jeudi 25 décembre 2014

« La Chauve-Souris » de Johann Strauss fils - Opéra Comique - 23/12/2014


Alors que l’Opéra-Comique fête cette année ses trois cents d’existence, la vénérable institution ouvre sa saison sur un feu d’artifice de bonne humeur qui n’est pas sans rappeler la délicieuse Ciboulette mise en scène l’an passé par Michel Fau. Avec Strauss, le même état d’esprit domine: il s’agit de divertir, en multipliant les clins d’œil et les références musicales pour le plus grand plaisir des amateurs comme des initiés. Outre Manuel Valls, présent lors de la première dimanche, le Tout-Paris semblait s’être donné rendez-vous mardi soir autour des chefs d’orchestre Jordi Savall, Raphaël Pichon ou Jean-Claude Casadesus. La présence du maestro bien connu des Lillois n’a rien de surprenant, lui qui fut le tout dernier à diriger en 1969 – en tant que jeune chef assistant à l’Opéra-Comique – la version française de La Chauve-Souris.

Car c’est bien là le pari audacieux réalisé par l’équipe de Marc Minkowski: oser jouer une opérette de Strauss dans une adaptation entièrement revue et modernisée, en imposant la langue de Molière aussi bien pour les parties parlées que chantées. Cet été, les enregistrements réunis par José Pons dans le très beau coffret L’Opéra de Paris, une histoire sonore (1900-1960) rappelaient opportunément combien la longue tradition des versions françaises avait été balayée par l’avènement de l’urtext – le retour aux partitions originales. Le rigorisme d’alors – «Au Français, on joue français» pouvait-on entendre à la Comédie-Française – a fait place à un autre, plus insidieux dans son auto-contrainte. S’il n’est évidemment pas question de revenir aujourd’hui sur ces acquis, peut-être est-il temps de montrer davantage de souplesse pour laisser émerger des projets tels que cette Chauve-Souris savoureuse? Qui osera le français en dehors d’une opérette?


Parmi les changements notables, le rôle du ténor Alfred, soupirant de Rosalinde, s’enrichit d’une veine comique en chantant régulièrement des coulisses, et ce pour le plus grand malheur de ses congénères! Un gag à la manière de l’insupportable barde Assurancetourix dans la bande dessinée. Outre la suppression de la première entrevue d’Alfred avec Rosalinde, on pourra noter la modification d’identité de Gabriel von Eisenstein et du directeur de prison, lors du bal, se faisant tous les deux passer pour des Italiens. Les imposteurs s’en donnent à cœur joie pour rivaliser de bons mots aux accents transalpins, dans une joute désopilante. Autre changement de taille avec un Prince Orlofsky interprété par un contre-ténor en lieu et place de la traditionnelle mezzo. Grimé en nouveau riche aux faux airs de Kim Jong-un – en résonnance avec l’actualité récente – ce personnage devient plus ridicule que jamais avec sa voix fluette aux constants déraillements.


Voulant sans doute ne pas trop charger la barque face à l’importance de ces modifications, la mise en scène d’Ivan Alexandre se montre assez classique, sinon sage dans ses habits contemporains très neutres, tout en choisissant une scénographie sobre et fonctionnelle. Il est vrai contrainte par l’exiguïté de la scène de l’Opéra-Comique, cette adaptation qui ne cherche pas le second degré respecte les lieux de l’action en nous embarquant dans le quotidien des époux Eisenstein, du bal d’Orlofsky à la prison, mais sans rien apporter de plus. Ivan Alexandre préfère se concentrer sur la direction d’acteurs, très boulevardière avec ses déshabillés, ses quiproquos et autres mines déconfites. Rien d’indigne bien sûr mais on attendait davantage que cette gentille pochade.


Fort heureusement, le plateau vocal réuni par cette production balaye toutes ces réserves mineures. Place tout d’abord à l’impériale Sabine Devieilhe, immensément applaudie à l’issue de la représentation, tant pour son énergie communicative sur scène que son brio lyrique. Agilité impressionnante, aisance dans l’aigu ou timbre charmeur, on ne tarit plus d’éloge sur cette jeune soprano colorature. A ses côtés, Stéphane Degout convainc pleinement lui aussi avec sa profondeur d’émission et sa projection idéale. Il se sort bien aussi des parties théâtrales, bien épaulé par un impeccable Franck Leguérinel, à la mine sévère avec ses faux airs de Fritz Reiner, dont on aurait aimé cependant un tout petit peu plus de noirceur pour son rôle trouble de Franck. Chiara Skerath imprime à sa Rosalinde un tempérament de feu, très précise dans la diction, agile dans les vocalises, mais parfois dépassée dans les accélérations.


Il est vrai que le tempo très vif imposé par Marc Minkowski, au rebond rythmique jubilatoire, offre beaucoup de caractère à l’œuvre mais n’aide pas toujours ses chanteurs. Aucun problème de ce côté-là pour Philippe Talbot, excellent remplaçant de dernière minute, ou Kangmin Justin Kim, virtuose contre-ténor qui en fait parfois un peu trop, mais véritablement irrésistible dans sa parodie de récital de Cecilia Bartoli. On citera aussi le savoureux tempérament comique d’Atmen Kelif au débit proche du one man show en début de troisième acte, tout comme le petit interlude de Jérôme Deschamps, à l’autoritarisme paternaliste gaullien. Un régal!

mercredi 24 décembre 2014

« Rusalka » d'Antonín Dvorák - Stefan Herheim - Opéra de Lyon - 21/12/2014


Précipitez-vous ! Il reste encore quelques jours pour assister à la superbe Rusalka mise en scène par Stefan Herheim à Lyon, un spectacle déjà salué à Bruxelles en 2008 et 2012, avant l’édition en DVD voilà tout juste quelques jours. Une opportune reprise pour cette œuvre de Dvorák qui n’avait jamais été présentée par Serge Dorny depuis sa prise de fonction en 2003, tout comme les autres opéras du maître tchèque, il est vrai rarement donnés en dehors de son pays. On comprend aisément à la découverte de cette mise en scène pourquoi Dorny s’est enfin intéressé au chef-d’œuvre lyrique de son auteur, composé en 1901 au soir de sa vie.


Stefan Herheim choisit en effet de revisiter entièrement une histoire assez classique, fondée entre autres sur le conte bien connu de La Petite Sirène d’Andersen. Le spectacle commence par l’ajout d’un prologue sans musique qui montre l’agitation d’un quartier populaire contemporain près d’une bouche de métro. D’emblée, tous les personnages du drame à venir sont réunis dans une partition muette: la sorcière grimée en clocharde, Rusalka en prostituée et l’Ondin hagard. Si la transposition de l’héroïne en fille de joie n’est pas une nouveauté, le metteur en scène norvégien a l’idée de mettre au centre de l’action la figure de l’Ondin, lui faisant revivre tous les épisodes qui le conduisent à la perte de sa chère Rusalka. Ici, la belle n’est plus sa fille mais son amante, que l’on retrouve au deuxième acte sous les traits de la Princesse étrangère, tandis que le personnage de l’Ondin et du Prince ne font qu’un. Dans un ballet fascinant de beauté autour de l’enchevêtrement des personnages en miroir, le vieil homme se revoit faire une à une les erreurs du passé, aussi impuissant qu’ébahi.


Tout dans cette transposition se tient – même s’il faut déjà bien connaître le livret pour en comprendre toutes les allusions et subtilités. Dès la scène d’ouverture avec les trois nymphes, un enfant prend ainsi les traits de l’Ondin, déjà jouet des tentations féminines qui le feront à jamais hésiter entre la nécessité d’une épouse sérieuse mais potentiellement frigide, et l’attrait du désir animal représentée par la prostituée. Ce parti pris apporte une théâtralité constante à un livret par ailleurs fort habile, mais d’autant plus riche ici. Herheim a également l’idée d’introduire une mise en abyme saisissante au deuxième acte, lorsque le Prince et sa favorite confortablement installés dans une loge de l’Opéra de Lyon, assistent au ballet puis au chœur des convives transformé en carnaval volontiers bon enfant. Lorsque Rusalka paraît sur scène pour regretter son amour désormais perdu, le Prince et la Princesse étrangère surgissent sur le plateau pour se plaindre du non-respect de l’histoire attendue, en brandissant avec véhémence le petit livret rouge de l’Opéra de Lyon!


Au-delà d’une direction d’acteurs millimétrée, toujours en phase avec les moindres inflexions musicales de Dvorák, Herheim propose une scénographie somptueuse, jamais avare d’effets visuels tous réussis autour de séduisants éclairages bleutés. L’imagination débridée des costumes constitue un autre atout de cette production qui ne se contente pas d’une transposition à l’intellectualisme froid mais choisit de montrer fastueusement les prémisses d’un fait divers finalement très ordinaire. Ainsi, si l’on peut regretter qu’aucune note de mise en scène ne vienne expliquer cette transposition pour le non-averti, on pourra aussi se laisser emporter par cet enchantement visuel constant.


Dans le rôle de l’Ondin serial killer, Karoly Szemeredy montre une bouleversante fragilité pendant toute la représentation, toujours éperdu de remords, impressionnant de présence physique. Sa voix est au diapason, jamais tonitruante ou agressive, mais bien d’une humanité touchante. Pourtant habituée du rôle-titre, Camilla Nylund déçoit en comparaison avec une faiblesse de projection et un manque de couleurs dans la voix. Mais elle possède aussi un sens de l’articulation, une noblesse dans l’interprétation, qui font du chant à la lune un moment de grâce certain. De puissance, Dmytro Popov (Le Prince) n’en manque pas, et chaque intervention du chanteur ukrainien est un régal. Rondeur du timbre, souplesse de l’émission, éloquence radieuse, les qualificatifs ne manquent pas. Rien de tel en revanche pour la Princesse étrangère d’Annalena Persson, au timbre assez ingrat, à l’émission étroite. Fort heureusement, Janina Baechle imprime à sa Jezibaba tout le velours d’un timbre superbe, doublé d’une interprétation malicieuse du meilleur effet. On ne tarira pas d’éloges également pour tous les seconds rôles, des délicieuses nymphes au naïf chasseur.


