mardi 30 juillet 2024

« Zoroastre » de Rameau - Alexis Kossenko - Disque Alpha

Rarissime au disque comme à la scène (notamment en 2009 à l’Opéra Comique), Zoroastre de Rameau l’est plus encore dans sa version originale de 1749 que celle révisée en 1756. On se réjouit par conséquent de découvrir la première mouture, inédite au disque, en raison de l’importance quantitative des transformations opérées par le compositeur (trois actes sur les cinq ont été entièrement revus, pour ce qui est de la musique comme de la dramaturgie). Plus centrée sur les intrigues métaphysiques, sur fond d’allusions aux préceptes maçonniques, la version de 1749 fait la part belle aux oppositions entre bien et mal, puis entre connaissance et ignorance. L’exaltation de la noblesse d’âme des protagonistes culmine dans un quatrième acte spectaculaire, où Rameau déchaîne toute son invention haute en couleur pour figurer l’intensité des déchainements démoniaques. L’ensemble montre une profondeur accomplie dans la continuité du discours musical, où la voix s’insère naturellement, comme dans une conversation en musique. Comme à son habitude, Rameau excelle dans les passages dansés, admirablement variés, sans parler des nombreuses sollicitations des chœurs, ici tenus par les forces du Chœur de chambre de Namur, toujours aussi investi dans ce répertoire.

On se délecte également du geste fluide, équilibré et tout en transparence d’Alexis Kossenko, qui poursuit un partenariat toujours aussi fécond avec le Centre de musique de baroque de Versailles, architecte de cette résurrection (notamment le « Festin Royal du mariage du Comte d’Artois » en 2023). Que dire aussi, du plateau vocal réuni, qui frise encore une fois la perfection, magnifié par l’art des interprètes dans la déclamation et la nécessaire diction ? Mais c’est sans doute la présence parmi les interprètes de Jodie Devos, récemment disparue à seulement 35 ans, qui touche au cœur, tant la chanteuse belge paraissait promise à un bel avenir dans ce répertoire. La luminosité et le velouté de son chant sont un régal qu’on ne se lasse pas de découvrir ici, admirablement épaulés par l’élégance des phrasés de Reinoud Van Mechelen, autre atout décisif de cet album très réussi.

dimanche 21 juillet 2024

Concert de l’Orchestre philarmonique de Baden‑Baden - Heiko Mathias Förster - Festival estival de Vichy - 19/07/2024

Opéra de Vichy

En 2021, l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco de onze villes (dont Vichy) réunies sous l’égide du label « Grandes villes d’eaux d’Europe » a permis de donner un nouvel élan inattendu à la nécessaire confraternité entre les pays de notre continent. Preuve en est cette année avec la venue dans la sous‑préfecture de l’Allier de l’Orchestre philarmonique de Baden‑Baden : de quoi fêter le troisième anniversaire de l’inscription à l’Unesco dans l’un des plus beaux opéras de France, dont la décoration Art nouveau vaut à elle seule le détour, en dehors des autres centres d’intérêt architecturaux disséminés dans toute la ville.

Le concert est précédé d’une présentation de Martin Kubich (directeur de l’Opéra de Vichy depuis 2017) et d’Arndt Joosten (directeur général de la Philharmonie de Baden‑Baden) qui rappelle les grandes heures de l’institution, notamment la venue en 1935 de Richard Strauss pour diriger Salomé. Joosten rappelle l’esprit multiculturel qui vivifie son orchestre, composé de plus de vingt nationalités différentes, avant de présenter les œuvres tout au long de la soirée, dans un français à l’accent exotique, mais parfaitement compréhensible. C’est là une idée bienvenue, compte tenu de l’originalité admirable du programme dévoilé en seconde partie.

Avant l’entracte, la Deuxième Symphonie (1877) de Brahms a toutefois bien du mal à convaincre, tant elle pâtit de l’acoustique du plateau de scène, au son globalement étouffé : sans l’apport d’un dispositif de renvoi sonore, comme en bénéficie le Théâtre des Champs‑Elysées à Paris, les musiciens peinent à dépasser la rampe. Il faut tendre l’oreille pour apprécier les tempi tout en étagement et en subtilité du chef permanent Heiko Mathias Förster. On s’habitue toutefois peu à peu à cette particularité, mais c’est peu dire que la salle n’a pas été conçue pour accueillir un orchestre sur scène.

