jeudi 25 juillet 2013

« Le Lien » d'Amanda Sthers - Théâtre Le Chêne noir à Avignon - 19/07/2013

Gérard Gelas met en scène le très beau texte d’Amanda Sthers sur fond d’attirance vénéneuse entre un homme et sa demi-sœur. De bons comédiens défendent sincèrement la pièce, mais sans jamais vraiment nous toucher.


Stanislas Merhar et Chloé Lambert
Ce regard intense que se jettent les comédiens sur l’affiche est toute une promesse. À peine ouvert, le rideau de la petite salle du Chêne noir dévoile un plateau nu où seuls quelques cubes de lumière sont empilés pour figurer un bar branché. Assise, une jeune femme attend patiemment son demi-frère, dont elle vient d’apprendre l’existence suite au décès de leur père commun. Mais ce lien entre eux n’est pas le seul. Rapidement, par-delà les mots qui claquent durement pour éviter de nommer l’évidence, se fait jour une attirance réciproque, animale et irrépressible.
Tout va très vite dans la pièce d’Amanda Sthers créé au Théâtre des Mathurins l’an passé et reprise cet été à Avignon. Entre ce frère prédateur et cette sœur qui parle d’héritage pour mieux fuir son désir naissant, les dialogues précis et percutants fusent à la manière de la série télévisée Caméra café (dont Amanda Sthers écrivit les soixante premiers épisodes). Mais le talent de l’auteur français ne s’arrête pas là *, s’illustrant dans des domaines variés, de la littérature pour adulte ou enfant, au cinéma et à la chanson. Si l’on peut regretter une fin un peu abrupte, c’est sans doute que les comédiens ici réunis ne parviennent pas tout à fait à exploiter les possibilités offertes par le beau texte de Sthers.
Une dernière scène périlleuse
Trop univoque, Stanislas Merhar compose un crédible dragueur sûr de son charme et de sa maîtrise, mais qui peine à convaincre dans le registre émotif de la dernière scène, retournement final inattendu où la fragilité contenue de son personnage apparaît enfin au grand jour. D’une grâce élégante et fluide, Chloé Lambert charme, trop peut-être, par son naturel serein. Avec une faible projection (un comble pour une salle aussi petite), sa retenue ôte ainsi aux ruptures acerbes le ton d’une césure bienvenue. Le couple de comédiens sauve heureusement ces quelques imperfections par une attention décisive à la mise en scène épurée de Gérard Gelas.
Dans un décor minimaliste qui sera utilisé pendant les trois temps que comporte la pièce, imposant une direction d’acteurs serrée, se met en place un véritable ballet en forme de tango sensuel et vénéneux. Un délice des sens très plaisant, qui concentre l’attention du spectateur sur le texte, sur la joute entre les deux personnages, chacun avec ses armes et ses insuffisances. 

* Notamment l’un de ses plus grands succès, la pièce le Vieux Juif blonde, écrite en 2006.

mercredi 24 juillet 2013

« Tom à la ferme » de Michel-Marc Bouchard - Théâtre Le Chêne noir à Avignon - 17/07/2013

