dimanche 28 février 2016

Concertos pour violon n° 1 et n° 2 de Friedrich Gernsheim - Linus Roth - Disque CPO


On s’était déjà félicité tout récemment encore de la poursuite de l’exploration de l’œuvre de Friedrich Gernsheim (1839-1916), un compositeur estimé en son temps mais qui reste encore aujourd’hui dans l’ombre de Brahms, son aîné de six ans. On perçoit dans les œuvres concertantes pour violon, ici réunies, l’influence du grand maître de Hambourg mais également celle de Bruch, dont le Premier Concerto fut composé beaucoup plus tôt, en 1866. Le Premier (1880) de Gernsheim est en effet pratiquement contemporain de celui de Brahms, composé deux ans avant. Cette œuvre inspirée au niveau mélodique se montre assez conservatrice – rien d’étonnant pour cet ancien élève du Conservatoire de Leipzig – mais incontestablement plaisante dans sa respiration harmonieuse et son orchestration savoureuse pour les vents.


Assez déroutante dans son refus de l’exaltation romantique, la direction de Johannes Zurl joue la carte de la sobriété chambriste et de l’expression sereine des sonorités, en des tempi mesurés au premier mouvement surtout, dont se dégage sans peine le violon expressif de Linus Roth. On pourra regretter ici et là l’absence de dialogues plus vifs entre les instruments, même si cette lecture convient bien aux passages lents, particulièrement un bel Andante aérien et poétique. Le chef s’anime un peu plus dans un Finale frais, léger et entraînant.


Un esprit plus romantique encore traverse la superbe Fantaisie composée en 1876, au ton lyrique et sensible. Le Second Concerto (1912) marche dans les mêmes pas que le Premier, même si on note davantage de contrechants, en une forme plus déstructurée. De belles versions d’attente, mais on espère que des interprètes plus fougueux sauront s’intéresser à ces œuvres qui auraient certainement la faveur des concerts si elles étaient signées du nom de Brahms.

mercredi 17 février 2016

« Le Roi Roger » de Karol Szymanowski - Royal Opera House - Antonio Pappano - DVD Opus Arte


On doit à Charles Dutoit et Simon Rattle le regain d’intérêt, non démenti depuis la fin des années 1990, pour Le Roi Roger (1926), le deuxième et ultime opéra de Karol Szymanowski. En 2009, l’entrée tardive de ce chef-d’œuvre au répertoire de l’Opéra de Paris fera alors débat, tant la mise en scène pour le moins personnelle et originale de Krzysztof Warlikowski en aura déconcerté plus d’un. Repris à Madrid deux ans plus tard, ce spectacle verra à chaque fois le rôle-titre confié à un baryton d’exception, Mariusz Kwiecien, décidément incontournable puisqu’on le retrouve encore en 2015, à Cracovie et à Londres – pour le présent enregistrement. L’achat de ce DVD peut ainsi se justifier pour la seule performance du Polonais, toujours aussi impressionnant par son aisance scénique, sa force de conviction et son engagement vocal. A ses côtés, l’honnête Berger de Saimir Pirgu, au chant bien placé et projeté, déçoit par une interprétation bien pâle en comparaison, tandis que la Roxane de Georgia Jarman, sans convaincre totalement du fait d’un timbre peu séduisant, prend davantage son rôle à cœur. On se félicite aussi de la direction vivante et colorée d’Antonio Pappano, qui exalte les effluves vénéneux de l’orchestration, lorgnant aussi bien vers Schreker que Scriabine. Un régal de chaque instant.

S’agissant d’une entrée au répertoire, Covent Garden se montre cette fois plus prudent que Paris en optant pour une mise en scène consensuelle, mais non moins intéressante. L’idée scénographique initiale du Danois Kasper Holten apparaît d’emblée frappante avec un immense visage qui envahit toute la scène, tout en étant subtilement revisité par les différentes projections vidéo. Seulement surplombé du chœur réparti dans les multiples cavités en arc de cercle, ce visage symbolise le parcours initiatique de Roger, confronté plus encore à la découverte de lui-même que du monde qui l’entoure. Si le II fait logiquement la part belle aux affres du désir par l’adjonction de danseurs mi-nus rampants inéluctablement vers le sommet de la conscience de Roger, le III surprend par un parti pris plus politique en faisant référence aux autodafés intervenus suite à la prise de pouvoir des nazis en 1933. De quoi nous ramener aux temps sinistres qui ont suivi la composition de l’opéra... Une belle production, de surcroît à découvrir dans un confort sonore idéal.

jeudi 11 février 2016

« Le cantatrici villane » de Valentino Fioravanti - Opéra de Francfort - 06/02/2016