Heiko Mathias Förster

Après la pause, la présence de la soprano Angélique Boudeville vient confirmer que l’acoustique favorise les voix : la jeune française n’a pas à forcer pour faire valoir toute la grâce mêlée de mélancolie et de fantastique de la chanson de Marietta, issue de l’opéra La Ville morte (1920) de Korngold, avant d’arracher des larmes dans la superbe chanson à la lune extraite de Rusalka (1901) de Dvorák. La diction en français est plus perfectible dans l’air des bijoux de Faust (1859) de Gounod, mais la soprano compense ce désagrément par un instrument velouté dans les graves et un sens des nuances particulièrement décisif dans l’interprétation.

L’orchestre se montre plus convaincant dans le répertoire léger et opératique de la seconde partie, avec des cordes plus pétillantes dans la mise en valeur du crépitement attendu. Ainsi de l’Ouverture des Fées du Rhin (1864), qui fait valoir tout le talent d’orchestrateur d’Offenbach, ou de l’étonnante et festive Ouverture de l’opéra Le Départ (1898) d’Eugen d’Albert. Le concert se conclut avec le pastiche rococo de la Grande valse du méconnu ballet Les Ruses d’Amour (1900) de Glazounov, d’une inspiration transparente toute française. De quoi relier cette pièce à ce programme en grande partie franco-allemand et logiquement dédié à l’amitié entre nos deux peuples.

vendredi 19 juillet 2024

Stabat Mater de Gioachino Rossini - Clelia Cafiero - Festival de Montpellier - 17/07/2024

Clelia Cafiero

Le Festival Radio France Occitanie Montpellier se poursuit avec l’un des concerts les plus attendus de cette trente‑neuvième édition, le Stabat Mater (1842) de Rossini, qui réunit une distribution vocale de grand luxe. L’émotion s’empare de l’assistance avant même, puisque Saskia De Ville annonce le décès de Benoît Duteurtre, à seulement 64 ans. Tout en dédiant le présent concert à sa mémoire, la journaliste annonce que ses dernières émissions inédites portant sur la « Grande histoire de l’opérette » seront diffusées sur France Musique à partir du 12 août prochain.

En attendant, le Stabat Mater résonne dans la vaste salle de l’Opéra Berlioz en faisant valoir toute l’expressivité de ses premières mesures dramatiques, d’où émerge peu à peu l’intensité majestueuse du double chœur, réparti ici entre forces toulousaines et montpelliéraines. Tout au long de l’ouvrage, où il est plusieurs fois sollicité a capella, le chœur fait valoir un élan tout de cohésion et d’enthousiasme, en parfait écho avec le geste enflammé de Clelia Cafiero. La chef italienne n’a pas son pareil pour faire pencher les parties verticales du côté de Berlioz, en mettant en avant la puissance des cuivres. Elle trouve aussi quelques effets inattendus en ralentissant les tempi par endroits, notamment la mise en relief des parties a capella de la fin du premier mouvement. Ce mélange d’accentuations et de ralentissements inopinés donne beaucoup de dynamique à l’ensemble, toujours juste.

Il faut dire que le quatuor réuni donne beaucoup de plaisir, malgré quelques réserves de détail. Ainsi de Pretty Yende, qui met un peu de temps à se chauffer dans l’agilité attendue au niveau du medium, frôlant le détimbrage à plusieurs reprises pour toujours se rattraper in extremis. L’élégance de ses phrasés, comme la virtuosité en pleine voix, viennent toutefois enfin convaincre, notamment dans son air, très bien tenu. On lui préfère toutefois la solidité technique et le style souverain de Gaëlle Arquez, qui fait valoir une émission délicieusement veloutée. On aime aussi la basse de grande classe de Michele Pertusi, qui fait oublier un timbre un peu fatigué par une attention millimétrée au texte, le tout bien projeté. Enfin, Magnus Dietrich complète cette belle distribution par une vaillance parfois un rien en force, mais qui sait séduire dans la pure beauté sonore d’un organe tout de jeunesse rayonnante.

