocal tant la soprano russe semble n’avoir que faire du texte, sans parler des problèmes de style dans les répertoires baroque et classique. Ses Vivaldi et Händel déçoivent ainsi par leurs attaques molles, tandis que son Porpora élégant se tourne vers un romantisme anachronique. Son Mozart, quant à lui, manque d’agilité dans les accélérations pour se réfugier dans un tempo lent au sentimentalisme guimauve.


Après l’entracte, les phrasés introspectifs des lieder de Schubert lui conviennent mieux, tant la voix a le temps de s’épanouir des tréfonds pour parvenir à l’intensité du timbre tenu. Son interprétation de Rossini se montre plus discutable, inégale dans La regata veneziana et au tempo trop marmoréen dans son air de La Dame du lac, même si elle fait la preuve d’une puissance peu commune pour un aussi petit bout de femme. En bis, Lezhneva interprète un air extrait de son dernier disque, dédié à Carl Heinrich Graun, puis un Alleluia de Porpora et Les Marguerites de Rachmaninov. Si une grande partie du public, manifestement conquis par sa virtuosité, lui réserve des applaudissements chaleureux, on ne pourra s’empêcher de regretter le peu de place accordé au sens, indispensable pour aller au-delà du seul étalage d’une technique vocale, aussi brillante soit-elle.

mercredi 2 août 2017

Concerts du Collegium Musicum de La Haye et de Musica Poetica - Festival Itinéraire baroque en Périgord vert - 28/07/2017

Eglise Saint-Cybard de Cercles
Prélude à la journée d’itinérance musicale, les festivités baroques de Cercles se tiennent en un même lieu, dans la très belle église fortifiée de la ville adossée à son ancien cimetière aux allures romantiques avec ses tombes abandonnées et ses arbres vénérables. Sur la place de l’église, plusieurs producteurs locaux proposent des mets artisanaux variés – des cannelés aux glaces délicieuses, en passant par des produits à base de safran. De nombreuses tables ombragées permettent de se restaurer sur place, avec ses propres victuailles ou en bénéficiant des services d’un traiteur de qualité: l’ambiance est résolument décontractée et chaleureuse entre les concerts. Le premier d’entre eux permet de découvrir le Collegium Musicum de La Haye (anciennement Collegia Musica), certainement la plus belle satisfaction musicale du festival. A l’instar de la plupart des artistes invités par le festival, cet ensemble fondé en 2006 regroupe des anciens élèves de Ton Koopman: c’est donc la fine fleur de l’école néerlandaise qu’il nous est donné d’entendre chaque année dans le Périgord, attirant les nombreux étrangers présents dans le public, venus des Pays-Bas bien sûr mais également d’Angleterre.

Si les concerts de Ton Koopman se sont attachés à confronter les figures de Bach et Telemann (1681-1767), c’est cette fois Vivaldi qui se retrouve mis en perspective avec le natif de Magdebourg, dont on célèbre cette année le deux-cent-cinquantième anniversaire de la mort. Si le violoncelle très expressif de Rebecca Rosen se détache dans le Concerto à quatre de Telemann, le basson coloré de Tomasz Wesolowski n’est pas en reste dans les concertos de Vivaldi. Le rebond rythmique impulsé par les attaques sèches virevolte à travers tout l’ensemble en un élan véritablement symphonique, mettant en valeur un Vivaldi tour à tour enjoué, extraverti et optimiste. On retiendra le superbe Largo du Concerto en ré majeur, qui rappelle par son statisme mystérieux certaines pages de L’Eté des Quatre Saisons. Telemann n’est pas en reste avec la mise en valeur d’une magnifique Sonate en trio qui fait la belle à la flûte de caractère d’Inês d’Avena, tandis que le Vivace voit les instrumentistes s’affronter et se répondre en écho. Assurément un ensemble à suivre tant son élan et sa force de caractère s’avèrent réjouissants.


Le dernier concert de la journée apparaît un peu plus décevant en comparaison, du fait de plusieurs difficultés techniques individuelles qui apparaissent en maints endroits. C’est d’autant plus regrettable que l’ensemble Musica Poetica bénéficie de la direction passionnante et imprévisible de Jörn Boysen: la construction des crescendos, tout autant que les nuances contrastées avec des accents marqués, révèlent un chef inspiré et excellent accompagnateur par ailleurs. L’Allemand dirige du clavecin sans jamais prendre le pouvoir comme la veille avec Ton Koopman, bénéficiant d’un atout non négligeable en la personne de l’alto Maarten Engeltjes, véritable rayon de soleil dans ses deux airs dévolus à Haendel. Habitué des lieux, le Néerlandais fait l’étalage d’un timbre pur, à l’émission harmonieuse, au bénéfice d’un don réel pour l’expressivité. Les quelques limites rencontrées dans la puissance devraient l’orienter vers des rôles non virtuoses, afin de lui permettre de conserver ses qualités, vivement applaudies à l’issue du concert. En bis, la célèbre aria de Xerxès «Ombra mai fu» achève de convaincre le public debout, manifestement ravi de la soirée.

