jeudi 4 avril 2013

« Existence » d'Edward Bond - Studio-Théâtre de la Comédie-Française - 21/03/2013

Invité par la Comédie-Française, Christian Benedetti crée une œuvre du vétéran Edward Bond qui nourrit une réflexion exigeante et vibrante pendant et au-delà de la représentation. Le jeune comédien Benjamin Jungers s’y montre impérial.
Christian Benedetti est un homme heureux. Rappelons qu’il y a peu un grand quotidien national s’interrogeait sur l’absence inexplicable d’un tel artiste à la tête d’une grande scène dramatique nationale, consécration méritée pour un défricheur constant du répertoire à l’aide de sa compagnie basée au Studio-Théâtre d’Alfortville. C’est précisément dans ce lieu intime et chaleureux, tout proche de Paris, que Benedetti a fondé sa renommée, proposant des résidences à des auteurs contemporains aussi variés qu’Edward Bond, Biljana Srbljanovic ou Mark Ravenhill.
Dès lors, on ne s’étonnera pas de retrouver ses mises en scènes de Tchekhov (Oncle Vania et la Mouette) accueillies par le Théâtre de l’Athénée - Louis-Jouvet en début de saison 2012, avant que la Comédie-Française ne lui donne une opportune carte blanche pour présenter deux nouveaux spectacles dans la petite salle du Carrousel du Louvre en mars-avril 2013. Cette fois-ci, le choix de Christian Benedetti s’est porté sur des pièces courtes de deux auteurs contemporains, Existence (d’ores et déjà visible) du Britannique Edward Bond et Lampedu Beach (qui sera créé le 4 avril, les deux œuvres pouvant être vues à la suite à partir de cette date) de l’Italienne Lina Prosa.
Une langue elliptique
Mais place ce soir à la pièce d’Edward Bond qui, par son intensité et son aura de mystère, suffit à nourrir de multiples réflexions. L’auteur britannique de 79 ans poursuit en effet depuis de nombreuses années une œuvre abondante, volontiers doctrinale, à la recherche d’une langue elliptique qui intrigue l’auditeur pour mieux le forcer à fonder sa propre opinion sur ce qui lui est donné à voir et à entendre. Pour aller plus avant encore dans cette volonté, Christian Benedetti plonge la salle dans un noir complet, ne laissant filtrer sur scène qu’un mince rayon de lumière à travers une fenêtre dont les rideaux sont clos. Petit à petit, le regard s’habitue à la pénombre sans parvenir à distinguer grand-chose, si ce n’est un vaste appartement, invitant l’auditeur à scruter le moindre mouvement, aussi infime soit-il. Plus tard, Benedetti a l’idée extraordinaire d’éclairer son plateau lorsque l’insoutenable arrive. Le spectateur, qui jusqu’à présent n’avait cessé de vouloir voir, est désormais pris au piège de son instinct contrarié.
L’histoire est simple, en apparence seulement. Un homme entre par effraction dans une pièce, puis violente et bâillonne d’emblée le propriétaire, incapable d’aider le voleur dans sa quête effrénée d’argent ou de réprimer sa rage destructrice sur des objets, qui valsent un peu partout. Imperceptiblement, l’enjeu de cette rencontre improbable évolue peu à peu. Du magma d’un chaos soigneusement orchestré par Bond surgit un monologue fleuve, intarissable et complexe, où l’on comprend que le voleur n’a rien à voler, si ce n’est la confession de son impossibilité à communiquer avec cet autre que lui-même.
La fougue de Jungers
Benjamin Jungers apporte une nervosité frémissante à cette langue sans cesse interrompue, qui laisse à l’auditeur le soin de combler les non-dits, à chercher toujours le sous-texte, et devenir ainsi coauteur de ce qui lui est pudiquement proposé. Cet effort continu demandé au public repose évidemment sur l’interprète, passionnant de bout en bout, avec une énergie et un investissement entiers. Dans le rôle difficile du muet, Gilles David n’en fait jamais trop, s’effaçant logiquement devant la fougue de Jungers. Encore essoufflé au moment des saluts, ce dernier embrasse Benedetti et Bond sur scène, comme soulagé et repu devant la performance accomplie.

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