lundi 25 décembre 2017

« Don Quichotte » de Léon Minkus - Charles Jude - Opéra de Bordeaux - 22/12/2017


Léon Minkus (1826-1917) et l’un de ses plus grands succès Don Quichotte semblent inspirer le ballet de Bordeaux qui, trois ans après les extraits donnés à Biarritz dans la chorégraphie réalisée par Rudolf Noureev, retrouve le spectacle réglé par Charles Jude dans le Grand Théâtre de Bordeaux en 2006. Rien d’étonnant à cela tant on se souvient que l’ancien danseur étoile de l’Opéra de Paris reste l’un des disciples fervents de Noureev, comme le démontrent ses chorégraphies qui s’épanouissent en un équilibre classique entre décors et costumes légèrement modernisés, dans le respect de l’ouvrage présenté.

Ce Don Quichotte ne fait pas exception autour de costumes qui restent dans le ton d’une Espagne fantasmée, sans tomber dans un excès de kitsch folklorique: les ornementations restent discrètes, surtout pour les costumes féminins à la limite de l’austérité avec leur alternance de blanc, pourpre et noir. A ce jeu-là, les hommes ressortent davantage grâce à des atours qui osent souvent le rose, tandis que les décors au I et III sont à l’avenant, jouant sur un symbolisme proche de Dalí avec des yeux féminins démesurés ou sur une stylisation minimaliste avec des ailes de moulin déchiquetées au II. La chaleur écrasante du soleil est aussi symbolisée par un jaune habilement varié par les éclairages. Mais c’est surtout au II que les ambiances plus feutrées et rêveuses permettent à Jude de se laisser aller à davantage de liberté, sans jamais perdre de vue la mise en valeur de ses danseurs. Dans le même esprit qu’un récent spectacle présenté à Amsterdam, Jude n’en oublie pas de bienvenus ajouts comiques en faisant interpréter quelques saynètes sur le côté par quatre comédiens danseurs. Le tout est plaisant mais n’évite pas la sensation de collage: la minceur de l’argument ne peut être tout à fait compensée. On reste donc dans un spectacle de facture très classique, mais globalement réussi.


L’interprétation ne souffre d’aucun défaut tant la qualité du corps de ballet impressionne tout du long, tout particulièrement les deux rôles les plus lourds parfaitement interprétés par Oksana Kucheruk (Kitri) et Oleg Rogachev (Basile). Alors que le spectacle est repris pour pas moins de dix-huit représentations jusqu’à la fin de l’année, on a appris dans le même temps que le nouveau directeur de la danse a enfin été nommé à Bordeaux: il s’agit d’Eric Quilleré, bien connu ici puisqu’il a été maître de ballet et directeur adjoint de la danse, avant cette promotion. On espère que cette nomination saura apaiser les tensions (grève du personnel pour éviter des réductions d’effectifs, puis éviction de Charles Jude) qui ont agité la troupe depuis l’an passé, permettant de retrouver la sérénité nécessaire au bon fonctionnement de l’institution.

dimanche 17 décembre 2017

« La Cenerentola » de Gioachino Rossini - Stefan Herheim - Opéra de Lyon - 17/12/2017


Depuis sa prise de fonction en tant que directeur de l’Opéra de Lyon en 2003, Serge Dorny affiche ses préférences pour un répertoire enrichi de toute sa diversité, qui lui ont fait présenter toute une série d’ouvrages jamais entendu dans la capitale des Gaules – tout particulièrement des chefs d’œuvre de la première moitié du XXe siècle. Revers de la médaille de cette passionnante curiosité, les piliers du répertoire sont mis de côté, à l’instar des grands Verdi, Puccini ou Richard Strauss. Seul Mozart échappe à cette programmation dans la lignée de celle de son compatriote Gerard Mortier (dont il a été le dramaturge à la Monnaie dans les années 1980): on ne s’étonnera guère, dans ces conditions, de n’avoir entendu qu’un seul ouvrage de Rossini depuis 2003, le rare Comte Ory en 2014. C’est donc là un événement que de retrouver pour cette fin d’année La Cenerentola (Cendrillon), tout dernier opéra-bouffe composé par Rossini pour le public italien en 1817.

Avant de découvrir ce spectacle, les novices devront savoir que l’adaptation faite pour Rossini évacue les rôles du père et de la belle-mère de Cendrillon, tout autant que les souliers de verre (devenus bracelets) et la fée. Dès lors, c’est le beau-père Don Magnifico qui endosse le rôle du tortionnaire, tandis que les atours pour le bal sont donnés par Alidoro, tuteur du Prince. On soulignera aussi le rôle important du valet Dandini qui joue le faux Prince pendant la quasi-totalité de l’action, offrant un jeu de masques souvent désopilant, à l’instar du ridicule Don Magnifico. A cet égard, l’adaptation récente de Joël Pommerat s’avère finalement plus proche du conte de Perrault. Quoi qu’il en soit, autour d’une musique irrésistible, le livret de Rossini joue la carte du comique avec bonheur, sans trop s’attarder sur les états d’âme de l’héroïne. C’est sans doute pour cette raison que nombre de metteurs en scène souhaitent donner davantage de profondeur à cette histoire – on pense tout particulièrement à Sandrine Anglade, très inspirée dans sa vision poétique donnée à l’Opéra écossais en 2014.


