dimanche 27 octobre 2019

« Don Carlo » de Verdi - Krzysztof Warlikowski - Opéra Bastille à Paris - 25/10/2019


Parmi les spectacles phares de la saison 2017-2018 de l’Opéra de Paris figurait la nouvelle production de Don Carlos dans sa version originale de 1866 (en français), réunissant une double distribution de haut vol, toutefois diversement appréciée. Place cette fois à la version italienne de 1886, dite «de Modène», où Verdi choisit de rétablir le premier acte souvent supprimé, tout en conservant les autres modifications ultérieures : c’est là l’illustration de vingt ans de tentatives pour améliorer un ouvrage trop long et touffu, dont la noirceur générale pourra dérouter les habitués du Verdi plus extraverti et lumineux de La Traviata (1853). Pour autant, en s’attaquant au grand opéra à la française, le maître italien cisèle un diamant noir à la hauteur de son génie, où oppression et mal-être suintent par tous les pores des personnages.

C’est précisément la figure tourmentée du roi Philippe II qui intéresse Krzysztof Warlikowski, caractérisant d’emblée la difficulté à succéder à un monarque aussi illustre que Charles Quint : le sinistre buste en cire du père trône ainsi sur le bureau comme une figure oppressante, avant qu’un acteur ne vienne l’incarner dans les scènes où Philippe croit entendre sa voix. Cette présence continuelle du passé est renforcée par la transposition de l’action au XXème siècle, où les choeurs grimés en visiteurs attendent de découvrir les pièces du château, transformé en musée figé, tandis que les projections vidéos en arrière-scène insistent sur la souffrance intérieure des principaux personnages avec leur visage en gros plan. Si l’idée d’introduire une salle d’entraînement d’escrime peut séduire par sa référence au contexte guerrier sous-jacent, on aime aussi l’allusion aux influences andalouses représentées par la cage rouge aux allures de moucharabieh.

On regrette toutefois que Warlikowski n’anime pas davantage sa direction d’acteur et se contente d’un beau jeu sur les volumes avec ses éléments de décor déplacés en bloc, agrandissant ou rétrécissant la vaste scène au besoin. On a là davantage un travail de scénographe, toujours très stylisé, mais malheureusement à côté de la plaque dans la scène de l’autodafé, peu impressionnante avec son amphithéâtre simpliste et ses costumes aussi fastueux que colorés, à mille lieux de l’évocation du rigorisme religieux dénoncé par Verdi. En revanche, l’idée de faire du Grand Inquisiteur une sorte de chef des services secrets est plutôt bien vue, de même que de placer son duo glaçant avec Philippe dans un oppressant fumoir Art déco au III.

A cette mise en scène inégale répond un plateau vocal de tout premier plan, fort justement applaudi par un public enthousiaste en fin de représentation, et ce malgré le retrait inattendu de Roberto Alagna après le premier entracte pour cause d’état grippal. Le ténor français avait montré quelques signes de faiblesse inhabituels, autour d’une ligne flottante et parfois en léger décalage avec la fosse. Le manque d’éclat face à Aleksandra Kurzak était également notable. Son remplacement par Sergio Escobar ne convainc qu’à moitié, tant la petite voix de l’Espagnol s’étrangle dans les aigus difficiles, compensant ses difficultés techniques par des phrasés harmonieux dans le medium et un timbre chaleureux. Il est vrai qu’il souffre de la comparaison face à ses partenaires, au premier rang desquels René Pape (Philippe II) et sa classe vocale toujours aussi insolente d’aisance sur toute la tessiture, le tout au service d’une composition théâtrale d’une grande vérité dramatique.

C’est précisément en ce dernier domaine qu’Anita Rachvelishvili conquiert le public par la force de son incarnation, à l’engagement démonstratif : ses graves mordants, tout autant que ses couleurs splendides, font de ses interventions un régal de chaque instant. A ses côtés, Aleksandra Kurzak s’impose dans un style plus policé, mais d’une exceptionnelle tenue dans la déclamation et la rondeur vocale, notamment des pianissimi de rêve. Il ne lui manque qu’un soupçon de caractère pour incarner toutes les facettes de son rôle, mais ça n’est là qu’un détail à ce niveau. Autre grande satisfaction de la soirée avec le superlatif Rodrigo d’Étienne Dupuis, aux phrasés inouïs de précision et de raffinement, à la résonance suffisamment affirmée pour faire jeu égal avec ses partenaires en ce domaine. On notera enfin la bonne prestation de Vitalij Kowaljow, qui trouve le ton juste pour donner une grandeur sournoise au Grand Inquisiteur, tandis que le choeur de l’Opéra de Paris se montre bien préparé.

