lundi 25 septembre 2017

« Il trovatore » de Verdi - David Bösch - Opéra de Francfort - 23/09/2017


Le metteur en scène allemand David Bösch est partout en cette rentrée: un peu plus d’une semaine après avoir jeté son dévolu sur le rare Miracle d’Héliane à Gand, le voilà à Francfort pour la reprise du Trouvère, un spectacle créé à Covent Garden fin 2016 (en remplacement de l’ancienne production d’Elijah Moshinsky). Cette production londonienne avait d’ailleurs été choisie pour faire partie de la saison des opéras diffusés dans les salles de cinéma partout en Europe, et notamment en France en ce début d’année.

Avec Le Trouvère, on retrouve le goût de Bösch pour une scénographie sombre et granitique (à l’instar des Enfants du roi imaginés par le même Bosch à Francfort voilà deux ans), où la variété des éclairages splendides d’Olaf Winter joue beaucoup pour animer le plateau nu, agrémenté de rares artifices, tels ces quelques branches décharnées ou un tank au milieu de la scène, sans parler des quelques projections vidéo plus ou moins décoratives en arrière-scène. Afin d’enrichir le livret bien pauvre, Bösch imagine un contexte intemporel de guerre civile avec deux camps en lutte, l’un représenté par les gitans, l’autre par le Comte: de nombreux sous-textes sont ainsi ajoutés, permettant à Leonora de s’apitoyer sur le corps d’un soldat mort, en une scène émouvante au II. Mais c’est plus encore sur Azucena que la mise en scène se penche, en insistant sur le traumatisme à l’origine de sa vengeance: le supplice du bûcher pour sa mère après la mort de l’enfant du Comte. Azucena se voit ainsi entourée de bébés en plastique comme un stigmate de ce passé indélébile: la découverte de l’intérieur de la roulotte de la bohémienne par Leonora jette ainsi le trouble, tandis que le bûcher représenté en arrière-scène au IV nous rappelle magnifiquement les causes du drame.
Si le plateau vocal réuni dans la cité hessoise ne reprend aucun des chanteurs prestigieux entendus à Londres, il souffre aussi des nombreuses défections de dernière minute depuis le début des représentations en septembre, et ce dans les quatre rôles principaux: seule Elza van den Heever (Leonora) a pu assurer son rôle lors de la représentation à laquelle nous avons assisté samedi. Gageons que ce spectacle qui sera donné jusqu’en janvier saura retrouver les chanteurs initialement prévus dans une forme digne de cet ouvrage vocalement exigeant. Pour autant, Francfort a su pallier ces défections par l’embauche de chanteurs tous spécialistes de leurs rôles respectifs: Dalibor Jenis (le Comte) à Berlin l’an passé, Murat Karahan (Manrico) à Limoges en 2014 surtout Enkelejda Shkoza (Azucena) à Toulon en 2015 et sur de nombreuses scènes italiennes d’importance.

Elza van den Heever s’est quant à elle illustrée, à Bordeaux et Toronto en 2011, notamment, dans son rôle de Leonora. On la retrouve ici toujours aussi investie, éclatante de vérité dramatique dans la seconde partie de l’ouvrage, alors que la première la mettait moins à son avantage. Il faut dire que sa technique vocale laisse toujours percevoir l’effort dans la transition entre les registres, là où une certaine fluidité serait attendue. On aimerait aussi davantage de souffle et d’intensité dans les forte: il n’en reste pas moins que sa ligne de chant est toujours d’une probité et d’une justesse de ton éloquente pendant toute la représentation. Le chant plus débraillé d’Enkelejda Shkoza (Azucena) est aux antipodes avec un vibrato trop prononcé dans l’aigu, heureusement compensé par des graves aux couleurs splendides, sans parler de ses pianissimi de rêve. Mais c’est surtout son interprétation vibrante, d’un engagement et d’une puissance revigorants, qui permet à ce tempérament généreux de faire oublier ses quelques approximations stylistiques. On passera rapidement sur le pâle Manrico de Murat Karahan, à l’émission trop étroite et engorgée pour convaincre en bellâtre ardent. Dalibor Jenis (le Comte), malgré une émission parfois trop nasale, lui est grandement préférable avec un chant souple et ductile, tandis que Kihwan Sim (Ferrando) assure bien sa partie.