A l’instar de son contemporain Luigi Cherubini, le prolifique Valentino Fioravanti (1764–1837) fut l’un des grands défenseurs du lyrique, s’imposant à Paris au début du XIXe siècle sans recueillir pour autant la notoriété et les honneurs de son illustre aîné de quatre ans. Aujourd’hui en grande partie oubliée, et ce malgré les plus de quatre-vingts ouvrages composés au cours de sa carrière, la musique de Fioravanti se situe à mi-chemin entre Cimarosa et Rossini, empruntant à Mozart sa science des ensembles ou le brio de son écriture pour les vents, sans posséder son génie mélodique. C’est donc avec un vif intérêt que Francfort nous permet de retrouver sur scène son plus grand succès, Le cantatrici villane, créé en 1799 à Naples comme nombre de ses ouvrages – les autres ayant eu principalement les honneurs de Rome ou Lisbonne. Fioravanti se spécialisa essentiellement dans le genre bouffe, à l’instar de cet opéra très réussi qui, outre une musique délicieuse, bénéficie d’un livret intéressant dans sa première partie surtout.

Le cantatrici villane nous plonge ainsi d’emblée en un rocambolesque et improbable projet de spectacle mené par Don Bucefalo, un chef de chœur aussi imbu de lui-même qu’incompétent. Autour de lui, tous veulent en être, des trois midinettes villageoises aux rêves de grandeur, à l’apprenti chanteur Don Marco. Mais tout se complique lorsque le mari de l’une des jeunes filles fait son retour incognito en se prêtant lui aussi au jeu des auditions et des inévitables jeux de séduction, et attendant son heure pour tomber les masques. On se délecte des nombreuses scènes comiques délicieuses, de l’audition hilarante de Don Marco, empêtré dans ses éternuements, à la caricature d’un orchestre démonstratif et vulgaire lorsque Bucefalo s’improvise chef d’orchestre au II. Fioravanti se joue aussi du genre du récitatif, très présent ici, en un récitatif ralenti à l’extrême pour figurer une ambiance cauchemardesque à la toute fin du I.

Ces péripéties toujours plaisantes sont admirablement enrichies par la mise en scène de Caterina Panti Liberovici, qui choisit le théâtre dans le théâtre pour offrir un second degré bienvenu à l’ensemble. Ainsi des habillages à vue des apprenties divas parées de magnifiques costumes et coiffures d’époque stylisés et modernisés, tandis que des techniciens muets s’affairent en apportant une touche de fantaisie constante. Les interprètes, tous très jeunes, semblent s’amuser comme des petits fous dans cette farce joyeuse et sans prétention. Ainsi de Björn Bürger, à l’abattage irrésistible dans son rôle de Don Bucefalo, ou de l’impeccable Karen Vuong en diva égoïste et agitée. Mais c’est surtout la délicate et touchante Nora Friedrichs qui s’impose par sa fraîcheur et son allant, même si elle montre encore quelques faiblesses techniques dans son long et superbe air – sommet de la partition – au II.


Autre satisfaction avec l’orchestre, qui semble lui aussi prendre beaucoup de plaisir, à l’instar d’un pupitre de hautbois facétieux et rigolard. Mené par un bouillant Karsten Januschke, l’ensemble fait feu de tout bois en une lecture vivante et colorée, aux attaques sèches. De quoi mériter une belle ovation avec toute la troupe de chanteurs, visiblement ravis à l’issue de la représentation.

mercredi 10 février 2016

« L’Affaire Makropoulos » de Leos Janácek - Opéra de Francfort - 05/02/2016


Quatre après sa création à Francfort, la production de L’Affaire Makropoulos réglée par Richard Jones revient dans la ville natale de Goethe autour d’une assistance malheureusement bien clairsemée le jour de la première. Force est de constater que Verdi (même le rare Stiffelio) remplit toujours bien mieux les salles que l’audacieux Janácek et son avant-dernier opéra. Gageons néanmoins que ce spectacle superbe saura attirer davantage de monde pour les prochaines dates, tant sa mise en scène inventive et originale mérite le détour.


En privilégiant un décor unique et discrètement revisité tout au long de la représentation, Richard Jones opte pour une direction d’acteurs nerveuse et un huis-clos étouffant, au plus près de l’héroïne et parfaitement en phase avec les origines théâtrales de cet opéra, adapté d’une œuvre de Karel Capek. Arrogante et sûre d’elle, Emilia Marty se joue de tous ceux qui lui réclament des comptes avec une once de vulgarité chic, tandis que la mise en scène n’oublie pas les intermèdes comiques et décalés, du numéro désopilant de Hauk-Sendorf (formidable Graham Clark, immensément applaudi) aux seconds rôles intrigants qui rappellent les facéties d’un Peter Sellers dans leurs mimiques surréalistes. On se délecte surtout de l’idée astucieuse d’apporter de la profondeur au décor en plaçant un cadre et un couloir en forme d’antichambre, permettant d’appréhender les allées et venues des personnages en dehors de la pièce principale dont ne sortira jamais Emilia Marty. Classiquement, Richard Jones resserre progressivement l’étau autour de l’héroïne jusqu’à modifier la fin du livret en un véritable coup de théâtre: les protagonistes enferment brutalement le monstre dans la pièce, tandis qu’Emilia se refuse à brûler la fameuse recette d’immortalité puis à mourir.


