lundi 25 juin 2012

« Les Pêcheurs de perles » de Georges Bizet - Opéra-Comique - 18/06/2012

Retour attendu de l’un des opéras de jeunesse de Bizet à l’Opéra-Comique, dans une distribution dominée par la jeune Bulgare Sonya Yoncheva. Une révélation à suivre.

Pas besoin d’être un mélomane averti pour connaître la plupart des grands airs de la célébrissime Carmen de Georges Bizet, œuvre ultime du compositeur français, qui a fait le tour du monde depuis sa création en 1875. Cet incroyable triomphe n’éclipse fort heureusement pas ses autres œuvres, qui, pour être moins connues, n’en connaissent pas moins des représentations régulières dans les grandes maisons d’opéra. Il faut dire que le génie précoce de Bizet, mort à seulement 36 ans, s’est affirmé d’emblée avec plusieurs succès au Théâtre Lyrique, jadis concurrent de l’Opéra‑Comique.
C’est précisément cette institution parisienne qui permet de les découvrir aujourd’hui dans des productions de grande qualité, tant Carmen *, bien sûr, que son premier opéra les Pêcheurs de perles présenté pendant tout le mois de juin 2012 à Paris. Cet opéra de jeunesse de Bizet, composé à tout juste 25 ans suite à l’obtention du prestigieux prix de Rome, remporte un véritable succès d’estime à sa création en 1863, et ce malgré un livret banal qui tourne autour de l’inévitable triangle amoureux entre deux amis épris de la même femme, la troublante prêtresse Leïla. Zurga et Nadir se promettent de ne pas la séduire, avant que Zurga ne se rende compte de la tromperie de celui qui va devenir son rival.
Une œuvre teintée d’orientalisme
À une époque où l’orientalisme est à la mode, l’action se situe dans un Ceylan de pacotille, alors que Bizet ne connaît de l’Orient que des mélodies… espagnoles entendues à Paris. Pour autant, la finesse d’orchestration et l’imagination mélodique font de cette œuvre un véritable bijou, qui, tout en étant redevable à Gounod ou Verdi, comporte déjà des airs brillants, telle la romance de Nadir « Je crois entendre encore » à l’acte I. Impeccable pendant toute la soirée, le ténor russe Dmitry Korchak montre toutefois des limites techniques dans cette romance, avec des aigus mal maîtrisés. Mais sa diction idéale et son chant raffiné charment l’auditoire, tout comme le baryton André Heyboer dans le rôle de Zurga, à peine gêné par quelques faiblesses de projection.
La vraie révélation de la soirée, fort justement applaudie, revient à la jeune soprano bulgare Sonya Yoncheva, impressionnante d’aisance vocale, mais également comédienne ardente que l’on tarde de retrouver dans un rôle dramatique à sa mesure. À ses côtés, le chœur Accentus, omniprésent tout au long des trois actes, met un peu de temps à se chauffer avant de convaincre davantage en fin de soirée.
Une scénographie réussie
Concernant la mise en scène, le travail remarquable du Japonais Yoshi Oïda, compagnon de route de Peter Brook, mélange des effets réalistes (magnifiques costumes en patchwork) à une scénographie dépouillée, où flottent quelques barques de pêcheur surélevées dans les airs. La scène en pente est admirablement utilisée par les danseurs, souvent fascinants de langueur dans leur chute gracieuse. Ils épousent la musique sans jamais gêner la lecture du drame, interrompant leurs gestes avec le retour du chant des héros contrariés.
Reste à féliciter l’Orchestre philharmonique de Radio France et son chef Leo Hussain, méconnu à Paris, mais qui s’est déjà fait un nom à Bruxelles après ses succès dans la direction d’opéras du xxe siècle. Une personnalité à retenir tant sa direction flamboyante apporte à la réussite indéniable de cette soirée. 

* Superbe production dirigée par John Eliot Gardiner en 2009, disponible en D.V.D.

mardi 19 juin 2012

« Ciel d'Athènes à New York » - Festival de Saint-Denis - 15/06/2012

Le Festival de Saint-Denis fait cette année escale en Grèce. Le concert « Ciel d’Athènes à New York » réunit en effet des musiciens grecs et américains, qui dynamitent les genres dans une ambiance chaleureuse et populaire.
Alkinoos Ioannidis

Le Festival de Saint-Denis fait partie de ces évènements immanquables que les passionnés de musique classique ne ratent sous aucun prétexte chaque année au mois de juin, et ce depuis quarante‑deux ans. Car la programmation audacieuse réunit les meilleurs interprètes du moment, de Colin Davis, Jérémie Rhorer à John Eliot Gardiner, dans le cadre prestigieux de la basilique de Saint‑Denis et de la Maison d’éducation de la Légion d’honneur voisine. Un écrin idéal pour des chefs d’orchestre heureux de pouvoir diriger le rare oratorio Davidde penitente * de Mozart ou l’imposant Requiem * de Berlioz.

À côté de ces grandes œuvres du répertoire, la programmation s’est étendue en 2004 à des concerts de musique du monde donnés au printemps sur tout le territoire de la Seine‑Saint‑Denis, avec notamment Goran Bregovic, Talvin Singh, Smadj ou Murcof. Dénommé Festival Métis, cette initiative de la communauté d’agglomération Plaine‑Commune rend hommage à une terre d’immigration qui a accueilli de nombreux Bretons à la fin du xixe siècle, des Espagnols suite à la guerre civile de 1936, puis des travailleurs maghrébins et d’Afrique subsaharienne pendant la deuxième moitié du xxe siècle.

