mardi 29 mars 2022

« South Pacific » de Richard Rodgers - Olivier Bénézech - Opéra de Toulon - 27/03/2022

Annulée au printemps 2020 en raison de la pandémie, la création française du chef‑d’œuvre de Richard Rodgers, South Pacific (1949), a pu enfin voir le jour à Toulon : on le doit à la persévérance de son directeur Claude‑Henri Bonnet, qui a défendu tout au long de son mandat (2003‑2022) le répertoire de la comédie musicale avec une qualité artistique reconnue, tout en prenant le risque de créer des spectacles jamais entendus en France, tels que Wonderful Town de Bernstein ou la présente production. C’est là un choix heureux, récompensé par un public aussi nombreux que fidèle, à juste titre enthousiaste au moment des saluts.

On retrouve aux manettes de ce spectacle l’excellent metteur en scène Olivier Bénézech, qui n’a pas son pareil pour faire vivre le plateau d’une énergie jubilatoire, très précise dans la direction d’acteur autant que l’exploration des volumes du plateau, particulièrement la rampe ajoutée devant l’orchestre. Comme à son habitude (voir notamment la production réussie d’Into the Woods de Sondheim en 2019), ce travail très respectueux de l’ouvrage bénéficie d’une scénographie de toute beauté, magnifiée par les contrastes entre pénombre et éclairages aux couleurs expressives.


La superbe distribution réunie emporte d’emblée l’adhésion par son brio théâtral, autant que par sa parfaite maîtrise vocale : à ce jeu‑là, se distingue le chant noble et radieux de William Michals, à l’émission chaude et profonde dans le grave. Il est toutefois dommage que son duo avec Kelly Mathieson soit déséquilibré par le peu de puissance de sa partenaire : fort heureusement, l’Ecossaise compense ce défaut par une musicalité et un raffinement inouï de velouté dans l’articulation, au service d’une composition finalement touchante. Avec un timbre de toute beauté et des qualités semblables, Mike Schwitter s’impose dans son rôle, même s’il doit encore s’affirmer davantage pour convaincre dans la dernière partie, plus dramatique. Rien de tel pour la tonitruante Jasmine Roy, qui irradie dans son rôle à force d’aisance, tandis que le non moins sonore Thomas Boutillier donne beaucoup de plaisir par son abattage et sa présence scénique. Tous les seconds rôles se montrent à la hauteur de l’événement, particulièrement le superlatif Brackett de Scott Emerson, de même que choristes et danseurs, tous investis dans l’énergie commune généreusement déployée.

Tout ce plaisir manifeste se retrouve aussi dans la fosse, où Larry Blank officie avec un art souverain des équilibres, faisant vivre les rythmes endiablés de mille feux, tout en distinguant les chorals de cuivres ou les passages plus apaisés, d’une clarté des plans sonores admirable de finesse. Ce spectacle très réussi de l’Opéra de Toulon sera suivi en mai prochain de la reprise très attendue de La Dame de pique, une coproduction lyrique de la région Sud vivement applaudie à Nice en 2020, à ne pas manquer.

lundi 28 mars 2022

« Irrelohe » de Franz Schreker - David Bösch - Opéra de Lyon - 25/03/2022

Reportée en 2020 du fait de la pandémie, la création scénique française d’Irrelohe (1924), cinquième opéra de Franz Schreker, constitue un événement à ne pas manquer, tant les ouvrages lyriques du grand rival de Richard Strauss dans les années 1910‑1920 restent rarement montés en France – hormis les productions du Son lointain en 2012 à Strasbourg, puis des Stigmatisés en 2015 à Lyon. Les mélomanes voyageurs auront aussi à cœur de faire le déplacement à Berlin pour découvrir l’un des plus grands succès de la carrière de Schreker avec Le Chercheur d’or, donné au Deutsche Oper à partir du 1er mai prochain. En attendant, place aux désirs troubles et contrariés de ce Feu follet méconnu, à l’ambiance gothico-fantastique vénéneuse.


Hormis dans le long duo « wagnérien » entre Heinrich et Eva au II, la partition opte pour un parlé‑chanté omniprésent et vaut avant tout pour la variété de son inspiration orchestrale, au lyrisme entêtant par endroit : véritable personnage du drame, la muse éclectique de Schreker surprend tout du long, tant elle embrasse plusieurs styles pour brosser les caractères contrastés en présence, des hésitations harmoniques morbides de Peter, teintées d’effluves impressionnistes, aux ruptures plus radicales de l’expressionnisme – incarnées par les trois musiciens déchaînés (proches, dans leur fascination pour la violence gratuite, de la jeunesse « perdue » du film Orange mécanique).

