vendredi 31 juillet 2015

« Le Chevalier errant » et « Les Amours de Jupiter » de Jacques Ibert - Jacques Mercier - Disque Timpani

A l’instar d’un Jean-Yves Ossonce à Tours, le travail de Jacques Mercier à Metz ne cesse de surprendre par sa qualité et sa profonde curiosité artistique, au concert comme au disque. L’intérêt du chef français se porte cette fois sur deux ballets méconnus de Jacques Ibert (1890-1962) pour lesquels on ne disposait jusqu’alors que de gravures anciennes.

Le Chevalier errant est le deuxième ballet composé par Ibert, suite à une commande d’Ida Rubinstein. Mercier nous fait découvrir ici la Suite pour orchestre qui reprend environ deux tiers de l’œuvre, expurgée des chœurs et des deux récitants. Réalisée par le compositeur lui-même à la fin de l’année 1935, cette Suite ne comporte pas les ajouts réalisés lors de la création tardive de l’œuvre en 1950. D’une durée d’un peu moins de trente minutes, ce petit bijou d’invention mélodique séduit d’emblée par sa flamboyance extravertie qui fait étalage des qualités d’orchestrateur d’Ibert, le rapprochant ainsi de Ravel. Si la partition fait référence au récit de Don Quichotte, tout comme les quatre chansons composées pour le film homonyme de Georg Wilhelm Pabst deux ans plus tôt en 1933, elle n’abuse pas outre mesure d’un coloris hispanisant. Seule la guitare fait ainsi irruption dans le troisième et avant-dernier mouvement de la suite, «L’Age d’or».

Le disque est complété par un autre ballet, Les Amours de Jupiter, créé en 1946 par la troupe de Roland Petit. La musique, tout aussi délicieuse autour d’une orchestration plus légère que Le Chevalier errant, apporte cependant moins de surprises, se montrant parfois un rien emphatique. Quelques réserves mineures, néanmoins, pour un disque très réussi qui bénéficie du geste ardent de Jacques Mercier, très inspiré, à la tête d’un superlatif Orchestre national de Lorraine.

vendredi 24 juillet 2015

Musique de chambre de Luigi Boccherini - Accademia Ottoboni - Disque Zig-Zag Territoires


Prévisible, la musique de Luigi Boccherini (1743-1805)? Ce serait bien mal connaître l’œuvre – il est vrai pléthorique – de ce compositeur qui a fait l’essentiel de sa carrière en Espagne. Le présent disque s’intéresse à sa musique de chambre, sans doute le domaine où Boccherini exprime une sensibilité vibrante en comparaison de sa musique orchestrale, plus convenue. C’est particulièrement marquant dans le très réussi Quintette n° 7 pour guitare et cordes, l’un des huit encore conservés de nos jours pour cet instrument. Jamais couvert par ses comparses, Francesco Romano exalte les couleurs de cette œuvre délicate en un jeu détaillé d’une parfaite lisibilité, évitant tout maniérisme. A la limite du murmure à plusieurs reprises, cette lecture insiste sur le respect des nuances en une respiration étudiée, toujours passionnante. On pourra adorer ou détester ces partis pris, mais ils ne laisseront en aucun cas l’auditeur indifférent.

Las, le reste du disque n’est pas du même niveau, faute d’un premier violon techniquement à la hauteur. Le Divertimento n° 3 pour flûte et cordes apparaît ainsi bien bridé dans son élan – la lenteur des tempi de l’Accademia Ottoboni convenant moins aux œuvres plus virtuoses. Restent quelques beaux moments avec un très réussi Adagio du Concerto pour violoncelle en sol majeur, qui évoque immanquablement Vivaldi, ou un jeu sur les ruptures particulièrement notable dans le Quintette n° 6 pour flûte et cordes. Un disque à l’inspiration artistique prometteuse mais à la réalisation technique encore trop juste.

dimanche 19 juillet 2015

Oeuvres orchestrales, Volume 2, de Leos Janácek - Edward Gardner - Disque Chandos

Après un premier volume consacré au Capriccio, à la Suite tirée de l’opéra La Petite Renarde rusée et à la célèbre Sinfonietta, Edward Gardner poursuit son exploration de l’œuvre symphonique de Janácek, aux accents si immédiatement identifiable. Les multiples raffinements d’une orchestration toujours originale parcourent ainsi les différentes œuvres ici réunies, à l’exception de la brève Ouverture de l’opéra Jenůfa. Composée en 1894 et abandonnée lors de la création dix ans plus tard, elle trahit encore certains automatismes d’écriture tournés vers le passé, expliquant très certainement sa reconversion en ouverture de concert, sous le titre Jalousie.