Peu connu en France, le Québécois Michel-Marc Bouchard propose un théâtre à thèse qui s’attaque courageusement aux ravages de l’homophobie ordinaire et du mensonge amoureux. La fin bouleversante justifie à elle seule d’oser arpenter ce drame cinglant.
Il est des pièces que l’on écrit sous le coup de la rage. Celle de voir se reproduire à l’infini les mêmes faits-divers fondés sur une homophobie aussi banalisée que destructrice. Un sujet ringard ? La vigueur des récentes manifestations contre le projet gouvernemental de « mariage pour tous » en France a malheureusement prouvé le contraire. Une fois encore. Plus de vingt ans après son premier opus sur le sujet, les Feluettes (Lilies), l’auteur Michel-Marc Bouchard repart à l’assaut des préjugés avec sa pièce Tom à la ferme dont l’adaptation au grand écran sera bientôt réalisée par rien moins que Xavier Dolan, l’enfant terrible du cinéma québécois.
Prix S.A.C.D. 2011 de la Dramaturgie francophone, la pièce a été créée pour la première fois en France en novembre dernier, à l’espace Michel-Simon de Noisy-le-Grand, tout près de Paris. Elle raconte l’histoire de Tom, jeune homme qui décide de rendre visite pour la première fois à la famille de son petit ami, tout juste décédé. Dans une ferme isolée à la campagne, il est violemment menacé par Francis qui tente de conserver le secret de l’homosexualité de son frère pour préserver sa mère Agathe. Peu à peu, Tom se prend de fascination pour cet homme qui lui rappelle le disparu, acceptant des jeux de plus en plus cruels et sanglants.
Une scénographie inventive
À partir d’une scénographie réaliste habillement élaborée, le metteur en scène, Ladislas Chollat, imagine une cuisine et une chambre qui se séparent en deux blocs au gré de l’action, disparaissant complètement pour figurer un champ ou un cimetière. Très inventif, il a recours à de nombreux artifices visuels fondés sur les éclairages ou les fumigènes, quand il ne fait pas appel à une bande-son très présente. Autour de cette réussite esthétique incontestable, Ladislas Chollat prend le risque de s’entourer d’acteurs peu connus du grand public pour porter un sujet exigeant et dramatique, lui qui a déjà dirigé des personnalités aussi prestigieuses que Fabrice Luchini ou Robert Hirsch.
Seule tête d’affiche de ce spectacle, Raphaëline Goupilleau, prix Molière 2008 de la Révélation théâtrale, offre une prestation tout en finesse à son rôle de mère aveuglée par l’amour et le respect qu’elle porte à ses enfants. Avec une gouaille inimitable, elle incarne une paysanne plus vraie que nature, extrêmement touchante dans son long et intense monologue final. À coup sûr, un des grands moments de la soirée. À ses côtés, le rôle lourd de Tom est porté avec beaucoup de vigueur par Christophe d’Esposti, un rien excessif dans la colère, plus juste dans la douleur. Sa prestation musclée est parfaitement en phase avec celle de Daniel San Pedro (Francis), excellent comédien qui gagnerait parfois à ralentir son débit pour paraître plus inquiétant encore. Mais ça n’est là qu’un détail tant sa prestation se montre très crédible.
Dans le rôle de Sarah, la fausse petite amie du défunt, Elsa Rozenknop compose une ravissante idiote capable de faire rire l’assistance avec son anglais plus qu’approximatif. Une détente bienvenue pour ce drame implacable aux dialogues savoureux, en forme de réquisitoire contre les effets dévastateurs du mensonge et de la tromperie. À noter que le Chemin des passes dangereuses, autre pièce de Michel-Marc Bouchard, est à l’affiche du Théâtre du Bourg neuf à Avignon, du 8 juillet au 31 juillet 2013.

mardi 23 juillet 2013

« Le Monte-plats » de Harold Pinter - Théâtre Le Petit Louvre à Avignon - 15/07/2013

Amateurs d’Ionesco et Beckett, osez pousser la porte du théâtre Le Petit Louvre à Avignon. Deux excellents comédiens, savoureux et désopilants, explorent les arcanes de l’absurde dans une œuvre de jeunesse de Harold Pinter. Une éclatante réussite.
Lentement, le public pénètre dans une petite cave voûtée aux pierres anciennes apparentes. Chacun prend place alors que les comédiens sont déjà présents sur la scène étroite éclairée par deux néons blafards, tandis qu’un clapotis d’eau résonne régulièrement à l’oreille bientôt attentive. Pendant toute la pièce, la régularité métronomique de son imperturbable mouvement lancinant ne cessera de contribuer à forger une ambiance de plus en plus oppressante. Sur le plateau, deux hommes allongés sur leurs lits de camp minables trompent l’ennui, l’un comptant ses billets de banque pendant que l’autre nettoie son arme à feu.
Terrés dans une cave sans fenêtre et sans confort aucun, ces tueurs à gages attendent des ordres qui ne viennent pas. Imperceptiblement, se dessine une relation de domination entre Ben et Gus, l’un étant le supérieur de l’autre. Très vite, une tension s’installe autour de la non-communicabilité entre ces deux êtres, de la banalité d’un quotidien subi, de cet ennui sans cesse renouvelé. Quand, d’un monte-plats, surviennent les commandes inattendues, l’absurde prend place presque naturellement, tant les deux hommes sont à bout. Ionesco n’est pas loin.
Une vie qui leur échappe
Faite de petits riens, l’intrigue de Harold Pinter, prix Nobel de littérature en 2005, fait également penser à Samuel Beckett tant ses personnages semblent happés par une vie qui leur échappe. Le refus du récit, de l’évènement, est porté par des dialogues savoureux à force d’ellipses ou de contre-pieds absurdes, offrant un réel suspens qui s’entremêle au drame sous-jacent. Un régal pour qui veut bien accepter les partis pris de radicalité de l’auteur britannique. La mise en scène discrète mais diablement efficace de Christophe Gand insiste sur la progression lente de la tension au moyen d’un espace réduit oppressant, cette chambre d’où Ben ne sort jamais. Seul Gus rejoint la cuisine ou le couloir, tous deux situés en coulisses, espace énigmatique qui rend d’autant plus angoissantes ses interventions hors du regard du spectateur.
Mais cette pièce exigeante nécessite surtout des comédiens aguerris, capables de faire vivre leur personnage par l’intensité de leur jeu. Trois ans après la Dernière Bande de Beckett monté au Off d’Avignon, Boudet retrouve Christophe Gand et compose un désopilant pataud très crédible par le jeu de son expressivité corporelle, tandis que Lombard impose un autoritarisme désabusé tout aussi pertinent. Forts d’une longue expérience qui leur a fait côtoyer les plus grands *, Maxime Lombard (Ben) et Jacques Boudet (Gus) se montrent tous deux impressionnants dans ces rôles périlleux. Ils ne sont pas pour rien dans l’éclatante réussite de ce projet.