A l’instar du Son lointain, le compositeur (auteur de la quasi‑totalité de ses livrets) parsème le récit de nombreuses réflexions psychanalytiques et s’interroge sur la place à concéder aux pulsions « animales », avec le portrait en miroir de l’enfermement psychologique de deux outsiders, Peter et Heinrich, plus proches qu’il n’y paraît au premier abord. Comment s’insérer dans la société quand on ne représente rien ? Comment, à l’inverse, tenir son rang sans succomber à la trivialité ? Pour autant, malgré la hauteur de vue de ces questionnements, le livret souffre de ses trop nombreux personnages au caractère insuffisamment fouillé, sans parler du statisme de l’action.

Le metteur en scène David Bosch tente de gommer ces défauts en enrichissant le récit de nombreux sous‑textes au moyen de la vidéo, principalement lors des longs interludes orchestraux distillés à plusieurs reprises. L’Allemand n’hésite pas à moquer la naïveté de certains passages du livret en plongeant l’auditeur en des images dignes des séries B fantastiques ou de l’expressionnisme des Années folles, avec des références savoureuses aux histoires de vampires et de fantômes. La scénographie de toute beauté réserve quant à elle une grande place à la variété des éclairages, qui renouvellent autant la foret décharnée que l’étrange serre en décomposition dans le château.

Le plateau vocal apporte beaucoup de satisfactions grâce à son homogénéité globale. On aime ainsi tout particulièrement le chant radieux et admirablement projeté d’Ambur Braid (Eva), malgré un suraigu parfois instable, tandis que Tobias Hächler (Heinrich) s’impose dans son rôle par des qualités semblables. Si la fine musicalité de Lioba Braun (La vieille Lola) compense une puissance limitée, on aimerait que Julian Orlishausen (Peter) gagne davantage en caractère pour dépasser la seule maîtrise technique, ici superlative, particulièrement dans les graves. On notera encore la composition toute de jubilation de Michael Gniffke (Christobald), très à l’aise dans son rôle trouble, de même que l’ensemble des seconds rôles.

Après la réussite du Procès de Lucullus de Paul Dessau en début de saison à Stuttgart, on retrouve dans la fosse le vétéran allemand Bernhard Kontarsky, au geste toujours aussi impressionnant d’agilité et de fluidité, malgré ses 84 ans : la direction vive et colorée est un bonheur tout du long, vivement applaudie en fin de représentation par un public à juste titre ravi. 

mercredi 23 mars 2022

« Là-Haut » de Maurice Yvain - Théâtre de l'Athénée à Paris - 22/03/2022

Voilà bien longtemps que l’on n’était sorti d’une soirée avec des étoiles plein les yeux, irrigué des mélodies entraînantes de Maurice Yvain (1891‑1965) qui résonnent dans la tête comme autant de tubes des Années folles. Parmi les tous premiers succès de son auteur avec Ta bouche, Là- haut (1923) ne dut pas sa réussite à la seule présence de Maurice Chevalier, créateur du rôle d’Evariste, mais bénéficia surtout de la finesse des lyrics volontiers provocateurs d’Albert Willemetz, source d’un plaisir constant tout du long dans la satire bon enfant des croyances sur l’au‑delà. Adaptés au goût du jour, les dialogues restent fidèles à l’intrigue, elle‑même augmentée d’un prologue aussi endiablé que pertinent, tant il permet de brosser le caractère extraverti d’Evariste, avant sa mort. Ce prologue avec sa fanfare délurée sur le plateau apporte un vent de folie inattendu et permet à la mise en scène un effet de contraste avec la découverte du paradis, volontairement plus terne en comparaison avec ses allures de sanatorium empli de vieillards hagards. La scénographie épurée évite ainsi soigneusement d’alourdir la farce en réduisant les références divines, ici limitées au trousseau de clé d’un Saint Pierre grimé en curiste ou à l’aspect christique d’Evariste lors de son retour sur terre.

Avec beaucoup d’à‑propos, cette mise en scène de Pascal Neyron (déjà vivement applaudi in loco avec l’irrésistible Testament de la tante Caroline d’Albert Roussel, en 2019) apporte un soin particulier à la fluidité des transitions entre les scènes parlées et les airs et ensembles, tout en ajoutant quelques traits humoristiques, souvent confiés à l’excellent quatuor des Elues. Dans cet esprit, le plateau s’anime souvent de saynètes secondaires qui donnent beaucoup de vitalité à l’ensemble, sans jamais tomber dans le cabotinage.