Les poèmes symphoniques L’Enfant du violoneux (1913) et La Ballade de Blanik (1920), entourant le chef-d’œuvre Taras Bulba (1915-1918), rappellent l’inspiration postromantique d’un compositeur qui mit longtemps à trouver sa voie. Si la splendide captation sonore et le geste équilibré de Gardner rendent justice à ces partitions, il faudra cependant s’intéresser en priorité aux deux œuvres inachevées gravées ici, révélatrices de la dernière manière du compositeur tchèque, admirablement inspiré par sa palette de thèmes variés, en une ambiance volontiers chambriste.


On doit à Milos Stedron et Leos Faltus la version faisant autorité de la symphonie inachevée Le Danube (1923-1925), pour voix et orchestre, présentée en 1985, avant qu’ils ne s’intéressent trois ans plus tard à la reconstruction du Concerto pour violon «L’Errance d’une petite âme» (1926). Abandonné par Janácek pour servir de matériau au Prélude de son opéra De la maison des morts, ce concerto bénéficie du superbe archet lyrique de James Ehnes, très en verve. Si la version de Taras Bulba se montre de bonne tenue, sans pour autant constituer un jalon essentiel de la discographie, ce disque s’avère cependant tout à fait recommandable afin d’aller au-delà des grandes œuvres symphoniques bien connues.

samedi 18 juillet 2015

« Le Désert » de Félicien David - Laurence Equilbey - Disque Naïve

Depuis plusieurs saisons, on doit au Palazzetto Bru Zane la redécouverte de Félicien David (1810-1879), compositeur aujourd’hui parmi les plus sous-estimés du XIXe siècle. Berlioz fut pourtant un inconditionnel enthousiaste de l’art d’un compatriote qui lui succèdera à l’Institut après son décès. Si l’exhumation de nombreuses œuvres a déjà été réalisée, parmi lesquelles les opéras Christophe Colomb (1847) et Herculanum (1859), on attendait avec impatience un nouvel enregistrement de la fameuse ode-symphonie Le Désert (1844), premier et immense succès qui fera rapidement connaître David bien au-delà des frontières hexagonales.

Il s’agit en effet du deuxième disque consacré à cette œuvre après celui dirigé par Guido Maria Guida en 1991 chez Capriccio et réédité en 2009. Un chef italien particulièrement intéressé par ce répertoire puisqu’il a également enregistré une autre partition orientalisante de la même époque, Le Sélam d’Ernest Reyer (Capriccio, 1995). La confrontation des deux versions existantes s’avère passionnante, tant les deux optiques diffèrent, Guida utilisant un grand orchestre symphonique là où Laurence Equilbey choisit un effectif plus réduit. Ce choix permet à la Française d’éviter toute grandiloquence, affichant un raffinement très à-propos dès les premières mesures envoûtantes de l’œuvre.


Quelques notes traînantes magnifiées par les altos et contrebasses refusent ainsi toute expansion mélodique, évoquant «L’Entrée dans le désert» et son univers immobile et hypnotique, avant l’irruption surprenante du chœur, plus vertical dans sa prière à Allah. Dommage que le chœur accentus n’offre qu’une diction des plus approximatives, tant cette œuvre avec récitant s’appuie sur une volonté descriptive d’un Orient idéalisé, certes un peu datée aujourd’hui mais révélatrice d’une époque. On songe ainsi aux tableaux de Jean-Léon Gérôme sur ce sujet, pierre angulaire des grands succès rencontrés par le peintre français de son vivant, alors qu’il est désormais affublé d’une réputation de pompiérisme.