Adoré ou détesté, le controversé Stefan Herheim choisit quant à lui de revisiter le livret dans ses moindres détails, conformément à son habitude. On se souvient que sa géniale transposition d’une Rusalka victime d’un serial killer n’avait pas fait l’unanimité, ici même à Lyon fin 2014: il est vrai que le travail du metteur en scène norvégien demande au public autant une ouverture d’esprit qu’une parfaite concentration pour bien saisir l’ensemble des allusions distillées tout au long de l’action. Ainsi dès l’Ouverture de La Cenerentola, où un homme grimé en Rossini sort d’une cheminée aux faux airs d’antre des enfers: avec sa plume magique, il va faire revivre à une Cendrillon contemporaine, habillée en femme de ménage, l’ensemble des péripéties de l’action sous forme de cauchemar. Cette idée permet à Herheim de composer des tableaux volontairement kitsch, que ce soient les trouvailles visuelles de la vidéo utilisée en arrière-scène ou les costumes délirants des interprètes, en strass et paillettes.

Cette mise en scène survitaminée démontre aussi toute la palette des possibilités d’une direction d’acteur inventive, même si certains pourront reprocher à Herheim d’en faire trop, notamment dans les scènes intimistes. Il n’en reste pas moins que tout se tient de bout en bout, permettant de proposer l’un des spectacles les plus réjouissants vus cette année. On ne dévoilera pas ici les multiples idées brillantes du metteur en scène, plus abordables en comparaison de l’audacieuse transposition de Rusalka: mais il faut découvrir ou redécouvrir le travail de l’un des plus importants metteurs en scène de sa génération. A cet égard, on ne manquera pas l’an prochain la reprise au cinéma de l’une de ses productions les plus fameuses, La Dame de pique de Tchaïkovski, donnée à Amsterdam avec Mariss Jansons à la baguette en 2016.


Une telle réussite scénique ne serait évidemment qu’imparfaite sans un plateau vocal à la hauteur: comme souvent ici, celui-ci n’appelle que des éloges. Ainsi du superbe Dandini de Nikolay Borchev, très à l’aise scéniquement et vocalement, tandis que Cyrille Dubois (Don Ramiro) fait valoir son beau timbre parfaitement articulé. On se réjouira aussi du tour de force comique imprimé par Renato Girolami en Don Magnifico de luxe, tandis que Michèle Losier (Cendrillon) sait alterner fragilité et sensibilité avec une voix parfaitement stable et projetée. On mentionnera encore l’excellence des chœurs, tandis que Stefano Montanari se régale dans la fosse des crescendos de Rossini, parfaitement étagés, en un rythme qui soutient toujours ses chanteurs. Assurément une grande soirée dans la belle maison lyonnaise, vivement applaudie en fin de représentation par un public conquis.

mercredi 13 décembre 2017

« Un soir de réveillon » de Raoul Moretti - La Nouvelle Eve à Paris - 12/12/2017


Il n’y a là aucun hasard à rappeler que ConcertoNet suit fidèlement depuis plus de quinze ans la troupe des Brigands, capable de faire vivre le répertoire de l’opérette avec son énergie et son enthousiasme communicatifs, particulièrement bienvenu en cette période de fêtes. Longtemps présentés aux Théâtre de l’Athénée à Paris, les spectacles de cette fine équipe investissent désormais des jauges plus réduites à Paris, avant de partir en tournée dans toute la France. On se souvient récemment de l’excellent Ba-Ta-Clan d’Offenbach monté à Reims avec bonheur.

Avec Emmanuelle Goizé, Gilles Bugeaud et Flannan Obé, place cette fois à des «interprètes historiques» des Brigands dont on se souvient tout particulièrement des prestations dans l’irrésistible Au temps des croisades d’Hervé en tournée de 2009 à 2011 en France. C’est donc avec un plaisir mêlé de curiosité qu’on les retrouve dans le cadre néo-rococo du cabaret La Nouvelle Eve, situé à quelques encablures du Moulin Rouge. La petite salle sur deux étages peut accueillir près de 300 convives pour des dîners-spectacles, offrant une proximité bienvenue avec les artistes qui peuvent déambuler librement parmi l’assistance. Une possibilité dont ne se privera pas l’efficace mise en scène de Vladislav Galard tout au long de la soirée. Si cet ancien théâtre de vaudeville dispose aujourd’hui d’une revue à mi-chemin entre cabaret et music-hall, il accueille chaque mardi jusqu’au 26 décembre la belle équipe des Brigands, à laquelle se sont jointes les nouvelles figures de Romain Dayez (Gérard Cardoval) et Marie Oppert (Monique).