jeudi 18 juillet 2024

Concert de l’Orchestre philharmonique de Radio France - John Eliot Gardiner - Festival de Montpellier - 16/07/2024

La deuxième saison du mandat de Michel Orier, nouveau directeur du Festival Radio France Occitanie Montpellier, bat son plein jusqu’au 20 juillet, avec pas moins de sept cents artistes et plus de cent concerts dans toute la région. Parmi les nouveautés cette année, la création de l’Académie d’été du Philharmonique de Radio France offre une expérience pratique à une vingtaine de musiciens triés sur le volet, lors de deux concerts d’exception. On retrouve précisément l’un d’eux dirigé par John Eliot Gardiner, une des grandes baguettes de notre temps, dont l’image a malheureusement été ternie l’an passé par une colère violente vis‑à‑vis d’un chanteur, lors du Festival Berlioz à la Côte-Saint-André. Pas superstitieux pour un sou, le chef britannique se produit à nouveau sous les auspices du compositeur français, dont le nom honore la salle principale du Corum de Montpellier. La grande salle de deux mille places affiche complet pour l’occasion, malgré une déperdition de quelques spectateurs au parterre, après l’entracte.

Le concert débute avec l’Ouverture de l’opéra romantique Obéron (1826) de Weber, que Gardiner entonne avec des tempi très modérés et sans vibrato. Ce parti pris est une constante tout au long de la soirée, avec une volonté de contraste dans les passages verticaux, plus appuyés et accélérés en comparaison. L’introduction lente du Weber apporte un climat de délicatesse tout en transparence, en une volonté d’allégement notable, avant que les ruptures des tuttis ne prennent peu à peu le dessus.

Un même esprit domine dans le Premier Concerto pour piano (1801) de Beethoven, où Gardiner et le soliste Piotr Anderszewski (né en 1969) s’entendent à merveille pour fuir tout pathos, en tournant leur inspiration vers Mozart et le XVIIIe siècle. Le piano millimétré du Polonais surprend dans l’Allegro con brio initial à force d’attention à sculpter ses phrasés, en un mélange de pudeur et de raideur parfaitement assumées. Les passages lents sont les plus intéressants, tant les deux hommes font ressortir plusieurs détails, en une vision qui reste toujours mesurée et cérébrale. En bis, la Sarabande de la Première Partita de Bach poursuit la volonté d’épure, en une palette expressive comme murmurée, toujours délicate et subtile.

Après l’entracte, on retrouve les forces symphoniques du Philhar’ pour affronter les rudesses hautes en couleurs de la Deuxième Symphonie (1873, révisée en 1880) de Tchaïkovski, plutôt rare au concert. L’ouvrage est problématique quant à son surnom, « Petite Russie », qui évoque l’Ukraine : la présentatrice de France Musique rappelle combien cette appellation faisait déjà débat au XIXe siècle, en dehors de la présence de thèmes ukrainiens dans la partition, aux premier et quatrième mouvements. Quoi qu’il en soit, on se délecte d’un ouvrage certes moins abouti que les trois dernières symphonies, mais qui comporte quelques moments de bravoure aux rythmes étourdissants et souvent irrésistibles. Gardiner lance le début majestueux en des tempi vifs, souvent ralentis dans les fins de phrasé. Le geste du chef britannique ne se pose pas de question dans les verticalités, souvent cravachées et brutales, pour lesquelles on aurait aimé davantage de respiration par endroit. Les rares passages lyriques semblent davantage l’intéresser, notamment lors de l’Andantino marziale, quasi moderato, comme en sourdine, en une exploration quasi analytique. On retrouve certains tics de direction caractéristiques des chefs issus du baroque, tel Hervé Niquet (voir notamment son récent concert consacré à la Deuxième Symphonie de Benjamin Godard, à Rouen), mais en une volonté de contraste beaucoup trop marquée ici. Les baisses de tension n’échappent pas à cette lecture inégale due au chef, dans le Finale surtout. L’orchestre livre quant à lui une interprétation exemplaire, sans que l’on parvienne à identifier le moindre défaut de cohésion du côté des musiciens de l’Académie, que Gardiner fait ostensiblement applaudir en fin de représentation.