dimanche 14 juillet 2019

« Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny » de Kurt Weill - Grand Théâtre de Provence à Aix - Festival d'Aix-en-Provence - 11/07/2019

On ne peut que se réjouir de la programmation de Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny (1930), une œuvre trop rare en France: au vu de l’assistance venue en nombre lors de l’avant-dernière représentation à Aix, le pari du succès public semble atteint. Cela reste en effet une gageure de présenter ce type d’ouvrage qui nécessite tout à la fois de réunir une distribution fournie et homogène, aussi à l’aise au niveau vocal que théâtral. C’est bien là le principal motif de satisfaction de cette production aixoise, dont on pourra bien entendu souligner les qualités vocales individuelles, au premier rang desquelles l’incarnation vibrante de Nikolai Schukoff (Jim Mahoney) – et ce malgré une émission parfois resserrée dans l’aigu. Le ténor autrichien reste un interprète de tout premier plan dans ce rôle qui sollicite ses atouts dramatiques superlatifs. Ces mêmes qualités restent éclatantes avec Karita Mattila (Leokadja Begbick), toujours aussi percutante de caractère, de même que Willard White (Trinity Moses). Ce dernier est cependant de plus en plus handicapé par un timbre qui se délite, tandis que la projection se montre trop faible. Il est vrai que l’absence de décor pendant toute la représentation n’aide guère les interprètes de ce point de vue, en ôtant toute réverbération. Aucun problème de puissance concernant Annette Dasch (Jenny Hill), qui rayonne à chacune de ses interventions autour d’une émission veloutée et de graves mordants. On soulignera encore la prestation vocale parfaite d’aisance de Sean Panikkar dans son double rôle, tandis que le chœur Pygmalion remplit bien sa partie en se jouant des difficultés (essentiellement rythmiques).


La déception de la soirée vient de la mise en scène peu inspirée d’Ivo van Hove, qui semble se caricaturer lui-même avec son usage incessant de la vidéo filmée en direct, au rapport trop éloigné avec l’action pour convaincre. Si l’écran géant permet de voir les réactions de chaque protagoniste filmées en gros plan, on se lasse vite de ce procédé qui ne démontre pas sa pertinence par rapport à la compréhension de l’ouvrage. Le refus obstiné de tout décor, outre le déséquilibre acoustique déjà évoqué, souffre d’une direction d’acteur brouillonne en première partie, avant de se reprendre ensuite dans les tableaux plus vivants qui suivent l’entracte. Pour autant, van Hove cède à une certaine facilité en montrant des procédés cinématographiques d’images incrustées avec la réalité qui ressemblent davantage à un gadget technique plaqué là pour faire sensation – la nudité aidant. On aurait aimé que la mise en scène accompagne davantage la réflexion de Brecht sur les rapports entre l’individu, le groupe et la société, et plus encore la critique du capitalisme qui parcoure tout cet ouvrage.

Un autre motif de perplexité vient de la fosse, tant la direction d’Esa-Pekka Salonen souffle le chaud et le froid avec un sens du legato qui cherche trop à gommer les angles. A la tête d’un splendide Orchestre Philharmonia, le chef finlandais montre son goût pour une expression des couleurs et des sonorités, d’une maîtrise certes admirable de mise en place, mais au détriment de la vision d’ensemble et des passages plus dramatiques, volontairement lents. Rien d’indigne bien sur, mais on a souvent l’impression d’une lecture à contre-courant par rapport au plateau, qui fuit trop l’émotion. Dommage.

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