Les puristes pourront évidemment s’offusquer de ces changements, mais force est de constater que tout cela fonctionne, et particulièrement par la grâce de son interprète principale. Formidable actrice, Susan Bullock déploie toute la palette de sa présence tour à tour féline et animale, ensorcelant tous ceux qu’elles touchent, tandis que son timbre métallique et ses changements de registre trop rudes semblent renforcer la hargne et la morgue du rôle. A ses côtés, seul Michael König (Albert Gregor) déçoit par sa voix rêche et sans projection, là où tous les autres interprètes s’imposent nettement. On se réjouit aussi de la direction frémissante et enjouée de Jonathan Darlington, qui exalte les sonorités expressives de Janácek en une véritable fête des sens. De quoi conseiller vivement cet excellent spectacle, à voir jusqu’au 27 février.

mardi 9 février 2016

« Stiffelio » de Giuseppe Verdi - Opéra de Francfort - 04/02/2016


Ouvrage largement délaissé au profit des chefs-d’œuvre bien connus de Verdi, Stiffelio fait partie de ces raretés que les indéfectibles admirateurs du grand maître se réjouissent de retrouver au disque comme sur la scène. Quelques années après la résurrection de cette œuvre donnée pour perdue jusqu’en 1968, quelques productions récentes font œuvre de réhabilitation, comme à Zurich en 2004, puis à Monaco en 2013. Autour de l’histoire sulfureuse d’un pasteur trompé par sa femme, le livret avait choqué à la création, empêchant le succès de cet opéra dont l’éclat et la variété des idées musicales suffisent à eux seuls à en justifier la découverte. Mais comment s’en étonner lorsque l’on se souvient que Stiffelio a été composé en 1850, tout juste quelques mois avant la fameuse trilogie populaire, Rigoletto, Le Trouvère et La Traviata?


On pourra évidemment critiquer la minceur et les redondances d’un livret qui tourne en rond avec les sempiternels soupçons du mari trompé, délaissant les intrigues secondaires pour se concentrer sur son couple fatal. C’est là l’écueil principal sur lequel butte la mise en scène de Benedict Andrews, incapable d’enrichir l’histoire au-delà de la seule illustration visuelle, aussi géométrique que glaciale, mais d’une incontestable force brute. Plus à l’aise dans la reprise récente de L’Ange de feu à Berlin, l’Australien joue cette fois la carte de l’épure et de l’austérité, s’appuyant sur un plateau tournant qui offre de multiples perspectives aux rares éléments de décor en noir et blanc. Ainsi de l’immense mur en fond de scène et surtout de l’unique module en ferraille revisité tout au long de la soirée pour figurer une maison en forme de croix latine, une église ou un mausolée. De quoi rappeler l’univers visuel d’un Olivier Py, mais sans ses fulgurances et audaces.


Quelque peu laissés à eux-mêmes sur le vaste plateau de Francfort dénudé jusque dans ses coulisses, les interprètes ne convainquent qu’à moitié. Si on se réjouit – comme à l’habitude ici – de l’excellente distribution des seconds rôles, les deux premiers assurent correctement leur partie, sans jamais recueillir d’applaudissements à l’issue de leurs airs pour autant. Bien projeté, le Stiffelio de Russell Thomas affiche un timbre superbe et une belle technique, tout en manquant de raffinement dans les changements de registre et la conduite des phrasés. Souvent présente à Francfort (voir notamment ses interprétations dans La Passagère, Königskinder et La Ville morte), Sara Jakubiak (Lina) montre encore ses limites en mettant du temps à se chauffer, autour d’un vibrato seulement absent lorsque la voix est bien posée.