Seule la direction trop élégante de Fabio Luisi déçoit quelque peu dans ce concert de louanges, alors qu’on avait pourtant grandement admiré le geste lyrique du chef italien lors de sa venue à Paris l’an passé pour Simon Boccanegra. Il manque ici la noirceur attendue en de nombreux passages, notamment verticaux, même si les couleurs pastels des parties apaisées séduisent davantage en comparaison.

lundi 21 octobre 2019

« Rusalka » d'Antonín Dvořák - Nicola Raab - Opéra national du Rhin à Strasbourg - 20/10/2019

Photo : Clara Beck
Nicola Raab frappe fort en ce début de saison en livrant une passionnante relecture de Rusalka, que l’on pensait pourtant connaître dans ses moindres recoins. Très exigeante, sa proposition scénique nécessite de bien avoir en tête le livret au préalable, tant Raab brouille les pistes à l’envi en superposant plusieurs points de vue ; de l’attendu récit initiatique de l’ondine, à l’exploration de la confusion mentale du Prince, sans oublier l’ajout des déchirements violents d’un couple contemporain en projection vidéo. L’utilisation des images projetées constitue l’un des temps forts de la soirée, donnant aussi à voir l’élément marin dans toute sa froideur ou son expression tumultueuse, en miroir des tiraillements des deux héros face à leurs destins croisés : l’éveil à la nature pour le Prince et l’acceptation de la sexualité pour Rusalka. Au II, face à une Rusalka muette aux allures d’éternelle adolescente, la Princesse étrangère représente son double positif et sûre d’elle, volontiers rugueux.

La scénographie minimaliste en noir et blanc, puissamment évocatrice, entre sol labyrinthique et portes à la perspective démesurée, force tout du long le spectateur à la concentration, tandis qu’un simple rideau en arrière-scène permet de dévoiler plusieurs saynètes en même temps, notamment quelques flash back avec Rusalka interprétée par une enfant. Cette idée rend plus fragile encore l’héroïne, dont la sorcière Jezibaba serait l’infirmière au temps de l’adolescence (une idée déjà développée par David Pountney pour l’English National Opera en 1986 – un spectacle disponible en dvd). Une autre piste suggérée consiste à imaginer Rusalka comme un fantôme qui revit les événements en boucle, ce que suggère la blessure de chasse reçue en fin de première partie.
Photo : Clara Beck
Quoi qu’il en soit, ces multiples interprétations font de ce spectacle l’un des plus riches imaginé depuis longtemps, à voir et à revoir pour en saisir les moindres allusions. Après la réussite de la production de Francesca da Rimini, donnée ici-même voilà deux ans, voilà un nouveau succès à mettre au crédit de l’Opéra du Rhin (par ailleurs récemment honoré par le magazine allemand Opernwelt en tant qu’”Opéra de l’année 2019″ ).

Le plateau vocal réuni pour l’occasion donne beaucoup de satisfaction pendant toute la représentation, malgré quelques réserves de détail. Ainsi de la Rusalka de Pumeza Matshikiza, dont la rondeur d’émission trouve quelques limites dans l’aigu, un peu plus étroit dans le haut de la tessiture. La soprano sud-africaine semble aussi fatiguer peu à peu, engorgeant ses phrasés outre mesure. Des limites techniques heureusement compensées par une interprétation fine et fragile, en phase avec son rôle. A ses côtés, Bryan Register manque de puissance dans la fureur, mais trouve des phrasés inouïs de précision et de sensibilité, à même de procurer une vive émotion lors de la scène de la découverte de Rusalka, puis en toute fin d’ouvrage.
Photo : Clara Beck
Attila Jun est plus décevant en comparaison, composant un pâle Ondin au niveau interprétatif, aux graves certes bien projetés, mais plus en difficulté dans les accélérations aiguës au II. Rien de tel pour Patricia Bardon (Jezibaba) qui donne la prestation vocale la plus étourdissante de la soirée, entre graves gorgés de couleurs et interprétation de caractère. On espère vivement revoir plus souvent cette mezzo de tout premier plan, bien trop rare en France. Outre les parfaits seconds rôles, on mentionnera la prestation inégale de Rebecca Von Lipinski (La Princesse étrangère), qui se montre impressionnante dans la puissance pour mieux décevoir ensuite dans le medium, avec des phrasés instables.

Enfin, les chœurs de l’Opéra national du Rhin se montrent à la hauteur de l’événement, tandis qu’Antony Hermus confirme une fois encore tout le bien que l’on pense de lui, en épousant d’emblée le propos torturé imaginé par Raab. Toujours attentif aux moindres inflexions du récit, le chef néerlandais alanguit les passages lents en des couleurs parfois morbides, pour mieux opposer en contraste la vigueur des verticalités. Les rares passages guillerets, tels que l’intervention moqueuse des nymphes ou les maladresses du garçon de cuisine, sont volontairement tirés vers un côté sérieux, en phase avec la mise en scène. Un très beau travail qui tire le meilleur de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg.

dimanche 20 octobre 2019

« Der Diktator », « Schwergewicht, oder Die Ehre der Nation » et « Das geheime Königreich » d'Ernst Krenek - David Herman - Opéra de Francfort - 19/10/2019


Précédée d’un excellent bouche-à-oreille, la reprise de ce spectacle crée en 2017 à Francfort est l’un des événements à ne pas manquer de ce début de saison, et ce d’autant plus que les trois petits ouvrages de Krenek (1900-1991) sont rarement donnés lors d’une même soirée, comme ce fut le cas en 1928 pour leur création à Wiesbaden. Après l’éclatant succès de Jonny spielt auf l’année précédente, Krenek ressentit manifestement le besoin de prouver toute l’étendue de son talent, non seulement au niveau de ses qualités littéraires, en tant qu’auteur de livret, mais aussi par la mesure de la variété de son inspiration musicale, audible dans ces trois bijoux finement ciselés, aux atmosphères si contrastées : la scansion rythmique piquante et chambriste de l’opéra tragique Le Dictateur, fait ainsi rapidement place à l’esprit forain et jazzy de l’opérette burlesque Poids lourd, ou L’Honneur de la Nation, rappelant l’écriture du groupe des Six, avant de conclure sur une puissance d’évocation symphonique proche de l’ancien maître Schreker dans l’opéra féerique Le Royaume secret.