On terminera enfin par une mention de la belle direction, lente et étagée, de Jader Bignamini qui sait aussi s’animer d’une belle vivacité dans les passages enlevés, sans jamais couvrir les chanteurs. Avec les forces de l’Orchestre de l’Opéra de Francfort, il reçoit une ovation méritée en fin de représentation.

dimanche 24 septembre 2017

« Vanessa » de Samuel Barber - Katharina Thoma - Opéra de Francfort - 22/09/2017

Entendre Vanessa, chef-d’œuvre lyrique de Samuel Barber (1910-1981), n’est pas si fréquent sur les scènes européennes: c’est là une constante depuis la création de cet ouvrage en 1958 (et aujourd’hui donné dans sa version définitive de 1964) à New York, loin de l’avant-garde musicale alors en vogue autour de Pierre Boulez et des tenants de son esthétique sur le vieux continent. En France, la création de l’ouvrage devra ainsi attendre l’initiative heureuse de l’Opéra de Metz en 2014 pour tenter de convaincre les récalcitrants, encore nombreux de nos jours. Pour autant, Vanessa ne manque pas d’atouts grâce aux talents d’orchestrateur de Barber, tout autant que son inspiration néo-puccinienne savamment dosée entre sucré emphatique et légères dissonances, alors que les premières notes confiées au tourbillon irrésistible des vents évoquent le début de La Bohème. On pense aussi à l’excellent livret de son compagnon Gian Carlo Menotti, qui rappelle autant Tchekhov qu’Ibsen dans la mise en valeur d’un huis clos étouffant où les personnages espèrent un avenir meilleur.


Francfort choisit en ce début de saison de programmer à nouveau, après 2012, un spectacle créé trois ans plus tôt à l’Opéra de Malmö sous la houlette de Katharina Thoma. Le travail de l’Allemande, découvert en France à Strasbourg avec La Clémence de Titus en 2015, nous avait beaucoup séduit l’an passé, ici même, en une rareté que l’on espère revoir programmée très vite: la Martha de Flotow. Une production réjouissante qu’annonçait déjà le sens du détail scénographique à l’œuvre dans cette production de Vanessa. Katharina Thoma choisit en effet de symboliser le réel et les fantasmes des héroïnes autour de deux mondes conjoints: le jardin d’hiver de Vanessa accolé à une vaste banquise, mêlant ainsi naturalisme et surnaturel, rappelant en cela les atmosphères troubles de La Dame du lac d’Ibsen. C’est sur l’étendue glacée que les fantômes du passé, dont un double d’Anatol, vont évoluer pendant l’action en un ballet étrange et fascinant. Katharina Thoma suggère aussi que les trois femmes ne font en réalité qu’une, à trois moments distincts de leur vie. La dernière scène d’adieu de Vanessa à Erika prend ainsi un sens plus encore tragique: c’est bien le passé qu’Erika semble revivre à travers le miroir de ses illusions perdues.

Malgré cette mise en scène intéressante, le spectacle déçoit en fin de compte, en grande partie en raison de la direction calamiteuse de Rasmus Baumann (né en 1973). Non content de couvrir les chanteurs en de maints endroits, il peine à mettre en valeur les mélodies sans cesse interrompues et entrecroisées de Barber, qui se perdent ici en un fondu grossier. Les interprètes, d’un bon niveau global, ne surnagent que difficilement de ce traitement malheureux. Ainsi de la superbe Erika de Jenny Carlstedt, à l’articulation fluide et aux graves charnus, qui manque seulement d’un peu plus de puissance pour convaincre totalement. Jessica Strong (Vanessa) est plus à l’aise de ce côté-là, compensant un timbre qui manque parfois de substance par une diction soignée. Barbara Zechmeister (La Baronne) assume correctement son rôle, de même que l’impeccable Docteur de Dietrich Volle, tandis que Toby Spence (Anatol) fait valoir son timbre clair au service d’une belle éloquence.


On espère que les deux reprises très attendues à Francfort l’an prochain, Une vie pour le tsar de Glinka et La Passagère de Weinberg, seront autrement plus réussies.

