Peu connue en France, la musique de Max Reger (1873-1916) ne laisse pas
de fasciner, tant elle prend des visages variés en fonction de son
inspiration, de l’influence brahmsienne des débuts aux effluves
impressionnistes du tournant du siècle, sans oublier l’expressionnisme
plus franc de la dernière période. Le coffret de sept disques édité par Berlin Classics en 2007 regroupait des enregistrements historiques permettant d’appréhender
cette diversité, où l’on note quelques recherches de timbres aux
frontières de l’atonalité, bien avant l’école de Vienne. Disparu très
tôt à seulement 43 ans, Reger a laissé un corpus étonnamment conséquent,
surtout dans le domaine symphonique et en musique de chambre. Outre le
coffret consacré à l’intégrale de ses œuvres pour violoncelle et piano,
le présent disque rend hommage au compositeur en présentant ces pièces
parmi les plus achevées, et ce en des versions hautement recommandables.
Ainsi du passionnant Premier Trio (1904) qui laisse entrevoir dès
l’introduction lente le goût du compositeur pour les atmosphères
fuyantes, avant de s’embarquer en des variations d’intensité au
caractère affirmé. La mélodie prend ensuite place en des échos
brahmsiens, rapidement interrompue par le retour des scansions. Formé en
2011, le trio italien Il Furibondo se délecte de ces variations un rien
déroutantes, en mettant en valeur les couleurs des instruments, avec
force détails dans l’attention aux nuances et quelques attaques franches
en contraste. Cette approche sied parfaitement aux humeurs changeantes
ici à l’œuvre: du grand art interprétatif. Le Larghetto qui suit
donne une idée de la hauteur d’inspiration de Reger, en maître des
subtilités du pianissimo, avant que la mélodie ne retrouve ses droits
dans le beau Scherzo aux accents plus lyriques (loin de l’austérité à laquelle on attache trop souvent le compositeur), puis dans l’Allegro final, également très réussi.
Autre chef-d’œuvre avec le Second Trio (1915), qui joue avec les frontières de la tonalité dans l’Allegro initial, aussi mouvant qu’évasif. La sensibilité des interprètes magnifie ensuite le superbe Andante, avec un jeu sur les timbres qui soutient un mélange délicat de tristesse mélodieuse. Sommet de l’ouvrage, le Scherzo
rageur est porté par l’élan grinçant des attaques, au service d’un
mouvement étonnamment tournoyant et narquois. Voilà un corpus qui
modifie en profondeur l’image uniforme qu’on avait du compositeur.
Parce que la culture se conjugue sous plusieurs formes, il sera sujet ici de cinéma, de littérature, de musique, de spectacles vivants, selon l'inconstante fantaisie de son auteur
jeudi 20 août 2020
Trios pour piano de Max Reger - Il Furibondo - Disque Solo Musica
lundi 17 août 2020
« Maître Péronilla » de Jacques Offenbach - Markus Poschner - Disque Glossa
Après la réussite du précédent album consacré à Offenbach, les équipes du Palazzetto Bru Zane nous offrent de découvrir un ouvrage plus méconnu, Maître Péronilla (1878). Présenté l’an passé en version de concert lors d’une unique représentation au Théâtre des Champs-Elysées, cet opéra bouffe ne laisse pas un grand souvenir au niveau de son livret, dû au compositeur avec l’aide de Charles-Louis-Etienne Nuitter et Paul Ferrier. L’intrigue inutilement alambiquée lorgne vers Goldoni, en un ton passéiste que ne sauvent pas des dialogues souvent convenus. Fort heureusement, Offenbach se montre plus inspiré au niveau mélodique, multipliant les airs entêtants et irrésistibles.
