lundi 17 décembre 2012

« Madame Butterfly » de Giacomo Puccini - Opéra de Massy - 14/12/2012

L’Opéra de Massy présente une nouvelle production de « Madame Butterfly », venue tout droit de Saint-Céré et Fribourg. Une réussite à tout point de vue.

Massy, vous connaissez ? Une petite ville francilienne de 40 000 habitants qui a la particularité de disposer d’une gare T.G.V., mais également d’un opéra installé au cœur d’un immense quartier de grands ensembles. Depuis son ouverture en 1993, une même équipe est aux commandes, avec le directeur Jack-Henry Soumère et le chef permanent Dominique Rouits à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Massy.
Nous pouvons bien l’avouer aujourd’hui, nos deux premières venues à Massy ont été très prudentes, avec les opéras Dialogue des Carmélites et Carmen accompagnés par l’excellent Orchestre national d’Île-de-France. Quelle ne fut donc pas notre surprise de découvrir mardi soir, en cette deuxième représentation de Madame Butterfly *, un non moins remarquable Orchestre de l’Opéra de Massy, aussi vif que précis dans ces attaques, volontiers prodigue d’une palette riche de couleurs.
Une jauge idéale pour les petites voix
Il est vrai que la jauge idéale de cette salle de 800 places permet de développer un rapport privilégié avec le public, ravi de cette proximité qui permet de recueillir les infimes variations de ton et de style. Elle donne aussi à de petites voix la possibilité d’exprimer une fragilité et une subtilité qui, dans une salle plus grande, serait parfaitement inaudible. C’est ainsi que la soprano Sandra Lopez de Haro, merveilleuse Butterfly, a fait sensation à Massy.
Quel bonheur de découvrir un petit bout de femme haut comme trois pommes dispenser avec tant de grâce un chant aérien, au velouté raffiné et toujours maîtrisé. Son sens du phrasé et ses pianissimi de rêve raisonnent encore au moment d’écrire ces lignes. L’histoire mélodramatique de Madame Butterfly a fait le tour du monde. Une jeune Japonaise séduite puis abandonnée par le soldat américain Pinkerton se refuse à accepter son sort. Épaulée par sa servante Suzuki, elle reçoit le soutien du consul Sharpless, pris de remords de n’avoir pas su éviter ce mariage soudain.
En face de Sandra Lopez de Haro, ses partenaires ne sont pas en reste. La servante est portée par le mezzo chaleureux d’Hermine Huguenel, tandis que Kristian Paul interprète un Sharpless touchant d’humanité face à l’aveuglement de l’héroïne. Sa voix puissante, toujours parfaitement posée dans les différentes tessitures, donne beaucoup de densité au rôle. Malgré un beau tempérament dramatique, Carlo Guido (Pinkerton) déçoit, en comparaison, par un manque évident de rondeur dans la voix, souvent forcée et proche de ses limites.
Un cortège burlesque et désopilant
La mise en scène d’Olivier Desbordes, directeur artistique du Festival de Saint-Céré, privilégie dans la première partie des éléments bouffes inattendus. Avec la transposition de l’action dans un Japon post-tsunami, le décor unique imaginé par Ruth Gross dévoile une maison pauvre dévastée, sur deux niveaux. À l’extérieur, un chemin en demi-cercle permet d’éviter l’eau. C’est ainsi que l’arrivée de Butterfly et toute sa famille se déroule sous la forme d’un cortège burlesque et désopilant qui parade à qui mieux mieux. Les costumes bariolés, aux couleurs plus chinoises que japonaises, ajoutent à cet esprit de fête.
Le contraste avec la deuxième partie, plus dramatique, de l’opéra n’en est que plus criant, la langueur de l’attente étant parfaitement exprimée par les beaux éclairages en contre-jour qui précèdent le geste fatal de l’héroïne. Le public, aux anges, ne s’y est pas trompé, réservant une ovation à toute la troupe à l’issue de la représentation.

* Présentée pour la troisième fois à Massy après 2001 et 2007, cette fois-ci dans une nouvelle mise en scène d’Olivier Desbordes.

dimanche 16 décembre 2012

« Ariane et Barbe-Bleue » de Paul Dukas - Opéra de Dijon - 07/12/2012

L’Opéra de Dijon nous offre le rare « Ariane et Barbe-Bleue » de Dukas, pour lequel l’histoire seule, allusive et mystérieuse, vaut le déplacement. Et ce, malgré l’interprète du rôle-titre qui, malade, gâche la fête.