Outre un chœur superlatif, l’autre atout de la soirée est la direction de Konstantin Chudovsky, d’une lenteur habitée, rugissante par moments, mais surtout d’un constant élan narratif, et ce même si l’orchestre de l’Opéra de Lyon montre parfois, ici et là, quelques faiblesses techniques. De bien infimes réserves pour une soirée qui n’aura manqué, pour nous emporter totalement, qu’une Rusalka de haut niveau. Restent un Prince de rêve, et surtout une mise en scène passionnante du début à la fin du spectacle, à découvrir jusqu’au 1er janvier 2015.

mardi 23 décembre 2014

« Le Roi et moi » de Richard Rodgers - Théâtre de la Croix-Rousse à Lyon - 20/12/2014


Directeur du Théâtre de la Croix-Rousse, Jean Lacornerie doit sa nomination en 2010 à la création d’un projet de croisement entre le théâtre et la musique – un projet qui a conduit tout naturellement à un partenariat avec l’Opéra de Lyon. Homme de théâtre passionné par le lyrique, l’ancien secrétaire général de la Comédie-Française s’intéresse depuis longtemps à des genres variés, des opérettes d’Offenbach aux opéras du milieu du XXe siècle (Copland, Bernstein ou Weill), en passant par les comédies musicales américaines. C’est ainsi qu’il a monté l’an passé Le Roi et moi, l’une des œuvres emblématiques de l’inséparable couple Rodgers et Hammerstein II, bien connus pour leur célébrissime Mélodie du bonheur. Si le public parisien a pu découvrir ces œuvres dans des mises en scène nouvelles au Châtelet, c’est désormais au tour de la Croix-Rousse de lui emboîter le pas avec bonheur.

Jean Lacornerie nous propose ici une adaptation de moins d’une heure et demie sans entracte (contre trois heures un quart avec entracte au Châtelet), comportant neuf musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, trois solistes adultes et la Maîtrise des jeunes chanteurs de l’Opéra. Le spectacle s’adresse tout d’abord aux enfants, très nombreux dans la salle pour applaudir cette histoire de gouvernante anglophone appelée au Siam afin d’éduquer les nombreux rejetons du Roi. Une histoire simple où, petit à petit, le souverain autoritaire va s’éprendre de cette femme qui tente de lui apprendre les bonnes manières occidentales. On touche là la principale faiblesse de cette œuvre truffée de préjugés colonialistes dénonçant aussi bien la misogynie ou la polygamie du Roi que les traditions vestimentaires locales et la façon de manger. Fort heureusement, l’œuvre fait la part belle à l’humour, telle la désopilante scène où la gouvernante se doit de ne jamais avoir la tête plus haute que le souverain.


Habilement, la partition de Richard Rodgers ne tente jamais de nous embarquer dans un orientalisme de pacotille, privilégiant le grand spectacle à l’américaine avec force lyrisme. Seules les références à Bouddha laissent entrevoir un travail notable sur les percussions, magnifiquement rendus par la précision des musiciens de l’Opéra de Lyon sous la baguette alerte de Karine Locatelli. Sans doute contraint par l’exiguïté des lieux, la scénographie d’Alice Duchange adopte une sobriété du meilleur effet, à partir de voiles évoquant à la fois la dentelle et les cristaux de neige – en référence à l’ébahissement des Siamois devant ce phénomène inconnu pour eux. Seule une petite alcôve surplombant l’arrière-scène évoque la chambre du Roi, permettant des variations d’éclairages poétiques. Le reste du temps, l’action se situe au plus près de la rampe, de la leçon de classe à l’irrésistible pièce de théâtre interprétée par les enfants pour séduire les Européens. C’est sans doute là que Lacornerie se montre le plus inventif, convoquant une truculente gamme d’accessoires en un ballet virevoltant, tendre et généreux.


Si les enfants se montrent parfois légèrement empruntés dans leurs déplacements scéniques, rien à dire en revanche côté chant. Cohésion et justesse sont la marque de ce bel ensemble. Tous sont admirablement soutenus par l’impériale Edwige Bourdy, bien connue des habitués de La Péniche Opéra à Paris. La soprano possède le souffle, l’intensité et la distinction propres à ce répertoire plus difficile qu’il y paraît avec son alternance de théâtre et de chant. L’impeccable Jacques Verzier, aux faux airs de Yul Brynner (l’interprète originel du rôle du Roi), dispose peu ou prou de ces qualités, même s’il met davantage de temps à se chauffer avant de convaincre pleinement. Catherine Séon en Lady Thiang s’en sort correctement, mais sans jamais se situer à la hauteur des deux rôles principaux. Jeanne Dumonteil remplace Volodia Bouchard, souffrante en première partie, en offrant à l’air de Tup-Tim une légèreté aérienne parfaitement maîtrisée, à la diction idéale.


Assurément un spectacle recommandé pour les fêtes de fin d’année, à découvrir avec les plus petits.

mercredi 17 décembre 2014

« Robert Schumann, folies et musiques » de Philippe André - Le Passeur Editeur



Philippe André remet sur le métier un ouvrage écrit en 1982 à la suite de sa thèse «Robert Schumann ou l’œuvre comme moyen de défense», soutenue à Montpellier trois ans plus tôt. Aujourd’hui revu et enrichi, notamment d’un dernier chapitre saisissant sur les derniers jours dans l’asile d’Endenich, cet ouvrage offre une lecture aisée, jamais avare de définitions psychiatriques accessibles, toujours attentif à une juste traduction de la langue allemande, nécessaire à une bonne compréhension du contexte. Philippe André adopte une démarche scientifique rigoureuse mais jamais aride, en passant en revue les différentes hypothèses avant de les examiner précisément pour mieux les écarter ensuite. Mesuré, il cherche à se situer entre l’hagiographie stérile et la charge aveugle (folie du compositeur dès son enfance) pour brosser un riche portrait. De l’accident à la main, tout comme la phobie de la maladie, en passant par les obsessions de l’auteur (le classement, le journal intime obligatoire du couple, etc.), aucune question n’est éludée.

Si la difficile conquête de Clara est longuement évoquée, l’auteur n’en oublie pas l’influence du décès de ses frères et sœurs, l’hypothèse d’un inceste ou l’attitude ambiguë de Schumann avec ses belles-sœurs. Largement influencé par Freud, ce vaste panorama s’interroge aussi sur les liens entre création et folie, sur le contexte particulier du romantisme et ses états d’âme associés. Si les pièces pour piano sont logiquement au cœur de l’œuvre étudiée par Philippe André, celui-ci réserve une place à des œuvres plus inattendues, notamment les lieder tout comme le poème dramatique Manfred, aux fortes résonances symboliques. Si l’on peut regretter une étude trop allusive de l’entourage de Schumann, particulièrement l’absence de Clara pendant les derniers jours à Endenich ou encore le peu de place fait à la figure de Brahms, l’ouvrage se montre très complet pour bien saisir la figure tourmentée au cœur du processus créatif du compositeur allemand.

mardi 16 décembre 2014

« Rusalka » d'Antonín Dvorák - Adám Fischer - DVD EuroArts Music



La production de Rusalka présentée à Bruxelles en 2008 et reprise quatre ans plus tard dans la capitale belge, vient tout juste d’être éditée en DVD et Blu-ray. Tandis que l’Opéra de Lyon reprend en ce moment même et jusqu’au 1er janvier 2015 cette production avec un plateau vocal entièrement revu, on retrouve l’excellente distribution de 2012 dans cette édition soignée du chef-d’œuvre dramatique de Dvorák. Esthétiquement superbe, la mise en scène de Stefan Herheim revisite habilement ce conte moraliste pour l’enrichir de différents points de vue captivants. Autour de la transposition de l’action en un bordel auquel l’héroïne croit pouvoir échapper, Herheim tisse un parallèle fascinant entre les deux couples Rusalka/Maître des eaux et Prince/Princesse. La direction d’acteurs, particulièrement dynamique, fait aussi la part belle à d’insolites moments burlesques, tous savoureux.

Myrtò Papatanasiu impose une Rusalka saisissante d’aisance, particulièrement dans l’amplitude vocale et la capacité de projection. A ses côtés, le Prince de Pavel Cernoch, tout aussi impérial vocalement, affiche un timbre clair d’une superbe éloquence, à la technique sûre mais au jeu d’acteur un rien trop lisse. Willard White convainc davantage au niveau dramatique même si sa voix manque par trop de couleurs. On retient aussi la superlative sorcière de Renée Morloc ou le brillant de la Princesse étrangère d’Annalena Persson. Assurément un cast que beaucoup de maisons d’opéra aimeraient pouvoir réunir, porté par la baguette vigoureuse du toujours impeccable Adám Fischer. Un DVD à ne pas manquer pour les fêtes de fin d’année!

lundi 15 décembre 2014

« Il trovatore » de Giuseppe Verdi - Marc Minkowski - DVD Bel Air Classiques


Après s’être illustré dans son pays autour de la plupart des grands maîtres russes dès le début des années 2000, le metteur en scène Dmitri Tcherniakov a peu à peu étendu son répertoire, tout d’abord à Verdi, premier compositeur non russe abordé par le jeune prodige. Si l’Aida montée à Novossibirsk est restée assez confidentielle, c’est bien le Macbeth parisien de 2008 qui a lancé les débats autour des mises en scène controversées du prodige russe. Outre La Traviata accueillie à Milan à la fin de l’année dernière, Tcherniakov est revenu une fois encore à Verdi en 2012, cette fois-ci à Bruxelles, dans le rare Trouvère.

C’est cette production que le DVD offre de découvrir aujourd’hui dans une qualité optimale, donnant à se rapprocher plus encore des intentions initiales de cette mise en scène en forme de huis clos. Cadrages serrés et gros plans au plus près des visages permettent de bien saisir toutes les émotions transmises par les interprètes. Tout le parti pris de Tcherniakov consiste en effet à réunir l’ensemble des protagonistes, pendant la représentation entière, dans un appartement contemporain – aussi immense que vide. Un décor unique aux différentes possibilités spatiales, exploitées habilement, entre salle à manger en arrière-plan, corridor étroit sur le côté, ou fenêtres inaccessibles à l’étage.