Il faut dire que l’énergie déployée par le plateau vocal, très homogène, est un régal, tant il combine à merveille les nécessaires qualités théâtrales et chantées, demandées aux interprètes. A ce jeu‑là, Mathieu Dubroca donne une leçon d’aisance, tant le rôle d’Evariste semble avoir été écrit pour lui. On se délecte ainsi de son talent comique jubilatoire et de ses qualités d’articulation et de projection. A ses côtés, Richard Delestre compose un ange gardien tout aussi déluré, aussi impressionnant de justesse dramatique dans ses allures nerveuses et ses réparties volontairement nasillardes. On aime aussi grandement le Saint Pierre souvent ahuri de Jean‑Baptiste Dumora, qui offre un subtil mélange de noblesse et de fragilité à son rôle, tout en étant très solide vocalement. Les interprètes féminines principales assurent bien leur partie dans les airs et duos, même si le livret ne leur offre que peu d’opportunité de se distinguer au niveau théâtral.

On notera enfin le brio toujours savoureux de piquant et d’esprit de l’ensemble Les Frivolités Parisiennes, dirigé par un Nicolas Chesneau très en verve. Ce dernier donne beaucoup d’élan à l’ensemble par son attention aux moindres rebonds rythmiques, comme à l’articulation avec le plateau, jamais couvert. Un spectacle très réussi, à voir jusqu’au 31 mars, dans le cadre toujours aussi intime que délicieux de l’Athénée.

samedi 12 mars 2022

« A Quiet Place » de Leonard Bernstein - Krzysztof Warlikowski - Opéra Garnier à Paris - 09/03/2022

Si l’année du centenaire de la naissance de Leonard Bernstein (1918-1990) a permis un éclairage bienvenu sur la pluralité des ouvrages composés bien au-delà du sempiternel chef d’œuvre West Side Story (voir notamment le cycle donné par l’Orchestre national de Lille à cette occasion), force est de constater que Lenny reste aujourd’hui cantonné à ses succès « faciles » du début de carrière, dont On the Town (1944). On oublie bien vite que cet artiste touche à tout, immense chef d’orchestre et pédagogue, chercha une voie médiane entre la radicalité européenne d’après-guerre (incarnée par Boulez en France) et les douceurs sucrées de Broadway. Preuve en est l’ambition de ses symphonies, qui évoquent l’Ancien testament en référence aux racines juives ukrainiennes de ses parents, émigrés aux Etats-Unis en 1910. Le langage musical, aux nombreuses dissonances, n’évite pas quelques éléments plus spectaculaires aux cuivres notamment, dans la veine de Mahler et Copland.

Avec son ultime ouvrage pour la scène, A Quiet Place (1984), Leonard Bernstein rencontre l’un des échecs les plus retentissants de sa carrière, au style polytonal inspiré de Stravinsky, volontairement éclectique dans l’incorporation d’éléments disparates souvent déroutants. Conçu comme une suite à son premier opéra Trouble in Tahiti (1952), à l’ivresse mélodique et rythmique irrésistible, le nouvel ouvrage s’en distingue par l’abandon des effluves jazzy entêtantes, tout en surprenant par son sujet provocateur, qui moque les faux-semblants liés aux cérémonies de funérailles, et place au centre de l’intrigue la bisexualité de ses personnages, en référence à la vie privée de Bernstein.

On doit aux efforts conjugués de Garth Edwin Sunderland, vice-président chargé des projets créatifs du Leonard Bernstein Office (association officielle qui gère le legs du compositeur), et du chef d’orchestre Kent Nagano, la résurgence de A Quiet Place, sans Trouble in Tahiti (donné au préalable ou incorporé à l’ouvrage). Remonté en 2013 dans une version pour orchestre de chambre, l’ouvrage bénéficie d’un livret remanié par Sunderland, qui recentre l’attention sur les personnages centraux (voir le disque évènement gravé par Nagano quatre ans plus tard).

Du fait de la jauge importante du Palais Garnier (près de 2000 places), la présente production propose également une voie médiane entre les 72 musiciens prévus en 1984 et les 18 imaginés pour la version de chambre, tout en remplaçant certains instruments trop « exotiques » (la guitare électrique ou certains bruitages électroniques) par d’autres (clavecin et orgue). On a donc là une version inédite qui permet d’assister à une « création mondiale » de la nouvelle orchestration pour grand orchestre, composée par Garth Edwin Sunderland.