La renommée du compositeur français Paul Dukas (1865-1935) reste attachée de nos jours au poème symphonique « l’Apprenti sorcier », popularisé par le fameux dessin-animé Fantasia de Walt Disney. Les images bien connues de Mickey luttant contre ses balais indisciplinés ont fait le tour du monde, imposant durablement cette œuvre au concert. Les autres opus de Dukas n’ont pas cette faveur, sans doute du fait de leur faible nombre, le compositeur censeur exigeant envers lui-même ayant choisi de n’en conserver qu’une dizaine seulement.
Parmi eux, son chef-d’œuvre et unique opéra Ariane et Barbe-Bleue est créé en 1907, cinq ans après le Pelléas et Mélisande de Debussy, une œuvre intensément admirée par Dukas. À l’instar de ses contemporains Jean Sibelius et Richard Strauss, sa musique porte l’influence de Wagner et refuse les innovations atonales ou la révolution stravinskienne. Autour de cet indiscutable classicisme, son sens de l’orchestration et son attention portée au détail raffiné font merveille dans l’adaptation symboliste du conte de Charles Perrault.
Barbe-Bleue revisitée
Le livret de Maurice Maeterlinck, initialement destiné au compositeur norvégien Edvard Grieg, modifie sensiblement l’histoire bien connue de Barbe-Bleue. Si la sœur Anne disparaît au profit d’une nourrice qui suit l’héroïne dans la découverte des différentes richesses (prétexte à d’éblouissantes variations orchestrales de Dukas) qui précédent l’ouverture de la dernière porte, les frères sont quant à eux remplacés par un chœur de villageois prêts à se révolter contre la figure de Barbe-Bleue.
Dans l’opéra, son épouse Ariane a désormais un nom, en référence au mythe grec qui la voit aider Thésée à s’échapper du labyrinthe du Minotaure. Ce labyrinthe où se terrent les anciennes épouses non pas mortes, mais emmurées vivantes par Barbe-Bleue, est réutilisé par Maeterlinck afin de symboliser l’aveuglement et le renoncement de ces femmes face à l’arbitraire. Ariane se détourne ainsi de toutes les richesses (« Elles ne sont là que pour nous détourner de ce qu’il faut savoir ») afin de guider les autres épouses vers la lumière, cette liberté qu’elles ne peuvent trouver qu’en elles-mêmes.
Particulièrement enthousiaste à la lecture du livret de Maeterlinck, Dukas fait cependant réduire le rôle de Barbe-Bleue, souvent présent mais muet, face à l’omniprésence d’Ariane. La seule scène où Barbe-Bleue chante est celle de l’ouverture de la porte interdite où il lâche un laconique « Vous aussi… », aussitôt assumé par sa femme en retour (« Moi, surtout »). L’importance considérable du rôle d’Ariane, qui fait toute l’originalité de cet opéra, nécessite une soprano de grande envergure capable de maîtriser les périlleuses difficultés vocales de la partition.
Des chanteuses souffrantes
Malheureusement souffrante lors de la première, la canadienne Jeanne-Michèle Charbonnet (Ariane) déçoit de bout en bout. Particulièrement en difficulté dans les aigus, elle peine trop souvent à positionner sa voix, avec une diction peu caractérisée. Elle ne rattrape qu’à peine sa prestation par ses qualités d’actrice. Également malade, la Nourrice assez terne de Delphine Haidan se réfugie dans une technique sûre qui lui permet de sauver les meubles. Dès lors, les anciennes femmes de Barbe-Bleue ravissent en comparaison, particulièrement la Sélysette radieuse de Carine Séchaye, que l’on aimerait retrouver dans un rôle plus important encore.
Côté fosse, aidé par la parfaite acoustique de l’Auditorium de Dijon, Daniel Kawka détaille chaque subtilité avec une grâce infinie, étageant les différents groupes d’instrument de manière très lisible. On pourra regretter un manque de fièvre, d’urgence, dans les scènes avec le chœur, réserve qui s’explique sans doute par la relative faiblesse de ce dernier. Il est vrai que la mise en scène de Lilo Baur, visuellement superbe mais assez statique, n’aide pas ses protagonistes. Son indéniable poésie mélancolique s’associe cependant aux costumes magnifiques, comme surgis hors du temps. Mais une Ariane sans Ariane ne peut néanmoins satisfaire un public averti. Et c’est bien là une réserve majeure pour cette soirée au goût d’inachevé.