Comme à la lecture d’un testament, les personnages tous réunis écoutent, lors de la première scène, le récit du capitaine de la garde. Dès lors, ils vont rejouer le drame, se prenant au jeu petit à petit pour parfois faire corps avec celui-ci, incarnant non plus maladroitement mais avec conviction les scènes dramatiques interprétées. La gitane Azucena devient une femme sûre d’elle et arrogante, fumant ostensiblement, tournant autour des personnages comme pour les jauger. Tcherniakov va plus loin encore dans sa transposition du livret original en faisant chanter le chœur en coulisses et en confiant certains rôles à l’un des personnages en présence. Dans cette optique, la confidente Inez est ici interprétée par Sylvie Brunet-Grupposo. Ce resserrement autour de cinq chanteurs, s’il pourra choquer le puriste, trouve son origine dans un livret manquant d’efficacité théâtrale, qui raconte bien davantage les événements qu’il ne les vit réellement au niveau de la scène.

Pour tenir un tel pari, le casting réuni par Tcherniakov se doit de comporter des interprètes aussi bons chanteurs que comédiens. Une gageure que relève haut la main Sylvie Brunet-Grupposo, féline et racée, intimidante et inquiétante dans ses regards noirs. Sa voix est au diapason, timbre opulent de velours, magnifiquement incarné dans les scènes dramatiques. Marina Poplavskaya impressionne tout autant dans son lourd rôle de Leonora, se jouant aisément des difficultés vocales, convaincante aussi dans son interprétation scénique. Excellent niveau côté masculin pour ce plateau vocal, véritable atout de cette production. Comme à son habitude, Marc Minkowski apporte toute sa fougue et son enthousiasme pour faire vivre le drame sur scène, celui d’un conflit bourgeois qui se termine en fait divers. Assurément l’une des productions marquantes du décidément imprévisible Dmitri Tcherniakov.

vendredi 12 décembre 2014

Concert de l'Orchestre du Conservatoire de Paris - Cité de la musique - 11/12/2014

Günther Herbig
Evénement hier soir avec la venue à la Cité de la musique, renommée «Philharmonie 2» en janvier prochain, de Günther Herbig, successeur de Kurt Sanderling en 1977 à la tête du Berliner Sinfonie-Orchester, principale formation du Berlin-Est d’avant la réunification. C’est précisément en 1984, avant le dégel entre les deux superpuissances, que le chef allemand va quitter son pays pour faire carrière en Amérique, de Detroit à Dallas, en passant par Toronto. Des orchestres rares en Europe, tout comme un chef peu présent au disque (hormis la période Berlin-Est ou, plus récemment, une intégrale Chostakovitch remarquée), expliquent pourquoi la figure de Herbig reste peu connue dans l’Hexagone, même s’il a dirigé à plusieurs reprises le Philharmonique de Radio France au début des années 2000. Les connaisseurs, ainsi qu’une communauté allemande très représentée, avaient fait hier le déplacement pour fêter les 83 ans de l’ancien élève des Abendroth, Scherchen et Karajan – excusez du peu!


Si l’on peut redouter un homme fatigué au vu de la chaise haute placée devant le pupitre, l’arrivée de Günther Herbig déjoue immédiatement les appréhensions, le chef dirigeant debout pendant toute la représentation. En seconde partie, cette même chaise a logiquement disparu alors que les premières notes des Quatre derniers lieder résonnent avec le «Printemps» («Frühling»). La direction surprend immédiatement par son allant, son absence de pathos et son vibrato réduit au strict minimum. Aérienne et claire, cette volonté d’alléger les textures sera constante tout au long de la soirée, alternant couleurs délicates et détails révélés dans une optique analytique.


Ainsi révélés, ces lieder gagnent en poésie ce qu’ils perdent en lyrisme et en intensité dramatique, particulièrement les dernières notes poignantes du «Soleil couchant» («Im Abendrot»). C’est précisément dans les deux derniers numéros que Petra Lang s’en sort le mieux, imposant son timbre de miel et sa diction soignée, pour épouser la vision chambriste de Herbig. L’ancienne mezzo-soprano souffre cependant de quelques difficultés techniques dans les deux premiers lieder, forçant les passages du piano au fortissimo, et manquant d’agilité dans les passages virtuoses. Mais elle garde cependant toujours son assurance malgré les accrocs, imperturbable et majestueuse face à un public qui finit par l’applaudir assez chaleureusement.


En seconde partie, Herbig poursuit sur sa lancée dans la Septième Symphonie de Chostakovitch, créée pendant la Seconde Guerre mondiale et immense succès à travers le monde en raison de ses thèmes marquants immédiatement identifiables. On pense bien sûr à la marche de l’Allegretto initial, célèbre pour sa scansion à la caisse claire à la manière du Boléro de Ravel. L’entrain irrésistible vers un tutti dantesque rappelant le Chostakovitch plus moderniste des années 1920 est ici entonné avec une inhabituelle douceur, à la limite de l’audible en son début, Herbig construisant un crescendo d’une extrême lisibilité, sans tomber pour autant dans le maniérisme. Si une telle lecture convient bien à un mouvement aussi architecturé, à la mélodie principale facilement identifiable, on ne peut en dire autant dans le suivant, où Chostakovitch se montre volontiers plus espiègle et plus grinçant. En ralentissant quelque peu le tempo, en lissant les ruptures et en fouillant trop les détails, ce Chostakovitch-là en deviendrait presque trivial et prosaïque.


Fort heureusement, les douleurs de l’Adagio conviennent mieux à cette vision, les cris déchirants aux premiers violons étant ici volontairement nuancés pour faire ressortir les autres pupitres, particulièrement les bois. On perd quelque peu la vision d’ensemble mais qu’importe, se laisser aller à un festival de couleurs savoureuses offre une révélation inattendue: celle de redécouvrir cette symphonie que l’on pensait bien connue. Enchaîné avec l’Adagio, le dernier mouvement se conclut dans une allégresse contenue, parfaitement en place, portée par un orchestre décidément surprenant. Impeccables pendant toute la représentation, ses jeunes membres ne sont pas pour rien dans l’immense ovation finale. Le chef prend ensuite le temps de se mouvoir dans l’orchestre pour faire applaudir chaque pupitre, aussi bien par le public que par les musiciens, très chaleureux entre eux. Des interprètes ivres de plaisir face à ce chef allemand manifestement heureux de passer le flambeau d’une passion dévorante pour la musique.

lundi 8 décembre 2014

« Les Caprices de Marianne » de Henri Sauguet - Opéra de Massy - 05/12/2014



Raymond Duffaut, inamovible directeur des Chorégies d’Orange depuis quarante ans, remet sur les planches le très beau projet d’une vaste coproduction à travers toute la France, déjà lancé en 2008 avec Le Voyage à Reims de Rossini. Place cette fois à un opéra méconnu du compositeur français Henri Sauguet, Les Caprices de Marianne, produit par quinze maisons d’opéra différentes en lien avec le Centre français de promotion lyrique (CFPL). Egalement dirigée par Duffaut, cette structure rassemble les principaux directeurs lyriques de l’Hexagone, tous séduits par la mission de faire émerger de nouveaux talents. D’où la mise en place d’une importante série d’auditions en amont du projet pour sélectionner une double distribution de neuf chanteurs ainsi qu’une équipe technique à la hauteur de l’événement.

Et c’est là que le bât blesse. Sans doute contraint par les nécessités de la tournée (le décor devant être rapidement démontable), le jeune metteur en scène Oriol Tomas situe l’action dans la galerie Umberto I de Naples en une perspective anamorphosée certes du plus bel effet, mais dont le décor unique s’avère bien ennuyeux dans son statisme seulement varié par quelques éclairages très froids. Laissés à eux-mêmes, les chanteurs font ce qu’ils peuvent pour animer une action déjà très réduite, au moyen d’accessoires et costumes façon années 1950. Cette volonté de sobriété apporte un ennui profond en première partie d’opéra, il est vrai desservi par un livret peu passionnant et un plateau vocal bancal.


Mal construit, l’opéra aligne les airs sombres en son début, qu’éclaire la prestation sans faille du toujours vaillant Tiago Matos dans son petit rôle de chanteur de sérénade. Toujours un régal de retrouver ce membre de l’Atelier Lyrique de l’Opéra national de Paris. Mais c’est surtout la prestation de Marc Scoffoni qui illumine la soirée: profondeur du timbre, diction parfaite, conviction dramatique, les qualificatifs ne manquent pas. A ses côtés, Cyrille Dubois fait preuve d’une belle déclamation, toujours parfaite de respiration, idéal dans son rôle d’amoureux transi. On regrettera juste à son sujet une idée maladroite de la mise en scène, qui choisit de le faire chanter dans son bain avec sa mère, reprenant en cela l’idée d’Olivier Py, sans pour autant le dénuder. Un bain en caleçon, on a peine à ne pas rire. Un détail, certes, que l’on aurait pu ne pas noter si le plateau vocal avait été pleinement convaincant. Thomas Dear se fait en effet quelque peu couvrir par l’orchestre tout en déployant son beau timbre, mais c’est surtout son absence de présence scénique et de réelle conviction dans la noirceur qui déçoivent. Autre déconvenue avec Aurélie Fargues, incapable de s’adapter à la prosodie si exigeante de Sauguet, forçant les passages du piano vers l’aigu sans aucune souplesse, au détriment de la diction si essentielle dans cet ouvrage.


