vendredi 31 mai 2013

« L'Olimpiade » de Josef Mysliveček - Opéra de Dijon - 24/05/2013

En tournée en France et au Luxembourg, la recréation mondiale de « l’Olimpiade » de Mysliveček se poursuit en faisant une halte bienvenue à Dijon. Un plateau vocal idéal permet de découvrir sur scène une musique pétillante et imaginative, qui annonce déjà les grandes œuvres de Mozart.
 
Livret emblématique du xviiie siècle, l’Olimpiade a beau avoir été mis en musique par plus de soixante compositeurs différents, il n’en reste pas moins parfaitement méconnu de nos jours. Un constat d’autant plus incompréhensible que la liste des compositeurs inspirés par cette œuvre a de quoi impressionner. De Vivaldi à Paisiello en passant par Pergolèse, Hasse, Jomelli ou Cimarosa, la plupart des grands noms des périodes baroque et galante ont ainsi apporté leur contribution à cet opera seria écrit par le grand poète italien Pietro Metastasio (ou Métastase [1]).
Voilà deux ans, le Venice Baroque Orchestra a eu l’excellente idée d’enregistrer au disque un remarquable « pasticcio » des 24 airs et chœurs du livret original, tous empruntés aux partitions composées entre 1733 et 1784 par 16 musiciens différents. Parmi eux, on retrouve la figure oubliée du Bohémien Josef Mysliveček (1737-1781), pourtant acclamé en Italie tout au long de sa carrière et tenu en grande estime par Mozart. L’oratorio Abramo e Isacco fut même attribué par erreur au jeune prodige autrichien avant d’être restitué à Mysliveček, à l’instar de la Symphonie nº 37 de Mozart due en réalité à Michael Haydn, petit frère de Joseph.
Une récréation mondiale
Œuvre de la pleine maturité composée trois ans avant la mort de Mysliveček, l’Olimpiade a bénéficié d’une recréation mondiale à Prague début mai 2013 avant de partir en tournée dans la foulée. Une initiative heureuse tant Mysliveček multiplie les ambiances délicates ou fougueuses au moyen de riches et surprenantes ornementations orchestrales, et semble inspiré par cette histoire d’amitié contrariée où deux amis, Megacle et Licida, tombent amoureux de la ravissante Aristée, fille du roi Clistene, promise au vainqueur des jeux Olympiques. Il faut dire que la direction enflammée de Václav Luks (2) à la tête du Collegium 1704, ensemble baroque tchèque bien connu des festivaliers de La Chaise-Dieu, Pontoise ou Sablé-sur-Sarthe, n’est pas pour rien dans cette révélation éclatante.
La mise en scène esthétisante d’Ursel Herrmann déçoit en comparaison, avec un choix de couleurs peu heureux pour les décors, particulièrement les murs verdâtres, et des éclairages banals qui ne parviennent pas à animer un plateau quasi nu pendant toute la représentation. Les quelques idées symboliques suggérées, du labyrinthe projeté au sol pour exprimer la confusion des personnages à la présence quasi continue d’esprits de la forêt interprétés par les quatre membres du chœur, apportent certes une part de fantastique bienvenue, mais lassent à force de redondance. Cependant, c’est l’absence visible de direction d’acteur qui nuit à l’impression d’ensemble, avec des gesticulations démonstratives particulièrement datées.
Magnifique Raffalea Milanesi
Fort heureusement, le plateau vocal réuni triomphe aisément de ces désagréments. Annoncée souffrante, Raffalea Milanesi (Mégacle) surprend par une agilité dans les vocalises à peine ternie par quelques difficultés d’émission dans les aigus. Actrice éclatante de tempérament, elle surclasse aisément le pâle Licida de Tehila Nini Goldstein, au beau timbre ample, mais incontestablement trop sage dans son personnage. À leurs côtés, les seconds rôles très présents sont du même niveau d’excellence vocale, homogénéité finalement assez rare à réunir et qu’il convient de souligner. Il est vrai que le livret équilibré leur laisse à tous une occasion de démontrer leurs qualités par un air propre, tout comme le chœur enlevé et enthousiaste qui convainc pleinement dans ses différentes interventions. 