mardi 1 août 2017

Concerts de Ton Koopman - Festival Itinéraire baroque en Périgord vert - 27 et 30/07/2017


Créé voilà seize ans sous l’initiative du claveciniste et chef d’orchestre Ton Koopman, le festival Itinéraire baroque en Périgord vert a peu à peu étendu son programme sur quatre jours autour du fameux temps fort de la journée d’itinérance consacrée à des joutes musicales associées à la découverte du riche patrimoine local. Outre la journée de concerts dans la belle église fortifiée de Cercles, agrémentée de son marché de produits locaux de qualité spécialement implanté pour l’occasion, la soirée d’ouverture et le concert de clôture se tournent vers des formes symphoniques et chorales de grande ampleur, sous la baguette de Ton Koopman. Titulaire du label «Telemann 2017», le festival rend hommage, en cette année qui marque le deux-cent-cinquantième anniversaire de sa mort, à Georg Philip Telemann (1681-1767), plus célèbre compositeur de son temps, en tournant entièrement sa programmation vers le natif de Magdebourg. Outre les concerts, on notera les nombreuses actions pédagogiques organisées tout au long de l’année avec plus de 500 élèves du département, tout autant que la conférence de Gilles Cantagrel (auteur d’un Telemann paru en 2003 aux éditions Papillon), dont l’érudition et les anecdotes savoureuses permettent de bien saisir l’apport de Telemann au sein d’une génération d’exception – Vivaldi, Haendel ou Bach, pour ne citer que ses plus brillants contemporains.

La première soirée se déroule dans l’église de Cercles, à l’acoustique satisfaisante dès lors que l’on se retrouve face aux interprètes. Il en va malheureusement autrement s’agissant d’un placement de côté et plus encore en arrière-scène, lieux à proscrire résolument pour qui veut profiter au mieux des concerts organisés chaque année en cette église Saint-Cybard. Le programme confronte opportunément les figures de Bach et Telemann, auquel s’adjoint la présence fugace de Purcell et sa fameuse Chaconne de l’opéra Le Roi Arthur (1691). Ton Koopman dirige du clavecin pendant toute la soirée en privilégiant une vision franche et virile, très homogène, au détriment du détail et de la respiration. Ses tempi s’enflamment dans les mouvements rapides pour s’apaiser dans les passages plus lents en une vision malheureusement trop uniforme et sans surprise. Si le rôle concertant des flûtes est souvent minoré, c’est à l’avantage du clavecin, envahissant en bien des endroits au risque de déséquilibrer l’ensemble. On a donc là une vision qui met nettement en avant Koopman, très en forme pendant toute la soirée – contrairement à la soprano Bettina Pahn, souffrante, dans l’oubliable Cantate du canari de Telemann. En bis, le Néerlandais reprend avec la même verve le dernier mouvement du Concerto pour flûte traversière et flûte à bec en mi mineur, chef d’œuvre de Telemann du même niveau que les autres concertos pour vents jadis enregistrés par l’excellent Reinhard Goebel (Archiv Produktion, 1987, réédité dans un coffret intégral en 2016).

Ton Koopman
Comme à l’habitude, le concert de clôture se tient à quelques encablures de Périgueux, dans la charmante ville de Saint-Astier. C’est l’église du même nom, d’une capacité de 500 places environ, qui accueille le programme superbe réunissant à nouveau Bach et Telemann. Pour autant, on s’interroge d’emblée sur le choix d’un lieu de concert aux limites acoustiques évidentes dans la vaste nef: une véritable bouillie sonore annihile la perception du moindre détail, tandis que les solistes semblent chanter en sourdine. Après l’entracte, il s’avère ainsi impératif de changer de place pour rejoindre les officiels et happy few placés au niveau du bras du transept: le seul endroit de l’église où l’acoustique soit en réalité satisfaisante. Une centaine de personnes seulement ont ainsi la chance de pouvoir assister au concert dans de bonnes conditions, les autres devant se contenter de la bouillie susmentionnée: avant d’assister à un concert à Saint-Astier, pensez donc à bien choisir votre place!

On passera donc rapidement sur la première partie inaudible du concert, dont le seul motif de satisfaction ironique était d’entendre au loin la pauvre Bettina Pahn, toujours souffrante. Avec Cornelia Samuelis qui la remplace après l’entracte, le chant harmonieux reprend ses droits autour d’une émission souple et ductile, véritable enchantement lors de ses interventions. Mais c’est plus encore le baryton-basse Andreas Wolf qui imprime sa marque par son autorité naturelle, servie par une diction éloquente et exemplaire. Assurément un chanteur à suivre. On se félicitera également de la précision redoutable de l’excellent chœur baroque d’Amsterdam, tandis que Ton Koopman poursuit dans sa veine chaleureuse, un rien trop uniforme par endroit. En bis, le chef néerlandais reprend le choral introductif de la Cantate «Eine feste Burg ist unser Gott».