David Hermann a la bonne idée de lier les trois histoires, pourtant très différentes, en plaçant au centre de l’action les personnages du fou et du dictateur-roi (interprété par le même chanteur: tous deux observent les événements lorsque le livret ne les sollicite pas, l’un comme un souverain avide de divertissement, l’autre comme une sorte de «Monsieur Loyal» distancié, le tout en un décor et des costumes d’allures fantastiques et intemporels. Les amours contrariées du dictateur, imaginé par Krenek pour moquer Mussolini et son addiction aux conquêtes féminines, prennent d’abord une tournure tragique, avant d’embrasser la farce burlesque, pour finalement achever le parcours initiatique en un inattendu hommage à la toute-puissance de la nature, créatrice et nourricière. A chaque fois, Hermann surprend par une scénographie de toute beauté, d’abord épurée au I, plus malicieuse ensuite avec son théâtre dans le théâtre «brechtien» au II, avant d’enfouir littéralement le dictateur dans un bunker sinistre au III. A chaque fois, la direction d’acteur fait mouche et achève de convaincre de la pleine réussite de cette proposition.


Le plateau vocal réuni pour l’occasion montre un bon niveau homogène, sans pour autant briller, s’imposant surtout dans le parlé-chanté rigoureux. C’est particulièrement vrai de Davide Damiani, idéal de noirceur dans ses phrasés, au timbre fatigué mais en phase avec son rôle, ou de Sebastian Geyer, confondant de naturel entre aisance vocale et dramatique – il est logiquement acclamé en fin de représentation pour sa belle prestation. Outre le parfait Michael Porter, à la rondeur d’émission toujours aussi flatteuse, on mentionnera les aigus spectaculaires d’Ambur Braid, même si elle souffre quelque peu dans les vocalises meurtrières au III. Enfin, Angela Vallone combine admirablement engagement et ivresse vocale, à même de convaincre pleinement dans son rôle d’épouse bafouée. On retrouve dans la fosse, comme en 2017, l’un des grands spécialistes de ce répertoire en la personne de Lothar Zagrosek, bien connu pour ses enregistrements de la série «Entartete Musik» pour Decca (dont Jonny spielt auf). Le geste toujours sûr du chef allemand ne cherche jamais à prendre l’avantage sur le plateau, se montrant toutefois un rien timide dans l’extraversion des passages satiriques.

samedi 19 octobre 2019

« Manon Lescaut » de Giacomo Puccini - Alex Ollé (La Fura dels Baus) - Opéra de Francfort - 18/10/2019


Après le succès de son audacieux double spectacle Debussy/Honegger (qui sera repris l’an prochain), Alex Ollé fait son retour à Francfort pour une production qui devrait faire encore grand bruit. Le trublion catalan choisit cette fois de placer Manon Lescaut (1893) dans le contexte de la crise migratoire européenne, faisant de l’héroïne le jouet des sinistres manipulateurs de la misère humaine. Manon se retrouve ainsi propulsée dans un bar à strip-tease sinistre, avant que toute la scène ne soit envahie par un «Love» immense au III, comme un symbole de ce graal social que chacun se doit d’obtenir, quels qu’en soient les moyens, pour se réaliser pleinement: Alex Ollé moque cette injonction au bonheur par une direction d'acteur toujours aussi vibrante, même s’il peine à renouveler les tableaux dévoilés lors de chaque acte. La toute dernière partie apparaît ainsi bien longue dans sa nudité brute.

A ces impressions visuelles mitigées répond un couple malheureusement bien mal assorti au niveau vocal. Si Joshua Guerrero compose un Des Grieux qui joue à fond la carte du mélodrame, tirant ses phrasés vers des accents et des effets dignes de Vittorio Grigolo, il a aussi pour lui de superbes graves bien projetés. De puissance, Asmik Grigorian (Manon) ne manque pas dès lors que la voix est bien posée, se montrant plus décevante dans les autres registres avec une émission peu naturelle et un léger vibrato audible sur toute la tessiture. La soprano lithuanienne parvient pourtant à recueillir un accueil enthousiaste du public en fin de représentation, sans doute séduit par la capacité d’un aussi petit corps à fournir de telles déflagrations vocales. On préfère grandement à ces deux chanteurs le chant noble et posé de Iurii Samoilov (Lescaut), très subtil dans les piani. Tous les seconds rôles montrent une belle maîtrise (hormis le bien fatigué Géronte de Donato Di Stefano), de même que les chœurs, tandis que la direction de Takeshi Moriuchi séduit dans un premier temps par son allure vive et féline, occasionnant toutefois quelques décalages. Le jeune chef japonais, dont ce sont là les débuts à Francfort, pèche ensuite dans le volume sonore, en s’appuyant trop sur les seules cordes, au détriment de la progression graduelle des crescendi. Dommage.

