vendredi 26 octobre 2018

Oeuvres de Joseph Haydn, Jean-Baptiste Davaux et Louis-Charles Ragué - Julien Chauvin - Auditorium du Louvre - 24/10/2018

Julien Chauvin
Après avoir passé plusieurs années à codiriger Le Cercle de l’harmonie avec Jérémie Rhorer, Julien Chauvin (né en 1979) poursuit sa découverte du répertoire symphonique du XVIIIe siècle avec son ensemble Le Concert de la Loge : la sortie récente du troisième disque consacré aux Symphonies parisiennes permet au jeune chef français de continuer à nous proposer de découvrir des contemporains de Haydn aux côtés des chefs-d’œuvre bien connus du maître autrichien. Ainsi de Jean-Baptiste Davaux (1742-1822), né comme Berlioz à La Côte-Saint-André, dont la figure avait été mise en avant par un disque déjà ancien du Concerto Köln autour de «La Prise de la Bastille» (Capriccio, 1989, réédité en 2008). On aurait plutôt aimé la reprise de la symphonie de Dittersdorf qui a donné son nom au disque, mais il n’en reste pas moins que la symphonie de Davaux fait son effet au concert grâce aux extraits d’airs patriotiques célèbres toujours connus aujourd’hui, tels que La Marseillaise, La Carmagnole ou le fameux «Ah! ça ira, ça ira, ça ira!». Accompagné de la violoniste Chouchane Siranossian, Julien Chauvin fait valoir un éclat bienvenu en soliste, tandis que sa partenaire se montre plus en retrait dans l’intention, ce malgré d’impeccables qualités techniques.

Plus intéressante, la Première Symphonie de Louis-Charles Ragué (1744-1793) nous transporte en des états d’âme pré-révolutionnaires volontiers fougueux et exacerbés dans les mouvements extérieurs. C’est là où Chauvin se montre à son meilleur, avec une énergie rythmique qui met en valeur les attaques sèches et l’articulation en des tempi très rapides, sans vibrato. On aimerait davantage de respiration ici et là, à même de mettre en valeur les crescendos et les passages aériens en contraste, avec davantage de couleurs. Ces défauts sont également visibles dans la Quatre-vingt-septième Symphonie de Haydn, découpée en deux parties à l’instar de ce qui se pouvait se faire à l’époque – dixit Chauvin. A ce compte-là, quitte à jouer l’authenticité, Chauvin devrait aller jusqu’au bout de sa logique et nous proposer un concert autrement plus consistant en termes de durée: les nombreux programmes reproduits dans le Joseph Haydn de Marc Vignal (Fayard, 1988) démontrent aisément combien les auditeurs de la fin du XVIIIe siècle ne se contentaient pas de trois maigres symphonies, aussi réussies soient-elles.

mardi 23 octobre 2018

« Te Deum » de Jean-Baptiste Lully et « Missa Salisburgensis » de Heinrich Biber - Václav Luks - Chapelle royale de Versailles - 20/10/2018

Václav Luks
Afin de célébrer le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, Versailles met à l’honneur deux ouvrages contemporains du baroque triomphant: le Te Deum de Jean-Baptiste Lully (1632-1687) et la Missa Salisburgensis de Heinrich Biber (1644-1704). Ce concert placé sous le patronage de la Commission européenne sera repris de Prague à Rome, en passant par Dresde. En première partie de soirée, le Te Deum (1677) fait entendre un Lully davantage tourné vers l’expression de courts motifs mélodiques et rythmiques, où les solistes se détachent dans les parties plus apaisées. Luks séduit autant qu’il agace, respirant peu dans les fins de phrases, comme à son habitude, ce qui est dommageable à l’esprit éthéré de maints passages. Il convainc pleinement, en revanche, dans les fulgurances excitantes et bienvenues en contraste.

Le chef tchèque est manifestement plus à son aise pour magnifier la figure méconnue de son compatriote Biber, poursuivant ainsi une reconnaissance entamée au disque dans les années 1980 par les plus grands chefs baroques (Reinhard Goebel, Ton Koopman ou Gustav Leonhardt par exemple): de quoi découvrir les chefs-d’œuvre du maître bohémien, des grandes messes jusqu’à l’intimisme émouvant des Sonates du Rosaire (1678). Composée à l’occasion du 1100e anniversaire de la fondation de l’archevêché de Salzbourg, la Missa Salisburgensis (1682) fait valoir un climat spectaculaire porté par les trompettes irradiantes, à même de symboliser la puissance du catholicisme face aux voisins protestants.