Rien de tel ici chez David, qui ne cherche pas à orientaliser outre mesure sa partition (tout comme Equilbey, plus sobre que Guida sur ce point), restant proche de ses deux inspirateurs éminents, Beethoven et Weber, tout en voulant se démarquer du coloris facile souvent utilisés par Rossini ou Auber. Parmi les plus belles réussites de l’œuvre, «L’Hymne à la nuit» délivre son chant harmonieux et paisible, délicatement ouvragé par un subtil Cyrille Dubois. Le ténor français gagnerait cependant à une émission moins étroite, afin de permettre une ligne de chant plus souple. Autre partie marquante de l’œuvre que «Le Lever du soleil», qui fait immanquablement penser à Wagner par l’expression d’un thème éloquent aux cordes couronné d’une superbe péroraison des cuivres. La partition se conclut en arche, avec le retour du superbe thème initial autour de la prière du chœur.


Ajoutons que ce double disque comprend à la fois une version avec récitant et une autre sans. On préfèrera celle portée par Jean-Marie Winling, dont l’élan descriptif permet de mieux saisir le kaléidoscope de fines couleurs ouvragé par David au cours de la partition. Seul petit regret concernant ce disque, son minutage modeste – un peu moins de 50 minutes pour la version la plus longue avec récitant.

jeudi 16 juillet 2015

« Alessandro nell’Indie » de Baldassare Galuppi - Mainfranken Theater de Würzburg - 14/07/2015


Au moins aussi célèbre que son contemporain Gluck, le Vénitien Baldassare Galuppi (1706-1758) fut un compositeur extraordinairement prolifique, principalement dévolu à la musique religieuse (à laquelle Giulio Prandi et Sony ont consacré un disque superbe voilà quatre ans) et à l’opéra. On compte plus de soixante-dix ouvrages lyriques composés tout au long d’une carrière basée essentiellement à Venise, sans parler des postes prestigieux occupés à Londres ou à Saint-Pétersbourg. Rencontrant le succès avec la veine comique d’un Carlo Goldoni et ses dramma giocoso, «Il Buranello» s’illustra tout autant dans l’opera seria autour des livrets de l’inévitable Metastasio: tous les grands titres du fameux librettiste figurent ainsi au catalogue de Galuppi, de Didone abbandonata à L’Olimpiade, Artaserse, Demofoonte, en passant par La clemenza di Tito.


Moins connu, alors qu’il est pourtant le deuxième livret de Métastase le plus utilisé après Artaserse, l’opéra Alessandro nell’Indie a été composé en 1738, peu de temps avant la nomination à l’Ospedale dei Mendicanti à Venise et surtout l’établissement à Londres. C’est la version révisée en 1755 que présente cette année le festival Mozart de Wurtzbourg en une nouvelle production, accueillie dans le théâtre moderne situé à deux pas de la fameuse Résidence décorée des splendides fresques de Tiepolo – un compatriote tout aussi célèbre et lui aussi quelque peu délaissé aujourd’hui.


La production souffre d’emblée de la mise en scène peu inspirée de François de Carpentries, qui choisit de transposer l’action en un Moyen-Orient contemporain écrasé par le poids des guerres. Si l’idée peut séduire, la réalisation visuelle apparaît bien cheap, sans aucun jeux de lumière pour sauver des décors d’une rare laideur. Le metteur en scène belge nous inflige les inévitables treillis et kalachnikov, tandis que les rares éléments de décors sont déplacés par un chœur muet dont c’est là la seule fonction en dehors de quelques poses illustratives. Seule l’allusion des relations ambiguës entre Alexandre et son fidèle Timagene (Ephestion pour ce qui est de la réalité historique), malheureusement lourdement évoquée par une scène de rut sous une tente, enrichit l’opéra autour de son véritable sujet: la rivalité amoureuse entre Alexandre et l’Indien Poro pour conquérir Cleofide.


A cette mise en scène décevante, le plateau vocal réuni apporte quelques satisfactions, toutes situées côté féminin. Dans le rôle de Cleofide, Silke Evers reçoit une ovation méritée tant son chant harmonieux au timbre de velours offre autant de souplesse que d’aisance. A ses côtés, Sonja Koppelhuber (Erissena) témoigne aussi de belles qualités vocales, tandis que Maximiliane Schweda et Anja Gutgesell assurent correctement leur partie. Il est vrai annoncés malades, les hommes montrent de nombreuses difficultés techniques, aussi bien un trop placide Joshua Whitener (Alexandre), au timbre pourtant séduisant, qu’un Denis Lakey (Poro) qui surjoue constamment sa partie, tout en chantant faux dès lors qu’il monte dans l’aigu.