Déjà donnée à Reims puis Metz en début d’automne avec des chanteurs différents, on retrouvera cette production jusqu’en 2015. Gageons que les défaillances vocales évoquées auront pu être gommées au fil des représentations.

jeudi 4 décembre 2014

« Les Barbares » de Camille Saint-Saëns - Laurent Campellone - Livre-disque Palazzetto Bru Zane



Le Palazzetto Bru Zane et son Centre de musique romantique française poursuivent l’édition remarquée de raretés du répertoire lyrique français en de luxueux livres-disques documentés et très complets. On se souvient de l’opéra Le Mage de Jules Massenet, édité en 2012 après une captation en concert à Saint-Etienne, avant que la même équipe ne soit à nouveau aux commandes à l’hiver dernier pour sortir des oubliettes une tragédie lyrique totalement inconnue de Saint-Saëns, Les Barbares. On retrouve ainsi l’excellente soprano dramatique Catherine Hunold, mais aussi Laurent Campellone, chef français régulièrement invité au prestigieux Bolchoï de Moscou, spécialiste du répertoire de la fin du XIXe siècle. Il n’est pas pour rien dans la réussite globale de cette exhumation, tant sa baguette généreuse et vibrante dans l’exaltation des couleurs fait merveille dans cet opéra très symphonique – 45 minutes sur les deux heures que dure la partition!

C’est bien là l’une des étonnantes particularités de cette œuvre de commande conçue pour le grand théâtre antique d’Orange, volontairement courte pour éviter les vicissitudes d’une météo possiblement capricieuse, et finalement créée à l’Opéra Garnier dans une version augmentée d’un prologue et de ballets. Les amateurs de symphonique se délecteront de l’imagination mélodique, de la transparence et de l’élégance propre au grand maître. Evitant tout orientalisme ou emphase, l’imperturbable respect des formes allège la dette au Wagner des Maîtres chanteurs, pourtant si présent dans le poignant duo du deuxième acte, véritable cœur de la partition. Peut-être Magnard s’en souviendra-t-il quelques années après, allant plus loin encore dans l’ardeur sans fin des amours de Bérénice et Titus.


La distribution vocale se révèle impeccable à une exception près: la Livie de Julia Gertseva déçoit par des stridences au vibrato omniprésent, bien fatigante dans la durée. Pour un rôle aussi lourd, on aurait préféré un choix plus judicieux. Fort heureusement, Catherine Hunold impose son soprano rayonnant, apportant une force de conviction sans pareille, et ce malgré une diction parfois approximative que la lecture attentive du livret compensera aisément. A ses côtés, l’impérial Marcomir d’Edgaras Montvidas ne souffre quant à lui d’aucunes réserves, tout comme le superlatif Jean Teitgen (Le Récitant, Scaurus), au timbre profond d’un beau volume.


Magnifiquement capté, ce nouveau jalon de la discographie constituera une découverte à chérir pour les amateurs d’opéra très symphonique, également séduits par le parfait équilibre dans la variété des airs, ensembles et chœurs.

mardi 25 novembre 2014

« Mefistofele » de Arrigo Boito - Nicola Luisotti - DVD EuroArts



On doit au flair d’Hugues Gall, alors directeur du Grand Théâtre de Genève, l’un des tout premiers succès de Robert Carsen en Europe avec la production du Mefistofele de Boito en 1989. Après plusieurs années de galère, le metteur en scène canadien allait ainsi inaugurer une éblouissante carrière internationale autour de projets ambitieux, de l’intégrale Puccini anversoise au remarquable Songe d’une nuit d’été présenté à Aix. Aux Etats-Unis, c’est par l’entremise de Samuel Ramey, emblématique titulaire du rôle de Mefistofele, que la production genevoise allait être reprise à San Francisco avant de faire le tour du pays comme une traînée de poudre. Déjà éditée en DVD avec Ramey, elle a fait l’objet l’an passé d’une nouvelle captation lors de son retour en Californie, fêtant l’événement autour d’un cast de haute tenue.

Décidément incontournable ces temps-ci, au DVD dans Le Prince Igor comme à l’Opéra national de Paris en février prochain dans ce même rôle de Méphistophélès (de Gounod cette fois-ci), Ildar Abdrazakov impose sa présence magnétique pendant tout l’opéra, porté par une aisance vocale confondante entre qualité de l’articulation, profondeur du timbre et variété des couleurs. A ses côtés, Ramón Vargas se montre plus en retrait côté interprétation, affichant mines et postures convenues avec une constance désarmante. Fort heureusement, sa prestation vocale convainc pleinement autour d’une technique très sûre, parfaitement posée. La prestation de Patricia Racette (Margherita) déçoit par son vibrato envahissant dans l’aigu ainsi qu’un surjeu particulièrement agaçant dans les scènes dramatiques ou... lors des applaudissements en fin de représentation. Sa puissance vocale pourra certes impressionner les amateurs du genre, même si ce type d’atout ne passe guère la rampe du DVD.


La direction de Nicola Luisotti, directeur musical de l’Opéra de San Francisco depuis 2009, apporte au drame majesté et ferveur, imprimant aux passages plus légers une note raffinée du plus bel effet. On aurait certes aimé, ici ou là, quelques détails plus fouillés, quelques saillies plus prononcées. Mais l’essentiel est là – épaulé par un chœur superlatif, particulièrement impressionnant dans le prologue. C’est précisément en cette première partie d’opéra que Carsen se montre le plus inspiré, dévoilant son idée maîtresse: faire de cette représentation une constante mise en abyme autour du théâtre dans le théâtre. Mefistofele surgit ainsi d’emblée de la fosse d’orchestre, tirant les ficelles d’un spectacle qui sera sien. Tandis que peu à peu émerge en fond de scène un vaste théâtre à l’italienne, les personnages du chœur apparaissent tous immobiles dans leur semblable tenue d’apparat vénitienne aux masques intimidants. Cette première collaboration avec le décorateur Michael Levine se montre très respectueuse de l’œuvre originale, imprimant aux différents tableaux contrastes et variété, tout en poursuivant habilement son idée du théâtre dans le théâtre. Et ce même si l’on pourra être quelque peu déçu par des scènes de chœur assez désordonnées, moins sobres et stylisées par rapport au «style Carsen» aujourd’hui bien connu.


Des réserves mineures cependant, compte tenu de la qualité générale de la production et d’une offre encore bien réduite en DVD pour ce Mefistofele pourtant si séducteur. Gageons que ce nouvel apport saura donner d’impétueuses envies à quelques audacieux producteurs.

mardi 11 novembre 2014

« La Cenerentola » de Gioacchino Rossini - Opéra d'Ecosse à Inverness - 06/11/2014


On ne saurait trop recommander chaleureusement la reprise de La Cenerentola coproduite entre l’Opéra du Rhin et l’Opéra écossais. Déjà donnée avec bonheur en Alsace en fin d’année dernière avec une distribution entièrement différente, cette production effectue en cet automne une vaste tournée à travers l’ancienne Caledonia – de Glasgow à Aberdeen, pour finir à Inverness et Edimbourg. Une «itinérance» que cette grande institution partage avec l’Opéra du Rhin, tout comme une volonté d’aller sans cesse à la rencontre de nouveaux publics autour d’événements entièrement gratuits, tel «Cinderella Unwrapped». Composées d’extraits en italien de l’opéra de Rossini, ces courtes représentations s’ajoutent aux opportunes conférences de présentation de l’œuvre données en chaque ville du parcours.

Si l’architecture moderne de l’Eden Court d’Inverness n’a rien d’impérissable, l’acoustique des lieux se révèle tout à fait satisfaisante, même si l’orchestre prend l’avantage sur le plateau. Fort heureusement, la direction toute en finesse de William Lacey, chef britannique découvert voilà quelques années à Paris dans l’excellente production du Roi malgré lui, surprend d’emblée par une lenteur très architecturée, offrant une sensation de transparence et d’élégance toute mozartienne. La virtuosité rossinienne semble gommée au profit d’un sens de la respiration qui offre aux bois des saillies poétiques particulièrement efficaces dans le soutien aux chanteurs. Un régal pendant toute la soirée!

Sur scène, le beau plateau homogène ici réuni est dominé sans conteste par la mezzo-soprano Victoria Yarovaya qui impose une Cendrillon au timbre chaud d’une belle ampleur, très à l’aise dans les périlleuses vocalises. A ses côtés, le Don Ramiro de Nico Darmanin affiche sa belle voix claire assise sur une technique sûre, seulement gêné par une émission un rien trop étroite. Son valet Dandini est interprété avec beaucoup d’à propos par l’impeccable Richard Burkhard, idéal de projection, à qui il manque juste un peu plus de couleurs pour pleinement convaincre. On reprochera peu ou proue la même chose à John Molloy (Alidoro), pourtant impressionnant de présence physique avec sa voix puissante bien maitrisée. Les deux sœurs de Cendrillon manquent quant à elles de projection pour faire oublier une composition trop surjouée. Rien d’indigne bien sûr, mais on préférera la prestation de Graeme Danby qui, malgré une voix bien à la peine dans les airs, compose un Don Magnifico truculent dans ses outrances scéniques.

La mise en scène de Sandrine Anglade lui offre de multiples occasions de mettre en avant son sens comique revigorant. La Française choisit en effet de revenir à la lettre d’une œuvre qui évacue toute magie pour faire la leçon à l’éternel barbon (ici le père de Cendrillon) et ses deux autres filles, ceci pour faire triompher la clémence de l’héroïne une fois sa bonté reconnue par tous. Cette volonté s’appuie sur un décor particulièrement habile qui enferme tout d’abord Cendrillon dans un univers figé, avant que la rencontre avec le Prince ne vienne ouvrir son horizon, les armoires en forme de confessionnal se déployant opportunément pour suggérer d’insolites tableaux. Superbe réussite visuelle, ces décors permettent à Eric Blosse de composer de subtils éclairages aux atmosphères évocatrices, dont les ombres mystérieuses des bois sculptés ne sont pas les moindres atouts.