vendredi 18 octobre 2019

« Sigurd » d'Ernest Reyer - Opéra national de Lorraine à Nancy - 17/10/2019


Pour fêter le centenaire de la construction de son théâtre actuel, idéalement situé sur la place Stanislas à Nancy, l’Opéra de Lorraine a eu la bonne idée de plonger dans ses archives pour remettre au goût du jour le rare Sigurd (1884) d’Ernest Reyer (1823-1909). Qui se souvenait en effet que le chef d’oeuvre du compositeur d’origine marseillaise avait été donné en 1919 pour l’ouverture du nouveau théâtre nancéien ? Cette initiative est à saluer, tant le retour de ce grand opéra sur les scènes contemporaines reste timide, de Montpellier en 1994 à Genève en 2013, à chaque fois en version de concert. On notera que Frédéric Chaslin et Marie-Ange Todorovitch sont les seuls rescapés des soirées données à Genève voilà six ans.

D’emblée, la fascination de Reyer pour Wagner se fait sentir dans le choix du livret, adapté de la saga des Nibelungen : pour autant, sa musique spectaculaire n’emprunte guère au maître de Bayreuth, se tournant davantage vers les modèles Weber, Berlioz ou Meyerbeer. La présence monumentale des choeurs et des interventions en bloc homogène traduit ainsi les influences germaniques, tandis que l’instrumentation manque de finesse, se basant principalement sur l’opposition rigoureuse des pupitres de cordes, avec une belle assise dans les graves et des bois piquants en ornementation. La première partie guerrière tombe ainsi dans le pompiérisme avec les mélodies faciles des nombreux passages aux cuivres, il est vrai aggravé par la direction trop vive de Frédéric Chaslin, …aux attaques franches et peu différenciées. Le chef français se rattrape par la suite, dans les trois derniers actes, lorsque l’inspiration gagne en richesse de climats, tout en restant prête à s’animer de la verticalité des inévitables conflits. Malgré quelques parties de remplissage dans les quelques 3h30 de musique ici proposées, Reyer donne à son ouvrage un souffle épique peu commun, qui nécessite toutefois des interprètes à la hauteur de l’événement.
Catherine Hunold
C’est précisément le cas avec le superbe plateau entièrement francophone (à l’exception du rôle-titre) réuni pour l’occasion : le ténor britannique Peter Wedd (Sigurd) fait valoir une diction très satisfaisante, à l’instar d’un Michael Spyres (entendu dans un rôle équivalent cet été pour Fervaal). Les quelques passages en force, bien excusables tant le rôle multiplie les difficultés, sont d’autant plus compréhensibles que  Peter Wedd multiplie les prises de risque, en un engagement dramatique constant. On lui préfère toutefois le Gunter de Jean-Sébastien Bou, toujours impeccable dans l’éloquence et l’intelligence des phrasés. Des qualités également audibles chez Jérôme Boutillier (Hagen), avec quelques couleurs supplémentaires, mais aussi un manque de tessiture grave en certains endroits dans ce rôle.

Vivement applaudie, Catherine Hunold (Brunehild) fait encore valoir toute sa sensibilité et ses nuances au service d’une interprétation toujours incroyable de vérité dramatique, bien au-delà des nécessités requises par une version de concert. On ne dira jamais combien cette chanteuse aurait pu faire une carrière plus éclatante encore si elle avait été dotée d’une projection plus affirmée, notamment dans les accélérations. L’une des grandes révélations de la soirée nous vient de la Hilda de Camille Schnoor, dont le velouté de l’émission et la puissance ravissent tout du long, en des phrasés toujours nobles. A l’inverse, Marie-Ange Todorovitch (Uta) fait valoir son tempérament en une interprétation plus physique, en phase avec son rôle de mère blessée, faisant oublier un léger vibrato et une ligne parfois hachée par un sens des couleurs et des graves toujours aussi mordants. On soulignera enfin les interventions superlatives de Nicolas Cavallier et Eric Martin-Bonnet dans leurs courts rôles, tandis que les choeurs des Opéras de Lorraine et d’Angers Nantes se montrent très précis tout du long, surtout coté masculin.

jeudi 17 octobre 2019

« Dance » par le Quatuor Escher et Jason Vieaux - Disque Azica Records


Il ne faut pas se laisser arrêter par le titre racoleur de ce disque qui cherche manifestement à donner une image plus moderne du répertoire ici remis au goût du jour: hormis la pièce d’Aaron Jay Kernis (né en 1960), le programme est ainsi dévolu à deux chefs d’œuvre de Castelnuovo-Tedesco et Boccherini, à découvrir en priorité dans cette superbe interprétation. C’est là une nouvelle réussite du Quatuor Escher, dont on ne cesse de vanter les mérites depuis la découverte des intégrales des Quatuors de Zemlinsky (Naxos, 2013-2014) et Mendelssohn (Bis, 2015 et 2016). Si l’on observe un changement au niveau de l’effectif, Brook Speltz ayant remplacé Dane Johansen au violoncelle, celui-ci permet à l’ensemble de conserver ses qualités habituelles de verve piquante, de couleurs et d’extraversion, toujours au service d’une lecture lyrique stimulante.