Seule la fosse apporte un plaisir constant tant la direction aussi attentive que vive d’Enrico Calesso fait mouche. L’Italien fait bien ressortir les différents joyaux de la partition, de l’irrésistible duo du I où Cleofide et Poro rivalisent de vocalises, aux splendides orages de la fin d’opéra. Nettement plus inspirée avec ses airs de bravoure et sa nervosité orchestrale du meilleur effet, cette dernière partie permet aisément de comprendre tout le succès rencontré par Galuppi lors de sa carrière. Gageons que les reprises prévues en fin d’année à Wurtzbourg sauront gommer une partie des carences ci-dessus évoquées, particulièrement au niveau vocal.

mardi 14 juillet 2015

« Le nozze di Figaro » de Wolfgang Amadeus Mozart - Opéra de Nuremberg - 12/07/2015


Après avoir été créée à Dortmund en 2013, la production des Noces de Figaro conçue par Mariame Clément est présentée jusqu’au 21 juillet à Nuremberg, avant les reprises prévues à l’automne sur la scène bavaroise et l’an prochain dans le bassin de la Ruhr. Sur le Ring entourant le centre historique de Nuremberg, l’intérieur du superbe théâtre Art Nouveau a été complètement remodelé dans les années 1930 en un style néoclassique assez passe-partout – la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale offrant tout le confort moderne désormais attendu.

D’emblée, la scénographie de Julia Hansen surprend par son plateau dépouillé où de petites saynètes se jouent indépendamment de l’action principale au-devant de la scène. Tour à tour, à la manière d’un plateau tournant, les interprètes se déplacent et concentrent l’attention sur eux, tandis que le spectateur peut imaginer la scène suivante. Ce ballet fascinant se déroule à vue pendant tout le I, Mariame Clément plaçant symboliquement la Comtesse au centre de la scène, seule et éplorée sur son lit. Son tout premier air, en tant que dernier des principaux personnages à intervenir, est ainsi particulièrement théâtralisé. Au deuxième acte, un décor aux murs noirs vient réduire le plateau à la seule chambre de cette femme qui souffre face aux infidélités de son mari. C’est bien cette idée que Clément met au premier plan par une fin d’acte saisissante, lorsque les protagonistes prennent possession du lit nuptial en marchant littéralement dessus. A l’issue de l’opéra, on retient aussi l’image forte du Comte qui va se retrouver placé par ses sujets sur l’immense balançoire au centre de la scène, finalement isolé et vaincu.


Cette mise en scène classique s’avère un régal de bout en bout, tant son sens du détail fait mouche à force de truculence (les sels de la Comtesse, le cornet à parfum du Comte, etc), provoquant de nombreuses fois le rire. Mariame Clément n’en verse pas pour autant dans la pochade et reste toujours au service de l’œuvre, s’appuyant sur un très beau travail visuel entre éclairages aussi variés que subtils, et costumes d’époque magnifiquement ouvragés. Très applaudie à la fin de la représentation, cette production bénéficie aussi d’un bon plateau vocal, parfaitement homogène jusque dans les seconds rôles.


On notera ainsi le parfait remplacement, en toute dernière minute, du petit rôle d’Antonio par Wonyong Kang, jeune membre de la troupe de l’Opernstudio de Nuremberg. A ses côtés, le baryton turc Levent Bakirci convainc pleinement par l’expressivité et la force de caractère qu’il imprime à son rôle d’Almaviva. Le public, sans doute gêné par son timbre un peu terne, lui préfère manifestement Michaela Maria Mayer (Susanna), à la musicalité charmeuse. Dommage qu’elle se fasse parfois couvrir par l’orchestre et se retrouve en difficulté dans les passages virtuoses, particulièrement son premier air. Hrachuhí Bassénz rencontre les mêmes difficultés mais offre à sa Comtesse un timbre corsé du plus bel effet, tandis que Nicolai Karnolsky donne à son Figaro une diction et une projection exemplaires, malheureusement un rien trop uniforme dans l’expression.