* Comédien fétiche de Jérôme Savary, Maxime Lombard a notamment travaillé avec Ariane Mnouchkine, Philippe Caubère ou Alain Sachs, tandis que Jacques Boudet s’est illustré auprès de Patrice Chéreau, Jean‑Marie Serreau ou Roger Planchon.

lundi 22 juillet 2013

« Le Vaisseau fantôme » de Richard Wagner - Théâtre Antique d'Orange - 12/07/2013

Le Théâtre Antique d’Orange fête cette année le bicentenaire de la naissance des deux géants de l’opéra du xixe siècle, Verdi (« Un bal masqué ») et Wagner (« le Vaisseau fantôme »). Le très attendu Mikko Franck illumine la soirée par la variété et l’intensité de sa direction.
 


Incontestable évènement lyrique de la saison estivale, la venue de Mikko Franck aux Chorégies d’Orange était attendue à plus d’un titre. Diriger la langue de Goethe dans l’enceinte majestueuse du Théâtre Antique constitue en effet un privilège rare, là où l’opéra italien, et plus rarement français, règne en maître. Il faut dire que la réputation du jeune chef finlandais de 34 ans ne cesse de s’accroître depuis son unique prestation à Orange en 2010, dans une mémorable Tosca. Récemment nommé au poste de directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Radio France, une fonction qu’il assumera à la rentrée 2015, Mikko Franck a révélé à l’automne dernier son affinité avec Wagner en assurant au pied levé la direction d’un superbe Tristan et Isolde.

Dans la bouillante enceinte de près de 8 300 places éclairée par les derniers feux du soleil couchant, l’ouverture du Vaisseau fantôme offre une entrée en matière saisissante en reprenant les principaux leitmotive de l’opéra qui s’entremêlent avec virtuosité. La baguette vive et agile du chef finlandais anime le thème dramatique du Hollandais volant, avant de ralentir le tempo dans les passages lyriques qui vibrent d’une poésie aérienne et délicate. Attentive aux moindres variations pendant toute la représentation, sa direction exalte un raffinement chambriste ou d’étonnants passages dansants qui rapprochent Wagner de ses aînés Weber et Mendelssohn.

Une variété de couleurs

La variété de couleurs ainsi déployée permet de délaisser les visions par trop souvent univoques du Vaisseau fantôme *, drame implacable qui n’a pas besoin de lourdeurs appuyées pour opérer à plein. Si l’on peut regretter l’absence de surtitres en français, l’histoire éloquente et suggestive résonne aisément en chacun avec une efficacité à laquelle l’atmosphère fantastique n’est pas étrangère, autour de la légende du Hollandais volant condamné à errer sur les mers pour l’éternité, dans l’attente de l’amour qui pourra le délivrer de la malédiction. Alors qu’il accoste sur des terres norvégiennes, le maudit tente d’obtenir la main de la ravissante Senta, pourtant promise à Érik le chasseur, en soudoyant son père, le capitaine Daland.

Contrairement à la production récemment dévoilée à l’Opéra de Bavière, la mise en scène classique de Charles Roubaud ne cherche pas à extrapoler au-delà des intentions premières du compositeur. À partir d’un décor unique pendant toute la soirée, où seule émerge la proue d’une épave imposante, Roubaud se refuse à tout recours au spectaculaire et à la facilité de magnifier l’écrin majestueux du Théâtre Antique par l’intervention des éclairages ou de la vidéo. Les ambiances fantomatiques projetées lors des interventions du Hollandais ne forcent jamais le trait d’une mise en scène dont l’épure est soutenue par une direction d’acteurs très précise.

Un plateau vocal homogène

Grand habitué des Chorégies depuis 1995, Roubaud se joue ainsi aisément du piège d’une vaste scène où plus d’un chanteur y a paru perdu. On retient notamment l’attention portée aux déplacements du chœur de femmes au deuxième acte, véritable ballet enchanteur et élégiaque. Côté voix, le plateau réuni se montre d’une belle homogénéité, Egils Silins (le Hollandais) et Stephen Miling (Daland) offrant tous deux des qualités de projection idéales, tandis qu’Ann Petersen (Senta), à l’émission parfois étroite, met un peu de temps à se chauffer avant d’emporter l’adhésion d’un public conquis.

* Titre français qui se distingue de l’original en allemand, littéralement « le Hollandais volant » (nom du héros maudit).