vendredi 7 octobre 2011

« L’Opéra de quat’sous » de Bertolt Brecht - Théâtre de Sartrouville - 04/10/2011

Affluence des grands soirs à Sartrouville. Il faut dire que l’évènement est de taille avec la première représentation de la nouvelle pièce mise en scène par son directeur, Laurent Fréchuret, qui va ensuite tourner dans pas moins de douze villes différentes en Île-de-France et en province. Le choix d’une œuvre aussi exigeante que « l’Opéra de quat’sous », de Bertolt Brecht, constitue un pari ambitieux tant l’œuvre a besoin d’interprètes aussi bons comédiens que chanteurs. Un pari pour l’essentiel réussi.
Après la version incandescente de Médée d’Euripide présentée en 2009 à travers toute la France, Laurent Fréchuret a choisi de s’attaquer à l’Opéra de quat’sous, une œuvre rarement montée de Bertolt Brecht et Kurt Weill (pour la musique), qui retrouve un regain d’intérêt auprès des metteurs en scène depuis les versions de Bob Wilson au Théâtre de la Ville en 2009 et de Laurent Pelly à la Comédie-Française début 2011. Excusez du peu.

L’œuvre de Brecht est inspirée de l’Opéra du gueux (The Beggar’s Opera), une pièce musicale satirique écrite deux cents ans auparavant par John Gay en 1728, dont elle reprend à la fois l’histoire et les personnages, autour de la lutte entre Peachum, patron des mendiants et des éclopés, et Mackie-le-Surineur, malfrat qui bénéficie de l’inattendu mais précieux soutien du puissant chef de la police Tiger Brown. La description expressionniste des bas-fonds londoniens, aussi cruelle que drolatique, prend constamment le spectateur à contre-pied en déformant la réalité à outrance.

Les personnages s’adressent ainsi directement au public au moyen de pancartes, ou plus directement en bord de scène pour commenter l’action et exprimer la pensée de l’auteur, à la manière du chœur d’une tragédie grecque. Par là même, Brecht invite le spectateur à sortir de son rôle passif et à prendre de la distance avec ce qui lui est donné à voir ou à entendre.

Une mise en scène virtuose au service de l’œuvre

Laurent Fréchuret renforce la distanciation voulue par Brecht avec des postures volontairement caricaturales où les comédiens passent allègrement du bord de scène, figés face au public sans se toucher, au déploiement nerveux et imprévisible de corps en alerte, qui, tel un ballet, investissent l’immensité de l’espace scénique. On retient aussi la belle réussite de la pièce de cabaret, très enlevée, avec la mise en abyme progressive de la scène et des coulisses dans un jeu de miroir fascinant. Enfin, la variété des éclairages, aussi bien que l’esthétique pop des costumes bariolés de couleurs, établissent cette impression visuelle forte qui maintient constamment le spectateur en éveil.

La musique de Kurt Weill sert admirablement ces effets de contraste par des emprunts variés à l’opérette, en passant par l’avant-garde atonale, aussi bien qu’au jazz. La mise en valeur de l’orchestration souffre malheureusement d’une acoustique peu flatteuse et du placement sur scène des instrumentistes et de leur chef au piano, qui a bien du mal à maîtriser l’articulation avec les chanteurs. Outre ces problèmes de mise en place, les acteurs chanteurs révèlent des faiblesses techniques en matière de chant, notamment pour ceux issus du théâtre (les hommes principalement).

Thierry Gibault (Mackie-le-Surineur) apporte une classe indéniable à son personnage de parvenu donneur de leçons et balaye les réserves sur ses piètres qualités de chanteur par une diction impeccable, tout comme le truculent Vincent Schmitt (Peachum) qui emporte l’adhésion par sa verve comique. Enfin, Harry Holtzman (Tiger Brown) interprète subtilement son personnage ridicule de policier girouette.

Les rôles féminins déçoivent davantage en comparaison. Lætitia Ithurbide (Polly), malgré un beau timbre de voix, manque en effet de projection et se révèle souvent incompréhensible dans les passages « parlés-chantés ». Heureusement, son duo avec Lucy (impeccable Sarah Laulan) est plus réussi tant les deux comédiennes semblent prendre plaisir dans leur joute désopilante. C’est toutefois la soprano américaine Claire Combault (Jenny) qui tire son épingle du jeu, par sa technique de chant et son aisance, qui font de chacune de ses apparitions un régal.
Tous les seconds rôles sont parfaits dans l’outrance et le ridicule, portant avec énergie la scansion joyeusement ironique de « l’homme est un loup pour l’homme » ou l’inattendu retournement d’un final choral qui donne la victoire au plus corrompu. Cette comédie humaine ainsi révélée, portée par une mise en scène de haut vol, se révèle un spectacle globalement réussi dont on espère que les quelques réserves au plan vocal seront améliorées au fil des représentations.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire