mardi 31 décembre 2019

« Madame Favart » de Jacques Offenbach - Anne Kessler - Théâtre de Caen - 29/12/2019


Parmi les événements très attendus de la saison figurait la renaissance de l’un des derniers ouvrages de Jacques Offenbach, Madame Favart (1878), produit par l’Opéra-Comique en partenariat avec Limoges et Caen. Ce sont précisément les forces de l’Orchestre et du Chœur de l’Opéra de Limoges que l’on retrouve pour cette fin d’année, avec la totalité de l’excellent plateau vocal parisien. En spécialiste de ce répertoire (voir notamment Fantasio en 2017 et La Belle Hélène en 2018), Laurent Campellone n’a pas son pareil pour tisser des phrasés d’un raffinement inouï, toujours au service de l’action dramatique. Les chœurs de Limoges ne sont pas en reste dans l’engagement et la précision de leurs nombreuses interventions: l’ovation reçue en fin de représentation apparait ainsi amplement méritée.

C’est peut-être plus encore la qualité des solistes réunis qui impressionnent d’emblée, donnant une cohésion d’ensemble particulièrement stimulante. Très à l’aise au niveau vocal, Marion Lebègue compose une truculente Madame Favart, faisant valoir ses qualités d’actrice sans jamais trop en faire, même si on aurait aimé que soit davantage exploré le côté populaire du rôle et pas seulement celui de la séductrice. A ses côtés, Anne-Catherine Gillet charme une fois encore par l’agilité et la rondeur d’intonation, sans parler de son timbre gorgé de couleurs. Comment, aussi, ne pas résister aux phrasés de François Rougier (Boispréau), régal d’intelligence dans l’ironie et l’humour – notamment l’irrésistible tyrolienne au III? Plus prévisible, Christian Helmer incarne un solide Favart, à la projection généreuse. On lui préfère toutefois les impeccables Eric Huchet et Franck Leguérinel, aux réparties pinces sans rire millimétrées qui font mouche à chaque intervention.


D’où vient pourtant que la soirée laisse un gout d’inachevé? La faute tout d’abord à Offenbach, qui se montre moins inspiré qu’à l’habitude au niveau mélodique, donnant l’impression d’une certaine routine dans les motifs déployés. Il faut dire que le livret banal et gentillet d’Alfred Duru et Henri Chivot, avec lesquels Offenbach sera davantage en phase deux ans plus tard pour La Fille du tambour-major, n’offre que peu d’opportunités de jouer avec les mots et les rythmes inattendus – bien éloigné en cela des satires irrésistibles des années 1860. Le livret préfère se tourner vers une farce inoffensive façon Goldoni, moquant les barbons Cotignac et Bonsablé, tout en rendant hommage à la figure de Justine Favart, actrice célèbre au XVIIIe siècle et épouse du compositeur qui a donné son nom à l’Opéra-Comique.

La mise en scène un rien trop sage d’Anne Kessler, dont c’est là la première réalisation dans le domaine lyrique, joue la carte du comique de répétition bon enfant, qui rappelle parfois l’humour distillé par Jean-Michel Ribes dans la série télévisée Palace (1988). La sociétaire de la Comédie-Française peine toutefois à animer le plateau et à surprendre, et ce malgré une scénographie de toute beauté, qui transpose l’action dans une spectaculaire manufacture de vêtements.

dimanche 29 décembre 2019

« Les P’tites Michu » d'André Messager - Rémy Barché - Grand-Théâtre de Tours - 28/12/2019


Dix ans avant Fortunio (1907), repris tout récemment à l’Opéra-Comique, le compositeur et chef d’orchestre André Messager remporta l’un des plus grands succès de sa carrière avec Les P’tites Michu qui fit rapidement le tour du monde avec ses mélodies irrésistibles et son livret bien troussé. On retrouve avec grand plaisir à Tours, après une grande tournée à travers toute la France, la production présentée l’an passé par Angers Nantes Opéra avec la compagnie Les Brigands et le Centre de musique romantique française Bru Zane. Comme à Nantes, le spectacle bénéficie de l’orchestration originale avec grand orchestre, contrairement aux représentations parisiennes qui se sont contentées d’une version plus réduite au niveau de l’effectif. Dans la fosse, Christophe Grapperon, habituel compagnon de route des Brigands, prend la succession de Pierre Dumoussaud avec une belle vigueur, mais sans parvenir au degré de finesse et de raffinement de l’ancien élève d’Alain Altinoglu. On perd ainsi l’équilibre subtil de ce petit bijou qui alterne entre comédie boulevardière et émotion à fleur de peau, notamment dans l’émouvante prière à saint Nicolas – sans parler des quelques décalages avec le plateau, souvent audibles.

La mise en scène de Rémy Barché continue quant à elle de séduire par sa fantaisie colorée et loufoque, davantage incarnée dans les dessins malicieux de Marianne Tricot, évocateurs du temps de l’adolescence, que la direction d’acteur un peu trop statique au début. La seconde partie du spectacle est plus réussie en ce domaine, grâce aux interventions désopilantes des deux parents (irrésistibles Damien Bigourdan et Marie Lenormand) ou du valet obséquieux et fantasque de Romain Dayez. Parmi les rôles essentiellement parlés, Jean-Baptiste Dumora complète le tableau par le mélange d’autorité et de pince-sans-rire, d’une verve truculente et toujours à-propos. Que dire enfin, des superlatives Violette Polchi (Marie-Blanche) et Anne-Aurore Cochet (Blanche-Marie), qui semblent être nées pour ces rôles? Leur grâce et leur fraîcheur n’ont d’égal que la maestria d’un chant toujours naturel et confondant d’aisance. A leurs côtés, Philippe Estèphe donne à son Gaston des phrasés nobles d’une présence solaire, tandis qu’Artavazd Sargsyan (Aristide) assure bien sa partie. De quoi expliquer l’accueil très chaleureux réservé par le public tourangeau à l’issue de la représentation, manifestement ravi par l’énergie de cette belle troupe – très convaincante dans le nécessaire équilibre entre qualités théâtrales et vocales (contrairement à l’autre spectacle donné par Les Brigands en ce moment à l’Athénée).

samedi 28 décembre 2019

« Cendrillon » de Serge Prokofiev - David Bintley - Opéra de Bordeaux - 27/12/2019


Donnée pour la première fois à Bordeaux, la Cendrillon (1944) de Prokofiev a reçu un accueil public enthousiaste et amplement mérité, tant la production imaginée par David Bintley parvient à réunir petits et grands par sa féerie et ses traits d’humour distillés tout du long. La grande force de ce spectacle, créé en 2010 à Birmingham, est de conjuguer une scénographie splendide qui convoque tous les attendus de la version la plus connue du conte (également choisie par Walt Disney), de l’âtre sordide au carrosse de Cendrillon, sans jamais sacrifier la danse, très présente. On se réjouit ainsi pendant toute la scène du bal des nombreux pas à l’ancienne revisités avec autant de précision que de facétie – les deux sœurs jouant les vraies-fausses maladroites, moquées et ridiculisées par les courtisans et valets, et ce sans jamais céder à la facilité de la bouffonnerie.

Pour autant, David Bintley n’en oublie pas d’apporter quelques infimes ajouts qui offrent un intérêt constant: on pense ainsi au début très sombre qui montre l’enterrement, ou encore à l’idée de donner à la mère les atours de la fée, comme pour mieux l’excuser de son décès prématuré – sans parler de la présence inattendue des souris, crapauds et grenouilles, en lieu et place des cochers et chevaux, qui ravissent par leurs costumes aussi extravagants que réussis. On pourra juste regretter un rôle plus réduit pour la belle-mère dans cette proposition, ou quelques longueurs en toute fin de soirée, lorsque l’action se fait moins présente. Des détails qui n’enlèvent rien à la maestria visuelle constamment à l’œuvre, et plus encore au raffinement orchestral de Prokofiev, d’une élégance tour à tour diaphane et piquante – dans la lignée du ballet précédent Roméo et Juliette (1936), avec toutefois une inspiration mélodique moindre.

Il faut dire que l’autre grande satisfaction de la soirée vient de la fosse, avec un Marc Leroy-Calatayud (né en 1991) qui surprend par sa capacité à faire chanter l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine avec force couleurs et détails révélés, au service d’une lecture très vivante. Si le jeune chef séduit dans les passages rythmiques, il doit toutefois encore gagner en naturel et en fluidité dans les parties apaisées, aux tempi trop étirés. Des ajustements qui devraient lui permettre de gagner très vite la cour des plus grands chefs, tant son talent est manifeste. Le Ballet de l’Opéra de Bordeaux démontre quant à lui, une fois encore, qu’il fait parti des meilleurs de l’Hexagone – mené il est vrai par un couple des plus flatteurs, entre l’athlétique Prince de Diego Lima et la délicate Cendrillon de Mélissa Patriarche. De quoi inciter à applaudir ce très beau spectacle qui invite à revisiter le conte avec notre regard d’enfant émerveillé.

mardi 24 décembre 2019

« Casse-Noisette » de Piotr Ilyitch Tchaïkovski - Kader Belarbi - Opéra de Toulouse - 22/12/2019


Traditionnel mets de choix pour les fêtes, Casse-Noisette revient à Toulouse dans la production imaginée en 2017 par Kader Belarbi. Le travail du directeur du Ballet du Capitole (depuis 2012) surprend d’emblée par les libertés prises avec le chef-d’œuvre bien connu de Tchaïkovski, en modifiant plusieurs pans de l’histoire et en ajoutant quelques compositions dues à Anthony Rouchier. Belarbi a la bonne idée de placer Drosselmeyer au centre du livret, tel un Monsieur Loyal aux pouvoirs magiques qui manipule les enfants pour mieux les embarquer en de rocambolesques péripéties au II. On retrouve là une idée qui nous avait beaucoup séduit dans l’adaptation réalisée par Youri Vamos, à Karlsruhe l’an passé, avec toutefois davantage de poésie.

La première partie dans l’orphelinat déçoit en effet par une direction d’acteur bon enfant, par trop surlignée dans ses postures redondantes (scènes de chahut, autoritarisme de la gouvernante, etc.) qui laissent peu de place à la danse proprement dite. La scène de bataille avec les araignées (qui remplacent ici les souris, sans que l’on comprenne l’intérêt de ce changement) apparaît bien cafouilleuse. La seconde partie du spectacle est heureusement plus convaincante dans son parti pris de lier les différents tableaux en une sorte de voyage initiatique, aussi délirant qu’original dans ces audaces visuelles. Belarbi prend en effet un malin plaisir à affubler ses danseurs de costumes extravagants et volontairement peu pratiques pour danser, comme une sorte de défi, il est vrai relevé haut la main en ce domaine.


On pense ainsi aux pieds palmés des soldats de plomb ou des grenouilles, sans parler des danseurs obèses dans le tableau en Arabie. La fin du spectacle laisse davantage de place à une danse plus apaisée, lorsque s’épanouit l’amour triomphant du Prince et Marie – nom de l’héroïne du conte d’Hoffmann, en lieu et place de Clara. Là encore, l’intérêt de ce changement laisse perplexe. De même, on n’aime guère les petits interludes de musique électronique enregistrés par Anthony Rouchier, qui revisitent certaines mélodies ou se superposent parfois avec l’orchestre – une pratique décidément courante à Toulouse (voir la récente Norma).

Autour de cette proposition qui semble s’adresser davantage aux tout-petits, la troupe du Ballet du Capitole impressionne tout du long, tout particulièrement le couple amoureux, admirable de grâce et de naturel. Dans la fosse, Marius Stieghorst s’éloigne de toute lecture grandiloquente pour privilégier des textures allégées et transparentes, faisant ressortir de nombreux détails de l’orchestration dans les contrechants notamment. On perd ainsi en émotion et en souffle lyrique ce que l’on gagne en précision: à ce jeu-là, le chef allemand réussit davantage les parties verticales, toutes de vitalité et de couleurs.

vendredi 20 décembre 2019

« Yes! » de Maurice Yvain - Théâtre de l'Athénée à Paris - 19/12/2019


Que de chemin parcouru par l’équipe des Brigands depuis sa formation en 2000 pour son tout premier spectacle, Barbe-Bleue d’Offenbach! D’abord composée de chanteurs du chœur des Musiciens du Louvre, la troupe va peu à peu s’élargir pour devenir une référence dans le répertoire de l’opérette, prenant chaque année ses quartiers au Théâtre de l’Athénée – dont on ne dira jamais assez combien la petite jauge de 500 places est un écrin idéal pour les interprètes. C’est précisément dans l’ancien théâtre de Louis Jouvet que l’on retrouve une partie des membres historiques de la troupe (Gilles Bugeaud et Emmanuelle Goizé) pour rendre hommage au parolier Albert Willemetz (1887-1964) et au compositeur Maurice Yvain (1891-1965), auxquels Les Brigands s’étaient intéressés dès 2005 avec Ta bouche. S’il était alors logique de se tourner vers l’un des plus grands succès des Années folles, créé en 1922, on aurait sans doute moins parié, quinze ans plus tard, sur l’exhumation de Yes! (1928), qui réunit à nouveau avec bonheur le couple Willemetz-Yvain, au service d’un livret bien ficelé dans l’esprit de Feydeau.

Le spectacle met un peu de temps à se mettre en route, tant les disparités entre les interprètes sont patentes au début, avec l’abattage scénique toujours aussi énergique qu’irrésistible de Flannan Obé et la relative timidité des jeunes premiers, notamment la pâle Clarisse Dalles. La soprano française se reprend peu à peu pour faire valoir un timbre charmeur, notamment lorsque l’imbroglio atteint des sommets de loufoquerie. Il lui faudra toutefois prendre davantage de risque pour se hisser à la hauteur de ses partenaires lors des prochaines représentations, et ce dès ses premières interventions. Célian d’Auvigny s’en sort mieux grâce à son sens de l’articulation et à ses qualités comiques bien affirmées, même s’il faut parfois tendre l’oreille lors des parties chantées. Eric Boucher compense également sa technique vocale perfectible par une morgue et un aplomb en phase avec son rôle, tandis que Mathieu Dubroca et Anne-Emmanuelle Davy offrent le plus de satisfaction dans le nécessaire équilibre entre qualités dramatiques et lyriques. Outre Flannan Obé, il faut cependant bien constater que seuls les «anciens» parviennent à insuffler un grain de folie supplémentaire, toujours bienvenu dans ce répertoire. Dans un rôle de nymphomane qui lui va comme un gant, Emmanuelle Goizé, malgré quelques approximations dans la prononciation, nous régale de sa vivacité farfelue – fort justement acclamée par le public.

La mise en scène épurée de Vladislav Galard et Bogdan Hatisi sonne juste en restant fidèle aux péripéties, mais peine à surprendre l’auditoire dans la durée. L’idée de mêler les musiciens à l’action est sympathique, d’autant que l’adaptation pour trio jazz avec deux pianos est sans doute l’une des plus belles réussites de la soirée: on se délecte en effet des multiples trouvailles mises en œuvre par seulement trois musiciens (parfois aidés des chanteurs, notamment Anne-Emmanuelle Davy à la flûte), qui prennent beaucoup de plaisir – et nous avec – à ce jeu virtuose et endiablé. De quoi flatter nos oreilles et faire oublier les quelques déceptions relatives au niveau vocal des chanteurs.

lundi 16 décembre 2019

« Le Roi Carotte » de Jacques Offenbach - Laurent Pelly - Opéra de Lyon - 13/12/2019

Découverte ici-même à Lyon en 2015, puis à Lille en 2018, la production du Roi Carotte imaginée par Laurent Pelly, fait son retour pour les fêtes dans la capitale des Gaules, avec un immense succès public, amplement mérité. On ne dira jamais assez combien cet opéra-bouffe-féerie de 1872, complètement oublié parmi le vaste corpus de son auteur, est un joyau aussi inspiré au niveau musical que délirant dans ses nombreuses péripéties. Le livret imagine en effet les aventures du souverain Fridolin, aux faux airs de Napoléon III, balayé par l’avènement d’un improbable Roi Carotte, sur fond d’affrontement entre sorcière et bon génie. Afin de retrouver son trône et déjouer les hypocrisies de sa promise, un long chemin initiatique attend Fridolin, de la découverte de Pompéi à l’improbable recours aux fourmis guerrières! Offenbach et son librettiste Victorien Sardou (futur auteur de Madame Sans-Gêne en 1893) s’en donnent à cœur joie pour entremêler satire politique, voyage temporel et road movie avant l’heure. Ce livret des plus rocambolesques ne fut pas pour rien dans le triomphe initial de l’ouvrage, même si sa durée trop longue (6 heures!) fut rapidement réduite de dix-sept à onze tableaux: outre la modernisation des dialogues, l’adaptation aujourd’hui proposée ne conserve que 2 heures de musique, en supprimant notamment le personnage de l’enchanteur Quiribibi, ainsi que les péripéties liées à l’île des Singes.

En comparaison de la production classique présentée cette année à Hanovre, le travail de Laurent Pelly joue la carte d’une stylisation scénographique aussi astucieuse que brillante dans son parti pris assumé tout du long. Le metteur en scène français choisit en effet de situer l’action dans une vaste bibliothèque fin XIXe siècle, rapidement revisitée pour figurer chacun des nombreux tableaux avec finesse et élégance – du cabinet de curiosité à la salle du trône, en passant par la buvette des étudiants. La direction d’acteur est comme toujours l’un des points forts à souligner, parsemée de nombreux détails qui renforcent la caractérisation des personnages, tout autant que les traits d’humour. Pelly n’en oublie pas d’ajouter quelques traits poétiques (superbe frise pompéienne figurée par le chœur) ou intenses (scène de révolte en fin d’ouvrage).
 
Le plateau vocal réuni reprend pratiquement tous les chanteurs de 2015, pour le plus grand plaisir de l’assistance. On se régale en effet de la truculence des rôles comiques, notamment Christophe Mortagne (Le Roi Carotte) et Lydie Pruvot (Coloquinte), toujours aussi irrésistibles de noirceur dans l’intonation, sans parler de leurs qualités théâtrales, à la gestuelle millimétrée. On aime aussi le Truck de Christophe Gay, dont le rôle essentiellement parlé bénéficie de son expressivité, notamment ses nombreuses mimiques. Malgré une projection limitée, Yann Beuron donne beaucoup d’engagement et de noblesse à Fridolin, autant par la délicatesse des phrasés que la pertinence de son jeu dramatique. A ses côtés, Julie Boulianne compose un vibrant Robin-Luron, vivement applaudie en fin de représentation malgré quelques approximations dans les accélérations, tandis que la petite voix de Chloé Briot donne à sa Rosée-du-Soir une touchante interprétation. On mentionnera encore une superlative Catherine Trottmann (Cunégonde), formidable de tempérament et impeccable techniquement.

La seule déception de la soirée vient de la fosse où Adrien Perruchon (né en 1983) oublie par trop souvent ses chanteurs en première partie, se laissant aller à une certaine ivresse dans l’élan endiablé des parties rapides, en contraste avec une lecture plus détaillée dans les passages apaisés. Cela occasionne des décalages répétés avec le plateau – heureusement plus rares après l’entracte. Gageons que les prochaines représentations sauront gommer ces imperfections, sans doute dues au stress de la première.

lundi 9 décembre 2019

« Intégrale de la musique de chambre pour cordes et piano » d'Antonín Dvorák - Trio Busch - Disque Alpha


Depuis sa formation en 2012, le trio Busch a acquis une réputation désormais solidement établie avec l’achèvement de l’intégrale de la musique de chambre pour piano et cordes de Dvorák, dont on n’a cessé de vanter les qualités disque après disque (en 2016, 2018 et tout récemment encore). Si l’on pourra faire l’impasse sur le Premier Quintette avec piano, tout premier ouvrage de cette série commencée en 1872, il faudra en revanche se délecter du Second, plus tardif (1887), sans oublier le Second Quatuor avec piano (1889) et le fameux Quatrième Trio pour piano «Dumky» (1891), tous composés avant le séjour américain de Dvorák. Intensité du jeu, perfection technique aérienne et hauteur d’inspiration font de cette somme une référence moderne que l’on recommande chaleureusement! Actuellement en préparation, leur prochain disque sera consacré aux Trios de Schubert.

vendredi 6 décembre 2019

« Les Fantômes de Versailles » de John Corigliano - Opéra de Versailles - 04/12/2019


Un opéra en création française à Versailles? Il fallait oser et Laurent Brunner l’a fait! En s’associant au prestigieux festival de Glimmerglass, situé dans l’Etat de New York entre Syracuse et Albany, où Les Fantômes de Versailles de John Corigliano (né en 1938) ont été présentés cet été, l’Opéra de Versailles nous permet de découvrir la musique d’un compositeur régulièrement fêté en son pays avec de nombreux prix (Pullitzer, Grammy Awards, etc), mais plutôt méconnu en Europe. Commandés pour fêter le centenaire de l’Opéra de New York en 1983, Les Fantômes de Versailles ne furent créés qu’en 1991, recueillant un succès triomphal avec des interprètes de tout premier plan – Renée Fleming, Marylin Horne et James Levine notamment. L’ouvrage imagine la rencontre des fantômes de Beaumarchais (sorte de Monsieur Loyal doté de pouvoirs magiques), Louis XVI et Marie-Antoinette, tous réunis au purgatoire pour assister à une improbable représentation théâtrale qui pense pouvoir modifier la réalité historique et sauver la reine de son exécution...

Très éloigné de l’avant-garde de Darmstadt, Corigliano entrecroise de multiples influences à la manière de la veine polystylistique d’Alfred Schnittke, en un style foisonnant et parfois déroutant. Le début de l’ouvrage fait ainsi entendre une dette à Ligeti, avant de nous embarquer dans une partition brillamment colorée au niveau orchestral (grande palette d’effets en tout genre), intercalant des pastiches de la musique du XVIIIe siècle ou de l’orientalisme (désopilante turquerie chantée par rien moins que Marylin Horne à la création), tout en se rapprochant de l’écriture vocale de Britten dans les ensembles conclusifs, dès lors que l’émotion prend davantage de place. Le livret très original de William M. Hoffman bénéficie de son expérience théâtrale à Broadway, tant les allers-retours nombreux entre fantômes et théâtre dans le théâtre ne nuisent jamais à l’efficacité de l’ensemble, sans jamais oublier un humour très présent, en phase avec l’hommage rendu à l’opéra bouffe. La mise en scène efficace et énergique de Jay Lesenger reste au plus près des intentions musicales, donnant à voir différents tableaux rapidement revisités en une maestria astucieuse et malicieuse, malgré quelques débordements dans les scènes de groupe. Les costumes et décors à l’ancienne évoquent le XVIIIe siècle par les figures du roi et de la reine imprimés en arrière-plan, au service d’une lecture illustrative, conforme au livret.


La présente version, d’une durée d’environ deux heures, a été réduite d’un tiers par rapport à 1991, et dans une certaine mesure en comparaison de celle de 2015 à Los Angeles, qui a permis l’édition du premier enregistrement mondial. Le plateau vocal, pratiquement entièrement anglophone (à l’exception de la diction perfectible de Yelena Dyachek), se montre d’un bon niveau global, d’où se détache le Beaumarchais de Jonathan Bryan, dont l’aisance vocale entre émission de velours et beauté du timbre, trouve un engagement dramatique toujours bien incarné. A ses côtés, la Marie-Antoinette de Yelena Dyachek déçoit dans la délicatesse des premières scènes, avant de bien se reprendre dans la fureur au II. En pleine voix, les quelques duretés dans l’aigu restent parfaitement en phase avec l’émotion ressentie par celle qui entrevoie déjà l’échafaud – bien éloignée de la Marie-Antoinette frivole qu’on nous présente souvent. Si Peter Morgan donne à son Louis XVI un caractère plus affirmé que celui habituellement décrit par les historiens, cela a au moins l’avantage de conférer une présence vocale bienvenue au rôle. On lui préfère toutefois le rayonnant Bégearss (un personnage imaginaire, entre Danton et Robespierre, dont le nom pourrait être traduit par «convoitise») de Christian Sanders, idéal de noirceur avec son attention millimétrée à la rythmique des phrasés. On mentionnera aussi la prestation étonnante de Gretchen Krupp, qui, si elle n’a pas le physique de la danseuse de harem, a en revanche tout l’éclat vocal requis. Assurément un des grands moments de la soirée, vivement applaudi par le public.

Enfin, on se félicite de la création de l’Orchestre de l’Opéra royal de Versailles, dont les débuts donnent beaucoup de satisfactions, notamment côté vents. Il reste toutefois à améliorer les pupitres de cordes qui patinent en plusieurs occasions, notamment dans les transitions entre musique contemporaine et pastiches de musiques anciennes. On retrouvera cet orchestre en accompagnement du ballet de Malandain Marie-Antoinette (décidément à l’honneur!), présenté du 4 au 7 juin 2020, mais également comme partenaire des nombreux enregistrements discographiques prévus tout au long de la saison.

dimanche 1 décembre 2019

« La sposa di Messina » de Nicola Vaccai - Jessica Pratt - Disque Naxos


On doit au festival Rossini in Wildbad, situé en pleine forêt noire à quelques encablures de Karlsruhe, l’édition en 2012 du premier enregistrement mondial de La Fiancée de Messine (1837) de Nicola Vaccai (1790-1848). Eclipsé par Rossini, puis par Bellini, Vaccai remporta son plus grand succès en 1825 avec la création de Roméo et Juliette à Milan. On retrouve ici le Vaccai de la maturité, puisqu’il s’agit de l’avant-dernier ouvrage lyrique de cet ancien élève de Paisiello, qui bénéficie d’un livret d’une haute ambition littéraire, inspiré de la pièce éponyme de Friedrich Schiller. Les interventions du chœur, très présent au début, sont malheureusement desservies par l’interprétation maladroite du «Classica Chamber Choir» de Brno, dépassés au niveau de la justesse dans les accélérations. La direction narrative et précise d’Antonio Gogliani respire en des tempi harmonieux, un rien trop sage: là aussi, l’orchestre tient une place décisive qui donne tout son intérêt à l’ouvrage, entre expression mélodique et variété des climats révélés, le tout dans un langage solide mais peu aventureux. Dommage que le plateau vocal soit aussi inégal pour rendre justice à l’ensemble.

On passera rapidement sur le Cesare au vibrato envahissant et à l’émission en force d’Armando Ariostini, tout autant que sur l’Emanuele au timbre aigre et peu ample de Filippo Adami, malgré un bel éclat. Wakako Ono compose une frêle Beatrice, autour d’une petite voix serrée à la ligne hésitante et gênée dans le suraigu. Elle s’en sort toutefois correctement dans son premier air, délicatement accompagné à la clarinette – un des sommets de la partition. Jessica Pratt (Isabella), alors âgée de 20 ans, donne plus de satisfactions, même si la soprano ne peut faire oublier une technique chaotique, aux phrasés trop hachés. Fort heureusement, l’intensité de l’expression, tout comme ses graves splendides, compensent un aigu qui perd parfois en substance. Enfin, Maurizio Lo Piccolo convainc dans son interprétation stylée de Diego. Trop peu, hélas, pour relever le niveau global décevant de l’interprétation.