L’éditeur autrichien Capriccio a la bonne idée de réunir en plusieurs coffrets économiques l’intégrale des oeuvres symphoniques du plus célèbre des compositeurs bulgares, Pancho Vladigerov (1899-1978). L’ensemble de ces enregistrements est dirigé par son fils Alexander (1933-1993) qui se fit le défenseur de cet héritage pendant toute sa carrière, malheureusement interrompue en 1990 pour cause de maladie.
Virtuose du piano, instrument auquel il a dédié un tiers du total de ses
 compositions, Pancho Vladigerov passe son enfance à Choumen (dixième 
ville de Bulgarie par sa population), avant de partir faire ses études à
 Berlin en 1912. Parmi ses professeurs, on compte Friedrich Gernsheim, à
 qui l’on doit certainement l’élan brahmsien qui souffle sur le Premier Concerto pour piano
 (1918), achevé pour la fin d’études de Vladigerov. Créé trois ans plus 
tard par Fritz Reiner à la tête de l’Orchestre philharmonique de Berlin,
 cet ouvrage aux dimensions imposantes signe l’ambition artistique de 
son auteur, tout autant que sa maîtrise parfaite de la grande forme et 
sa capacité à intégrer finement des mélodies populaires bulgares. Ce 
concerto permet à Vladigerov de se faire rapidement connaître comme 
interprète et compositeur lors de tournées en Europe, avant d’obtenir le
 prestigieux prix Mendelssohn (bourse d’études attribuée par le 
gouvernement prussien) à deux reprises en 1918 et 1920. Entre-temps, 
c’est rien moins que Kurt Weill qui a cet honneur en 1919.
Considéré comme l’un des compositeurs les plus prometteurs de son temps,
 Vladigerov se tient toutefois à l’écart de l’avant-garde, privilégiant 
le style postromantique cher à ses professeurs. Tout en composant de 
nombreuses musiques de scène pour le dramaturge Max Reinhardt, le 
Bulgare achève en 1930 son Deuxième Concerto, qui lui permet de 
laisser s’épanouir un tempérament plus félin et taquin, sans se départir
 de la double influence de Scriabine et Rachmaninov, notamment dans le 
mouvement lent, très lyrique. Alors que Deutsche Grammophon 
enregistre ses ouvrages dès 1929, l’aura du compositeur décline avec 
l’avènement du pouvoir nazi quatre ans plus tard. Du fait de son 
ascendance juive par sa mère, sa musique est ensuite interdite, y 
compris dans son propre pays, alors allié à l’Allemagne. Vladigerov 
reste autorisé à enseigner, ce dont bénéficie le jeune Alexis 
Weissenberg dès ses trois ans, et ce jusqu’en 1944.
Peu après la composition de son unique opéra Tsar Kaloyan, plusieurs fois remis sur le métier avant sa création en 1975, le compositeur retrouve l’inspiration avec son Troisième Concerto
 (1937). On y découvre un Vladigerov plus personnel, à l’orchestration 
toujours aussi colorée, mais avec davantage d’audaces dans 
l’enchevêtrement des mélodies entrecroisées. Le mouvement lent apporte 
un climat plus sombre et mystérieux, avant que des thèmes jazzy 
n’irriguent le finale. On comprend aisément, à l’écoute de ce concerto à
 juste titre considéré comme le plus réussi de la série, pourquoi 
Chostakovitch affirmait tenir Vladigerov en haute estime.
C’est précisément dans le giron soviétique, à laquelle la Bulgarie est 
rattachée après la Seconde Guerre mondiale, que prend place la création 
du Quatrième Concerto en 1953. Le langage lorgne vers la musique 
de film proche de Korngold, en un ton lumineux et radieux, volontiers 
démonstratif, à même de plaire aux censeurs. Dix ans plus tard, l’ultime
 concerto pour piano a gagné en noblesse sereine et aérienne, tout en 
restant tourné vers le passé au niveau de l’inspiration. On ne manquera 
pas, enfin, l’écoute des exquises Cinq Silhouettes (1974) pour piano, qui démontrent toute l’élégance d’un compositeur alors au soir de sa vie.
Très engagé, l’Orchestre symphonique de la radio nationale bulgare donne
 le meilleur de ces œuvres, autour du geste équilibré d’Alexander 
Vladigerov. Tous élèves de Pancho, les pianistes réunis ici expriment le
 mélange d’éclat et de subtilité propre à l’école bulgare, ce que le 
compositeur démontre lui-même dans l’enregistrement du Cinquième Concerto, réalisé en 1964. Un bel exemple du toucher du maître, malheureusement terni par la prise de son en mono, un peu lointaine.  

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