lundi 10 décembre 2012

« La Marquise de Cadouin » de Gaëtan Peau - Théâtre du Rond-Point - 04/12/2012

Privé d’intrigue, le dernier épisode de la trilogie des Cadouin multiplie les provocations creuses et finit par tourner en rond. L’excellence des comédiens ne rattrape qu’à peine l’ensemble.
 
Rien de pire qu’une attente déçue, surtout lorsqu’elle émane d’un fan de la première heure. Il faut dire que les deux premiers opus de la trilogie des Cadouin (Monsieur Martinez, créé au Théâtre des Bains-Douches au Havre en 2008, puis Brita Baumann, au Théâtre 13 en 2011) avaient visé très haut. Une peinture sociale au vitriol de petites gens façon Deschiens et un humour décalé, noir et dévastateur, emportaient tout sur leur passage.
La trilogie, conçue comme telle au début, permet de voir chaque épisode de manière indépendante, sans aucun lien entre eux, si ce n’est qu’une famille Cadouin à chaque fois différente, à travers des lieux ou époques diverses, en est le centre. Chacun va se liguer contre une victime qui accepte son sort, résignée. Avec leur teint pâle et leurs cernes prononcés, tous les personnages maquillés comme des morts-vivants donnent un sentiment d’étrangeté surréaliste qui défie le réalisme du propos, sordide et cru.
La menace de la guillotine
La Marquise de Cadouin se déroule en 1793 sous la crainte de la guillotine. Toute la famille noble des Cadouin se terre dans un appartement misérable, accompagnée du brave Abbé Joseph Billaud. La malheureuse servante Marguerite est le jouet de toutes les ambitions minables des hommes qui l’entourent, aussi bien en tant qu’objet sexuel possédé sous les yeux passifs de son mari Brutus, que de faire-valoir artistique d’un inverti pathétique, le Baron Charles-Amédée de Cadouin dit « Marie-Agrippine ».
Hormis Brutus, tous les personnages occupent la scène avant la sortie fatidique finale, déambulant comme des fantômes dans un logis qui ressemble à un tombeau. Chacun suit un chemin obsessionnel qui le conduit à éviter l’autre, de l’abbé passionné par son jeu solitaire de soldats de plomb aux représentations théâtrales de Marie-Agrippine. Les hommes copulent, encore et toujours. La vieille marquise (irrésistible Charlotte Laemmel), sénile et incontinente, éructe, toujours décalée, souvent drôle. Était-il besoin cependant de la voir mimer, avec les autres, des scènes inutiles et redondantes de défécation ?
L’excellence des comédiens
Si Gaëtan Peau cabotine quelque peu en « folle » outrancière, l’humoriste Jean-Jacques Vanier compose quant à lui un abbé aussi écervelé que savoureux. Mais on pourra évidemment regretter la minceur de son rôle, qui ne lui permet pas de montrer toute la palette de son talent. Olivier Faliez (le Comte Clotaire-Henri de Cadouin) se montre encore une fois impeccable, tout comme la servante Juliette Coulon, délicieusement naïve.
Mais tout le talent de ces interprètes ne parvient pas à faire oublier la faiblesse de l’argument. Rapidement, les situations se reproduisent sans se renouveler, tandis que les comédiens tournent en rond, cernés par un texte privé d’intrigue et un manque d’épaisseur psychologique. La tendresse sous-jacente entre certains personnages, si importante dans les deux premiers épisodes, a disparu. Dès lors, les visions cauchemardesques qui entrecoupent le récit à base de provocations sordides indiffèrent, tant le propos général ne passionne pas.
La mise en scène discrète de Quentin Defalt, tout comme les comédiens, n’y peut rien. Ce troisième opus bien décevant laisse un goût d’inachevé tant les deux premiers épisodes * se situaient à un autre niveau. 

* On retrouvera ainsi avec délice le premier épisode donné dans les salons du château à Morsang-sur-Orge (91), le 8 février 2013.