Ces deux derniers ne sont pas pour rien dans la réussite du spectacle, tant leur fraîcheur et leur timbre éclatant conviennent parfaitement à leurs rôles de jeunes premiers à la découverte de l’amour. C’est surtout le parcours initiatique du personnage de Monique qui offre une émotion inattendue à cette «opérette swing» de Raoul Moretti (1893-1954), mêlant théâtre et chant avec des traits d’humour nombreux. Au cours de sa carrière, outre des chansons écrites pour Maurice Chevalier ou Mistinguett notamment, le compositeur français s’illustra dans la composition d’une quinzaine d’opérettes, opéras-bouffes et comédies musicales, dont Un soir de réveillon, créée au Théâtre des Bouffes-Parisiens en 1932. On a là une musique facile et légère, ici adaptée pour accordéon et guitare (avec quelques percussions dans la drôlissime scène du restaurant japonais). On conseillera à cet égard un placement au centre ou à droite de la scène afin de ne pas se retrouver trop près des musiciens et mieux entendre les interprètes.


Dans le rôle de l’homme à tout faire (valet, chauffeur, etc.), Flannan Obé et ses faux airs de Michel Serrault nous régale d’un talent comique quasi inné, jouant à plusieurs reprises de la rythmique impayable du texte pour le plus grand bonheur de la salle. Il faut dire que son rôle de protecteur à moitié amoureux de la jeune Monique est l’une des plus belles trouvailles du livret, notamment dans ses joutes avec Cardoval. Romain Dayez (Cardoval) impose quant à lui son charisme et sa projection puissante, tandis que la grâce fragile de Marie Oppert (Monique) est portée par un chant harmonieux et délicat. Enfin, Gilles Bugeaud et Emmanuelle Goizé brillent dans les passages comiques, achevant de convaincre le public de la belle réussite de ce spectacle.

mardi 12 décembre 2017

« Mitridate » de Nicola Porpora - Jacopo Spirei - Festival de Schwetzingen - 10/12/2017

Château de Schwetzingen
Située à quelques encablures de Heidelberg et Mannheim, au sud de Francfort, la petite ville de Schwetzingen n’en finit pas de s’enorgueillir de son magnifique château, construit au début du XVIIIe siècle dans le style baroque par l’électeur du Palatin. Epargné par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, le site dispose également de jardins réputés, d’une superficie de 72 hectares, initialement aménagés dans un style à la française, puis à l’anglaise par la suite. C’est tout naturellement qu’un festival d’opéra s’y est établi, bénéficiant de l’écrin rococo du petit théâtre de 500 places implanté dans l’une des ailes du château. Fondé en 1952, le festival se déroule aujourd’hui en deux temps, au printemps et à cette saison, avec pour double objectif de mettre en miroir une création contemporaine, tout autant qu’une recréation sur instruments d’époque d’un opéra oublié.

Place donc au «festival d’hiver» qui n’a jamais aussi bien porté son nom avec la neige présente sur toute la ville, avec la recréation d’un opéra de Nicola Porpora (1686-1768), Mitridate (1730, Rome). Le festival célèbre cette année le 250e anniversaire de la mort du compositeur italien en montant la version révisée à Londres en 1736. C’est en effet dans cette ville que Porpora se posa en grand rival de Haendel dans une joute musicale organisée opportunément pour confronter les deux compositeurs importants du moment, à l’instar de Haydn et Pleyel près de soixante ans plus tard. Le futur professeur de Haydn fait alors l’étalage de tous ses moyens – richesse de l’orchestration, variété des airs, moindre importance des récitatifs – qui avaient déjà séduit dans l’une des plus belles productions découvertes au festival d’Innsbruck en 2015, Il Germanico, un ouvrage contemporain de Mitridate.


L’adaptation de la tragédie éponyme de Jean Racine par le dramaturge anglais Colley Cibber (1671-1757) ressemble globalement à celle élaborée pour Mozart en 1770, fondée sur une traduction italienne de l’œuvre de Racine. Sur fond de temps de guerre, les rivalités amoureuses sont ainsi au centre de cette histoire. La mise en scène de Jacopo Spirei choisit de transposer l’action dans un Moyen-Orient guerrier contemporain, en reconstituant l’intérieur d’un palais défraîchi, déjà atteint par les bombardements. Aussi bien les éclairages que la direction d’acteurs, avec le ballet hypnotisant des serveurs au I, puis la perspective d’un camp de prisonniers en arrière-scène après l’entracte, apportent beaucoup à ce huis clos très réussi.


Le plateau vocal réuni pour cette production permet de découvrir toute une palette de jeunes chanteurs très investis dans leurs rôles respectifs. Le plus connu d’entre eux est certainement le contre-ténor David DQ Lee, qui compense un timbre légèrement atteint dans sa substance par une intention dramatique de tous les instants, tandis que ses phrasés éloquents font mouche. Il semble prendre un réel plaisir à chanter, ce qui est toujours appréciable visuellement. A ses côtés, l’autre grande satisfaction de la soirée est le Sifare séduisant de Ray Chenez, à la voix aussi angélique que son minois de jeune premier, capable aussi de fureur dans son rôle très conséquent. On retiendra également les phrasés superbes de souplesse et de nuances de Katja Stuber (Ismene), tandis que Yasmin Ozkan (Semandra) tire son épingle du jeu avec des qualités sensiblement identiques. Parmi les rôles secondaires, mention spéciale à la prestance et à la puissance maîtrisée de Zachary Wilson, superlatif Archelao.


La seule déception de la soirée vient de la fosse, avec la direction peu inspirée de Davide Perniceni, pourtant à la tête d’un bon Orchestre de la Philharmonie de Heidelberg. Le jeune chef italien semble ne s’intéresser qu’à l’énergie rythmique, au détriment des nuances et des couleurs. A ce compte-là, seuls les airs de bravoure conservent une certaine électricité, tandis que les airs plus apaisés manquent d’émotion. Dommage.

lundi 11 décembre 2017

« Les Vêpres siciliennes » de Verdi - Jens-Daniel Herzog - Opéra de Francfort - 09/12/2017


C’est une anecdote bien connue: le fameux librettiste Eugène Scribe (1791-1861) avait toujours dans son tiroir quelques ouvrages à destination des compositeurs pressés. Ainsi de Verdi, au début des années 1850, chargé de composer un grand opéra en français pour l’Opéra de Paris, à qui Scribe proposa le livret du Duc d’Albe, mis en musique par Donizetti quelques années auparavant mais laissé inachevé. Avec Le Duc d’Albe complété pour l’Opéra des Flandres, donné en 2012 et de nouveau cette année, on a donc l’occasion de comparer les deux œuvres de Donizetti et Verdi – l’Opéra de Francfort reprenant lui aussi en cette fin de saison une ancienne production de 2013.

Insatisfait du livret de Scribe, Verdi effectua plusieurs changements notables, étirant l’action pour parvenir aux cinq actes attendus. Il est à noter cependant que la production de Francfort n’inclut pas le ballet composé par Verdi, soit un peu plus de trente minutes de musique en moins. On préfèrera à cet égard la concision du livret du Duc d’Albe, qui sait aussi réserver d’inattendus éléments comiques en début d’ouvrage, contrebalançant habilement le contexte guerrier global. Pour autant, l’ouvrage de Verdi doit nécessairement être connu pour ses qualités musicales, à la hauteur des grands chefs-d’œuvre des années 1840, la virtuosité en moins.


Le metteur en scène allemand Jens-Daniel Herzog (né en 1963), pratiquement inconnu en France du fait d’une carrière essentiellement centrée sur les pays germaniques, choisit de transposer l’action au milieu du XXe siècle en modifiant les rapports de domination: l’occupation militaire fait place à une domination économique symbolisée par une imposante tour de bureaux qui envahit tout le plateau. Si l’idée est intéressante, elle n’est qu’imparfaitement réussie au niveau visuel, tant la scénographie de Mathis Neidhardt apparaît bien cheap tout au long du spectacle. Les éclairages ont bien du mal à sauver l’ensemble, tandis que les costumes (également dus à Neidhardt) jouent la carte du premier degré, à l’instar des déplacements des chanteurs, peu inventifs.
Christopher Maltman
Fort heureusement, le spectacle s’anime de la présence d’un chanteur d’exception en la personne de Christopher Maltman, qui compose un Guy de Montfort d’une intense gravité, tout en sachant apporter une touche d’humanité dans la scène de la découverte de l’existence de son fils. La puissance de projection et les phrasés précis du baryton britannique impriment un impact physique saisissant, tandis que sa prononciation idéale du français force l’admiration. A ses côtés, ses principaux partenaires se montrent un ton en dessous, particulièrement le ténor italien Leonardo Caimi (Henri) dont le vibrato envahissant lasse sur la longueur, avec une émission sensiblement engorgée. Seule la voix de tête évite ces écueils: c’est là bien trop peu pour soutenir un rôle aussi lourd. Barbara Haveman (Hélène) montre davantage de musicalité dans la souplesse de l’émission, mais apparaît bien trop prudente dans la vaillance au I. Elle apparait surtout handicapée par une tessiture qui manque de l’ampleur requise, craquant ses aigus dans deux airs solos, puis fait preuve d’un manque d’agilité flagrant dans les rares scènes de vocalises («Merci, jeunes amies» au V). On notera encore la prestation de Kihwan Sim (Jean Procida), au timbre séduisant mais timoré dans l’aigu, tandis que son jeu dramatique pêche par son inconsistance.

Dans la fosse, Stefan Soltesz dirige avec un beau sens des équilibres, distillant des couleurs bienvenues sans s’appesantir sur les détails. De quoi apporter beaucoup de tenue à cette représentation des rares Vêpres siciliennes en langue française, agrémentée par ailleurs de surtitres en allemand et en anglais: la traduction du livret dans la langue de Shakespeare est une nouveauté attendue depuis longtemps à Francfort, à la hauteur des ambitions artistiques de cette grande maison. Bravo!

dimanche 10 décembre 2017

« Francesca da Rimini » de Riccardo Zandonai - Nicola Raab - Opéra de Strasbourg - 08/12/2017

Saioa Hernández
Le mythe de Francesca da Rimini, tiré de La Divine comédie de Dante, a été une source d’inspiration évidente pour de nombreux compositeurs dès le début du XIXème siècle, de Mercadante à Ambroise Thomas, en passant par Rachmaninov. Mais si l’on excepte le poème symphonique composé en 1876 par Tchaïkovski, c’est bien l’opéra de Ricardo Zandonai (1883-1944) qui conserve aujourd’hui une audience méritée. Le lyrisme généreux de Zandonai irrigue cet ouvrage composé en 1914, au moyen d’une musique d’une grande puissance d’évocation, portée par des talents d’orchestrateur proches de Richard Strauss et Franz Schreker. Le chef italien Giuliano Carella ne s’y est pas trompé, portant l’orchestre de son geste rageur et flamboyant durant toute la représentation strasbourgeoise. Si certaines caricatures ont pu taxer cette musique de « super vérisme », on préfère y voir l’œuvre d’un génie de l’orchestre qui compose là une gigantesque fresque orchestrale pour voix solistes et choeurs, dont ressort superbement le rôle tragique de l’héroïne.

Inspiré de l’œuvre éponyme de Gabriel D’Annunzio, le livret de Tito Riccordi se montre d’une concision et d’une efficacité remarquables, autour de l’histoire tragique de Francesca, rapidement amoureuse de son beau-frère Paolo au détriment de son mari Giovanni, laid et boiteux. Les deux amants, cernés, finiront assassinés par le mari vengeur. La qualité du livret doit beaucoup à l’inspiration néo-médiévale de D’Annunzio dont l’écriture délicate proche des symbolistes belges brosse un portrait saisissant de vérité. Fort heureusement, la mise en scène de l’Allemande Nicola Raab (dont le travail a été récemment découvert à Nancy, dans la rare Semiramide de Rossini) s’éloigne d’une représentation littérale du Moyen-âge pour mieux se concentrer sur la figure tragique du rôle-titre. On est bien loin de la production rétrograde et poussiéreuse de Giancarlo del Monaco, montée à Zurich en 2007, puis Paris en 2011 – et ce alors qu’une exposition actuelle de grande qualité, « Fascination et réinterprétation du Moyen Âge en Alsace, 1880-1930 », à voir jusqu’au 28 janvier prochain à la Bibliothèque universitaire de Strasbourg, démontre combien les visions fantasmées du Moyen Âge peuvent s’enorgueillir d’une grande diversité, sans tomber nécessairement dans le kitsch facile de del Monaco.



Nicola Raab s’appuie sur une scénographie d’une grande sobriété, en jouant sur les volumes qui étouffent l’héroïne, prise en étau parmi le peu de choix qui s’offrent à elle. Privée de couleurs, la superbe scénographie évolue entre gris, noir et blanc, faisant ressortir, avec les éclairages splendides, différents effets de scintillements à la manière de Pierre Soulages. Raab se montre particulièrement inspirée en première partie en faisant revivre à Francesca les événements qui l’ont conduite à accepter la séduction de son beau-frère – un double interprétant son rôle en arrière-scène. Outre l’aspect tragique que sa position au premier plan confère à l’ensemble, on notera aussi d’intéressants ajouts fantastiques, l’héroïne n’hésitant pas à soutenir son double du regard ou, plus encore, à lui tendre une rose qu’elle peine à attraper. Ce travail qui s’appuie autant sur l’analyse psychologique que l’effet plastique, s’essouffle quelque peu après l’entracte, Raab peinant à renouveler les idées détaillées plus haut. Quoiqu’il en soit, l’Allemande sait imposer un univers visuel singulier, dont on notera encore l’excellence des costumes d’Ashley Martin-Davis (également créateur des décors) proches de ceux développés dans la fameuse série télévisée Le Trône de fer.

Outre cette mise en scène globalement satisfaisante, l’Opéra du Rhin a su réunir une superbe distribution dominée par l’incandescente Saioa Hernández dans le rôle-titre. La soprano espagnole impose la beauté cristalline de son timbre au moyen d’une émission d’une souplesse admirable, tandis que Marcelo Puente (Paolo) fait preuve d’une belle prestance malgré un très léger vibrato. Marco Vratogna (Giovanni Lo Sciancato) a un timbre plus terne, en phase avec le rôle, tandis que son mordant et sa morgue confèrent une noirceur bienvenue à ses interventions. Plus en retrait, Tom Randle (Malatestino) assure correctement sa partie, mais c’est surtout Josy Santos qui éblouit dans le rôle secondaire de Samaritana, la sœur de Francesca. Assurément une chanteuse que l’on souhaite revoir très vite, comme Saioa Hernández, tant sa fraîcheur lumineuse a séduit le public, lui valant des applaudissements nourris en fin de représentation. On notera enfin l’excellence de la distribution des servantes réunies autour de Samaritana dont les différentes interventions ont là aussi ravi l’assistance nombreuse pour cette première.


On conseillera donc vivement cette production, avant une très attendue Francesca da Rimini donnée à la Scala de Milan au printemps prochain, dans la mise en scène de David Pountney.

mardi 5 décembre 2017

« Erismena » de Francesco Cavalli - Leonardo García Alarcón - Opéra de Versailles - 02/12/2017

En appelant de ses vœux un XXIe siècle qui soit le «siècle Cavalli», Leonardo García Alarcón poursuit la redécouverte de l’œuvre du compositeur vénitien Francesco Cavalli (1602-1676), l’un des plus célèbres compositeurs de son temps avec Monteverdi. On se souvient l’an passé de l’événement qu’avait constitué l’ouverture de saison de l’Opéra de Paris par le sulfureux Eliogabalo, avant que le chef argentin ne se produise à l’Opéra de Genève début 2017 avec Il Giasone (ce spectacle sera repris les 9 et 10 mars 2018 à Versailles), puis cet été au festival d’Aix-en-Provence avec Erismena: excusez du peu!

Compte tenu de la minutieuse qualité des spectacles habituellement proposés par Leonardo García Alarcón (particulièrement dans sa capacité à réunir un plateau vocal de tout premier plan), l’unique reprise du spectacle aixois était donc, en ce début décembre, l’un des grands temps fort de la saison versaillaise. Outre l’éclairage rénové, mettant en valeur les fresques murales par une ambiance tamisée du meilleur effet, on ne pourra que se féliciter de l’apport des surtitres en français et en anglais dans la salle: pour ce type d’œuvre à mi-chemin entre théâtre et opéra, la compréhension du sens est essentielle, et ce d’autant plus que l’intrigue touffue en son début nécessite une parfaite concentration. On comprend mieux dès lors pourquoi cet ouvrage avait été donné dans sa version anglaise, à Londres en 2002, avec l’Opera Theatre Company de Dublin.


Quoi qu’il en soit, autant les surtitres que les qualités d’articulation et de prononciation des interprètes permettent de bénéficier d’une représentation des plus vivantes au niveau théâtral, et ce même si la mise en scène de Jean Bellorini n’aide pas beaucoup à percevoir les enjeux ici à l’œuvre. On pourra bien entendu louer la beauté plastique du plateau dénudé, mis en valeur par les effets poétiques des éclairages bleutés en demi-teinte – admirablement variés pendant tout le spectacle. Il n’en reste pas moins que le travail de Bellorini ne contribue pas à la compréhension de l’œuvre, brouillant même les pistes dans sa volonté d’habiller les dix personnages avec des costumes androgynes. De même, fallait-il s’en tenir à une lecture uniformément tournée vers les agapes amoureuses, au détriment des aspects comiques nombreux de l’ouvrage? Le rôle de la nourrice n’est pas le seul à pouvoir faire rire le public: les nombreuses allusions grivoises doivent pouvoir être mises davantage en valeur afin de mettre en relief les différents tons de cet ouvrage, typique de son époque. A cet égard, la fantaisie et l’originalité des costumes forains de Macha Makeïeff annonçaient bien plus que cette adaptation finalement trop timide, qui ressemble à bien des égards à un parent pauvre du très beau Liliom de Ferenc Molnár, monté en 2013 par Bellorini. Disons-le tout net: on est en droit, s’agissant d’un jeune metteur en scène aussi en vue (invité aussi bien par le Berliner Ensemble à Berlin que par Olivier Py à Avignon), d’attendre davantage qu’une mise en scène fondée sur le seul confort visuel, aussi réussi soit-il.


Fort heureusement, les limites de cette mise en scène sont amplement compensées par le plateau vocal quasi parfait réuni par Leonardo García Alarcón. Dans le rôle-titre, Francesca Aspromonte (déjà entendue à Versailles en début d’année dans Orfeo) impressionne pendant toute la représentation à force de présence, d’impact physique et de vérité dramatique. C’est là l’une des grandes révélations de la soirée, d’autant plus que son aisance vocale semble se jouer de toutes les difficultés du rôle. A ses côtés, les contre-ténors s’imposent également, aussi bien le Polonais Jakub Józef Orlinski, dont la puissance de projection n’a d’égal que la beauté du timbre, que l’Italien Carlo Vistoli, particulièrement touchant dans son air en dernière partie d’opéra. Outre un impeccable Alexander Miminoshvili (Erimante), on mentionnera la sensible Aldimira de Susanna Hurrell, qui recueille une belle ovation en fin de représentation, tout comme l’impayable nourrice de Stuart Jackson.