On a donc là un Offenbach de second rang, mais qui vaut par l’excellent
plateau vocal réuni, toujours aussi attentif à la diction. Les femmes se
distinguent avec le timbre opulent d’Antoinette Dennefeld
(Frimouskino), l’élégance drolatique de Véronique Gens (Léona) ou la
sensibilité de Chantal Santon-Jeffery (Alvarès) – et ce malgré des aigus
parfois arrachés. Eric Huchet (Maître Péronilla) et Tassis
Christoyannis (Ripardos) n’ont plus rien à prouver dans ce répertoire où
ils trouvent toujours le ton juste dans leurs réparties comiques,
tandis que le moindre second rôle démontre toute l’attention portée à
cet enregistrement. Autour d’un Chœur de Radio, France très précis, le
chef allemand Markus Poschner (né en 1971) tient bien son rôle, même si
l’on aimerait davantage de détails dans sa direction un rien trop
virile. Un très bel enregistrement, toujours aussi soigneusement édité
et présenté par des notices précises, notamment celle de Gérard Condé.
mercredi 5 août 2020
«Hypnos» par la compagnie La Tempête - Simon-Pierre Bestion - Heures musicales de l'abbaye de Lessay - 31/07/2020
Parmi les quelques festivals sauvés des nombreuses annulations, les Heures musicales de l’abbaye de Lessay (Manche) accueillent une dizaine de concerts cet été, tout en permettant de découvrir les beautés de la nature préservée du Cotentin, entre côtes sauvages, bocages et marais. Située entre Cherbourg et Coutances, l’abbaye romane de Lessay en impose d’emblée par ses dimensions majestueuses aux lignes épurées, sans qu’il soit possible de deviner les stigmates des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, suite à une parfaite reconstruction à l’identique. Bénéficiant d’une acoustique peu réverbérée pour un édifice religieux, l’abbaye favorise naturellement la musique baroque, particulièrement la musique vocale, et ce depuis 1993, date fondatrice du festival. Malgré le contexte sanitaire, la plupart des concerts (un peu moins d’une dizaine chaque été) ont pu être maintenus pour le plus grand bonheur des spectateurs, même si la jauge a été adaptée avec seulement 270 places, généreusement espacées dans la nef.
Par son invitation au recueillement et à la concentration, cette disposition inhabituelle sied admirablement au spectacle proposé par la compagnie La Tempête, menée par son excellent fondateur Simon-Pierre Bestion (né en 1988). On retrouve les qualités de jeux sur la palette de timbres et la spatialisation, qui nous avaient tant séduit à la découverte de cet ensemble, alors tout jeune en 2015 à Périgueux. Au fur et à mesure de l’avancée du concert, l’ensemble du public lâche prise en ne cherchant plus systématiquement à voir, mais bien à se concentrer sur l’écoute, et tout particulièrement les huit voix réparties différemment selon les morceaux. Comme à Périgueux, le spectacle joue de l’alternance virtuose entre répertoire a capella ancien et contemporain, osant revisiter des chants italiens liturgiques anonymes des IXe et XIe siècles. Ces pièces surprennent par leur ferveur et leur intensité, aux atours joyeux et hypnotiques marqués par l’utilisation du mélisme, rappelant certaines musiques juives traditionnelles. Les extraits religieux des XIVe et XVe siècles font l’étalage d’une modernité toujours aussi étonnante dans l’entrecroisement savant des voix, en parfait miroir avec les audaces du répertoire contemporain. Entre le magma informe et fascinant d’où émerge progressivement l’emphase d’Olivier Greif (1950-2000) et les ondulations entre piano et forte de Giacinto Scelsi (1905-1988), le répertoire a capella s’exprime dans toute sa diversité, sans oublier Arvo Pärt (né en 1935) et sa palette de notes qui parcourent subrepticement les voix, pour mieux s’éteindre discrètement ensuite.
Les huit interprètes se montrent à la hauteur malgré quelques infimes
décalages au début, se chauffant peu à peu pour convaincre pleinement
ensuite. On notera toutefois quelques disparités de niveau, l’un des
ténors montrant peu de style dans la puissance, là où les sopranos
rayonnent littéralement à chaque intervention. De même, le chef
Simon-Pierre Bestion déçoit quelque peu dans ses passages solistes
psalmodiés en incipit, par une voix légèrement engorgée. Fort
heureusement, il se rattrape grandement par sa direction aussi détaillée
que précise qui fait tout le prix de ce concert, à chaque fois au
service de la narration d’ensemble. Peu de choses à dire en revanche sur
les éclairages minimalistes imaginés par Marianne Pelcerf, qui se
contente de répartir quelques néons verticaux en différentes parties de
l’abbaye, les éclairant ou non selon les différentes pièces proposées.