Le disque s’ouvre sur le superbe Quintette avec guitare (1951) de Castelnuovo-Tedesco dont l’ampleur mélodique confiée à chacun des instruments lui donne des allures de concerto – on notera que le compositeur s’était déjà illustré dans ce genre avec le Premier Concerto composé en 1939. C’est là un ouvrage qui revient sans cesse à l’esprit, tant par son thème entêtant du premier mouvement, la poésie du deuxième et le rythme endiablé du dernier, que la délicatesse des interventions de la guitare ou encore l’élévation d’esprit générale – bien supérieure à celle de son contemporain Joaquín Rodrigo, plus mélodramatique en comparaison.

Changement radical d’atmosphère avec Aaron Jay Kernis et ses explorations des jeux sur les sonorités des instruments au début de son 100 Greatest Dance Hits (1993), qui nous embarque ensuite dans un lyrisme proche de Piazzolla. En plusieurs mouvements courts très différenciés, inspirés par le disco ou la salsa, l’Américain fait valoir un élan lyrique et un talent de coloriste, en contraste avec des moments de respiration où la mélodie s’épanouit davantage. Un ouvrage réussi digne de cet ancien prix Pulitzer.

Retour au classicisme et à l’émotion à fleur de peau du Quatrième Quintette avec guitare (1788) de Boccherini, non exempt de ruptures franches dans l’interprétation qui donne beaucoup de caractère à l’ensemble, tandis que la guitare virtuose de Jason Vieaux se distingue par son ornement délicat et toujours précis.

lundi 14 octobre 2019

« Trios avec piano n° 1 et 2 » d'Antonín Dvorák - Trio Busch - Disque Alpha


Depuis sa formation en 2012 et ses premiers enregistrements dédiés à la musique de chambre de Dvorák (voir notamment ici et ici), le Trio Busch n’en finit pas de nous surprendre positivement. Preuve en est une fois encore avec ce très beau disque dédié à deux ouvrages composés dans une période resserrée, entre 1875 et 1876, contemporaine de la Cinquième Symphonie. Pour autant, des états d’âme bien différents sont ici à l’œuvre, le Premier Trio enjoué (en réalité le troisième essai abouti de Dvorák, les deux premiers n’ayant pas été préservés par le compositeur) se faisant l’écho d’une période heureuse, tandis que le Deuxième Trio laisse sourdre quelques indices du décès prématuré de sa fille, surtout dans son Adagio délicat.

On est toujours autant bluffé par les qualités techniques du Trio Busch, par ailleurs idéalement capté, qui séduit par ses couleurs et ses contours doucereux, là où le Trio Beaux-Arts fait valoir une ampleur quasi concertante, plus personnelle dans les interventions individuelles, notamment au piano. Deux lectures complémentaires à chérir comme autant de versions de référence.

samedi 12 octobre 2019

« La Ville morte » d'Erich Wolfgang Korngold - Kasper Holten - Opéra d'Helsinki - 11/10/2019


Monté pour la première fois en Finlande en 2010, La Ville morte fait son retour à Helsinki cet automne dans la production de Kasper Holten (parue en DVD en 2013), avec des interprètes différents. Camilla Nylund et Klaus Florian Vogt laissent ainsi la place à une chanteuse d’exception en la personne de Nadja Stefanoff (Marietta), qui met un peu de temps à se chauffer dans la première partie qui sollicite la souplesse vocale, avant de l’emporter ensuite par son chant ample et ses graves gorgées de couleur. A ses côtés, Mika Pohjonen compose un Paul embarrassé par son physique imposant, malheureusement trop piètre acteur pour un rôle aussi déchirant, tandis que sa voix blanche et sa projection uniforme ne permettent pas de donner davantage de relief. Autour de seconds rôles de bonne qualité, Michael Kraus se distingue dans sa double incarnation par ses phrasés nobles et bien posés, même si, là aussi, le jeu d’acteur ne semble pas être son point fort.

Ces faiblesses dramatiques sont d’autant plus regrettables que la production imaginée par Kasper Holten nous plonge dans un décor unique pendant toute la représentation, certes superbe avec les nombreux détails du mausolée où Paul a élu domicile, mais trop statique pour convaincre sur la durée. A l’instar de la production londonienne du Roi Roger en 2015, Holten enferme les interprètes dans un huis clos étouffant afin de sonder les errements psychologiques: placé au centre de la scène, le lit conjugal symbolise l’impuissance du héros face à ses hésitations puritaines, tandis qu’une maquette de Bruges apparaît au II en arrière-scène, évoquant le souvenir imprécis de la vie sociale de Paul. De même, l’idée d’ouvrir le lit pour en faire sortir la troupe de théâtre, comme autant de fantasmes inassouvis, est assez bien vue, même si la direction d’acteur reste encore une fois trop convenue – et ce malgré l’interprétation par une actrice muette du rôle de la défunte.


