A l’heure où de nombreuses maisons ont bien du mal à retrouver leur
public, l’Opéra de Rennes marque un grand coup avec une salle comble et
manifestement rajeunie pour son ouverture de saison. Il faut ainsi
saluer le flair de son directeur Matthieu Rietzler (40 ans) pour avoir
su reprendre un spectacle créé avec succès à Quimper, puis repris
largement ensuite, notamment au festival de musique baroque de
Sablé-sur-Sarthe en 2018.
Essentiellement porté sur la séduction visuelle, le travail de Claire
Dancoisne joue de tous les artifices possibles, des costumes et masques
flamboyants aux maquillages extravertis, sans oublier monstres
métalliques (façon machines de Nantes) et soldats de plomb (activés
comme autant de marionnettes) qui soulèvent l’admiration de l’assistance
à chacune de leur apparition. Après l’entracte, une immense sculpture
aux bras déstructurés, là encore métallique, rappelle L’Arbre aux serpents
de Niki de Saint-Phalle (les couleurs en moins) et offre à Armida
autant une garçonnière qu’une prison pour Rinaldo. Le spectacle est
souvent plongé dans une pénombre mettant en valeur ces différents
éléments, qui évoquent tantôt l’univers post-apocalyptique du film Mad Max
ou l’imagination infernale de Jérôme Bosch. D’où vient pourtant que
cette profusion laisse un goût d’inachevé ? On aurait en effet aimé que
Claire Dancoisne s’attache à démêler les fils d’un livret obscur, adapté
de La Jérusalem délivrée du Tasse et dont les péripéties étaient connues par les spectateurs du XVIIIe siècle.
Conscient de cette perte de savoir relatif aux textes antiques, Wajdi
Mouawad n’a pas hésité à ajouter un court prologue pédagogique, dans son
Œdipe d’Enesco présenté en ce moment
à l’Opéra de Paris. On aurait pu aussi jouer davantage de l’opposition
entre les deux camps, mal différenciés dans les costumes (ce qui fait
dire à ma voisine de 10 ans environ, au bout de deux heures de
spectacle, un pertinent: «C’est qui lui?»). Quoi qu’il en soit, le
public, étonnamment sage pendant tout le spectacle (aucun air applaudi),
offre un chaleureux tonnerre d’applaudissements à l’issue de la
représentation.
Autour de cette distribution qui fait la part belle à la jeunesse, Damien Guillon insuffle une énergie roborative à ses troupes du Banquet Céleste (formation qu’il a créée en 2009), à force d’attaques sèches dans les parties verticales. On aimerait toutefois davantage de respiration et de variété dans cette battue qui tourne souvent à vide – renforçant l’impression fastidieuse d’une succession d’airs et de récitatifs, propre à l’opera seria, avec trop peu d’ensembles.
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