Le Paradis, c’est la
salle haut perchée du Lucernaire. Un endroit intime idéal pour se
plonger dans un huis clos délirant de Pinter, qui allie
habilement suspens et humour corrosif.
À croire que le choix même du lieu était prévu par le metteur en
scène. Nous voilà en effet dans la petite salle du Paradis, nichée au
dernier étage du Lucernaire et par laquelle on
accède au moyen d’un étroit escalier en colimaçon. Pour ne pas
gêner les spectacles en cours, l’ascension s’effectue dans un silence
quasi religieux qui renforce l’impression que seuls de rares
privilégiés méritent d’accéder au cénacle. Aussitôt entrés, les
spectateurs sont salués par les comédiens qui leur conseillent les
meilleures places, les rassurent prudemment. Tentative de
distanciation brechtienne en forme de harangue sympathique et
plutôt inhabituelle, liminaire indispensable pour préparer l’épreuve à
venir.
Hot House nous plonge en effet d’emblée dans l’univers
clos et oppressant d’une institution médicale, sorte de maison de repos
où les patients sont désignés par des numéros, comme
autant d’impersonnels codes-barres. Le directeur Roote semble las
de tout ce qui l’entoure, confondant les matricules et les dossiers. Ce
qui ne l’empêche pas d’affirmer sans cesse sa position
d’autorité à son second, l’ambitieux Gibbs. L’agitation de ces
personnages tous issus du personnel médical, de l’alcoolique Lush à la
glaçante Miss Cutts, intrigue constamment. On
s’interroge : le directeur ne serait-il pas un patient comme les
autres à qui l’on fait croire qu’il dirige l’institution ? À moins que
ses subordonnés n’aient pris l’ascendant petit
à petit, le confortant dans l’illusion du pouvoir ?
Des pistes nombreuses
Comme souvent chez Pinter, les pistes sont nombreuses et
l’ambiance mâtinée de fantastique. Pour autant, le Prix Nobel de
littérature s’attaque cette fois à un sujet qui ne se limite
pas aux interactions entre les êtres, à ces rapports de domination
évoqués entre Roote et Gibbs – qui ne prennent pas autant d’importance
que dans le Monte-plats,
pièce écrite
un an plus tôt en 1958. Ici, l’auteur britannique veut dénoncer le
poids de l’institution, ses règles contraignantes et exorbitantes par
rapport au monde extérieur. Un sujet dans
l’air du temps, où l’autorité est remise en cause à tous les
échelons.
On pense évidemment à Asiles, étude sur la condition sociale des malades mentaux *,
l’ouvrage fondateur d’Erving Goffman, qui va plus loin encore
dans l’exploration sociologique de la propension totalitaire de
ces institutions. Peut-être impressionné par cette somme parue deux ans
seulement après l’achèvement de son manuscrit,
Pinter le met de côté pendant plusieurs années, et la création de
l’œuvre n’intervient qu’en 1980, dans une mise en scène de l’auteur.
Un rythme endiablé
Régulièrement jouée depuis, l’œuvre bénéficie ici d’une mise en scène
particulièrement originale. Valéry Forestier choisit ainsi d’avoir
recours à un large panneau percé de petites trappes d’où
n’apparaissent que certaines parties du corps des comédiens.
Ludiques et absurdes, les visions s’enchaînent dans un rythme endiablé,
tandis que le débit des interprètes s’accélère dans une pure
virtuosité vocale. Les trois comédiens qui jouent les six rôles se
montrent particulièrement impressionnants, libérant un corps qui
doublonne la voix par son expressivité naturelle
– Forestier ayant eu l’intelligence de choisir des comédiens
possédant une importante expérience de clown.
Souvent drôle, servie par une troupe idéale de fougue juvénile, la
pièce est un régal pour qui voudra bien se frotter à l’univers corrosif
de Pinter. Une expérience à affronter
d’urgence !
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