A cette mise en scène trop intellectuelle répond une direction du même calibre: à la tête d’un superlatif Orchestre de l’Opéra national finlandais, Jukka-Pekka Saraste exalte les modernités de l’ouvrage à coup de déflagrations cinglantes et hautes en couleur, sans aucun temps mort. On reste toutefois sur sa faim, tant cette lecture oublie par trop la nécessaire conduite de l’action dramatique et l’articulation avec le plateau, en une sécheresse émotionnelle rarement atteinte. Dommage.

vendredi 11 octobre 2019

« Hansel et Gretel » d'Engelbert Humperdinck - Norrlandsoperan à Umeå - 10/10/2019

Norrlandsoperan à Umeå

Située à 600 kilomètres au nord de Stockholm, la ville d’Umeå (prononcez Uméo) serait restée en un relatif anonymat pour le mélomane, si elle n’avait la particularité de posséder deux salles ultramodernes dédiées aux concerts et à l’opéra, le tout dirigé depuis sa création en 1974 par des figures aussi reconnues que Roy Goodman ou Kristjan Järvi notamment. C’est très certainement ce qui explique l’excellent niveau immédiatement audible dans la fosse dès les premières notes d’Hansel et Gretel (1893), ici proposé dans sa version suédoise. On s’habitue vite à cette particularité qui permet au jeune public de se plonger immédiatement dans l’histoire, tandis que le geste subtil d’Anja Bihlmaier n’oublie jamais de faire ressortir les moindres détails de l’orchestration de Humperdinck. L’Allemande privilégie une lecture orientée vers la musique pure, qui fuit un peu trop l’émotion en ralentissant les passages lents et en accélérant en contraste les parties plus enlevées, mais qui reste toujours passionnante: en donnant l’avantage aux envolées gracieuses des bois, au détriment d’un effectif de cordes assez réduit, on perçoit davantage la dette envers Mendelssohn que l’habituelle référence à Wagner.

Les jeunes chanteurs réunis pour l’occasion montrent un très bon niveau global, qui bénéficie par ailleurs de la bonne acoustique des lieux. On est surtout bluffé par le couple très complice formé par Elisabeth Leyser (Hansel) et Linnea Sjösvärd (Gretel), qui donne beaucoup de crédibilité à l’action, autant dans l’aspect physique, en phase avec leur rôle, qu’au niveau vocal. Les phrasés aériens et gracieux de Leyser trouvent chez Sjösvärd une réponse éloquente et plus affirmée au niveau du caractère, en une souplesse de phrasés admirables des deux côtés. De tempérament, Asa Jäger (Gertrude) et Susanna Levonen (Sorcière) ne manquent pas, s’imposant toutes deux dans la puissance, avec quelques rudesses toutefois dans les passages de registre. Anton Eriksson (Peter) assure bien sa partie, de même que la délicieuse Johanna Wallroth dans son double rôle féerique.

Seule la mise en scène de Stina Ancker montre quelques faiblesses dans la direction d’acteur assez pataude, qui souffre il est vrai du manque de moyens visible. La machinerie du théâtre ne semble pas permettre les changements de décors, tandis que les éclairages donnent trop la part belle aux effets façon «concert pop». Les décors hésitent entre le réalisme social sordide au début, avant de se tourner vers un glamour chic et toc après l’entracte, toujours tendre et sincère. La dernière partie est sans doute plus réussie grâce à l’interprétation tonitruante de la Sorcière, alors que les tableaux chorégraphiés des parties poétiques au I manquent d’idées. Dans le même esprit, on avait grandement préféré le travail intemporel de Wolfgang Blum, repris à Mannheim en début d’année.

mercredi 9 octobre 2019

« Le Son lointain » de Franz Schreker - Christof Loy - Opéra de Stockholm - 08/10/2019


Donné pour la première et unique fois à l’Opéra royal de Stockholm en 1927, pour quatre représentations, Le Son lointain de Franz Schreker fait enfin son retour dans la capitale suédoise, autour d’une production chaleureusement accueillie par le public. Tout aussi rare en France (voir le spectacle donné à l’Opéra du Rhin en 2012), cet ouvrage composé en 1912 figure parmi les plus réussis de ce grand rival de Richard Strauss avant l’avènement nazi, avec Les Stigmatisés (monté à Lyon voilà quatre ans). C’est encore une fois la capitale des Gaules qui s’illustrera à l’hiver prochain avec une autre rareté, Irrelohe (1919) : un événement à ne pas manquer.

En attendant, direction Stockholm pour une nouvelle production du Son lointain dont le grand mérite revient à la mise en scène intense de Christof Loy. Le trublion allemand est bien connu du public local, pour lequel il a monté de nombreux spectacles, dont une très réussie Fille du Far-West en 2012: une production que l’on retrouvera en mai-juin prochain avec Alan Gilbert à la baguette, mais sans Nina Stemme. Le travail de Loy se montre très respectueux de l’ouvrage, tout en s’appuyant sur ses qualités habituelles de direction d’acteur: en composant de nombreux tableaux humains figés ou en apportant beaucoup de vitalité aux moindres seconds rôles, les surprises ne manquent pas, autour d’une scénographie intemporelle qui montre au I l’enfermement des deux héros dans un espace clos et étroit, symbole de leur horizon réduit, avant qu’une forêt sombre et touffue ne laisse entrevoir à l’héroïne les possibilités offertes par le monde.