La chapelle royale de Versailles propose à nouveau cet ouvrage seulement deux ans après un premier concert confié aux mêmes interprètes, preuve s’il en est du succès grandissant de cette Messe. Il est vrai que le lieu se prête parfaitement à la spatialisation voulue par la répartition des effectifs colossaux de Biber: l’orchestre à cordes, les théorbes et les choristes des Pages du Centre de musique baroque de Versailles et du Collegium Vocale 1704 prennent place sur la scène face au chef, tandis que les autres interprètes se répondent à l’étage, du chœur d’enfants aux trompettes et timbales (par deux), sans compter le pupitre de vents! On comprend qu’un tel succès soit repris ici-même, à l’instar des autres raretés régulièrement promues par Versailles: à cet égard, on ne manquera pas Le Déluge universel de Falvetti proposé en juin prochain par Leonardo García Alarcón.

Si les chœurs se montrent quelque peu hésitants au début de la Messe, ils se rattrapent ensuite, bien aidés par la direction énergique de Václav Luks, qui met admirablement en valeur les oppositions entre les différents pupitres. Le chef tchèque se montre plus à son aise dans cet ouvrage, particulièrement dans les passages homophones ou les fugues bien maîtrisées. Il sait aussi s’apaiser dans les passages plus intimes qui mettent en avant les solistes du chœur, tous sollicités ici. Leur niveau homogène, sans briller, permet une bonne prestation globale, justement saluée en fin de représentation par un public venu en nombre.

dimanche 21 octobre 2018

« Le Mariage secret » de Domenico Cimarosa - Opéra royal de Wallonie à Liège - 19/10/2018


Fidèle à son credo de présenter des « mises en scène qui respectent le public », c’est-à-dire éloignée de la regietheater à l’allemande, Stefano Mazzonis di Pralafera reprend l’un de ses tout premier spectacle présenté depuis son arrivée en 2007, en tant que directeur général et artistique de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège. La saison initiale de son mandat avait démontré tout son goût pour un répertoire italien délaissé, osant mettre à l’affiche Cherubini, Rinaldo di Capua et Cimarosa dans trois intermezzi savoureux, avant de rendre ensuite hommage à la gloire locale Gretry, avec Guillaume Tell et Zemire et Azor, notamment.

Avec cette reprise du Mariage secret, on ne se plaindra pas de retrouver l’incontestable chef d’oeuvre de Cimarosa, dont Rossini fit son miel, même si on aimerait aussi un intérêt plus poussé pour les autres ouvrages (plus de soixante-dix!) qui ont jalonné la carrière du Napolitain. Si la création de cette production, captée au dvd, avait fait appel à l’expérimenté Giovanni Antonini à la baguette, la direction est cette fois confiée à Ayrton Desimpelaere (né en 1990) dont c’est là la toute première production lyrique, après trois ans passés en tant qu’assistant chef d’orchestre à l’Opéra de Liège. Quelques décalages, sans doute dus au stress, sont audibles en première partie, avant de se résorber ensuite : gageons que les prochaines représentations sauront lui donner davantage d’assurance. Sa lecture privilégie des tempi allants qui mettent admirablement en valeur l’ivresse rythmique et le sens mélodique de Cimarosa, au détriment de certains détails peu fouillés, ici et là – délaissant le rôle de l’orchestre dans le piquant et la verve moqueuse. Peut-être qu’une opposition plus prononcée entre les différents pupitres de cordes aiderait avantageusement à stimuler un orchestre très correct, mais dont on aimerait entendre davantage la personnalité et le caractère.

Le meilleur de la soirée se trouve au niveau du plateau vocal, d’une très belle homogénéité, surtout chez les femmes. Malgré les quelques interventions décalées avec la fosse, Céline Mellon (Carolina / photo ci contre) s’impose au moyen d’une émission ronde et souple, permettant des vocalises d’une facilité déconcertante, autour d’une interprétation toute de charme et de fraîcheur. Sophie Junker n’est pas en reste dans le rôle de sa soeur Elisetta, donnant davantage de mordant et de couleurs en comparaison. Annunziata Vestri (Fidalma) fait valoir de beaux graves, malgré une agilité moindre dans les phrasés. C’est là le grand point fort de Patrick Delcour (Geronimo), par ailleurs irrésistible dans ses réparties comiques. Son timbre un peu fatigué convient bien à ce rôle de barbon moqué par tous ceux qui l’entourent. Matteo Falcier (Paolino) a pour lui une ligne gracieuse, tout en laissant entendre quelques imperfections dans l’aigu. C’est sans doute l’un des interprètes les moins à l’aise de la soirée avec Mario Cassi (Comte Robinson), seul rescapé de la production de 2008. Le baryton italien qui a chanté avec les plus grands (Abbado, Muti…), manque de projection, compensant cette faiblesse par une ligne de chant délicate et une interprétation toujours à propos.

