Faut-il défendre
« Owen Wingrave », opéra mal aimé de Britten ? À cette question, la
nouvelle production de
l’Opéra national du Rhin répond positivement, en instaurant un
climat dramatique, étouffant et mortifère, qui passionne de bout en
bout.
Photo Alain Kaiser |
Un opéra d’abord conçu pour la télévision ? C’est à cette
initiative originale, due à la B.B.C., que le célèbre compositeur
britannique Benjamin Britten (1913-1976) répondit avec
enthousiasme pour créer son avant-dernier opéra Owen Wingrave,
en 1971. On a peine aujourd’hui à imaginer l’importance de cette
télédiffusion en simultané à travers toute
l’Europe, évènement considérable depuis la création dix ans plus
tôt de l’une des œuvres maîtresses de Britten, le poignant et monumental
War Requiem. Si le sujet choisi
pour Owen Wingrave est à nouveau la guerre, il s’agit
cette fois non pas de rendre hommage aux nombreux morts, mais d’appeler à
l’éveil des consciences individuelles par le refus
d’un déterminisme collectif qui conduit à l’inéluctable bain de
sang. Pacifiste convaincu, Britten n’a jamais oublié les vives critiques
émises par ses compatriotes suite à son exil aux
États-Unis de 1939 à 1942.
En adaptant une œuvre de Henry James, la seconde après le Tour d’écrou
en 1954, Britten retrouve le même climat d’oppression psychologique
mâtiné de
fantastique, cette fois-ci autour du héros éponyme, qui se met à
dos l’ensemble de ses proches en refusant d’embrasser la carrière
militaire dans le respect de la tradition familiale et de la
mémoire de son père, mort sur le champ de bataille. Convoqué dans
la demeure ancestrale de Paramore, sinistre et inquiétante, le
jeune Owen doit affronter aussi bien la violence
verbale des vivants que celle, plus insidieuse, des morts. Outre
les portraits des ancêtres qui semblent prendre vie peu à peu, une
légende raconte ainsi que l’une des chambres est hantée suite
au décès mystérieux d’un jeune garçon, ancêtre lointain
des Wingrave.
Un opéra sous-estimé
Très sous-estimé en raison de personnages jugés caricaturaux et d’une musique peu originale, Owen Wingrave
ne bénéficie que de rares reprises scéniques, et il faut attendre 1996
pour que l’Opéra national du Rhin prenne le risque d’une création
française de l’œuvre dans la langue de Molière, avant que la langue
de Shakespeare ne retrouve ses droits avec
la présente production. On comprend aisément cette volonté de
réhabiliter cet opus mal aimé, tant l’orchestration chambriste de
Britten offre une fois encore une myriade de subtils et
inattendus changements d’atmosphère fondés sur les percussions,
refusant tout effet spectaculaire pour maintenir une tension étouffante à
force de retenue.
La mise en scène de Christophe Gayral, ancien collaborateur de
Robert Carsen, épouse cette tension en plaçant d’emblée la demeure
familiale, tombeau funeste du héros, au centre de
l’attention. L’espace, géométriquement restreint, est animé par de
vastes monolithes mouvant au gré de l’action, sur lesquels sont
projetés de courtes vidéos en noir et blanc ou les portraits
de la famille Wingrave dans un long corridor. Certains chanteurs
apparaissent ainsi en superposition des ancêtres, suggérant aussi bien
leur proximité idéologique immuable que le caractère
fantastique de ces rapprochements. La scénographie dépouillée et
saisissante d’Éric Soyer, habituel collaborateur des spectacles de
Joël Pommerat, est habilement agrémentée des vidéos
de Renaud Rubiano, qui offre des visions fantomatiques
récurrentes, telle cette évocation de l’enfermement au moyen d’une allée
d’arbres parfaitement alignés comme autant de barreaux
d’une prison.
De jeunes chanteurs convaincants
Le climat dramatique ainsi instauré place immédiatement l’auditeur
dans une concentration extrême, et ce d’autant plus que l’ensemble des
jeunes chanteurs, entièrement issus de
l’Opéra Studio * de l’Opéra national du Rhin, démontre une
cohésion d’ensemble impressionnante. On retient surtout
le Professeur Spencer Coyle
de Sévag Tachdjian, magnifique voix pleine à la diction idéale,
doté d’un beau tempérament d’acteur. Il forme un couple très expressif
avec la touchante Sahara Sloan
(Mrs Coyle), tandis que Marie Cubaynes, dans le rôle de la fiancée
d’Owen, impose une belle prestation vocale malgré une présence scénique
plus décevante. Gayral ne parvient pas
tout à fait à surmonter le défi de l’âge de ses interprètes,
Guillaume François apparaissant fort peu crédible dans un
Général Sir Philip Wingrave surjoué. Fort
heureusement, le subtil Owen de Laurent Deleuil, vocalement
impérial, surprend par son autorité naturelle, confiante et sereine dans
l’adversité.
À côté de ces interprètes convaincants, l’autre grande
satisfaction de la soirée vient de la fosse, avec l’accompagnement
orchestral de David Syrus à la tête de
l’Orchestre symphonique de Mulhouse. Spécialiste de Britten dont
il a dirigé le délicieux opéra Albert Herring
à Toulouse en début d’année, Syrus est
le seul à obtenir les vivats d’un public conquis par une direction
naturelle et équilibrée, attentive à chaque rupture, précise dans les
variations de climat. Il n’est pas pour rien dans la
réussite de cette production qui sera reprise à Mulhouse en avril,
puis à Strasbourg en juillet prochain.
* On retrouvera ces mêmes chanteurs dans la reprise de l’opéra pour enfants Blanche-Neige, de Marius Felix Lange, au Théâtre de l’Athénée - Louis-Jouvet à Paris, du 20 au 26 avril 2013.
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