Les éclairages mettent toujours en avant la rampe et ses fauteuils de théâtre déglingués, miroir des espérances incertaines de l’artiste, le tout avec l’apport des fumigènes dans la pénombre de l’arrière-scène. On peut ainsi croire tout du long à un cauchemar éveillé de Fritz, souvent proche du public avec sa partition, ébahi par la fantasmagorie à l’œuvre sur scène, puis moqué par la troupe en fin d’ouvrage. Si la scène interlope apparaît très convaincante avec ses costumes flamboyants et son jeu trouble sur les rôles (notamment les quatre danseurs grimés en danseuses lascives), Loy montre quelques limites au III en semblant manquer d’idées.


Pour autant, on ne boude pas son plaisir tout du long, d’autant plus que la troupe de l’Opéra royal montre une cohésion éloquente, tout autant qu’un niveau vocal très satisfaisant. Outre le solide Lars Arvidson, on est ainsi bluffé, par les couleurs mordantes de Miriam Treichl, sans parler des phrasés nobles et bouleversants d’Ola Eliasson. Seuls les deux rôles-titres montrent quelques faiblesses, notamment dans les passages de registre épineux au I, là où Schreker se montre le plus innovant dans son écriture verticale parsemée de détails orchestraux raffinés. Agneta Eichenholz (Grete) est ainsi plusieurs fois en délicatesse avec son placement de voix, occasionnant quelques faussetés dans les attaques, heureusement plus rares ensuite quand la voix mieux posée s’éclaire de l’ivresse du chant néo-wagnérien, aux II et III.


Daniel Johansson (Fritz) souffre quant à lui d’une tessiture insuffisante dans l’aigu, qui occasionne une émission étroite et forcée, là aussi compensée par des graves splendides et une belle composition dramatique. Les chœurs, bien préparés, se montrent à la hauteur de l’événement, mais c’est surtout la direction de Stefan Blunier qui nous emporte par son geste néo-romantique, tournant Schreker vers ses influences wagnériennes – à l’inverse de la direction élégante et piquante de Sebastian Weigle à Francfort en début d’année. On gagne, par l’opposition des pupitres, en vision dramatique ce que l’on perd en subtilité dans les parties apaisées, moins abouties en comparaison.

Un spectacle globalement réussi à savourer sans modération, si vous êtes de passage à Stockholm: même s’il faudra lire le livret avant le spectacle, faute de surtitres en anglais, on ne manquera pas d’admirer les splendeurs de cette belle maison, dont les plafonds peints par le toujours surprenant Carl Larsson (1853-1919).

lundi 7 octobre 2019

« Guillaume Tell » de Gioacchino Rossini - Tobias Kratzer - Opéra de Lyon - 05/10/2019


L’Opéra de Lyon frappe fort en ce début de saison avec un Guillaume Tell (1829) longuement applaudi par un public enthousiaste le soir de la première : ce n’est que justice, tant s’attaquer à ce monument relève d’une gageure quasi insurmontable, telle que l’imparfaite production donnée à Orange cet été avait pu nous le montrer. Outre le nombre considérable de rôles en présence, souvent dotés d’un unique air (Ruodi ou Hedwige), le livret inégal souffre de baisses de tension qui expliquent pourquoi des coupures lui sont souvent infligées, réduisant ainsi la durée théorique de l’ouvrage (quatre heures et demie environ). La production lyonnaise a souhaité garder la quasi-totalité de l’action, ne coupant qu’une partie des ballets, donnant ainsi un spectacle d’une durée de 4 heures avec entracte.

Dans ce contexte, tout le mérite de la soirée revient au metteur en scène allemand Tobias Kratzer (dont ce sont là les débuts en France après ses premiers pas réussis à Bayreuth cet été) qui cherche à donner davantage de consistance au livret : en choisissant de transposer l’action dans une société futuriste et intemporelle, Kratzer donne une dimension symbolique aux événements, choisissant d’opposer l’ordre et la culture à la violence gratuite et irraisonnée d’oppresseurs revêtus des combinaisons des tortionnaires du film Orange mécanique. Cet hommage inattendu et audacieux au film de Kubrick donne aux événements une coloration plus sombre encore, le tout en une scénographie unique pendant toute la représentation, bénéficiant d’une direction d’acteurs toujours serrée.