On terminera rapidement sur la mise en scène de Stefano Mazzonis di Pralafera qui reprend décors et costumes à l’ancienne pour proposer un spectacle convenu et sans audace. S’il semble difficile de faire le choix d’une transposition ici, on aurait aimer davantage de folie et d’imagination, au moins au niveau visuel, à même de nous démontrer que cette histoire reste on ne peut plus actuelle. Quoiqu’il en soit, le travail proposé (particulièrement varié et réussi au niveau des éclairages) est d’une probité sans faille, acclamé par un public visiblement ravi en fin de représentation par les aspects bouffes mis en avant ici.

lundi 8 octobre 2018

« Simon Boccanegra » de Giuseppe Verdi - Opéra de Marseille - 05/10/2018



Immense baryton italien à la carrière qu’on ne présente plus, Leo Nucci (76 ans) continue de s’illustrer sur les plus grandes scènes avec bonheur, imposant une longévité vocale qui force l’admiration (voir par exemple tout récemment à Vérone ou à Liège). Parallèlement, le vétéran poursuit une activité de metteur en scène entamée en 2013, lorsque Busseto lui demanda de prendre la suite de Lamberto Puggeli, tombé malade. Avec cinq mises en scène à son actif à ce jour, Nucci fait ses débuts en France avec cette production de Simon Boccanegra, créée l’an passé au Teatrio Municipale di Piacenza (Plaisance, au sud de Milan). Une nouvelle casquette très attendue puisque le baryton peut s’enorgueillir d’avoir chanté plus de deux cents fois le rôle-titre dans sa carrière, dont encore récemment à Parme.

Las, le metteur en scène en herbe déçoit très vite, tant ses intentions réduisent son travail à une simple mise en espace agrémentée de décors bien ficelés mais convenus, tandis que les éclairages très classiques n’apportent que peu de variations aux différents tableaux présentés. Les costumes d’époque splendides parachèvent cette vision qui nous ramène plus de soixante ans en arrière, à une époque où le théâtre n’avait pas sa place à l’opéra, autour de scénographies en carton-pâte et d’une direction d’acteur figée. Face à d’autres théâtres qui célèbrent chaque année les mises en scène modernes fondatrices (voir par exemple l’épure du Parsifal de 1957 repris chaque année à Mannheim), Leo Nucci assume ses choix et préfère une mise en scène qui s’efface devant les chanteurs. Soit. Mais n’est-il pas possible de trouver une voie médiane entre les excès de l’eurotrash et le conformisme mou ainsi affiché? S’agissant d’un livret aussi obscur et mal conçu que celui de Simon Boccanegra, le rôle du metteur en scène est d’aider le public à y voir plus clair, à comprendre les ressorts d’une action bien confuse. Rien ici ne participe de ce travail nécessaire. Quoi qu’il en soit, cette production a au moins pour mérite de présenter des tableaux bien différenciés et agréables visuellement, à même de saisir le climat général très sombre de cette ultime version de Simon Boccanegra (1881): de quoi expliquer l’accueil très chaleureux du public en fin de représentation, il est vrai conquis à juste titre par un plateau vocal d’excellente tenue.


Déjà acclamé ici-même dans Macbeth en 2016, Juan Jesús Rodriguez s’impose dans le rôle-titre au moyen de phrasés d’une noblesse éloquente, instillant des modulations émouvantes qui dénotent son attention au texte. Son timbre légèrement fatigué convient admirablement au rôle, achevant de composer une interprétation de grande classe. On espère revoir très vite ce baryton bien rare en France. A ses côtés, Nicolas Courjal impose un Fiesco admirable de noirceur, dont l’émission au léger vibrato bénéficie d’un timbre toujours aussi superbe. Olesya Golovneva n’est pas en reste dans son interprétation, autour d’un chant haut en couleurs mais qui manque parfois de tenue dans le suraigu. Plus décevant, Riccardo Massi montre quelques difficultés techniques dans les accélérations et quelques détimbrages malheureux. Il s’en sort néanmoins grâce à une belle présence sur scène, de même que le superlatif Paolo d’Alexandre Duhamel, qu’on aurait aimé entendre dans un rôle plus étoffé encore.