mardi 19 septembre 2017

« Das Wunder der Heliane » de Korngold - Opéra des Frandres à Gent - 15/09/2017

Faut-il mettre en scène l’avant-dernier opéra méconnu de Korngold, Le Miracle d’Heliane (1927) ? A cette question, l’Opéra des Flandres répond positivement en confiant la production de cet ouvrage problématique à l’un des metteurs en scène les plus inspirés du moment, David Bösch – découvert en France à l’Opéra de Lyon avec Simon Boccanegra en 2014, puis Les Stigmatisés de Schreker l’année suivante. L’Opéra des Flandres commence également à bien connaitre son travail, avec deux productions déjà présentées à Anvers et Gand, en 2014 (Elektra) et 2016 (Idomeneo). De quoi se familiariser avec l’univers visuel de ce jeune metteur en scène allemand qui choisit ici, comme à son habitude, de dépoussiérer Le Miracle d’Heliane afin de l’ancrer dans un réalisme cru post-apocalyptique d’une violence digne de la série des films Mad Max. Créé la même année que le Jonny spielt auf de Krenek (l’un des plus grands succès de l’entre-de-guerre qui contribua à l’oubli rapide de la partition de Korngold), Le Miracle d’Heliane peine à convaincre du fait d’une inspiration musicale inégale, aux influences multiples : l’entrecroisement virtuose des timbres et mélodies saturées de couleurs, à la manière du dernier Schreker, plane sur le premier acte, alors que le II avec l’air le plus célèbre de la partition, le délicieusement sucré “Ich ging zu ihm”, s’apaise pour se rapprocher du vérisme. Les sirènes grandiloquentes d’une musique déjà cinématographique raisonnent quant à elle plus bruyamment au III, où le chœur se voit confier une place importante tout au long de l’action. On a là un compositeur toujours ivre de ses talents d’orchestrateur, qui expérimente de nouvelles sonorités et cherche un nouveau langage afin de dépasser ce statut de « Wunderkind » (enfant prodige) qui lui colle encore à la peau, à déjà trente ans.

L’autre grande critique faite à cet ouvrage concerne le livret mâtiné d’influences symbolistes – à l’instar de La Ville morte (1920), incontestable chef d’œuvre de Korngold. Le récit du parcours initiatique d’Héliane, à la découverte de son propre désir face à l’arrivée impromptue d’un « Etranger », laisse planer beaucoup d’interrogations sur les raisons de sa virginité : son mari, souverain malheureux et cruel d’un royaume en crise, est-il impuissant ou plutôt contrarié par son incapacité à accepter durablement les charmes de son ancien amant, le « Messager » ? A ces pistes sans réponses claires dans le livret, David Bösch ne s’intéresse nullement, préférant transposer l’action dans le camp retranché d’un Far West intemporel où le souverain impose la violence de son pouvoir sur des civils apeurés. Bösch s’impose surtout par sa scénographie méticuleuse aux éclairages splendides, dont le décor unique admirablement varié pendant les trois actes au moyen des différents accessoires (le lit trônant symboliquement en arrière-plan pendant la scène du procès), tout en se débarrassant de certains attendus – on pense à la geôle absente au premier acte. Dans cet esprit, Bösch enrichit le livret par des ajouts réalistes, telles les nombreuses hésitations d’Héliane dans la fameuse scène où elle se déshabille face à l’étranger : la jeune femme passe son temps à enlever puis remettre ses habits, là où le livret est plus directif dans l’effeuillement total de son intimité. Plus contestable, mais sans doute plus crédible dramatiquement, c’est le Souverain qui tue l’Etranger à la fin du II, alors que ce dernier est censé mettre noblement fin à ses jours avec la dague d’Héliane.
 
Le plateau vocal réunit à Gand se montre d’une belle homogénéité, même si l’on pourra émettre quelques réserves à l’encontre de l’Etranger incarné par un pâle Ian Storey. Outre un manque de charisme peu en phase avec le rôle, le ténor britannique souffre d’une émission étroite et d’une faible projection que compense à peine ses phrasés souples et harmonieux. On lui préfère grandement l’éloquence de Tómas Tómasson (le Souverain), très investi dramatiquement, tandis qu’Ausrine Stundyte (Heliane) déçoit dans un premier temps avec un vibrato trop prononcé dans l’aigu, avant de pleinement convaincre dans la fureur du III, où son tempérament de feu achève de composer son personnage. Natascha Petrinsky (le Messager) a pour elle de beaux graves cuivrés, tandis que Markus Suihkonen se distingue par une belle élégance dans son rôle du Portier. On mentionnera enfin un superlatif Denzil Delaere (le Juge aveugle), très à l’aise dans ses différentes interventions, à l’instar des chœurs, parfaits. Le Britannique Alexander Joel tire quant à lui le meilleur de l’Orchestre de l’Opéra des Flandres, même si ses tempi dantesques déçoivent dans le I à force de précipitation. On aurait aimé, en lieu et place des notes courtes ouvragées en pastel, davantage de respiration contrastée avec un affrontement expressionniste des pupitres, capable de mettre en valeur l’opposition des mélodies entre elles. Rien d’indigne cependant tant la musique de Korngold sait s’épanouir dans les deux actes suivants, mieux maitrisés. Gageons que les prochaines soirées sauront donner à l’orchestre le temps nécessaire pour bien apprivoiser cette musique aussi diverse que complexe. On notera enfin qu’une autre production du Miracle d’Heliane sera présentée début 2018 au Deutsche Oper de Berlin, dans la mise en scène de Christof Loy.

