L'avant-dernier ouvrage lyrique de Verdi fait son retour à l'Opéra du Rhin après quarante-sept années d'absence : la nouvelle production confiée à Ted Huffman joue la carte de l'épure stylisée, loin d’une note d’intention ambitieuse, et vaut surtout pour la force de conviction de son interprétation musicale, et notamment de la direction de Speranza Scappucci.
Parmi les ouvrages emblématiques de Verdi, Otello
fait figure de diamant noir, tant le renouvellement stylistique opéré
au soir de sa vie, à 74 ans, surprit ses contemporains : tout amoureux
du répertoire symphonique ne pourra aujourd’hui que se délecter des
phrasés mouvants et sinueux du maître de Roncole, qui montrent là toute
sa science de l’harmonie et des couleurs, volontairement sombres.
La cheffe italienne Speranza Scappucci se saisit d’emblée des
incessantes variations d’atmosphère, en embrassant d’une vitalité
rageuse les parties verticales, à même de faire ressortir en contraste
les parties plus intimistes, délicatement ouvragées dans les nuances.
C’est là un travail d’orfèvre à saluer, qui montre la hauteur de vue de
l’interprète.
L’autre grand motif de satisfaction revient au plateau réuni, dominé par
une Adriana González inouïe de facilité sur toute la tessiture, faisant
vivre Desdémone, l’épouse injustement outragée, d’une vérité théâtrale
sans ostentation. À ses côtés, Mikheil Sheshaberidze s’impose en Otello
grâce à ses phrasés aériens et sa présence animale, même si l’émission
étroite en voix de tête manque de séduction et de couleurs.
On aime plus encore le Iago vénéneux de Daniel Miroslaw, dont la morgue
et la rugosité fascinent par leur noirceur habitée. Aux côtés de seconds
rôles de bonne tenue, les chœurs réunis de l’Opéra national du Rhin et
de l'Opéra national de Lorraine triomphent entre précision des attaques
et engagement scénique.
La mise en scène trop discrète de Ted Huffman ne se situe
malheureusement pas au même niveau d’inspiration, ce qui est d’autant
plus surprenant à la lecture de la note d’intention scénique, autrement
ambitieuse. On serait bien en mal de trouver une illustration visuelle à
la dénonciation voulue du racisme et de la misogynie, tant l’épure
scénique se contente de plonger les interprètes en une sorte de
huis-clos passionnel.
On regrette également que l’arrière-plan politique soit lissé (jusque
dans la nécessaire différenciation sociale des costumes) : le coup de
théâtre du remplacement d’Otello par Cassio en tant que général tombe
ainsi à plat, alors qu’il donne à Otello de nouvelles raisons de
détester son ancien lieutenant, bien au-delà de sa jalousie dévorante.
Dommage.


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