On mentionnera encore l’excellence du Chœur de l’Opéra de Marseille, très précis dans leurs différentes interventions, tandis que Paolo Arrivabeni conduit ses troupes avec une autorité naturelle confondante. Sa direction dramatique très à-propos reste constamment au plus près des intentions de l’ouvrage, dévoilant une myriade de détails dans l’harmonie plus fouillée du Verdi de la maturité. A l’instar du plateau vocal réuni, il est vivement applaudi par le chaleureux public de Marseille, très démonstratif.

mardi 2 octobre 2018

« Les Fées du Rhin » de Jacques Offenbach - Opéra de Tours - 30/09/2018


Déjà ressuscité en 2002 par le Festival de Montpellier, l’opéra romantique Les Fées du Rhin fait aujourd’hui son grand retour à Tours pour une double première: sa création mondiale dans la langue de Molière et sa création scénique en France, là où Montpellier s’était contentée d’une version de concert en allemand. Créé à Vienne en 1864 en une adaptation allemande réduite à deux actes, cet ouvrage sérieux invite à nous éloigner de l’image bouffe à laquelle on réduit souvent Offenbach, même si on pourra être déçu par son livret rocambolesque, accumulant raccourcis et invraisemblances. Outre ces critiques justifiées, l’absence de production dans notre pays peut s’expliquer par la présence insolite d’un chœur célébrant la terre allemande: il s’agit sans doute là d’un clin d’œil audacieux d’Offenbach pour affirmer ses origines germaniques et conquérir Vienne, mais qui solda définitivement le sort de cet ouvrage dans notre pays après la défaite de 1870.

Reconstruite par Jean-Christophe Keck, la version en quatre actes est aujourd’hui présentée avec quelques rares coupures à l’Opéra de Tours, alors que les représentations de la fin de l’année en Suisse se limiteront à une version plus réduite, avec un plateau vocal différent (hormis Serenad Burcu Uyar et Guilhem Worms). L’Ouverture fait résonner d’emblée la mélodie bien connue qu’Offenbach réutilisera dans la Barcarolle des Contes d’Hoffmann: une musique irrésistible qui servira ensuite de leitmotiv pour les apparitions fantastiques des fées. Globalement, Offenbach fait ici valoir son talent mélodique en des climats admirablement variés, autour d’un chœur très présent. Ce sont précisément les chœurs et les ensembles qui laissent une impression vibrante en fin de soirée, là où l’inspiration d’Offenbach est à son meilleur.

Il faut dire que le Chœur de l’Opéra de Tours n’est pas pour rien dans cette ivresse bienvenue, tant ses qualités de cohésion et de précision emportent l’adhésion. Une des grandes satisfactions de la soirée avec la direction de Benjamin Pionnier, toute de finesse et d’attention à l’étagement des mélodies entrecroisées: on pourrait évidemment souhaiter plus d’électricité dans certains passages, mais son geste sûr respire sans jamais s’alanguir, donnant beaucoup de noblesse à cet Offenbach ambitieux. L’Orchestre symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours, très en forme, semble faire corps avec son chef, hormis quelques rares imperfections dans les départs aux cuivres.


Le plateau vocal réuni est malheureusement plus inégal en comparaison, même si on pourra noter une attention générale à la prononciation et au texte. C’est tout particulièrement vrai pour Guilhem Worms (Gottfried), dont chacune des interventions est un régal. Son timbre splendide, tout autant que la sûreté et la largeur d’émission, lui permettent de tenir son rôle avec beaucoup de conviction. A ses côtés, Marie Gautrot (Hedwig) fait valoir une présence tout aussi vibrante, autour de phrasés admirables de couleur et parfaitement projetés. La ligne est moins tenue pour la décevante Serenad Burcu Uyar (Laura), par ailleurs peu crédible scéniquement et stylistiquement. C’est d’autant plus regrettable que les moyens sont là, mais mal exploités. Outre l’inaudible Sébastien Droy (Franz), on mentionnera la prestation frustrante de Jean-Luc Ballestra (Conrad), qui alterne le meilleur comme le pire avec une assurance pourtant éclatante. Dès lors que la voix est bien placée, on a là l’un des barytons les plus irrésistibles du moment à force d’intention et de présence, mais que dire lorsque le timbre se délite en un râle indigne d’un chanteur de ce niveau? C’est d’autant plus surprenant que ces difficultés techniques apparaissent d’emblée et non pas sur la durée, comme l’expression d’un chant négligent et nonchalant, avec de nombreux passages en force pour compenser.

Copieusement sifflée en fin de représentation, la mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau tente d’animer le plateau en transposant l’action dans la barbarie des conflits de l’ex-Yougoslavie. Rien de nouveau dans cette proposition qui peut se défendre, mais qui joue trop lourdement sur la fureur et les affirmations d’autorité répétées. S’il est vrai que le livret ne passionne guère, faut-il pour autant multiplier aussi systématiquement les menaces et autres singeries avec les armes? On a parfois l’impression d’assister à une série américaine autocentrée sur sa fascination pour la violence, en mal d’idées. Pour autant, Pierre-Emmanuel Rousseau se montre plus à son aise avec l’expression du merveilleux, dévoilant un beau tableau animal lors du ballet au III. De quoi donner un moment de poésie bienvenue, mais trop rare, à cette mise en scène qui se repose trop sur le jeu (perfectible) des interprètes.