Invité par la
Comédie-Française, Christian Benedetti crée une œuvre du vétéran
Edward Bond qui nourrit une réflexion exigeante et
vibrante pendant et au-delà de la représentation. Le jeune
comédien Benjamin Jungers s’y montre impérial.
Christian Benedetti est un homme heureux. Rappelons qu’il y a peu
un grand quotidien national s’interrogeait sur l’absence inexplicable
d’un tel artiste à la tête d’une grande scène
dramatique nationale, consécration méritée pour un défricheur
constant du répertoire à l’aide de sa compagnie basée au Studio-Théâtre
d’Alfortville. C’est précisément dans ce lieu intime et
chaleureux, tout proche de Paris, que Benedetti a fondé sa
renommée, proposant des résidences à des auteurs contemporains aussi
variés qu’Edward Bond, Biljana Srbljanovic
ou Mark Ravenhill.
Dès lors, on ne s’étonnera pas de retrouver ses mises en scènes de Tchekhov (Oncle Vania et la Mouette)
accueillies par le Théâtre de l’Athénée - Louis-Jouvet en début de
saison 2012, avant que la Comédie-Française ne lui
donne une opportune carte blanche pour présenter deux nouveaux
spectacles dans la petite salle du Carrousel du Louvre en
mars-avril 2013. Cette fois-ci, le choix
de Christian Benedetti s’est porté sur des pièces courtes de
deux auteurs contemporains, Existence (d’ores et déjà visible) du Britannique Edward Bond
et Lampedu Beach (qui sera créé le 4 avril, les deux œuvres pouvant être vues à la suite à partir de cette date) de l’Italienne Lina Prosa.
Une langue elliptique
Mais place ce soir à la pièce d’Edward Bond qui, par son intensité
et son aura de mystère, suffit à nourrir de multiples réflexions.
L’auteur britannique de 79 ans poursuit en effet
depuis de nombreuses années une œuvre abondante, volontiers
doctrinale, à la recherche d’une langue elliptique qui intrigue
l’auditeur pour mieux le forcer à fonder sa propre opinion sur ce qui
lui est donné à voir et à entendre. Pour aller plus avant encore
dans cette volonté, Christian Benedetti plonge la salle dans un noir
complet, ne laissant filtrer sur scène qu’un mince
rayon de lumière à travers une fenêtre dont les rideaux sont clos.
Petit à petit, le regard s’habitue à la pénombre sans parvenir à
distinguer grand-chose, si ce n’est un vaste appartement,
invitant l’auditeur à scruter le moindre mouvement, aussi infime
soit-il. Plus tard, Benedetti a l’idée extraordinaire d’éclairer son
plateau lorsque l’insoutenable arrive. Le spectateur, qui
jusqu’à présent n’avait cessé de vouloir voir, est désormais pris
au piège de son instinct contrarié.
L’histoire est simple, en apparence seulement. Un homme entre par
effraction dans une pièce, puis violente et bâillonne d’emblée le
propriétaire, incapable d’aider le voleur dans sa quête
effrénée d’argent ou de réprimer sa rage destructrice sur des
objets, qui valsent un peu partout. Imperceptiblement, l’enjeu de cette
rencontre improbable évolue peu à peu. Du magma d’un chaos
soigneusement orchestré par Bond surgit un monologue fleuve,
intarissable et complexe, où l’on comprend que le voleur n’a rien à
voler, si ce n’est la confession de son impossibilité à
communiquer avec cet autre que lui-même.
La fougue de Jungers
Benjamin Jungers apporte une nervosité frémissante à cette langue
sans cesse interrompue, qui laisse à l’auditeur le soin de combler
les non-dits, à chercher toujours le sous-texte,
et devenir ainsi coauteur de ce qui lui est pudiquement proposé.
Cet effort continu demandé au public repose évidemment sur l’interprète,
passionnant de bout en bout, avec une énergie et un
investissement entiers. Dans le rôle difficile du muet,
Gilles David n’en fait jamais trop, s’effaçant logiquement devant la
fougue de Jungers. Encore essoufflé au moment des saluts,
ce dernier embrasse Benedetti et Bond sur scène, comme soulagé et
repu devant la performance accomplie.
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