dimanche 17 septembre 2017

Trio avec piano n° 2 et Quintette avec piano en sol mineur de Dimitri Chostakovitch - Disque Melodiya

On se demande toujours pourquoi un disque enregistré en 2006 – en l’occurrence, pour le centenaire de la naissance du compositeur – met dix ans pour voir sa commercialisation effective en disque compact. Quoi qu’il en soit, cette attente a au moins le mérite de nous révéler l’un des plus beaux disques de musique chambre entendus depuis longtemps. On se félicitera tout d’abord de la réunion opportune des deux chefs-d’œuvre composés en un même élan, lors des temps de guerre si féconds chez Chostakovitch au niveau symphonique: la musique de chambre n’est pas en reste avec le Quintette avec piano de 1940, écrit peu de temps avant le Second Trio de 1944.


Le disque s’ouvre avec le magnifique Second Trio, composé un peu plus de vingt ans après le premier, où Chostakovitch utilise un thème juif traditionnel repris par la suite dans son célèbre Huitième Quatuor (1960). Les interprètes russes réunis sur ce disque font valoir une probité éloquente – sans tomber dans la froideur au piano de l’ancienne version dévolue à Sviatoslav Richter avec le Quatuor Borodine (Melodiya, 1983). Intériorisées au début de l’Andante moderato, les tensions grandissent avec les attaques sèches aux archets, avant que le contraste ne soit plus grand encore dans un Allegro non troppo véritablement cravaché, aux accents verticaux. La retenue du violon d’Ilya Ioff dans la mélodie principale du Largo qui suit apporte à ce mouvement recueilli une noblesse poignante, admirablement servie par les couleurs de ses partenaires en accompagnement. Les attaques franches ont ici disparu au bénéfice d’une atmosphère de détachement, comme en sourdine, également à l’œuvre dans l’admirable Allegretto conclusif.


Le Quintette avec piano bénéficie de la même hauteur d’interprétation, notamment le superbe Adagio, presque murmuré par endroits, faisant valoir une sensibilité équilibrée, sans que le piano ne prenne le pouvoir dans ses différentes interventions. La course à l’abime du Scherzo impressionne au niveau des qualités d’articulation, tandis que l’excellente prise de son ressort pleinement ici. L’Intermezzo qui suit permet aux interprètes de démontrer leur parfaite maîtrise de la lancinante beauté de ce mouvement d’une lenteur fascinante, révélant peu à peu ses failles et douleurs internes. Seul le finale apparaît un ton légèrement en dessous avec quelques petites baisses de tension, heureusement compensées par une épure et une sobriété toujours aussi remarquables.

samedi 16 septembre 2017

Symphonies n° 3 et 4 et Suite n° 2 de László Lajtha - Nicolás Pasquet - Disque Naxos

Nous nous étions enthousiasmé voilà quelques mois pour les deux premiers volumes de l’intégrale des neuf Symphonies de László Lajtha (1892-1963), réalisée dans les années 1990 pour le label Marco Polo et aujourd’hui réédité par Naxos. Ce beau projet se poursuit avec l’un des disques les plus emblématiques de la série grâce à la présence de la Quatrième Symphonie (1951), l’une des œuvres les plus fameuses du compositeur hongrois. Par son ton joyeux et optimiste, on pense immédiatement au Chostakovitch facétieux et narquois de la Première Symphonie, le tout mâtiné d’une inspiration mélodique réelle. Le raffinement des textures, tout autant que la capacité des thèmes à traverser les pupitres en un élan aérien et pétillant, rappelle aussi le Bartók du Concerto pour orchestre – en un style encore plus accessible, le mouvement lent offrant un lyrisme aux cordes proche des facilités de la musique de film.