Si Guido Johannes Rumstadt a parfois la main lourde dans les passages rapides, imprimant de vifs tempi à ses chanteurs, il sait aussi réserver de beaux passages plus subtils dans l’accalmie, tout en soutenant son orchestre (très beaux pupitres de cuivres) par une attention constante.

dimanche 12 juillet 2015

« Königskinder » de Engelbert Humperdinck - Opéra de Francfort - 10/07/2015


Si l’on avait pu faire le constat d’un opéra injustement négligé en France, après avoir assisté à la production de Hansel et Gretel donnée à Francfort l’an passé, que dire des Königskinder du même Humperdinck? C’est pourtant à Montpellier que le Festival de Radio France avait relancé en 2005 un intérêt non démenti depuis pour le deuxième opéra le plus représenté de son auteur. Avec Jonas Kaufmann dans le rôle du Prince, cette création française (en version de concert) avait ensuite fait l’objet d’un disque (Accord, 2013), peu de temps après l’édition en DVD d’une production captée à Zurich avec le même Kaufmann dirigé par Metzmacher (Decca, 2012). Un chef lui aussi «récidiviste», puisqu’il avait sorti l’année précédente un disque consacré à cette œuvre, réunissant rien moins que Klaus Florian Vogt et Christian Gerhaher (Crystal Classics, 2011).

La reprise de la production imaginée par David Bösch en 2012 à Francfort illustre tout l’intérêt d’une représentation scénique de cette œuvre, dont le deuxième acte, magistral, justifie à lui seul la découverte. David Bösch, habitué du public lyonnais, qui a pu découvrir son travail autour de Simon Boccanegra en 2014 et des Stigmatisés en début d’année, a fait tout l’essentiel de sa carrière en Allemagne, débutant dans la mise en scène de théâtre. Ici, à l’instar des spectacles lyonnais, il cultive d’emblée un goût pour des ambiances sombres où le noir domine. L’opéra entier va ainsi se dérouler sur un immense plateau rocheux incliné, en forme d’espace lunaire en noir et blanc. Seuls quelques animaux en papier découpés, tous disposés en cercle autour d’un chaudron, occupent la scène pour figurer l’absence de perspectives laissées à la captive, seule face à la Sorcière en début d’opéra.


Créé en 1897 et révisé en sa version définitive en 1910, ces Königskinder (Enfants de roi) passionnent surtout au deuxième acte, le tout premier rappelant inévitablement la trame de Rusalka et son Prince libérateur, avant que le III ne nous emporte en un destin mélodramatique un rien convenu. Très inspiré, David Bösch porte le deuxième acte de son imagination débridée, transposant l’action en une porcherie contemporaine sordide. Loin de se contenter d’une illustration littérale de cette idée de départ, le jeune metteur en scène règle une fine direction d’acteur tout en revisitant en permanence les effets visuels sur le plateau – tel cet orange vif soudain dès lors que la jeune fille quitte la Sorcière. Les éclairages impressionnent ainsi tout du long, tandis que les trouvailles savoureuses animent le propos sans jamais basculer dans le grotesque – particulièrement la transformation des choristes en cochons, figurés là aussi par des masques en papier.


Face à cette réussite scénique de premier ordre, le plateau vocal – totalement renouvelé par rapport à 2012 en ses quatre rôles principaux – est dominé par l’excellent Michael Nagy en Musicien, à l’émission souple et fluide, chaudement applaudi à l’issue de la représentation pour son impact et sa présence. On ne peut malheureusement pas en dire autant de la Sorcière de Tanja Ariane Baumgartner qui n’impressionne guère, même si elle affiche une prestation vocale correcte. Sara Jakubiak interprète une jeune fille bien en voix, au timbre parfois un peu dur, correctement épaulée par un Ales Briscein (le Prince) au beau timbre clair mais dont l’émission serrée explique un certain manque de puissance. Reste à saluer le travail de Sebastian Zierer à la tête d’un bel orchestre local, très attentif à ne pas couvrir ses chanteurs tout en respectant l’étagement des mélodies finement entrecroisées par Humperdinck.

samedi 11 juillet 2015

« Larmes de couteau », « Alexandre Bis » et « La Comédie sur le pont » de Bohuslav Martinů - Opéra de Francfort - 09/07/2015


Après la superbe Julietta donnée la veille, l’Opéra de Francfort a poursuivi son marathon Martinů par la représentation de trois courts opéras en un acte, tous chantés en allemand et d’une durée inférieure à 50 minutes. Donnés au Bockenheimer Depot, salle de trois cents places équivalant aux Ateliers Berthier à Paris, cette nouvelle production a été confiée à de jeunes chanteurs dont plusieurs sont membres ou anciens membres de l’Opernstudio de Francfort. On pense ainsi inévitablement à la Mirandolina, du même Martinů, donnée à Bobigny voilà cinq ans avec les troupes de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris.