Comme à son habitude, Leonardo García Alarcón fait preuve d’un sens de la conduite du discours mélodique d’une précision rythmique éloquente. On pourra seulement lui reprocher le choix de tempi dantesques pour les ritournelles orchestrales qui concluent certains ariosos: un détail cependant tant l’ensemble se tient à un très haut niveau.

dimanche 3 décembre 2017

« Ba-Ta-Clan » de Jacques Offenbach - Opéra de Reims - 28/11/2017


Comme chaque année depuis sa création en 2000, la compagnie Les Brigands profite des fêtes de fin d’année pour défendre le répertoire de l’opérette avec un talent et une énergie sans pareil. En 2015 et 2016, une vaste tournée à travers toute la France nous avait fait redécouvrir le délicieux Au temps des croisades dans la mise en scène de Pierre-André Weitz – complice inséparable d’Olivier Py. En cette fin d’année, la compagnie propose pas moins de deux spectacles avec des interprètes différents, tout d’abord Un soir de réveillon, une méconnue «opérette swing» de Raoul Moretti (1893-1954) aux influences jazzy typiques de années 1930 (à voir du 6 novembre au 26 décembre au cabaret La Nouvelle Eve), ainsi que l’opérette en un acte Ba-Ta-Clan, créée au Centre des Bords de Marne au Perreux l’an passé.

Actuellement en tournée, Ba-Ta-Clan fait halte à Reims pour deux soirées en cette fin novembre. Il s’agit là du tout premier succès du compositeur en 1855, lors d’une période d’apprentissage féconde: Offenbach rivalise alors avec de nombreux concurrents dans des petites salles parisiennes qui accueillent des opérettes en un acte avec trois ou quatre chanteurs au maximum. Trois ans seulement avant son premier grand ouvrage, Orphée aux enfers (1858), la «chinoiserie musicale» Ba-Ta-Clan obtient un triomphe populaire qui lui vaudra de donner son nom, en 1864, à la salle de spectacle Le Grand Café Chinois-Théâtre Ba-ta-clan (aujourd’hui Bataclan). D’une durée de 45 minutes environ, cette opérette irrésistible raconte, sur fond d’humour absurde, les péripéties improbables de Français grimés en Chinois dans l’empire du Milieu. Offenbach et son librettiste Ludovic Halévy s’en donnent à cœur joie pour rivaliser de jeux de mot et de facéties sur les onomatopées (les prénoms des personnages par exemple), ouvrant la voie à d’autres succès lyriques sur le même thème – Le Mikado (1885) de Gilbert et Sullivan notamment.


Autour d’une mise en scène juste et sobre, tout autant que des costumes splendides, les quatre interprètes apportent beaucoup au spectacle, tant par leurs qualités de jeu que leur brio vocal. Le juste équilibre entre l’un et l’autre est parfaitement respecté, ce qui permet d’éviter de tomber dans l’excès et le cabotinage, au détriment du chant, ou à l’inverse de privilégier la muse lyrique pour délaisser les attendus comiques. Au niveau du chant, Enguerrand de Hys (Ké-Ki-Ka-Ko) domine ses partenaires dans sa précision et son engagement de tous les instants. Le jeune ténor, après sa prestation dans La Vie parisienne à Bordeaux à la rentrée, semble se spécialiser dans les rôles légers avec bonheur. Outre un impeccable Olivier Naveau (Ko-Ko-Ri-Ko), Jenny Daviet (Fé-An-Nich-Ton) n’est pas en reste malgré quelques difficultés dans les accélérations et les aigus, tandis qu’Artavazd Sargsyan (Fé-Ni-Han) fait valoir son beau timbre chaud. Ne lui manque qu’une projection un tout petit peu plus affirmée pour convaincre pleinement. On conseillera donc un placement au plus près de la scène pour bénéficier au mieux des saillies comiques et des interventions lyriques de l’ensemble de la troupe.


Enfin, le spectacle a été enrichi des interventions décalées du comédien et illusionniste Rémy Berthier, ce qui permet des pauses inattendues dans le déroulement de l’action, tout autant qu’un spectacle plus conséquent dans sa durée (environ 1h20). De quoi réjouir grands et petits – ces derniers nombreux et manifestement conquis dans la belle salle Art Déco de Reims – à la découverte de ce petit bijou d’humour et de fantaisie, idéal pour les fêtes de fin d’année.

vendredi 1 décembre 2017

« Le Duc d'Albe » de Donizetti (version complétée par Giorgio Battistelli) - Opéra des Frandres à Gent - 25/11/2017


Cinq ans après la création mondiale de la version française du Duc d’Albe à l’Opéra des Flandres, la grande maison flamande reprend l’excellente production confiée à Carlos Wagner avec un plateau vocal entièrement renouvelé.