(1) Artaserse, autre livret fameux de Métastase, sera adapté par plus de cent compositeurs après sa création en 1730.
(2) Chef d’orchestre qui n’hésite pas à compléter l’œuvre de Mysliveček par deux extraits d’œuvres de Mysliveček (la Passione di Gesù Cristo) et Gluck (Ezio), composées à partir de livrets de Métastase.

jeudi 30 mai 2013

« Les Stigmatisés » de Franz Schreker - Opéra de Cologne - 18/05/2013

À condition d’être un germanophone averti, un voyage en Allemagne s’impose pour entendre l’une des œuvres maîtresses de Schreker, « les Stigmatisés » (« Die Gezeichneten »). À Cologne, la mise en scène de Patrick Kinmonth imagine le héros en tueur en série et pare le drame d’une rare noirceur.




Voilà quelques mois, l’Opéra national du Rhin dévoilait sa production du Son lointain, premier opéra de Franz Schreker (1878-1934) à être représenté sur une scène française. Un évènement rare, tant l’œuvre lyrique du compositeur autrichien est peu jouée en dehors des pays germaniques, et ce malgré sa réelle inspiration musicale qui se joue en virtuose d’influences multiples, de l’opulence wagnérienne au lyrisme vériste, en passant par les délicates subtilités impressionnistes héritées de Debussy. Parmi les villes allemandes qui fondent cette redécouverte constante, Cologne se souvient opportunément qu’elle a soutenu Schreker en accueillant la création de son opéra Irrelohe en 1921, par l’illustre chef d’orchestre Otto Klemperer.
Il n’est donc pas surprenant d’y retrouver à l’affiche un de ses opéras les plus populaires, et ce dans une salle pour le moins surprenante. Depuis la fin de la saison 2009-2010, l’Opéra de Cologne réalise en effet une patiente rénovation de son bâtiment principal de l’Offenbachplatz tout en poursuivant son activité en deux lieux d’accueil provisoires aux charmes bien différents, Le Dom et Le Palladium. Située à deux pas de la célèbre cathédrale, la salle éphémère au confort ultramoderne du Dom accueille le Triptyque de Giacomo Puccini jusqu’au 1er juin 2013, tandis que Le Palladium offre un saisissant décor industriel (façon Ateliers Berthier à Paris) aux Stigmatisés.
Un cadavre parmi les amas de tôle
Sans doute inspiré par les lieux, le metteur en scène Patrick Kinmonth oppose le public en deux tribunes face à face et imagine un décor jonché d’épaves de voiture, que surplombe une cahute minable. Prostré, un homme en bleu de travail gît seul au milieu de la vaste scène puis s’agite au rythme fiévreux de l’ouverture orchestrale, dévoilant un cadavre de femme parmi les amas de tôle. On s’interroge. Est-ce Alviano Salvago, ce noble fortuné, torturé par sa laideur, et créateur d’une île enchanteresse où les plus belles filles de Gênes sont séquestrées ? Est-ce bien l’amoureux transi de la ravissante artiste Carlotta Nardi, fille du podestat ? Bien vite, les partis pris de cette mise en scène brossent le portrait d’un tueur en série, extrapolant bien au-delà du livret original dans la plus pure tradition de la Regietheater.
S’il apporte un étonnement constant par son audace même, cet éclairage bénéficie surtout d’une direction d’acteurs précise et de beaux tableaux chorégraphiés, de la procession onirique des jeunes femmes, bientôt suivies des nobles génois (évoquant l’esprit perturbé du héros), aux magnifiques déplacements du chœur, véritable personnage en soi, lors du dernier acte. Cependant, cette vision réduit par trop le héros à un rôle uniformément noir dont les hésitations psychologiques pour aimer l’inconstante Carlotta Nardi ne sont plus fondées sur sa seule difformité corporelle mais sur sa laideur d’âme.
Pour autant, la composition impressionnante de présence physique de Stefan Vinke dans le rôle d’Alviano Salvago convainc pleinement, tandis que sa partenaire Ingeborg Greiner (Carlotta Nardi), parfois en difficulté dans les aigus, lui oppose un beau tempérament dans la scène où elle lui révèle son amour. Assurément l’un des plus beaux moments de la partition. Tous les nombreux seconds rôles sont parfaits, particulièrement Oliver Zwarg * (dans le rôle du duc) ou Jyrki Korhonen (le podestat). À la tête d’un orchestre du Gürzenich de Cologne ivre de couleurs, Markus Stenz mène l’action tambour battant et épouse l’optique de ce « théâtre de chair » vivement applaudi. 