Si le projet artistique séduit, la réalisation déçoit quelque peu, faute d’une mise en scène réellement convaincante. La jeune Beate Baron, qui faisait là ses débuts à Francfort, choisit de lier les trois œuvres par leur point commun: l’absurde. De ce bon concept de départ, elle emprunte plusieurs idées qui ne sont pas sans rappeler l’univers burlesque d’un Jacques Tati – la présence du vélo étant un des fils conducteurs de la soirée, tout comme celle de l’accordéon – ceci afin de rappeler que ces trois opéras ont été composés à Paris? On pense aussi à Beckett lorsque les personnages de Larmes de couteau (1928) rampent à plusieurs reprises au sol, comme englués. Au-delà du seul aspect visuel assez discutable, sans parler des faibles possibilités dramatiques, cette scénographie aurait gagné à choisir un plateau légèrement surélevé et incliné afin de permettre à la partie du public située au-delà des premiers rangs de voir ces «chanteurs rampants».


On retrouve également un certain statisme dans La Comédie sur le pont (1935), où les personnages, figés à la manière d’une pièce de kabuki, ne s’animent qu’à l’arrivée d’un autre larron, comme pour figurer un événement rapidement devenu un non-événement. Avec les cyclistes ou de rares incursions dans le public, Beate Baron tente également de jouer sur l’espace à sa disposition, mais trop peu pour aller au-delà de la simple intention. De même, on est peu convaincu par le décor unique pendant toute la représentation, en forme d’appartement surmonté d’une immense plage de sable, dont seul Alexandre Bis (1937), lorgnant vers Feydeau, semble tirer profit.


La direction de l’ensemble constitué de douze à quinze musiciens revient là aussi à une jeune pousse en la personne de Nikolai Petersen. Chef assistant et coach vocal à l’Opéra de Francfort depuis 2012, il exalte à merveille les nombreuses subtilités de ces petits bijoux qui brassent toutes les fantaisies savoureuses de l’orchestration du maître tchèque. De l’omniprésent piano au surprenant banjo dans Larmes de couteau aux accents jazzy, Martinů n’en oublie pas de parodier les marches militaires dans La Comédie sur le pont, avant de lorgner vers un pétillant post-classicisme stravinskien dans Alexandre Bis.


Autour de ces multiples raisons de se réjouir au niveau musical, le plateau vocal réuni affiche un niveau très homogène, sans faille, où les femmes dominent. On retiendra notamment le chant aérien d’Elisabeth Reiter (Eleonora) ou encore la pétillante Katharina Magiera (Philomène). Un spectacle très recommandable malgré sa mise en scène un peu faible, à voir pour l’imagination toujours mordante du trop méconnu Martinů.

vendredi 10 juillet 2015

« Julietta » de Bohuslav Martinů - Opéra de Francfort - 08/07/2015


L’Opéra de Francfort offre en cette fin de saison un éclairage particulièrement remarquable sur la figure de Bohuslav Martinů (1890-1959), compositeur tchèque le plus important du XXe siècle avec Janácek. Quatre opéras du maître en deux jours, on ne se plaindra pas de cette performance exceptionnelle dans la Hesse, d’autant que l’ensemble des moyens réunis ne lasse pas de surprendre positivement. Place tout d’abord à la Juliette créée en 1938 peu de temps avant le départ aux Etats-Unis, en langue française (voir le spectacle réglé par le metteur en scène britannique Richard Jones en 2002 et 2006 à l’Opéra Bastille), et ici donnée en une nouvelle production en version allemande.