Pour autant, en nous donnant à voir la société rangée et figée de Guillaume Tell en début et en fin d’ouvrage, incarnée par le rituel immuable du repas familial, Kratzer ne cherche-t-il pas à représenter l’oppresseur comme une métaphore de la peur du changement ? On peut le penser, compte tenu de cette scénographie en noir et blanc qui ne laisse aucune place à la fantaisie, tout autant que ce pied de nez final où le jeune Jemmy revêt le chapeau de l’opposant, comme un signe de ralliement révolutionnaire à sa nécessaire affirmation d’individu libre et autonome. Si le travail de Tobias Kratzer apparaît en quelques endroits redondant (la violence perverse notamment) ou plus faible (la fin assez creuse de la première partie), il sait trouver des fulgurances brillantes – par exemple la référence décalée avec le folklore original dans la scène d’asservissement, ou le jeu de miroir troublant du double vocal de Jemmy, qui semble vouloir consoler l’enfant meurtri dans une scène poignante avant les retrouvailles avec ses parents.


L’incontestable réussite du spectacle vient aussi de la direction réjouissante de bout en bout de Daniele Rustioni, qui donne une verve sans pareille à la fosse à force d’attaques franches et d’accents bienvenus, poussant ce dernier Rossini davantage vers ses racines italiennes bouillonnantes que la clarté française d’adoption. Pour autant, son éclat ne cède jamais au tonitruant, donnant surtout par ses vifs tempi une modernité stimulante à de nombreux passages verticaux. Nicola Alaimo est un Guillaume Tell de grande classe, dont le timbre fatigué apporte à son personnage une noblesse souveraine – bien plus à l’aise qu’à Orange cet été en raison de l’acoustique plus favorable. Si l’aigu est rétréci, on se délecte des phrasés mordants, dignes de ce grand artiste, tandis que l’Arnold de John Osborn se distingue dans la perfection vocale pure, autour d’une prononciation inouïe de précision pour chaque syllabe – jusqu’aux moindres e muets. On aimerait toutefois davantage d’éclat, voire quelques aspérités, dans ce rôle dramatique au final trop policé.


Jane Archibald (Mathilde) est plus décevante en comparaison avec un chant plus heurté, notamment dans les délicatesses de ses premières interventions, heureusement plus en phase avec la fureur attendue en fin de soirée. On lui préfère grandement le chant exalté d’Enkelejda Shkoza, vibrante Hedwige, ou celui plus raffiné de Jennifer Courcier, touchante et délicate dans le rôle de Jemmy. Autre second rôle d’envergure n la personne de Jean Teitgen qui incarne un Gessler glacial, aux phrasés admirables de résonance intérieure, bien épaulé par la petite voix chantante de Grégoire Mour (Rodolphe). Avec les impeccables Chœurs de l’Opéra de Lyon, bien préparés au niveau de la diction notamment, les seconds rôles constituent l’un des grands motifs de réjouissance de ce spectacle vivement recommandé, à découvrir jusqu’au 17 octobre prochain.

vendredi 4 octobre 2019

« Le Messie » de Haëndel - William Christie - Festival d'Ambronay à l'Auditorium de Lyon - 03/10/2019


Donné dans le cadre du Festival d’Ambronay (Ain), le présent concert est le prélude à une tournée internationale qui va mener William Christie au Luxembourg, puis au Japon. Compte tenu de la qualité des solistes réunis, le concert lyonnais a logiquement attiré une foule venue en nombre dans le vaste auditorium aux plus de 2000 fauteuils, à l’acoustique redoutable. On note ainsi dès les premières mesures une sensation d’éloignement au premier rang du premier balcon, nous rappelant combien l’auditorium sied davantage aux grandes formations symphoniques et aux solistes à la projection puissante. Cette impression est accentuée par la lecture très nuancée de Christie, qui cherche davantage à décortiquer la partition et apporter des couleurs inattendues (notamment dans les passages lents, les plus réussis) qu’à opposer les différents climats, autour d’attaques doucereuses et élégantes. On gagne en subtilité ce que l’on perd en contraste, notamment dans les passages verticaux insuffisamment nerveux. Quoiqu’il en soit, on s’habitue peu à peu à la sensibilité du chef franco-américain qui sait nous emporter sur la durée, tout particulièrement après l’entracte, lorsque la musique gagne en caractère. Le chœur, de bonne qualité, surtout au niveau des soprani, montre une belle précision, mais trop policée pour convaincre entièrement: on est surtout déçu par les fugues qui manquent du punch et de l’électricité attendus.


Les solistes font ce qu’ils peuvent pour aller chercher le public: à ce jeu-là, c’est le contre-ténor Tim Mead qui tire son épingle du jeu. Superbe d’investissement dramatique, le Britannique fait valoir une émission veloutée et des phrasés d’une grande intelligence, toujours aussi service du texte. Ses partenaires ne sont pas en reste au niveau interprétatif, mais manquent de l’impact vocal nécessaire ici. Padraic Rowan n’est pas loin de cet objectif par son timbre grave séduisant, admirable de caractère. A ses côtés, James Way montre quelques limites dans sa prestation qui manque d’éclat, bien loin des promesses entendues cet été à Beaune, il est vrai dans un rôle plus léger. Emmanuelle de Negri souffre des mêmes difficultés et a bien du mal à faire passer toute la sensibilité et la grâce habituellement exprimées. Katherine Watson montre davantage d’agilité vocale, mais reste souvent trop propre dans ses interventions, à l’image du concert – plaisant mais dispensable.