La soirée remporte un succès public chaleureux au moment des saluts, du fait du plateau vocal réuni, idéalement homogène. S’en détache le chant noble et altier de Russell Braun (Sam), qui donne une hauteur de vue bienvenue à son rôle, tandis que Frédéric Antoun (François) apporte beaucoup de soin à l’articulation et au texte. On aime aussi les couleurs et les accents entre tragique et comique de Gordon Bintner (Junior), toujours digne dans la folie de son personnage. Remplaçante de dernière minute suite au retrait de Patricia Petibon, Claudia Boyle (Dede) séduit par son aisance d’émission (hormis dans le suraigu), mais déçoit par sa faible projection et son interprétation un rien trop sage. A ses côtés, tous les seconds rôles se montrent à un niveau superlatif, aux premiers rangs desquels l’excellent quatuor de voix qui commentent les funérailles au I, composé des élèves de l’Académie lyrique.

La mise en scène de Krzysztof Warlikowski joue la carte de la sobriété au début, avant de finement confronter en miroir les déchirements familiaux, au moyen de deux modules superposés. Comme à son habitude, le soin apporté à la scénographie classieuse, tout autant qu’aux éclairages variés avec virtuosité, donne un écrin de toute beauté, qui rappelle le travail réalisé pour le diptyque Bartók / Poulenc, présenté ici-même en 2018. La vidéo ne prend jamais trop de place, tandis que l’ajout des errances fantomatiques de la mère décédée n’apporte pas grand-chose au propos, si ce n’est rappeler que le livret ne tranche jamais entre les différentes ambiguïtés de ce drame familial.

mardi 8 mars 2022

« The Rake’s Progress » d'Igor Stravinsky - Opéra de Rennes - 05/03/2022

Il faut courir applaudir cette production en tout point réussie du plus important chef-d’œuvre lyrique de Stravinski, qui confirme l’opportune association entre les opéras de Nantes et Rennes en tant que coproducteurs : outre un plateau vocal proche de l’idéal, on se réjouit de découvrir le travail de Mathieu Bauer (né en 1971) pour ses premiers pas au service d’une grande forme lyrique. L’ancien directeur du Nouveau Théâtre de Montreuil (entre 2011 et 2021) a en effet manifesté tout au long de son mandat un vif intérêt pour la musique, que ce soit en adaptant plusieurs ouvrages lyriques (Les Larmes de Barbe‑Bleue d’après Bartók ou Tristan et... d’après Wagner) ou en ajoutant des musiciens sur scène à ces propositions théâtrales (notamment Shock Corridor d’après Samuel Fuller). Dans la scène faustienne où Shadow demande des comptes à son obligé Rakewell, Bauer reprend cette idée en plaçant le clavecin (dont l’aspect minimaliste évoque judicieusement un cercueil) aux côtés des interprètes, renforçant le caractère sinistre de la joute.

Shadow représente‑t‑il le diable ou bien est‑il seulement le double « maléfique » de Rakewell ? La mise en scène de Bauer se garde bien de trancher, même si elle insiste d’emblée sur la fragilité de Rakewell, dont le pyjama autant que les regards perdus face au public suggèrent son addiction à l’inaction et la rêverie, voire les prémisses de sa folie. Entre récit initiatique et conte moral, le parcours de Rakewell prend place dans l’univers visuel corseté des années 1950‑1960, évoqué par de savoureuses saynètes et références vidéo (publicités et extraits de films notamment) projetées sur le décor. Le caractère falot de Rakewell, influencé par la malice de Shadow, fait souvent penser à l’insouciance fantasque des deux héros du film Le Fanfaron (1962) de Dino Risi. Lorsque Rakewell se grime à la manière de son mentor, il revêt des habits trop grands pour lui, comme si ses désirs de réussite à Londres étaient déjà condamnés. Les fréquents allers‑retours avec le public montrent aussi combien Rakewell cherche une reconnaissance narcissique dont il reste constamment prisonnier, tout en permettant aux spectateurs de trouver une distanciation bienvenue pour apprécier la satire. Bauer soigne aussi la direction d’acteurs au niveau des déplacements du chœur de chambre Mélisme(s), tout en renouvelant costumes et éclairages, très différenciés au gré de l’action. La saisissante scène des enchères, en partie dans la pénombre, met ainsi en valeur chaque interprète au moyen de lampes torches tournées vers les visages, renforçant le caractère spectaculaire de la farce tragique.