Un choix qui pourra choquer les puristes, mais qui prend tout son sens lorsque l’on saisit combien l’argument ardu de cet opéra nécessite une parfaite proximité linguistique permettant de saisir l’ensemble des allusions distillées par cette histoire mêlée de surréalisme et d’absurde. On doit à Georges Neveux, proche de Desnos, Prévert et Queneau, cette histoire étrange d’un homme à la recherche d’un amour perdu, presque illusoire tant sa quête universelle apparaît fantasmatique. De retour sur les lieux de son passé, Michel rencontre toute une galerie de personnages plus farfelus les uns que les autres. La raison en est simple: tous se montrent incapables de se souvenir du moindre événement survenu dix minutes plus tôt. Florentine Klepper place cette histoire en un vaste hall d’hôtel des années 1950 surplombé d’un balcon filant, nid fécond d’apparitions décalées et inquiétantes des personnages, toujours en mouvement.


Cette superbe réussite visuelle s’appuie sur un sens des couleurs admirablement stylisé – des costumes jusqu’aux accessoires – ainsi qu’une direction d’acteurs millimétrée qui rappelle Christophe Marthaler dans la double perfection géométrique et chorégraphique. L’une des images les plus saisissantes est certainement celle du cadre central en fond de scène, d’abord lieu du jardin tropical au I, avant de se retrouver totalement vidé au III pour offrir un espace onirique où Michel se voit revivre en accéléré les événements intervenus jusqu’alors. Cette production s’appuie également sur un plateau vocal d’une remarquable qualité homogène, dont se démarque Kurt Streit, dans le rôle principal, immensément applaudi à l’issue de la représentation. Son impact dramatique sert le propos par la force de son engagement, tandis que son timbre un rien usé s’avère en phase avec le personnage. A ses côtés, Juanita Lascarro (Juliette) ne manque pas d’abattage, mais montre quelques difficultés dans l’aigu, au vibrato prononcé.


Tout semble faire sens pour coller parfaitement à la musique éruptive de Martinů, qui nous donne là l’un de ses meilleurs crus en multipliant le scintillement des effets sonores obtenus par un orchestre déchaîné. Si les cordes se montrent souvent irrésistibles dans leur scansion rythmique entêtante dans l’aigu, c’est plus encore la variété du coloris orchestral qui surprend tout du long – manière dont Benjamin Britten saura se souvenir quelques années plus tard. On retrouve Sebastian Weigle à la tête de son excellent orchestre, toujours aussi précis dans l’étagement des passages verticaux qu’attentif à l’expression des rares moments de débordements lyriques. Un spectacle en tout point réussi que l’on espère voir bientôt reprogrammé à Francfort, à l’instar de l’autre grande réussite de la saison, La Passagère de Weinberg, donnée en mars dernier.

mardi 7 juillet 2015

« Marie Stuart » de Rodolphe Lavello - Midsummer Festival - Château d'Hardelot à Condette - 04/07/2015

Château d'Hardelot

«Les Anglais reviennent!»: c’est par cette sentence bien laconique qu’un membre de l’Office de tourisme de Boulogne-sur-Mer résumait l’une des principales tendances de ce début d’été dans la charmante sous-préfecture du Pas-de-Calais. Si la ville basse reconstruite dans les années 1950 reste bien connue des amateurs du cinéma d’Alain Resnais – qui en fit le lieu de l’un de ses films les plus connus, Muriel ou le temps d’un retour, Boulogne accueille chaque année de nombreux curieux attirés par son exceptionnel Centre national de la mer «Nausicaá» ou par sa ville fortifiée parfaitement préservée dans les hauteurs. L’imposante basilique vient tout juste de bénéficier d’une parfaite restauration de sa superbe crypte – la deuxième plus vaste de France après le Panthéon –, l’ensemble de l’espace muséal richement doté autour des collections religieuses et archéologiques du site ayant été repensé.


Si une importante colonie anglaise a étoffé depuis plusieurs siècles la vie sociale et culturelle locale, attirant régulièrement Charles Dickens, le château d’Hardelot voisin (à peine dix minutes en voiture) permet de mesurer l’importance de ce brassage particulièrement vivifiant, incarné par la création en 2009 du Centre culturel de l’Entente cordiale, dédié aux croisements culturels féconds entre nos deux pays. Si le manoir reconstruit au XIXe siècle dans le plus pur style élisabéthain mérite à lui-seul une visite par l’exubérance de son architecture, son histoire mouvementée, ou la richesse d’un intérieur en grande partie constitué par le Mobilier national, une halte au «Midsummer Festival» doit impérativement être faite, tant sa programmation diversifiée et exigeante convient à tous les publics.