* Spécialiste de ce répertoire, ayant interprété plusieurs rôles des opéras de Schreker au disque.

mercredi 29 mai 2013

« Les Capulets et les Montaigus » de Vincenzo Bellini - Opéra de Reims - 05/05/2013

Après Avignon en 2009 puis Tours l’année suivante, l’Opéra de Reims accueille la production d’« i Capuleti e i Montecchi » de Bellini avec un plateau vocal entièrement revu. L’occasion d’entendre deux jeunes chanteuses talentueuses et déjà passionnantes, l’Australienne Jessica Pratt et la Québécoise Julie Boulianne.


Aux côtés de Rossini et Donizetti, le sicilien Vincenzo Bellini (1801-1835) figure parmi les représentants emblématiques du bel canto romantique, cette riche période de l’opéra italien qui embrase le continent européen pendant tout le début du xixe siècle. Entièrement dévolu à la muse lyrique, Bellini connaît une ascension fulgurante, remportant ses premiers succès à Milan puis à Venise avec i Capuleti e i Montecchi en 1830. Alors qu’il vient d’obtenir son ultime triomphe à Paris, le jeune compositeur à la santé fragile disparaît subitement et rejoint ces étoiles filantes disparues trop tôt, tels Mozart ou Schubert avant lui.

Créé un an avant la révélation de ses deux chefs-d’œuvre la Somnambula et Norma, l’adaptation de l’histoire de Romeo et Giulietta trouve son origine non pas dans l’œuvre de Shakespeare bien connue, mais dans les différentes versions italiennes du drame. Encore tributaire de Rossini, cette œuvre composée en quelques semaines seulement porte en germe les succès futurs, et ce malgré un livret quelque peu décevant de Felice Romani qui réduit exagérément le nombre de personnages ou supprime des scènes poétiques, telle la rencontre attendue entre les deux amoureux.

Un contexte guerrier

En outre, le contexte guerrier du drame se fait plus présent par la transposition des évènements en Toscane médiévale, lors des oppositions sanglantes entre partisans des guelfes et des gibelins. La mise en scène de Nadine Duffaut * insiste particulièrement sur cet aspect en s’appuyant sur un voile au milieu de plateau qui permet de différencier les nombreux combats extérieurs en arrière-plan des tractations politiques des deux familles rivales au-devant de la scène. Admirablement chorégraphiées, ces scènes permettent aussi au chœur de trouver une place naturelle et équilibrée.

Aux côtés des opulents costumes réalistes de Katia Duflot, la scénographie apporte quelques éléments modernes avec ces pans de mur rouge sang qui prennent place peu à peu en étouffant toute perspective de fin heureuse. Autour de cet écrin visuellement très réussi, l’autre grande satisfaction de la représentation provient de ses deux rôles principaux interprétés par les jeunes chanteuses Julie Boulianne (Romeo) et Jessica Pratt (Giulietta).

Un champ expressif

Très crédible dans son rôle masculin – un artifice vocal souvent utilisé par les compositeurs jusqu’au début du xixe siècle, la mezzo-soprano québécoise obtient une ovation méritée tant son champ expressif passionne de bout en bout. Avec sa voix chaude et pleine, elle imprime les nombreux récitatifs de sa diction précise et agile, donnant ainsi à Romeo une autorité naturelle du meilleur aloi. Assurément, nous tenons là une grande chanteuse que l’on espère revoir très vite en France.

À ses côtés, la Giulietta de Jessica Pratt démontre des qualités tout aussi impressionnantes. Le pianissimo dans l’aigu est un pur ravissement, tandis que ses qualités de comédienne emportent l’adhésion. S’il lui manque peut-être encore un peu de rondeur dans le timbre, cela n’est qu’un détail tant son duo avec Julie Boulianne bouleverse. Les rôles masculins, moins lourds, convainquent eux aussi pleinement, même si Florian Laconi (Tebaldo) se laisse couvrir par l’orchestre au cours du second acte, peinant dans l’aigu.

À la tête d’un excellent orchestre de l’Opéra de Reims, le maestro Luciano Acocella mène le drame au moyen d’une lenteur étudiée, étouffante à force de maîtrise et de retenue. Attentif, rigoureux, il n’est pas pour rien dans la réussite de la représentation, chaleureusement applaudie par le public rémois. Ainsi rendu, le bel canto épouse le drame.


* Bien connue du public rémois, qui a notamment pu applaudir sa production de Carmen en 2011.