vendredi 8 février 2013

« Le Tour d'écrou » de Benjamin Britten - Opéra de Massy - 02/02/2013

À Massy, une excellente production venue d’Arras dévoile l’énigmatique « Tour d’écrou » de Benjamin Britten. Un opéra au suspens implacable et à la musique ensorcelante.


On s’est parfois demandé à quoi pouvait bien servir de fêter l’anniversaire de la naissance ou de la mort d’un compositeur largement connu et reconnu. En 2006, ce fut ainsi au tour de Mozart d’accuser 250 printemps, offrant ainsi une opportune publicité à de nombreuses productions qui n’en demandaient pas tant. De même, cette année, impossible d’échapper au bicentenaire de la naissance des incontournables Wagner et Verdi, tandis que Benjamin Britten (1913-1976), leur cadet de cent ans tout juste, ne recueille visiblement pas les mêmes honneurs (1).
Fort heureusement, la programmation de l’Opéra de Massy se distingue de celles de ses homologues parisiens en rendant hommage en 2013 aux trois compositeurs (2), à commencer par Britten et son huitième opéra le Tour d’écrou. Le compositeur britannique reste curieusement méconnu du grand public alors qu’on peut le considérer comme l’égal d’un Richard Strauss en matière d’opéra. Britten partage avec lui les mêmes qualités d’orchestrateur virtuose, ainsi qu’une attention minutieuse dans le choix de ses livrets d’opéra, qui trouvent souvent leur source dans des adaptations littéraires, du Billy Budd de Hermann Melville au Mort à Venise de Thomas Mann, en passant par le Tour d’écrou de Henry James.
Une nouvelle énigmatique
Esthète cultivé amateur de poésie et de littérature, Britten a eu très tôt une fascination pour cette nouvelle énigmatique de James, aux interprétations multiples, qui raconte les difficultés rencontrées par une gouvernante chargée d’assurer l’éducation de deux jeunes orphelins, Miles et Flora, probablement hantés par les revenants Peter Quint et Miss Jessel. Personnage au centre de toutes les attentions, Miles se retrouve étouffé, telle une vis que l’on resserre, par des tours d’écrou progressifs qui évoquent l’emprise morale exercée par les adultes sur le monde de l’enfance. La musique de Britten, aux infinies subtilités chambristes que révèlent treize instrumentistes, parvient à un degré d’alchimie avec l’œuvre originale en refusant tout effet spectaculaire, augmentant la tension au fur et à mesure dans un climat toujours plus mystérieux.
La belle scénographie épurée d’Alain Lagarde joue avec quelques éléments de décor, parfois suspendus dans les airs, qui apparaissent et disparaissent rapidement pour différencier les courts tableaux. Sur le vaste plateau aux sols aussi sombres que les murs, les éclairages projetés impriment une forêt inquiétante en ombre chinoise ou un manoir constitué d’uniques fenêtres rougeoyantes. L’atmosphère fantastique ainsi créée offre un écrin captivant à la mise en scène d’Olivier Bénézech qui privilégie l’interprétation des deux revenants corrupteurs, révélateurs du monde de l’expérience et chantres de la fin de l’innocence. Peter Quint rôde ainsi dans la chambre des enfants, entourant leurs lits fragiles de son chant inquiétant, ou manipule un Miles réduit au rôle de pantin lorsqu’il joue debout au piano, dos au public. La scène finale particulièrement réussie voit le jeune enfant marcher lentement derrière la gouvernante, tel un félin sûr de lui auprès de sa proie, tandis que Quint apparaît toujours visible en retrait pour manipuler les fils de l’action.
Une direction enlevée
La direction enlevée de Jean-Luc Tingaud enflamme cette production venue d’Arras et reprise au Théâtre de l’Athénée à Paris en 2011, où les rôles des enfants sont ici tenus par deux solistes issus de la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Juliette Maes et Théophile Baquet-Gonin offrent une composition scénique et vocale très convaincante pour leur jeune âge. À leurs côtés, David Curry (Quint) et Chantal Santon Jeffery (la gouvernante) imposent un chant radieux, mais où manquent peut-être quelques aspérités vénéneuses en rapport avec l’ambiguïté de leurs rôles. Seule la Miss Jessel de Liisa Viinanen parvient à se montrer réellement inquiétante avec sa voix aux riches harmoniques, tandis que Rachel Calloway (Mrs Grose) démontre de réelles qualités d’actrice malgré une voix légèrement fatiguée.
Dans un suspens digne de Hitchcock, mené par de subtiles allusions aussi bien littéraires que musicales, ce Tour d’écrou se déploie superbement, offrant un plaisir sans doute plus intellectuel que réellement physique. Prochain rendez-vous avec Britten en mars prochain à Colmar (avant Mulhouse en avril et Strasbourg en juillet) pour entendre Owen Wingrave, une autre adaptation d’une œuvre de Henry James où il est question de revenants. 

1. Les deux chefs-d’œuvre de Britten, Peter Grimes et Billy Budd, ont été joués à l’Opéra Bastille pour la dernière fois respectivement en 2004 et 2010, tandis que l’Opéra Comique présentait de son côté le savoureux Albert Herring en 2009. Enfin, notons l’excellente production du Tour d’écrou, reprise en 2005 au Théâtre des Champs-Élysées avec Mireille Delunsh dans le rôle de la gouvernante.
2. Une « Nuit Wagner » sera ainsi proposée le 28 mars, tandis que l’opéra Nabucco de Verdi sera monté à la mi-avril 2013.

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