De Chypre à New York

L’exploration des musiques de la Méditerranée se poursuit cette année avec le Liban (Ibrahim Maalouf) et la Grèce, avec le concert Ciel d’Athènes à New York, une partition lyrique mêlant chants médiévaux de Chypre, sons classiques du xxie siècle, et musiques actuelles grecques. Ce projet original, né au Théâtre d’Épidaure d’Athènes il y a deux ans, réunit le chef d’orchestre Kristjan Järvi, son Absolute Ensemble de New York et trois musiciens grecs célèbres dans leur pays.

On retient surtout la personnalité attachante et sensible du chanteur et guitariste chypriote Alkinoos Ioannidis, qui semble particulièrement à l’aise pour oser plusieurs fois lâcher le micro et embrasser l’acoustique généreuse de la Basilique. Incroyable touche‑à‑tout, Alkinoos a également été comédien, puis s’est tourné récemment vers la composition, entamant des études en Russie avec rien de moins qu’un ancien élève de Chostakovitch. Au violon, son compatriote Miltiades Papastamou se régale dans les passages tziganes nombreux en fin de soirée.

On comprend dès lors la réussite de ce projet fondé sur la réunion heureuse de ces musiciens et d’un ensemble symphonique de tout premier plan, capable de passer d’une ambiance à la Bregovic au jazz‑rock de Joe Zawinul, en passant par les atmosphères entêtantes des harmonies orientales. Déchaînés, les musiciens semblent prendre un plaisir infini à accompagner ces musiciens grecs chaleureux et talentueux.

Le bouillant Kristjan Järvi

Il est vrai que la personnalité du bouillant Kristjan Järvi n’est pas étrangère à cette bonne humeur générale. Fils du grand maestro Neeme Järvi et frère cadet de l’actuel directeur musical de l’Orchestre de Paris Paavo Jaärvi, Kristjan a fondé l’Absolute Academy en 2006 afin de sensibiliser de jeunes interprètes à des musiques émanant de différentes cultures. Un pari réussi, qui l’emmène en tournée à travers le monde autour des musiques arabes ou indiennes, toujours dans cette volonté de mêler et entremêler les genres pour mieux surprendre son auditoire.

On retrouvera Kristjan Järvi à la tête de l’Orchestre de Paris dès le mercredi 20 juin 2012 dans un passionnant programme de musique hispanique et sud‑américaine consacré à Chávez, Rodrigo, Falla et Ravel. Un concert à ne pas manquer là aussi.

* Donnés tous deux à la basilique, Davidde penitente de Mozart le lundi 25 juin 2012, et le Requiem de Berlioz les jeudi 28 et samedi 30 juin 2012 (à la fin du Festival).

samedi 9 juin 2012

« Les Quatre Jumelles » de Copi - Théâtre de la Bastille - 21/05/2012

Dix ans après "l'Homosexuel ou la Difficulté de s'exprimer", le metteur en scène Jean‑Michel Rabeux revient à l’univers déjanté de Copi. Une réussite saluée par un public enthousiaste.
En Alaska, deux sœurs jumelles venues chercher de l’or se disputent et s’insultent à qui mieux mieux. Dehors, les chiens affamés menacent. Sans raison apparente, Maria pointe son couteau et blesse Leila. Toutes deux se rassurent machinalement à coups de prise d’héroïne, de cocaïne ou de camphre. Soudain, deux autres sœurs jumelles débarquent, hargneuses et imprévisibles. Un coup de feu éclate. Une première jumelle meurt, puis ressuscite.
Dès lors, un ballet infernal commence. Les jumelles ne cessent de mourir pour mieux revenir à la vie et à leur obsession de drogues et d’argent. Dans cet Alaska d’opérette, tout se joue et se déjoue, se répète et s’emmêle dans une joie furieuse et sanglante. Dans un tourbillon implacable d’excès et d’outrance, les répliques fusent, toujours plus cinglantes au gré des faux rebondissements.
Dans cette œuvre écrite en 1973, l’Argentin Copi s’amuse à dynamiter les codes, les faux‑semblants et les certitudes trop vite établies. Le hors‑norme devient ici la norme, l’étrange délicieusement familier. Les jumelles, avec leurs robes diaphanes et leurs maquillages blafards de clown désabusé, semblent interchangeables. Et l’on en vient à se demander si ces quatre personnages n’en font pas qu’un seul, telles de multiples identités s’affrontant dans une danse de mort sans fin. L’espoir n’est‑il pas ainsi d’échapper à soi‑même et de fuir, enfin, ailleurs ?
Le spectateur au centre de la farce
D’une efficace sobriété, la mise en scène de Jean‑Michel Rabeux choisit de placer les spectateurs au plus prêt des comédiens au moyen d’une scénographie qui rappelle celle utilisée par Laurent Fréchuret à Sartrouville. On entre en effet dans une petite arène intime, dépourvue de la moindre couleur. En son centre, une énorme boule blanche écrase toute la scène et se soulève, dévoilant peu à peu deux premières jumelles sorties de nulle part.
L’étrangeté de l’œuvre est renforcée par le choix de faire interpréter trois des quatre jumelles par des hommes, tous formidables de cohésion et d’homogénéité. Face à eux, Claude Degliame sort du lot avec sa voix grave et ses déraillements inquiétants. Aidés par une magnifique scénographie, les comédiens impliquent progressivement les spectateurs au centre de la farce, au plus prêt des rebondissements délirants. Un spectacle vivement applaudi et chaudement recommandable pour découvrir l’œuvre du détonant Copi.