Il faut dire que la direction alerte et admirablement étagée de Grant Llewellyn se délecte de l’orchestration aérée et très rythmique de Stravinsky, donnant beaucoup de vitalité à l’ensemble, sans jamais couvrir le plateau. Le chef gallois, malmené par un accident vasculaire cérébral en août dernier, donne le meilleur d’un Orchestre national de Bretagne en grande forme. Sur scène, Julien Behr irradie dans le rôle principal, qui semble avoir été écrit pour lui. Il faut voir avec quelle présence physique il s’empare des errances de Rakewell, sans jamais se départir d’une aisance technique confondante sur toute la tessiture (hormis un aigu un peu serré par endroit). A ses côtés, Elsa Benoit (Anne Trulove) n’est pas en reste à force de subtilité et de rondeur d’émission : l’ancienne chanteuse du chœur Mélisme(s) fait un retour grandement applaudi à Rennes, de même que la tonitruante Aurore Ugolin (Baba), aux accents et couleurs irrésistibles de caractère et de drôlerie. On aime aussi le Nick Shadow de Thomas Tatzl, à l’articulation et à la projection idéales, même s’il peine parfois dans les passages rapides. Tous les seconds rôles tiennent parfaitement leur partie, au premier rang desquels le superlatif Scott Wilde (Father Trulove).

Un spectacle vivement recommandé, à voir à Rennes jusqu’au 9 mars, puis à Nantes du 22 au 30 mars.

lundi 7 mars 2022

« Die Fledermaus » de Johann Strauss II - Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris - 05/03/2022

Comme chaque année, les étudiants en fin d’études vocales et instrumentales du Conservatoire de Paris présentent un spectacle qui leur donne une expérience au plus haut niveau, tout en permettant aux professionnels de repérer les plus doués d’entre eux. Après Le Tour d’écrou de Britten l’an passé, leur choix s’est porté vers l’opérette viennoise chère à Johann Strauss (1825-1899), ce qui permet l’adjonction d’un chœur composé spécialement pour l’occasion. Le bref intermède dansé au II donne quant à lui l’occasion de découvrir le talent des élèves dirigés par Bruno Bouché, tout en surprenant par le choix d’une musique électronique composée à partir de thèmes de Strauss – dont l’incontournable valse Le Beau Danube bleu.

Le niveau vocal de cette promotion est des plus réjouissants, tant on peine à trouver une faiblesse parmi les jeunes interprètes réunis. On se délecte d’emblée du chant radieux de Yeongtaek Seo (Alfred), au niveau technique superlatif, tandis que Benoît Rameau (Eisenstein) impressionne par son aisance scénique, avec un débit fluide et naturel. On aime aussi la fraîcheur de la Rosalinde de Parveen Savart, à l’aigu agile et aérien – même si l’on note des graves trop discrets lorsque la voix n’est pas en pleine puissance. A ses côtés, Clémence Danvy (Adele) s’impose par ses aigus rayonnants, tandis que Floriane Hasler (Orlofsky) donne une leçon d’articulation, au service d’un timbre splendide. La direction très solide de Lucie Leguay imprime quant à elle des tempi très vifs aux chanteurs, « pour les sortir de leur zone de confort » comme elle le précise dans le programme. Pour autant, ce rythme endiablé est parfois trop soutenu et surtout trop sonore dans les tutti, au détriment des chanteurs les moins puissants. C’est d’autant plus regrettable que l’orchestre donne beaucoup de plaisir, tout particulièrement un superbe pupitre de violoncelles.

La mise en scène de Nicola Raab, dont a pu découvrir le travail à Strasbourg dans Rusalka en 2019, puis à Dijon dans Macbeth en 2021, joue la carte de la sobriété, en s’appuyant sur une scénographie très sombre magnifiée par la variété du jeu d’éclairage. Comme à son habitude, l’Allemande ne se contente pas de cet écrin de toute beauté et cherche à donner davantage de profondeur au livret, en cherchant à le faire résonner avec l’actualité contemporaine – ici une mise en abyme sur la prise de rôle des étudiants du Conservatoire pour cette Chauve-Souris. D’emblée, tout en réduisant les dialogues au minimum, elle cherche ainsi à mettre le récit à distance, en rappelant les artifices du théâtre et du jeu sur les apparences, propre à la mascarade. Pour autant, cette idée apporte une certaine confusion dans le récit, où l’on peine à distinguer les différents rôles de ce jeu de dupe, notamment le rapport dominant-dominé très présent dans le livret.