On reste dans le scintillement et la grâce légère avec la Deuxième (1943) tirée du ballet perdu Le Bosquet des quatre Dieux, dont on retient le superbe Molto quieto et sa mélodie principale harmonieuse dédiée à la clarinette solo. Plus sombre, la Troisième Symphonie (1948) est en réalité l’adaptation des principaux thèmes développés dans la musique du film Meurtre dans la cathédrale, d’après la pièce éponyme de T. S. Eliot. Lajtha montre un visage délibérément plus épuré, à l’orchestration sobre, malheureusement moins inspiré ici que dans les deux autres œuvres gravées sur ce disque. On se félicitera enfin de la direction pleine d’esprit et de piquant de l’Uruguayen Nicolás Pasquet, qui tire le meilleur d’un Orchestre symphonique de Pécs parfois à la limite de ses moyens, mais tout de même très honorable et parfaitement capté.

jeudi 7 septembre 2017

« Orphée et Eurydice » d’Ernst Krenek - Pinchas Steinberg - Disque Orfeo


Krenek, oui, mais quel Krenek? C’est un peu la question que tout mélomane doit se poser avant d’affronter le copieux corpus du compositeur viennois: s’agit-il de sa période tonale mâtinée d’ajouts jazzy avec l’emblématique Jonny spielt auf de 1926, plus grand succès lyrique de l’entre-deux guerres? Ou plus certainement celle des années 1930 et suivantes autour de la musique sérielle et des expérimentations modernistes? Aucune des deux en réalité, puisqu’Orphée et Eurydice, deuxième opéra d’Ernst Krenek (1900-1991), composé en 1923, mêle les réminiscences capiteuses de l’ancien professeur Franz Schreker avec les premières expériences atonales héritées de Schoenberg. Le parlé-chanté omniprésent bénéficie d’un arrière-plan orchestral foisonnant et frissonnant, d’une imagination constante au service d’un remarquable livret, écrit par Oskar Kokoschka pendant sa captivité en Russie en 1915. Une période d’autant plus douloureuse que le peintre se remettait de son échec amoureux avec Alma Mahler, déjà repartie dans les bras d’un autre homme.

Donné au festival de Salzbourg pour le quatre-vingt-dixième anniversaire du compositeur, cet ouvrage complètement oublié fut accompagné par d’autres Orphée, ceux de Monteverdi, Gluck et Haydn. La captation en direct qui en résulta est aujourd’hui présentée par Orfeo dans un enregistrement d’une qualité sonore superbe qui rend hommage à cet ouvrage de transition. Tous les interprètes, au premier rang une incandescente Dunja Vejzovic (Eurydice), portent l’action avec bonheur, bien aidés par la baguette précise mais parfois un rien timide de Pinchas Steinberg: quel dommage que l’expressionnisme ici à l’œuvre ne soit pas davantage exalté... Quoiqu’il en soit, en tant que seul enregistrement aujourd’hui disponible de cet ouvrage, il s’agit d’un document de toute première importance.

mercredi 6 septembre 2017

Concertos pour violon de Charles-Auguste Bériot - Ayana Tsuji - Disque Naxos

Avec ce troisième volume, Naxos poursuit l’intégrale des dix Concertos pour violon de Charles-Auguste Bériot (1802-1870), réalisée avec des orchestres et des chefs différents depuis la réédition de l’enregistrement pionnier de Takako Nishizaki sous la direction d’Alfred Walter (Marco Polo, 1987). On ne peut que se féliciter de ce projet dédié à un virtuose de l’archet respecté en son temps, par ailleurs mari de la célèbre cantatrice Maria Malibran, décédée prématurément en 1836. Le présent disque regroupe parmi les œuvres les plus accomplies du compositeur belge, au premier rang desquels les Quatrième et Septième Concertos, déjà gravés pour CPO en 2006 par le violoniste Laurent Albrecht Breuninger. On retrouve ici le geste articulé et narratif de Michael Halász avec la Philharmonie de chambre de Pardubice, déjà entendu récemment dans un beau disque dédié à Cimarosa, en un tempo toujours mesuré qui laisse le temps aux phrasés de se déployer harmonieusement.


On ne pourra évidemment se contenter de ces versions un rien trop policées, mais force est de constater qu’elles donnent à cette musique fluide et agréable, composée dans les années 1840-1850, la pleine mesure de leur irrésistible attraction mélodique – proche de Mendelssohn mais sans la merveilleuse écriture pour les vents: c’est là l’atout principal de Bériot dont les connaisseurs connaissent bien la Scène de ballet (1857), son œuvre majeure également enregistrée sur ce disque. La comparaison avec la version de référence jadis gravée par Itzhak Perlman (EMI, 1999), mêlant habilement archet cursif et sens des couleurs, ne pourra que se faire en défaveur de la violoniste japonaise Ayana Tsuji, à l’agilité pourtant redoutable. On mentionnera également en complément le délicieux Air varié n° 4, où Bériot fait valoir une malice toute haydnienne dans cette suite de variations sur des thèmes populaires.