On retient aussi les chorégraphies de Pascaline Verrier, toujours à propos et dans le sens de l’action. Le choix des costumes constitue une autre réussite avec ce mélange d’habits anciens et modernes, qui rappellent combien le conte de Cendrillon est intemporel autour de ses nombreuses versions à travers le monde. Volontiers surréalistes, les facéties de cette mise en scène apportent une bonne humeur un rien premier degré, mais qui colle à l’histoire pour lui redonner sa fonction première: faire rire. Et le public écossais est manifestement au rendez-vous, acclamant ce spectacle non seulement pour ses airs mais aussi à l’issue de plusieurs ensembles. Si vous êtes à Edimbourg, profitez des derniers jours pour applaudir ce spectacle vivement recommandé.

samedi 1 novembre 2014

« Mattutino de’ Morti » de Davide Perez - Giulio Prandi - Disque Deutsche Harmonia Mundi



Ces colonnes se sont déjà fait l’écho cet été, à Besançon puis à Ambronay, des concerts de Giulio Prandi (né en 1977), l’un des jeunes chefs très en vue du moment. Passionné d’un répertoire assez mésestimé, celui de la fin du XVIIIe siècle, il poursuit une très intéressante production discographique autour de la musique religieuse italienne de cette période. Après deux premiers disques remarqués, parus chez DHM/Sony, l’un consacré à Baldassare Galuppi (1706-1785) et l’autre à Niccolò Jommelli (1714-1774), il s’intéresse cette fois à une figure encore plus méconnue en la personne du compositeur napolitain Davide Perez (1711-1778). Prandi exhume une de ses œuvres les plus célèbres, éditée à Londres par la maison Bremner, après sa création en 1770 dans un monastère au sud de Lisbonne. D’abord maître de chapelle à Palerme, c’est à la cour du roi du Portugal que Perez passe l’essentiel de sa carrière, ce qui n’empêche en rien sa réputation de dépasser la péninsule ibérique.

Aujourd’hui, de trop rares enregistrements permettent enfin de réévaluer son importance, et ce malgré une quarantaine d’opéras composés, dont de très nombreux sur des livrets de Métastase. Seuls quelques extraits ont ainsi été enregistrés sur l’excellent disque L’Olimpiade sorte de pasticcio qui réunit des compositeurs ayant tous mis en musique cette œuvre, paru chez Naïve en 2012. Outre un autre disque consacré à des concertos pour flûte napolitains, paru chez Hyperion, rien en ce qui concerne Perez, ce qui rend ainsi encore plus précieuse cette gravure entièrement dédiée à la musique du compositeur. On doit à la Fondation Royaumont le soutien à ce projet, aidé par le festival de La Chaise-Dieu, qui consacra l’ouverture de son édition 2013 à Perez et son Matin des morts. Un titre un peu austère pour une œuvre qui ne l’est en rien. Son découpage en trois nocturnes, eux-mêmes divisés en trois réponses, cache une alternance de passages virtuoses pour chœur et d’airs raffinés à l’intérieur des réponses, rendant ainsi l’écoute particulièrement agréable dans sa constante variété.


Quant à l’interprétation, on avait déjà été particulièrement impressionné cet été en concert par la capacité de concentration de l’ensemble des interprètes, tous préparés avec une attention minutieuse par Giulio Prandi. Des qualités que l’on retrouve à nouveau, sans perdre pour autant l’élan propre au spectacle vivant. Sa direction vive et incisive est un régal de tous les instants, tandis que son orchestre se montre plus encore à un haut niveau, particulièrement des cuivres superlatifs. Prandi prend aussi un soin particulier à l’articulation, insistant sur la parfaite diction nécessaire à la transmission de l’émotion par la compréhension du texte chanté en latin, au-delà de la seule musique. A cet égard, le livret cite opportunément le critique musical William Thomas Beckford, fin connaisseur des textes liturgiques (à l’instar de ses contemporains), ému par la pièce de clôture au point de lui arracher quelques larmes. Mais ce sont aussi les deux solistes qui portent ce disque avec la même intensité. Salvo Vitale éclaire son timbre ample avec une belle respiration, tandis que Roberta Invernizzi se joue aisément de toutes les virtuosités qui font de cette œuvre un opéra sacré déguisé.


Assurément une nouvelle réussite de Giulio Prandi dont on attend déjà avec impatience le nouvel opus discographique. Vers quel nouvel horizon se portera son insatiable curiosité?

jeudi 30 octobre 2014

« La Femme sans ombre » de Richard Strauss - Opéra de Francfort - 26/10/2014


Pour le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Richard Strauss, l’Opéra de Francfort n’oublie pas le compositeur bavarois dont on retrouvera une ancienne production de l’Ariane à Naxos en fin d’année. Mais place tout d’abord à une autre reprise, avec La Femme sans ombre, production conçue en 2003 par Christof Nel, un habitué des lieux. Le metteur en scène allemand, peu connu en dehors de son pays, s’était illustré, en 2010 à Genève par son sens de l’épure et sa volonté d’expliquer les failles psychologiques des personnages d’Elektra. Déjà Strauss, si l’on peut dire, tout comme un plateau tournant réutilisé fort judicieusement pour symboliser les errances des personnages et leur incapacité à prendre en main leur destin. Ici, l’immense cube central occupant la scène appartient au monde de l’Empereur, tandis que les murs extérieurs sont ceux de l’humanité, réservés au couple de teinturiers.

Si l’on peut conseiller la lecture préalable du livret pour tenter de comprendre toutes les allusions, des poissons suspendus symboles de fécondité aux masques inquiétants des enfants à naître, on pourra aussi se laisser porter par ces visions expressionnistes du meilleur effet visuel. Enigmatique et suggestive, la mise en scène déploie des visions cauchemardesques inattendues, convoquant un bestiaire que n’aurait pas renié Jérôme Bosch, pour figurer le double écueil psychologique des héroïnes. Dans cette optique, l’une et l’autre femme partagent la fatale incapacité à avoir un enfant – l’une prosaïquement (la femme de Barak), l’autre symboliquement (l’absence d’ombre pour l’Impératrice). Le finale est à cet égard très réussi, lorsqu’enfin les deux couples pénètrent le même lieu, celui de l’intérieur rassurant d’un couple ordinaire occupé à scruter l’horizon d’une descendance désormais promise.


Plus encore que cette passionnante mise en scène, le plateau vocal ici réuni frise la perfection, aidé par une direction tout aussi élégiaque que la veille, qui fonctionne plus encore tant l’opulence orchestrale de Strauss apparaît ici domptée pour le meilleur effet. Entre ductilité des transitions et détails révélés de l’orchestration, Sebastian Weigle reçoit une ovation méritée au terme de la représentation. De même, les applaudissements nourris pour Terje Stensvold ne trompent pas: le sens du phrasé, l’intense projection et la richesse des couleurs imposent un Barak superlatif. A ses côtés, Sabine Hogrefe ne démérite pas dans son lourd rôle d’épouse, offrant une belle opulence dans les graves, même si sa voix devient plus métallique au fil de la représentation, particulièrement dans l’aigu. Aucun problème de ce côté-là pour le soprano rayonnant de Tamara Wilson, au timbre pur porté par une aisance confondante. Autre grande satisfaction avec la Nourrice de Tanja Ariane Baumgartner, autoritaire et fourbe, magnifique de présence et d’intensité. Si l’Empereur de Burkhard Fritz souffre d’une émission étroite, la mise en scène a l’habileté de le faire chanter près de la rampe, permettant de faire apprécier toutes les qualités de son timbre clair et aérien.


Aucune fausse note également parmi les seconds rôles, particulièrement le jeune Michael Porter, au physique harmonieux judicieusement dévoilé. Avec ses collègues de l’Opéra Studio de Francfort, on retrouve le ténor américain dès le lendemain dans un court récital offert gratuitement à l’heure du déjeuner. De Rossini à Verdi, en passant par Massenet, Tchaïkovski et... Johann Strauss, encore une belle occasion de profiter de l’excellence d’une maison d’opéra décidément à fréquenter!

mercredi 29 octobre 2014

« Hänsel und Gretel » de Engelbert Humperdinck - Opéra de Francfort - 25/10/2014


Traditionnel plat de réjouissance des fêtes de fin d’année dans les pays germaniques, l’opéra Hansel et Gretel reste étonnamment rare en France. Tellement rare que ce chef d’œuvre a fait son entrée au répertoire de l’Opéra national de Paris pour la première fois l’an passé, dans une production de Mariame Clément diversement appréciée (un spectacle à découvrir ou revoir dès la fin novembre à Garnier). A Francfort, on retrouve un autre metteur en scène controversé, le Britannique Keith Warner, régulièrement invité dans la capitale de la Hesse comme à l’Opéra du Rhin, où ses productions ont souvent déçu. On pense notamment à son Roi Arthus donné en début d’année à Strasbourg. Pari cette fois-ci réussi à Francfort, au moyen d’une transposition très habile dans le contexte d’un hôpital de la Première Guerre mondiale. Keith Warner fait le choix de revisiter l’œuvre, optant d’emblée pour une optique où les enfants jouent à se faire peur avec les contes bien connus de leur jeunesse.

Si les premières scènes se montrent très fidèles à l’histoire, l’Interlude entre les deux premiers actes offre un tableau visuel bouleversant, les enfants de l’hôpital quittant les lieux peu à peu dans une lumière saturée qui symbolise la fin du conflit. Le deuxième tableau montre les deux enfants adultes de retour sur les lieux, retrouvant les marionnettes qui avaient enchanté leur jeunesse, prélude à un flash-back saisissant. Plus de fraises à cueillir, c’est bien l’alcool dont les enfants sont friands, comme si la guerre les avaient déjà rendus adultes prématurément. Eméchés, Hansel et Gretel découvrent une maison sordide, attirés par quelques bonbons posés au dehors. A l’instar d’un brillant François Ozon au cinéma (voir son adaptation du conte, Les Amants criminels), Warner figure l’attirance de la Sorcière pour les formes généreuses du jeune garçon ou dévoile les attributs d’un serial killer à coup de marionnettes crochetées dans la cuisine comme autant d’enfants dépecés. C’est bien là l’idée force de Keith Warner, celle de parvenir à nous montrer une sorcière en pédophile cannibale sans pour autant effrayer les enfants, qui pourront ne voir qu’un homme travesti, à peine inquiétant tant il est grotesque avec sa robe en vieux rose et son crâne rasé sans perruque. Une «sorcière» savoureuse que l’on croirait tout droit sortie d’un tableau d’Otto Dix.


