La Bohème dans l’espace ? C’est l’idée pour la moins déconcertante qu’a eu Claus Guth, voilà six ans, pour renouveler l’intérêt autour de La Bohème : et si Rodolfo et ses amis, perdus dans un vaisseau spatial à la dérive, se retrouvaient à cours de ressources vitales ? Autour de cette trame audacieuse, Guth fait revivre les événements de la tragique disparition de Mimi en mettant en miroir les dernières tentatives des spationautes pour survivre. Aussi léchée que celle du film 2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick, la scénographie splendide réserve plusieurs surprises tout au long des deux premiers tableaux, en animant le huis-clos de scènes d’étrangeté parfois trop statiques, mais incontestablement originales. Ainsi la procession macabre du deuxième tableau, orchestrée par un maître de cérémonie énigmatique, évoquant la mort qui rode. On le retrouve tel un fil rouge par la suite, particulièrement dans les scènes précédant la mort de Mimi, où les interprètes se produisent tels deux chanteurs de variété : un ultime pied de nez au lyrisme enivrant de Puccini, qui se joue de la mort en dansant au bord du précipice, tout juste avant la catastrophe.
Si la transposition reste séduisante au niveau visuel, il lui manque toutefois ce petit quelque chose pour nous embarquer dans le torrent d’émotion attendu pour La Bohème, notamment lors de la scène finale. Il faut dès lors compter sur le plateau vocal, plus réjouissant, à quelques réserves près. On aurait ainsi aimé une Ailyn Pérez (Mimi) autrement plus engagée, au service d’une composition plus saisissante. On peut bien entendu arguer que cette conception entre en résonance avec la mise en scène, mais on attend davantage qu’un chant parfaitement posé (aux pianissimi de rêve), aux syllabes parfaitement déliées, pour nous emporter pleinement. On note aussi, par rapport aux autres interprètes, une incapacité à embrasser la vaste salle de Bastille en termes de volume, de même qu’un manque de chair dans le medium. D’intensité et de présence, Slávka Zámecníková (Musetta) ne manque pas, imposant une composition d’un naturel confondant, à juste titre vivement applaudie en fin de représentation.
A ses côtés, se distingue le Rodolfo de Joshua Guerrero, au timbre gorgé de soleil et d’intentions, d’une aisance superlative sur toute la tessiture. Que dire aussi du pénétrant Colline de Gianluca Buratto, d’une facilité de projection déconcertante, mais aussi capable de phraser avec beaucoup de sensibilité, en dernière partie de soirée ? Enfin, Andrzej Filończyk (Marcello) et Simone del Savio (Schaunard) composent de solides compères, aussi enjoués que complices, au chant parfaitement en place. Tous les seconds rôles complètent admirablement cette distribution, de même que les choeurs très bien préparés pour l’occasion.
Autre grand atout de cette reprise : la direction ivre de couleurs de Michele Mariotti, qui se délecte des chatoiements de phrasés en première partie, autour d’un jeu aérien et transparent sur la pulsation rythmique, jouant sur des effets de contrastes dans les passages plus lents, aux phrasés plus délicatement étagés. L’actuel directeur musical de l’Opéra de Rome montre ainsi qu’il est l’une des baguettes les plus stimulantes du moment, manifestement admiré par plusieurs membres de l’Orchestre qui l’applaudissent en fin de représentation.
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