Ces mêmes impressions mitigées se retrouvent du côté de la fosse, où Jérémie Rhorer faisait son retour ici, deux ans après ses débuts dans L’Enlèvement au sérail. Toujours aussi investi, le jeune chef français enflamme ce mélodrame de son énergie revigorante, un rien trop démonstratif dans les passages verticaux, mais toujours attentif à ne pas dénaturer l’œuvre par un excès de raffinement hors de propos avec son pathos omniprésent.

samedi 6 février 2016

Concertos pour piano de Francis Poulenc - Edward Gardner - Disque Chandos


Régulièrement salué dans ces colonnes, à l’instar de ses disques récents consacrés à Bartók et Szymanowski, le chef britannique Edward Gardner (né en 1974) s’illustre avec différents orchestres et interprètes en un répertoire qui privilégie la première moitié du XXe siècle – exception faite de son intégrale des Symphonies de Mendelssohn (voir le dernier volume). Il n’est donc pas surprenant de voir son intérêt porté vers l’élégance néoclassique de Francis Poulenc (1899-1963), autour de l’ensemble de ses concertos pour piano, complété de quelques pièces pour piano solo.

D’emblée, le Concerto pour piano de 1949 fait valoir des tempi assez vifs dans l’introduction orchestrale, offrant une texture transparente et aérienne dans laquelle s’insère subtilement le piano. Ce sera une constante du parti pris interprétatif de ce disque, qui voit davantage ces œuvres comme des symphonies concertantes plutôt que comme un affrontement entre soliste et orchestre. Dans cette optique qui débarrasse les œuvres de toute scorie romantique (aucun vibrato aux cordes notamment), les bois ressortent admirablement par leur chant plus expressif en comparaison, tandis que Gardner offre une belle ampleur à ses respirations bienvenues, aux transitions parfaitement tenues avec les passages plus verticaux. La rythmique est plus présente dans sa lecture du «concerto chorégraphique» Aubade (1929), là aussi dégraissé et d’une dynamique implacable. De cet élan d’une parfaite lisibilité, on se délecte d’un magnifique Philharmonique de la BBC, toujours aussi bien capté par les ingénieurs de Chandos.


Un écrin idéal pour le piano aérien et sans états d’âme de Louis Lortie, qui avance tout en se jouant avec malice des multiples emprunts de Poulenc. Ainsi du Concerto pour deux pianos (1932), volontiers galant dans son bel Andante mozartien ou plus frivole dans l’esprit cabaret du Finale, qui rappelle aussi bien Gottschalk que Ravel. Parfaitement épaulé par Hélène Mercier, Lortie a d’ores et déjà retrouvé sa compatriote québécoise en deux disques dédiés à Rachmaninov et Saint-Saëns, récemment parus chez Chandos.

jeudi 4 février 2016

Musique de chambre de Jerzy Fitelberg - ARC Ensemble - Disque Chandos

 
Dans la famille Filtelberg, on connaissait surtout le père Grzegorz (1879-1953), essentiellement renommé comme chef d’orchestre. On se souvient ainsi des disques consacrés à l’art de son compatriote et contemporain Szymanowski, dont il défendit avec constance le répertoire tout au long de sa carrière. Son fils Jerzy (1903-1951) n’eut certes pas la même influence, pâtissant de ses nombreux exils consécutifs à la fuite des persécutions nazies, mais parvint tout de même à un catalogue conséquent en tant que compositeur, fruit d’une solide formation avec son père et Franz Schreker à Berlin. C’est précisément dans le cadre de la collection «Music in exile», lancée par Chandos et l’Ensemble ARC autour de la musique de chambre de Paul Ben-Haim, que les interprètes canadiens se sont illustrés dès 2013 à Toronto. Leur retour est à saluer, tant leurs qualités individuelles se mettent idéalement au service de la musique de Fitelberg en un esprit fluide et léger, qui permet de dépasser une vision uniformément sombre de ces œuvres.


Le Premier Quatuor, composé en 1926 à la fin des années de formation berlinoises, illustre ainsi les années d’incertitude d’après-guerre par son entrée nerveuse quasi symphonique, avant que la raréfaction du tissu musical n’apporte un climat de désolation inquiétant. Une œuvre intéressante et finalement homogène, malgré sa construction déséquilibrée – le troisième mouvement étant presque aussi long que les quatre autres réunis. Plus animé, le Deuxième Quatuor
de 1928 (sur les cinq composés par Fitelberg au total) réserve un bel Andante, profond et introspectif. Cette œuvre mélodiquement inspirée offre davantage de dialogues entre les cordes, là où la légère Sonatine pour deux violons (1939) dévoile des variations admirables de fluidité, sans aucun heurt. La Sérénade pour alto et piano (1943) va plus loin encore dans la résignation emprunte de tristesse sereine, tandis que le disque se conclut dans l’éclaircie de la lumineuse Nachtmusik (1921). Outre la palette sonore offerte par la réunion (inédite?) de la clarinette, du violoncelle et du célesta, cette œuvre de jeunesse ensorcelle par son ambiance mystérieuse, douce et rêveuse. Un beau disque, idéalement interprété, que l’on recommande vivement pour découvrir ces œuvres enregistrées en première mondiale.