Côté voix en revanche, cette nouvelle production apparaît plus contrastée, même si nous n’avons pu entendre qu’un seul des différents casts proposés. Dans le rôle du père, le Suisse Alejandro Marco-Buhrmester offre une diction tout à fait remarquable dans le Sprechgesang, plus décevant dans les airs où son timbre assez terne manque de couleurs. C’est précisément l’inverse pour la Gretel de Louise Alder, dont on aurait aimé davantage de projection. Fort heureusement, Heidi Melton (Gertrude) comme Katharina Magiera (Hansel), imposent de truculentes interprétations, parfaitement soutenues par leurs voix aussi éclatantes que nuancées. Un régal à chaque apparition. Enfin, la Sorcière de Peter Marsh donne la aussi une interprétation sans faille, tout aussi impeccable dans les différentes outrances vocales habituelles pour ce rôle.

Directeur général de la musique de l’Opéra de Francfort depuis 2008, Sebastian Weigle surprend d’emblée par une direction assez lente, légère et transparente, qui lisse les arrêtes dans un legato olympien. Vivement applaudie à l’issue de la représentation, et ce bien davantage que les chanteurs, cette direction n’en oublie pas le théâtre pour autant, apportant de subtiles couleurs aux passages dansants des comptines enfantines. Si l’on peut préférer une baguette plus nerveuse, nul doute que Weigle séduira les tenants d’une direction qui respire, poétique et harmonieuse. Un spectacle chaleureusement recommandé pour cette fin d’année.

jeudi 16 octobre 2014

« Le Temple de la Gloire » de Jean-Philippe Rameau - Opéra de Versailles - 14/10/2014

Mathias Vidal

Comme chaque année depuis la réouverture de l’Opéra de Versailles en 2009, l’orchestre sur instruments d’époque Les Agrémens et le Chœur de chambre de Namur reviennent dans l’intimité de l’écrin royal – à peine plus de 700 places. Une «résidence» pour servir un cœur de répertoire qui s’étend de la fin du XVIIe siècle aux premières symphonies de Beethoven, mais surtout intéressée par la révélation de raretés absolues. De Grétry à Kreutzer, en passant par Dauvergne et Gossec, les habitués de Versailles ont pu apprécier les qualités de ces deux ensembles, souvent remarquables sous la baguette avisée de son chef attitré Guy Van Waas. Leur retour est l’occasion d’un nouvel hommage à Rameau, incontournable cette année partout en France, avec Le Temple de la Gloire - une œuvre méconnue et mésestimée, donnée voilà quelques jours à Liège.

Comme souvent chez Rameau, le livret de ces œuvres lyriques n’a rien d’impérissable, et l’on se désintéresse assez vite de celui-ci – pourtant dû à Voltaire. Le grand écrivain français y mélange à qui mieux mieux figures allégoriques, dieux mythologiques ou personnages historiques, tous avides de pénétrer le fameux Temple de la Gloire. Echec à la création, l’œuvre est remise sur le métier en 1746 – notamment avec un nouveau final assez naïf, en forme d’ode au «doux ramage des oiseaux» – avant de tomber rapidement dans l’oubli. Pour autant, le génie de Rameau souffle sur cette œuvre, emportant dès l’Ouverture le déferlement enthousiaste d’une orchestration très colorée. On retiendra notamment l’excellente idée de placer les flûtes aux côtés des premiers violons à gauche, en parfait écho aux graves et cors placés à l’opposé. Effets de résonnance à l’orchestre, brio des solistes, interventions inattendues et nombreuses du chœur, les surprises de l’imagination ramélienne ne manquent pas, et ce même si l’inspiration se fait plus inégale lors des deux derniers actes.


Côté interprétation, on retrouve avec bonheur la direction vive et engagée de Guy Van Waas, toujours soutenu par un chœur idéal de cohésion et bien en place. A peine aimerait-on davantage de respiration en certaines parties afin de distiller des climats plus mystérieux, plus inattendus. C’est peut-être là aussi l’un des défauts de Mathias Vidal, dont on aime les prises de risque, l’élan généreux et le timbre clair porté par une éloquente diction. S’il se montre moins à l’aise dans les tessitures aigues demandées par le rôle de Trajan, il reçoit les vives félicitations du chef à l’issue de la représentation. Aucune difficulté vocale en revanche pour la toujours impériale Judith van Wanroij, à la diction française très correcte. A ses côtés, Katia Velletaz prend de l’assurance au fur et à mesure de la soirée, chauffant bien sa «petite» voix aux infinies subtilités, à peine desservie par un léger vibrato.


Autre chanteuse quelque peu décevante en première partie de concert, Chantal Santon-Jeffery – il est vrai impressionnante quelques jours plus tôt à Saint-Quentin-en-Yvelines dans un rôle bien différent. Elle se montre plus convaincante dans son interprétation de La Gloire, partie il est vrai plus lyrique et dramatique, qui lui permet de faire valoir ses indiscutables qualités de comédienne. Enfin, Alain Buet imprime sa marque, volontiers joueur et malicieux, toujours maître de sa technique vocale sûre et avisée.


Assurément une œuvre à découvrir pour les amateurs du génie ramélien, toujours aussi en verve dans cet opus rare – prochainement gravé au disque avec toute l’équipe de la production entendue à Versailles.

lundi 13 octobre 2014

« Armida » de Joseph Haydn - Théâtre de St-Quentin-en-Yvelines - 10/10/2014

Mariame Clément
Il faut sans doute beaucoup d’audace, et peut-être aussi un peu d’inconscience pour s’attaquer à l’Armida de Haydn, avant-dernier opéra méconnu du maître autrichien, créé en 1784 à Esterháza. Si cet opera seria aux accents baroques ne révolutionne pas le genre en respectant la traditionnelle alternance d’airs et de récitatifs, il offre néanmoins une heureuse variation au niveau des récitatifs, en forme secco ou accompagnés. Avec peu d’ensembles et aucun chœur, Haydn parvient à bien caractériser son œuvre, très guerrière dès l’Ouverture cuivrée, d’une belle vigueur, tout en offrant de beaux climats intimistes comme dans la scène de la forêt. S’il faut s’accrocher pour suivre le méandre des amours contrariés de l’héroïne et de son cher Rinaldo, la mise en scène de Mariame Clément évacue d’emblée toute référence à la magicienne pour mieux ancrer l’ouvrage dans le monde actuel.


La scène d’ouverture est à cet égard éloquente, Armida se débarrassant devant le public des attributs qui lui donnent des faux airs de déesse Athéna. La splendide coiffe guerrière et l’étoffe soyeuse éclatante qui lui recouvre tout le corps font ainsi rapidement place à un habit de tous les jours – jeans et tee-shirt cintrés aux couleurs sombres – lui donnant une allure étonnamment masculine. C’est là l’idée force de Mariame Clément, qui ose faire d’Armida un homme, ceci pour faire résonner les hésitations et troubles de Ronaldo avec l’actualité récente. Enrichi du conflit intérieur sur l’acceptation de son identité, les tiraillements de Rinaldo n’évoquent plus seulement la fidélité aux siens et son attirance pour Armida. Le conflit entre les deux camps chrétien et sarrasin est ainsi habilement transposé en une opposition sociale irréductible entre conservateurs anti-«mariage pour tous» et libéraux en matière de mœurs. Mariame Clément se garde bien de prendre parti pour l’un ou l’autre camp, ne forçant jamais le trait, cette illustration contemporaine lui servant de prétexte à théâtraliser davantage le peu d’action du livret. Un choix audacieux qui se révèle particulièrement efficace dans la scène des vestiaires de tennis, où Ubaldo laisse entrevoir toute l’ambigüité de son «amitié» pour Rinaldo.


On retiendra aussi l’élégante scénographie de Julia Hansen, en forme de décor unique modulable, où un carré central cristallise les tensions internes, tandis que des chaises vides sur les côtés symbolisent les affrontements politiques sous-jacents, théâtre de la vie publique extérieure. Autre atout majeur de cette production, le jeune plateau vocal ici réuni, d’une remarquable homogénéité. A peine pourra-t-on reprocher au ténor Juan Antonio Sanabria une constante recherche du «beau son» qui l’éloigne d’une interprétation plus vibrante de Rinaldo. Mais ça n’est là qu’un détail tant Chantal Santon illumine chacune de ses interventions par son aisance vocale, particulièrement dans les récitatifs, d’un engagement dramatique éloquent. Des récitatifs où Dorothée Lorthiois se montre moins à l’aise, alors qu’elle maîtrise parfaitement tous ses airs – le public ne s’y trompe pas en réservant une ovation aux deux chanteuses à l’issue de la représentation. Autre grande satisfaction avec le chant olympien d’Enguerrand De Hys, «petite voix» très à l’aise dans ce répertoire – on se souvient notamment du remarquable Mitridate donné en début d’année au CNSM.


Enfin, le jeune chef Julien Chauvin insuffle à son orchestre une énergie revigorante, toujours attentif à ne jamais couvrir les voix dans la vaste salle de 1300 places de Saint-Quentin-en-Yvelines. On retrouvera toute cette fine équipe lors d’une vaste tournée à travers toute la France en début d’année prochaine. D’autres dates devraient être annoncées prochainement pour ce spectacle de haute tenue, chaudement recommandé.

mardi 30 septembre 2014

Concert du Ghislieri Choir & Consort - Festival d'Ambronay - 27/09/2014

Giulio Prandi
Pour la trente-cinquième édition, les festivités se bousculent à Ambronay pour célébrer les anniversaires d’un grand nombre de compositeurs baroques: Jean-Philippe Rameau, Jean-Marie Leclair, Pietro Locatelli, Niccolò Jommelli et Carl Philipp Emanuel Bach. Une initiative habituelle au fil des ans, certes, mais on se réjouira toujours de ce type de manifestations, si tant est qu’elles ne se bornent pas à circonscrire les œuvres entendues aux sempiternels «tubes» du répertoire. Rien de tel, fort heureusement, avec «l’année Rameau». Un simple parcours des programmations à travers la France permet de se convaincre de la chance de pouvoir découvrir la quasi-totalité de son œuvre, plus seulement au disque mais sur la grande scène du spectacle vivant. Pour les autres compositeurs, plus rares au concert, les occasions restent moins nombreuses, même si l’on sait pouvoir faire confiance à Ambronay pour se tourner vers d’évidents spécialistes.