En ce dernier week-end de festival, l’américain Paul O’Dette nous offrait à l’heure du tea time un délicieux récital autour du luth, prélude à l’événement majeur du week-end, la recréation de la Marie Stuart de Rodolphe Lavello (1842-1914). Cet opéra créé à Rouen en 1895 et jamais repris ensuite, est l’œuvre d’un compositeur italien totalement inconnu ayant fait toute sa carrière en France, sans jamais parvenir à obtenir les faveurs d’une création parisienne (comme Chausson et son Roi Arthus, notamment). A l’instar de l’œuvre homonyme de Donizetti, représentée tout récemment au Théâtre des Champs-Elysées à Paris, le sujet anglo-écossais inspiré du drame de Schiller tourne autour de la rivalité fatale entre deux reines. Mais là où son célèbre aîné belcantiste imposait un long et impressionnant affrontement entre les deux femmes, Lavello réduit cet attendu à une scène plus courte, dramatiquement moins forte. Cette œuvre plaisante s’avère un rien répétitive en son début, Lavello multipliant les mélodies à la manière de Gounod. Seules les dernières scènes s’animent d’un impact dramatique percutant, y compris au niveau de l’accompagnement instrumental, plus travaillé.


On doit aux chaleureux et passionnés frères Dratwicki l’origine de cet audacieux projet, que ce soit Alexandre, pour le Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française, et Benoît, pour le Centre de musique baroque de Versailles. Si la partition en cinq actes et environ trois heures de musique a été réduite de moitié, resserrant l’action autour de la seule rivalité royale, cette représentation a permis de découvrir l’œuvre en une adaptation pour quatuor avec piano – seule la partition pour piano et voix étant à ce jour existante. C’est surtout le parfait plateau vocal réuni qui impressionne tout au long de la représentation, même si l’on pourra évidemment noter ici et là quelques réserves, notamment un Mathias Vidal (Mortimer) trop en voix pour un espace aussi restreint et roulant curieusement les r en début d’opéra. Si Katia Vellétaz peine à incarner la Reine vengeresse avec sa voix claire, on lui reprochera surtout une diction trop approximative. A ses côtés, Virginie Pochon impressionne en Marie Stuart, imprimant une force de caractère intérieure vibrante, bien épaulée par l’Anna d’Aurore Ugolin, dont la voix au timbre agréable se projette bien. Outre un toujours impeccable Alain Buet (Lord Burleigh), Thomas Dolié se distingue dans son rôle important de Leicester, toujours éloquent et disposant aisément d’un très beau timbre dans les graves.


On retrouve ensuite l’excellent baryton français accompagné du Quatuor Giardini dans le jardin d’hiver voisin, écrin chaleureux à l’acoustique idéale pour un délicieux programme de mélodies françaises. Cet after surprend par un inhabituel panachage de courtes œuvres de Dubois, Hahn, Gounod et David entrecoupées de savoureuses lectures des frères Dratwicki autour de saillies de critiques éminents (dont Berlioz) s’interrogeant sur la personnalité des chanteurs ou les tics de mise en scène. Une soirée qui permet de revisiter les clichés attachés aux compositeurs ici représentés, que tentent de réhabiliter nos jumeaux aussi militants qu’érudits.


Reste enfin à préciser que la manifestation musicale estivale va s’enrichir l’an prochain d’une nouvelle salle construite dans le style élisabéthain, à l’instar du célèbre Globe Theatre shakespearien. Cet équipement de près de 400 places, tout de bois revêtu, viendra remplacer la salle éphémère installée chaque été dans les jardins du château. Réalisé par le studio d’architecture Andrew Todd, ce projet a été présenté l’an passé à rien moins qu’Elisabeth II lors de sa visite en France, suscitant l’enthousiasme de quelques grands metteurs en scène – tel Peter Brook – déjà attirés par ce qui s’annonce comme une superbe réussite architecturale et acoustique. De quoi fêter dignement les sept ans d’existence du «Midsummer Festival» et permettre l’organisation d’une saison musicale et théâtrale pérenne dès avril 2016.