lundi 5 décembre 2011

« Dommage qu’elle soit une putain » de John Ford - Théâtre des Gémeaux à Sceaux - 30/11/2011

Il y a des secrets bien gardés. Déjà plus de dix ans que le metteur en scène britannique Declan Donnellan, toujours épaulé de son compère Nick Ormerod à la scénographie, régale les spectateurs du théâtre de Sceaux dans des interprétations des grands classiques, de Shakespeare à Tchekhov. Après " la Tempête " en début d’année, les deux hommes s’attaquent à une œuvre réputée sulfureuse de John Ford, un contemporain de Shakespeare.
Lorsque l’on parle de John Ford, on pense immanquablement au cinéaste américain spécialiste du western. Beaucoup moins renommé est son homonyme, auteur en 1626 de son œuvre la plus connue Dommage qu’elle soit une putain. Une œuvre pourtant traduite par Maurice Maeterlinck à la fin du xixe siècle, puis portée au théâtre par Luchino Visconti à Paris dans les années 1960 avec rien moins que Romy Schneider et Alain Delon. Ces dernières années, Alain Savary ou Stuart Seide se sont également frottés à cette œuvre baroque.

Empoisonnement, mutilations, inceste, les péripéties sont nombreuses autour des deux jumeaux Annabella et Giovanni. Ces deux-là s’aiment d’un amour impossible mais sincère. Ils osent s’élever contre le tabou social majeur, révélateur des limites de l’étendue de notre tolérance, barrière morale ultime difficilement franchissable. Le couple formé par Jack Gordon et Lydia Wilson convainc pleinement jusque dans la scène de folie finale. À leur côté, autour de cette ronde de violence et de fureur, les personnages secondaires échouent lamentablement dans leurs projets, tels des pantins maladroits. Soranzo (Jack Hawkins, parfait), futur mari d’Annabella, reste ainsi l’éternel jouet de son valet, tout comme sa prétendante déchue Hippolita, jouée avec une outrance jouissive par une pétillante Suzanne Burden. Cette dernière volerait presque la vedette à notre couple d’amoureux ! Le père des jumeaux, Florio (subtil David Collings), ou le religieux Bonaventura (caricatural Nyasha Hatendi) sont tout aussi impuissants à empêcher l’issue tragique de la pièce.

Une mise en scène brillante

Declan Donnellan accompagne les rocambolesques rebondissements au moyen d’une mise en scène menée tambour battant, où les scènes s’enchaînent dans un rythme haletant, sans aucune respiration, avec tous les comédiens utilisés comme éléments de décor. Seule la dernière partie crépusculaire fait exception, renforçant ainsi la concentration sur le drame qui se resserre peu à peu. Donnellan apporte aussi beaucoup de fantaisie grâce à des tableaux admirablement chorégraphiés, composant des adorations à une Annabella transformée en Madone ou prenant le contrepied de la bienséance avec l’entrée du Nonce sur un air de salsa. Avec ses éclairages expressionnistes souvent rouge vif, son décor immobile sans cesse revisité par ses comédiens, la mise en scène virtuose et ludique surprend sans cesse par son inventivité.

Pour autant, malgré toutes ces qualités, ce feu d’artifice d’effets en tout genre masque souvent la compréhension d’un texte à bien des égards décevant. Ford multiplie les pistes intéressantes pour mieux les abandonner, et omet surtout de donner la moindre épaisseur psychologique à ses personnages. L’an passé aux Amandiers, Stuart Seide avait ainsi fait le choix de resserrer le drame autour des jumeaux, supprimant toutes les intrigues secondaires au profit de l’ajout de poèmes contemporains.
Aux Gémeaux, Donnellan se montre plus respectueux de la complexité des rebondissements. Mais dans ce destin implacable où tout semble figé, la seule mise en scène ne peut faire oublier un sujet de fond superficiellement traité, comme si le parfum de scandale suffisait à nous contenter. Le sulfureux accouche-t-il nécessairement d’un chef d’œuvre ? Certainement pas.

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