Pour le trois centième anniversaire de la naissance de Niccolò Jommelli (1714-1774), parfait contemporain de C. P. E. Bach et Gluck, le festival d’Ambronay a fait appel à l’un des jeunes ensembles très en vue en ce moment: le Ghislieri Choir and Consort. Basée à Pavie, ville moyenne située à une trentaine de kilomètres au sud de Milan, la formation a été fondée en 2003 par Giulio Prandi. Après avoir déjà enregistré trois disques remarqués pour DHM/Sony, tous centrés sur le répertoire de la musique religieuse italienne du XVIIIe siècle, Prandi sillonne désormais les festivals, comme récemment encore à la Chaise-Dieu et à Besançon. Ces manifestations proches géographiquement se sont accordées pour proposer des programmes différents lors de ces trois dates. Une gageure rendue possible grâce à l’énergie et à la formidable curiosité intellectuelle de ce chef né en 1977, qui devrait graver prochainement la musique religieuse du jeune Mozart. A Ambronay, associé au Dixit Dominus de Haendel (l’une des œuvres les plus brillantes de son auteur), Prandi ose le Beatus Vir de Jommelli, compositeur peu connu du grand public.


Très célèbre en son temps, le Napolitain a fait carrière dans toute l’Italie – de Rome à Venise, avant de rejoindre la cour de Stuttgart – composant une œuvre religieuse considérable, dont trois Beatus Vir. Ecrite à Rome en 1751, l’œuvre ici révélée fait la part belle à la soprano, omniprésente dans cette partition aux embuches redoutables. Rachel Redmond, lauréate de la cinquième édition du «Jardin des voix» des Arts florissants, fait valoir son timbre solaire et aérien, se jouant de toutes les difficultés. Particulièrement à l’aise dans le registre aigu et les vocalises, on aimerait cependant un peu plus de velouté dans son émission. Un détail tant son engagement et ses qualités de projection emportent rapidement toutes réserves. Dans une acoustique qui privilégie la voix, Prandi se montre attentif à toutes les nuances, prêtant une attention constante au sens du texte chanté. Les individualités jaillissent comme autant d’interventions théâtrales, apportant lisibilité et sensibilité à ce chœur où les différentes voix sont indifféremment mêlées. Le «Jucundus homo» enthousiasme par l’excitation frénétique du chœur, toujours parfaitement secondé par un orchestre prêt à rugir ou à murmurer, en réponse aux moindres inflexions de son chef. Cette direction particulièrement dramatique se révèle sans cesse exaltante, tant la vigueur que Prandi parvient à impulser à ses troupes est visiblement communicative.


Avec Haendel, l’excitation ne retombe pas. L’énergie continue de circuler à travers tout le chœur, tandis que l’alto de Marta Fumagalli fait son entrée, avec une aisance radieuse digne des plus grandes. Les parties individuelles du chœur se montrent elles aussi d’un haut niveau, particulièrement la basse de Renato Dolcini, tandis que les sopranos offrent un «De torrente» empreint d’une grâce subtile. Toujours aussi en verve, mouillant la chemise au propre comme au figuré, Prandi poursuit son jeu de nuances attentives sans jamais relâcher la tension inhérente à la ferveur religieuse. Un public enthousiaste salue cette vibrante prestation, vite récompensé par deux bis brillants – Giulio Prandi mettant astucieusement en miroir le premier mouvement du Dixit Dominus de Haendel avec celui de Galuppi. On retrouvera ce programme enthousiasmant le 22 novembre prochain en la basilique San Michele Maggiore de Pavie, une occasion d’apprécier ce formidable ensemble en ses terres lombardes.

lundi 29 septembre 2014

Concert de Jordi Savall et l'ensemble Hesperion XXI - Festival d'Ambronay - 26/09/2014

Jordi Savall
Pour sa trente-cinquième édition, le festival d’Ambronay propose cette année encore pas moins de quatre-vingt-dix événements centrés autour de la musique du XVIe au XVIIIe siècle. Concerts, rencontres avec les artistes, conférences, les différentes propositions de rencontre ne manquent pas pour visiter la petite cité située à mi-chemin entre Lyon et Genève! Il faut dire que la fidèle équipe organisatrice, aussi passionnée qu’enthousiaste, ne compte pas ses efforts pour accueillir la crème du baroque sur quatre week-ends – tout en proposant des concerts décalés, du jazz-baroque à la musique du monde (Keyvan Chemirani, etc), sous le chapiteau ou lors de l’after au bar du festival. Si l’Académie baroque européenne tourne toujours à plein comme pépinière de talents, Ambronay innove cette année pour aider et promouvoir les jeunes ensembles – le projet Eeemerging révélera ainsi ses lauréats lors du dernier week-end de l’édition 2014. Mais le festival n’en oublie pas pour autant de célébrer les grands artistes qui ont fait sa renommée depuis sa création, William Christie – longtemps pilier de la manifestation – ayant fait place à Jordi Savall, artiste associé à Ambronay de 1987 à 1996.

Incroyable défricheur de répertoires oubliés depuis plus de vingt ans, l’homme à l’écharpe rouge poursuit une activité discographique intense qui le mène de l’Europe occidentale jusqu’aux confins de la méditerranée orientale. Bien connu du grand public depuis sa participation au film Tous les matins du monde en 1991, le musicien catalan retrouve régulièrement son instrument de prédilection, la viole de gambe, instrument méconnu qui, rappelons-le, trouve sa source dans l’Espagne du XVe siècle. Pour cette édition 2014, Savall choisit de s’entourer de six autres instrumentistes (y compris un guitariste et un percussionniste), tous réunis autour de la viole et de son vaste répertoire. En à peine moins de 2 heures, c’est à un véritable voyage musical entre les XVe et XVIe siècles que Jordi Savall nous convie: celui de l’âge d’or de la musique pour ensemble de violes à travers l’Europe.


Si l’on a parfois du mal à saisir les nuances entre les tessitures des différentes violes entourant Jordi Savall, cela s’explique par une entrée en matière assez aride, autour de danses italiennes anonymes assez répétitives qui ne cherchent pas à mettre en valeur la polyphonie des instruments. Seule la percussion ressort de cette introduction douce, un rien monotone, prélude à une montée en gamme avec les pièces anglaises et espagnoles qui suivent. Avec Orlando Gibbons (1583-1625), les saillies individuelles permettent ainsi à Savall de se mettre en avant, tandis que Philippe Pierlot lui répond avec une belle vaillance, le Catalan mettant un peu de temps à pleinement se chauffer. On retient aussi de superbes parties en pizzicato, à l’évocation poétique savoureuse, lors de la dernière pièce espagnole (Canarios) qui conclut la première partie du concert.


Après l’entracte, les musiques du temps de la cour de Louis XIII apportent une note plus enlevée, particulièrement l’entrainante et entêtante Bourrée d’Avignonez. Place ensuite aux musiques de l’Allemagne qui s’avèrent plus austères en leur début, avant qu’une amorce de dialogues entre les instruments se fasse jour. Les musiciens rivalisent ainsi de virtuosité dans l’Allemande XVI, aux oppositions variées. Le concert s’achève avec un rapide aperçu de l’Europe musicale baroque où fleurissent quelques grands noms bien connus, de Purcell à Bach. Les différentes entrées en canon permettent de constater combien ces grands maîtres parviennent à renouveler habilement le genre. Mais Savall garde le meilleur pour la fin, s’échinant sur son instrument lors d’un final très enlevé avec la spectaculaire Gallarda Napolitana d’Antonio Valente, vivement applaudie. En bis, le chef catalan prend la parole pour rendre hommage à Christopher Hogwood, disparu quatre jours plus tôt, lui dédiant cette soirée. La Danse des satyres de
William Brade (1560-1630), puis la Courante du Banchetto musicale de Johann Hermann Schein (1586-1630) concluent ce concert qui aura mis un peu de temps à démarrer avant de convaincre pleinement en sa dernière partie.

jeudi 25 septembre 2014

Concert de l'Orchestre symphonique de Bâle - Festival de Besançon - 21/09/2014


Elisabeth Leonskaïa
Est-il encore besoin de la présenter? Elisabeth Leonskaïa, celle que d’aucuns appellent la «dernière grande dame de l’école soviétique», revient à Besançon après son dernier récital consacré à Schubert voilà deux ans. Place cette fois à un concerto, deuxième (par la numérotation) de Beethoven en ce domaine. Composée en 1795, l’œuvre est encore redevable à Mozart, ce que la grande pianiste russe n’oublie pas, dévoilant un toucher aérien et gracieux, épris de sensibilité. Volontiers expressive dans la narration, Leonskaïa sait aussi faire preuve d’autorité, particulièrement dans la cadence véloce. Ce Beethoven apaisé évoque plutôt une symphonie concertante avec piano, sans brutalités, dont le toucher racé pourra sembler manquer de surprise à un auditeur rétif à cette constante volonté de douceur subtile. Si l’élégance des phrasés ou la lenteur habitée de l’artiste pourraient à elles seules nous contenter, Leonskaïa sait aussi faire chanter son piano, particulièrement dans le superbe Adagio au tempo suspendu. A ses côtés, Dennis Russell Davies lui répond dans le même sens, distillant un accompagnement soigné, sans maniérisme. Dommage que les différents pupitres de cordes, un peu ternes, manquent d’individualités. En bis, la pianiste russe offre à nouveau l’étalage de sa sérénité radieuse au final de la Dix-septième Sonate «La Tempête» de Beethoven, avant de se fondre parmi le public à l’entracte, répondant aux différentes sollicitations dans une étonnante simplicité.