L’histoire mouvementée de cet opéra inachevé nous fait remonter aux débuts de Donizetti à Paris, lorsque les vicissitudes d’un changement de direction à l’Opéra le contraignent à abandonner son projet de grand opéra à la française, pourtant déjà bien avancé en 1840 : si l’ensemble de la ligne vocale est indiquée pour les quatre actes, seuls les deux premiers sont orchestrés. Rapidement, le natif de Bergame se remet à la tâche pour proposer La Favorite dès la fin de l’année, ce qui lui vaut une caricature célèbre le montrant en train de composer des deux mains, en dormant ! Dans le même temps, Eugène Scribe propose le livret du Duc d’Albe à Verdi, qui deviendra sous sa plume, en 1855, Les Vêpres siciliennes (on notera la reprise d’une production en français de cet ouvrage, donnée à l’Opéra de Francfort à partir du 26 novembre prochain). Reléguée aux oubliettes du vivant du compositeur, l’œuvre de Donizetti est achevée en 1882 par Matteo Salvi, l’un de ses anciens élèves, qui complète les parties manquantes au goût du jour, pour une adaptation en italien. L’œuvre disparaît ensuite du répertoire pour renaître en 1959 dans une version abrégée due au chef Thomas Schippers, qui élimine les ajouts de Salvi pour revenir à un style plus proche de Donizetti, toujours en italien. L’an passé, Mark Elder et Opéra Rara sont allés encore plus loin dans la radicalité, ne proposant que les deux premiers actes, cette fois-ci en français.

Pour autant, c’est bien à l’Opéra des Flandres qu’est revenu l’honneur de créer en 2012 cet ouvrage en français, avec le concours de Giorgio Battistelli (né en 1953). Le pari proposé consiste cette fois à composer les parties orchestrales manquantes dans un style tout autre, souvent proche de Britten, ce qui surprend l’ensemble de l’auditoire après l’entracte. Dès lors, la représentation devient passionnante, tant les imbrications entre l’écriture vocale de Donizetti et le style orchestral différent de Battistelli intriguent par leur fusion très réussie. Si vous n’avez pas la possibilité de vous déplacer à Gand, il vous faudra découvrir cette expérience sonore, bien éloignée de Berio et son seul finale de Turandot, par la découverte de cette production heureusement gravée au disque (Dynamic, 2013). Dans le même esprit, on regrette que cette production ne soit pas conservée par le dvd ou le blu-ray, tant le travail visuel exceptionnel réalisé par Carlos Wagner et son scénographe Alfons Flores (bien connu pour ses nombreuses productions avec la Fura dels Baus) concourent à la réussite de ce spectacle.

Le travail des deux hommes nous plonge d’emblée dans le drame guerrier en opposant le monde des puissants conquistadors, surélevés par une passerelle métallique, et le peuple vaincu lors d’une récente bataille, tout occupé – dans une poignante entrée en matière – à recueillir les corps à moitié nus des malheureuses victimes en contrebas. En arrière scène, des représentations monumentales de soldats en acier font penser à cette armée en argile fictive découverte dans le tombeau d’un empereur chinois, tandis que les premières images vidéo d’une immense Madone nous rappelait en début de spectacle la place prépondérante de la religion dans cette histoire. Carlos Wagner laisse de côté l’humour des premières scènes, autour des insolences du brasseur Daniel et des beuveries des soldats, pour mieux se concentrer sur les déterminismes qui semblent ici à l’œuvre. Mais ce sont surtout les magnifiques tableaux d’ensemble créés avec les chœurs, tout autant que la mise en valeur des décors par les éclairages admirablement variés, qui nous emportent tout du long.

Le plateau vocal se montre quant à lui satisfaisant en réunissant une palette de jeunes chanteurs d’aujourd’hui. Le rôle le plus lourd de l’ouvrage revient à Enéa Scala, bien connu en France (voir notamment en juin la production de Viva la Mamma ! présentée à Lyon), qui donne à son Henri une vaillance bienvenue, sans parler de sa souplesse idéale dans les changements de registres. On regrettera seulement que certaines tessitures aiguës du rôle ne l’oblige à forcer en voix de tête, tandis que les accélérations ne le montrent pas non plus à son avantage. Pour le reste, Scala convainc pleinement, particulièrement au niveau de l’articulation et de la prononciation du français, recevant une ovation chaleureuse en fin de représentation. Ania Jeruc (Hélène d’Egmont) a pour elle un splendide timbre charnu parfaitement projeté, auquel ne manque qu’une interprétation plus investie dans les parties dramatiques. A ses côtés, Kartal Karagedik joue par trop le raffinement dans son rôle du Duc d’Albe, ce qui est d’autant plus regrettable qu’il possède tous les moyens vocaux lui permettant de donner davantage de noirceur à son personnage. Tous les autres rôles se montrent à la hauteur, tout autant que les chœurs, tandis que la direction d’Andriy Yurkevych privilégie la respiration et les oppositions sereines entre pupitre : avec cette baguette lyrique sans volonté démonstrative, Donizetti ne paraît jamais heurté, offrant un écrin idéal aux chanteurs, jamais couverts.