En parfait contraste avec l’effectif orchestral réduit du concerto de Beethoven (aucune clarinette, une seule flûte et seulement deux cors), la seconde partie de ce concert de clôture se déroule sous les auspices d’un grand ensemble pléthorique – propre aux symphonies du XXe siècle. On retrouve la suite Les Planètes de Gustav Holst, une œuvre célébrissime qui a complètement occulté les autres opus du compositeur, rarement joués en dehors du Royaume-Uni. Passionné d’astronomie et d’astrologie, le Britannique donne à ses sept planètes (sans la Terre ni Pluton, non encore découverte en 1917) des «caractères» différents, prétexte à des variations au charme mélodique évocateur. Le chef américain prend l’exact contrepied d’une interprétation privilégiant la mélodie principale pour faire ressortir chaque contrechant, dans un rythme lent et solennel, marquant les scansions de manière abrupte. Cette vision assez univoque, très raide, rend plus sombre encore le premier mouvement («Mars»), tandis que les mouvements dansants («Mercure» et «Uranus») s’avèrent plus réussis. Evitant tout lyrisme, l’ensemble de l’œuvre apparaît plus moderne mais manque indéniablement de poésie ou d’émotion. Intellectuellement intéressante, une telle vision se révèle trop souvent inégale avec ses baisses de tension mais aussi ses fulgurances, tel un superbe crescendo dans la poignante «Saturne». Dennis Russell Davies y brosse là davantage le portrait de l’ennui que de la vieillesse annonciatrice de mort. A moins que cet homme s’ennuie de ne pas mourir assez vite?


Chef associé du festival de Besançon, Dennis Russell Davies dirigera l’an prochain le concours international de jeunes chefs d’orchestre, ici même. Une manifestation présidée avant lui par de prestigieux maestros, dont le regretté Gerd Albrecht, disparu en début d’année à l’âge de 78 ans. L’organisation du festival, se rappelant qu’il en fut l’un des tout premiers lauréats en 1957, lui a fort opportunément dédié sa soixante-septième édition.

mardi 23 septembre 2014

Concert de l'Orchestre national d'Ile-de-France - Festival de Besançon - 20/09/2014

Traditionnel point d’orgue de la fin de l’été, l’avant-dernier week-end de septembre attire chaque année de nombreux visiteurs à Besançon. Il n’est qu’à poindre le nez dehors pour entendre les échos des rues bondées, animant le charmant centre-ville de la capitale franc-comtoise. Et pour cause! Outre les traditionnelles journées du patrimoine, le festival du livre «Les Mots Doubs» s’inscrit désormais dans le paysage culturel avec sa treizième édition, tandis que le célèbre festival de musique classique conclut ses dix jours de marathon dévolus principalement à l’orchestre. C’est précisément sur son concours de direction que la manifestation musicale a bâti sa réputation, événement bisannuel que l’on retrouvera l’an prochain à la même période.

Cette année, pour la soixante-septième édition du festival, l’Orchestre national d’Ile-de-France effectue un heureux retour en terres bisontines. Sept ans après sa première venue, la formation primée par la revue britannique Gramophone offre ainsi l’une de ses rares sorties en dehors du territoire francilien, après sa participation aux «Journées George Onslow» organisées à la fin du mois d’août à La Chaise-Dieu. A la baguette, on découvre le jeune prodige letton Ainārs Rubikis (né en 1978), déjà primé aux concours de direction Gustav Mahler en 2010, à seulement 31 ans, puis l’année suivante à Salzbourg.

Ainārs Rubikis

Le concert commence sur les chapeaux de roue avec Maslenitsa de Guillaume Connesson, brève ouverture symphonique en guise d’apéritif. Le compositeur français, en résidence à Besançon pour la saison 2014-2015, trouve son inspiration dans le folklore russe, le titre de l’œuvre faisant référence à la traditionnelle fête des crêpes – l’équivalent de notre Mardi gras. Rien d’étonnant, dès lors, à retrouver un véritable esprit de carnaval où s’entremêlent les emprunts les plus variés, du lyrisme hollywoodien cher à Korngold à l’intense frénésie du Prokofiev constructiviste, sans oublier de savoureux accents moqueurs aux bois – lointains échos du Concerto pour orchestre de Bartók. Ainārs Rubikis s’empare de ce petit bijou rutilant avec une maestria peu commune, faisant rugir l’orchestre dans un tempo très vif, d’une éclatante virtuosité.

Place ensuite à une pièce de jeunesse assez méconnue de Richard Strauss, composée à l’âge de 22 ans et plusieurs fois révisée avant d’acquérir son nom définitif, Burlesque pour piano et orchestre. Si la double influence de Brahms et Liszt paraît d’emblée patente, Rubikis fait valoir le formidable talent d’orchestrateur du compositeur bavarois par une attention à l’éventail de couleurs déployées en contraste avec les imprévisibles et incessantes ruptures rythmiques. Les attaques sèches de l’orchestre répondent à une approche non moins virile du pianiste Wilhem Latchoumia, résolument tourné vers le XXe siècle pour éviter tout épanchement romantique. A tout juste 40 ans, le français semble vouloir dévorer son instrument pour mieux faire l’étalage de son tempérament démonstratif, arborant une facilité déconcertante – un rien péremptoire. Si les prises de risque excusent certaines approximations, on aimerait davantage de respiration, à l’instar des dialogues intimistes avec les timbales où Latchoumia laisse entrevoir une touchante délicatesse. En bis, la virtuosité reprend ses droits avec l’irrésistible galop du «Polichinelle» de la Première Suite d’A prole do bebê de Villa-Lobos.

Après l’entracte, les instrumentistes tombent la veste, écrasés par la chaleur qui règne dans le théâtre. L’atmosphère irrespirable devient plus encore étouffante avec les premières notes de la Cinquième Symphonie de Chostakovitch, qui résonnent dans un rythme à la lenteur sépulcrale. Le climat de désolation imprimé par Ainārs Rubikis fait place à une triste résignation, rappelant ainsi combien le compositeur russe se sentait menacé après la mise à l’index de sa précédente symphonie par le régime stalinien. D’une étonnante lisibilité, la direction du chef letton offre à chaque pupitre des saillies individuelles déchirantes, comme autant de cris de révolte. Si l’Allegretto poursuit dans cette veine, le ton se fait plus extraverti, un sort semblant être réservé à chaque note. Rubikis muscle habilement le propos en contraste avec les deux mouvements qui entourent ce bref scherzo. Le chef letton ralentit à nouveau lors du Largo qui suit, imprimant un climat chambriste à la limite du murmure. Tout au long de la symphonie, on dénote une propension à jouer avec le tempo, ralentissant les passages mesurés, accélérant les parties plus vives. Le dernier tutti surprend ainsi par ses attaques sèches et ses scansions marquées, auquel succède l’écho des harpes au tempo mécanique, quasi hypnotique. Le célèbre final entonne son ode aux accents faussement triomphaux dans un rythme accéléré, l’orchestre faisant preuve d’une maîtrise hors pair. Tout est en place, sans aucun décalage. Les cordes à pleine puissance répondent au martellement sauvage des timbales: la colère est bien là, loin d’une hypothétique célébration du régime en place. Une optique très sombre qui rapproche incontestablement Ainārs Rubikis de son illustre aîné, le chef allemand Kurt Sanderling.

mercredi 17 septembre 2014

Théâtre - Saison 2014 2015 - Banlieue parisienne

Théâtre L'Apostrophe à Cergy (78)

24 novembre, 1er et 8 décembre : Les Insatiables de Hanokh Levin. Mes Gloria Paris.

Georges Lavaudant

Théâtre La Piscine à Châtenay-Malabry (92)

8 octobre : Le Faiseur de théâtre d'après Thomas Bernhard. Mes Julia Vidit.

3 et 4 décembre : Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand. Mes Georges Lavaudant.

16 et 17 janvier : La Vie de Galilée de Bertolt Brecht. Mes Jean-François Sivadier.

Théâtre L'Avant-Scène à Colombes (92)

18 octobre : Le Petit Chaperon rouge de et mes Joël Pommerat.

7 février : Le Misanthrope de Molière. Mes Michel Fau.

Michel Fau
Théâtre de l'Usine à Eragny-sur-Oise (95)

21 novembre au 14 décembre : Il ne faut jurer de rien d'Alfred de Musset. Mes Hubert Jappelle.

20 au 29 mars : L'Atelier de Jean-Claude Grumberg. Mes Hubert Jappelle.

Théâtre des Quartiers d'Ivry (94)

9 au 22 mars : Le Moche, Voir clair, Perplexe de Marius Von Mayenburg. Mes Maïa Sandoz.

26 mars au 5 avril : Les Aveugles de Maurice Maeterlinck. Mes Daniel Jeanneteau.

4 au 31 mai : Le Projet Penthésilée de Heinrich von Kleist. Mes Catherine Boskowitz.

Théâtre 71 à Malakoff (92)

18 au 30 novembre : Yvonne, Princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz. Mes Jacques Vincey.

Théâtre de Sartrouville (78)

6 février : On ne badine pas avec l'amour d'Alfred de Musset. Mes Christophe Thiry.

12 au 14 mars : Requiem de Hanokh Levin. Mes Cécile Backès.

19 au 21 mars : Les Caprices de Marianne d'Alfred de Musset. Mes Frédéric Bélier-Garcia.

5 et 6 mai : Pantagruel de Rabelais. Mes Benjamin Lazar.

27 au 29 mai : Animal(s) de Eugène Labiche. Mes Jean Boillot.

Benjamin Lazar
Théâtre des Gémeaux à Sceaux (92)

5 au 14 février : Le Prince de Hombourg de Heinrich von Kleist. Mes Giorgio Barberio Corsetti.

Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis (93)

25 septembre au 12 octobre : Liliom de Ferenc Molnár. Mes Jean Bellorini. (A l'Odéon-Berthier du 28 mai au 28 juin)

6 au 23 novembre : Martyr de Marius Von Mayenburg. Mes Matthieu Roy.

10 au 12 janvier : Un fils de notre temps de Odon von Horvath. Mes Jean Bellorini. (A Châtenay du 27 janvier au 1er février)

Jean Bellorini