dimanche 16 février 2014

« Rosmersholm » de Henrik Ibsen - Théâtre de l'Opprimé à Paris - 12/02/2014

On n’a jamais trop de Ibsen. Alors, lorsqu’une petite compagnie ose monter « Rosmersholm » avec des comédiens à la hauteur du défi, on accourt !

La Norvège l’indique fièrement sur le site de son ambassade : Ibsen serait l’auteur dramatique le plus joué au monde après Shakespeare. On a pu aisément le vérifier à Paris en 2010 avec pas moins de quatre mises en scène différentes de son chef-d’œuvre Une maison de poupée, tandis que les dernières saisons ont été animées par deux amoureux de son œuvre, Thomas Ostermeier et Stéphan Braunschweig (1). Au-delà de ces deux directeurs de théâtres nationaux et leurs moyens importants, les petites compagnies se confrontent rarement au géant Ibsen. Un défi que la compagnie Idiomécanic Théâtre relève cette année, avec la complicité du Théâtre de l’Opprimé et des petites scènes qui accueilleront ensuite le spectacle.
Aborder l’œuvre de l’auteur norvégien nécessite des comédiens aguerris, capables d’interpréter les infinies nuances de ce théâtre réaliste où les personnages en lutte jonglent avec les difficultés à agir selon leurs idéaux, et s’empêtrent dans des rôles et marqueurs sociaux dont ils peinent à se défaire. Œuvre de la maturité, Rosmersholm confronte un homme bien né, l’ancien pasteur Rosmer, avec le déterminisme de ses origines. Comment échapper à la route toute tracée de l’héritier censé défendre son statut social éminent ? Comment accéder à la conscience individuelle libérée des entraves du conformisme ? Comme souvent chez Ibsen, c’est un intrus qui va patiemment chambouler l’ordre établi en charmant un à un tous les habitants de la demeure de Rosmersholm.
Les hantises liées à la demeure ancestrale
Amie de la défunte femme de Rosmer dont le suicide hante les esprits, l’énigmatique Rebekka West va remplir ce rôle avec une détermination implacable. En quatre actes savamment dosés, Ibsen instaure un véritable suspens basé sur les révélations progressives des intentions des différents protagonistes, au premier rang desquels Mme West. La mise en scène de Julie Timmerman, sobre compte tenu des petits moyens dont elle dispose, insiste sur les hantises liées à la demeure ancestrale au moyen de nombreux portraits des ancêtres qui finiront progressivement par envahir toute la scène. Comme un symbole de l’influence des traditions dont Rosmer ne parvient finalement pas à se défaire complètement.
Les courtes vidéos entre les actes imposent la figure redondante du cheval blanc (2) qui confronte les personnages à leur besoin de surnaturel et d’inexplicable. Un alibi qui leur permet de camoufler leurs renoncements, de mettre de côté ce passé qui ne passe pas, particulièrement cette morte qui hante toute possibilité d’action véritable. Si la mise en scène a un peu de mal à animer un premier acte assez statique, elle prend de l’épaisseur avec la conduite du drame. Dans le rôle de Rebekka West, Julie Timmerman compose une jeune fille pénétrante et sûre d’elle, vibrante et fiévreuse quand viennent les révélations gênantes. Et ce même si l’on est moins convaincu par son expression corporelle, aux accents parfois outrés.
Des seconds rôles épatants
À ses côtés, Xavier de Guillebon compose un évanescent Johannes Rosmer, parfaitement en phase avec le rôle, mais dont on aurait aimé davantage d’emphase dans les quelques passages où son personnage cède à l’exaltation naïve et lyrique. L’impeccable Marc Brunet (Kroll) se montre égal à lui-même, solide et convaincant, mais aussi un rien monolithique dans une technique trop maîtrisée. On préfère de loin les interprétations plus nuancées des seconds rôles, tous parfaits. Philippe Risler impressionne par sa composition glaciale d’où pointe toute la perversité du redoutable Mortensgaard, tandis que Marc Berman éclaire de son regard malicieux et de l’audace de son phrasé un truculent Brendel.
Nous finirons par la délicate Dominique Jayr, qui donne à son rôle de servante une dimension à la hauteur du propos. De sa voix grave aux florissantes subtilités, elle rappelle que jamais les Rosmer ne crient ni ne rient. Calme et posée, c’est bien elle, en observatrice fidèle des passions qui déchirent Rosmersholm, qui garde les clés de la demeure et conclut le drame par un cri. Celui de l’observatrice silencieuse qui, déjà, avait commencé à douter de son maître. 

(1) Une maison de poupée, Solness le Constructeur, Hedda Gabler, John Gabriel Borkman, Un ennemi du peuple ou encore les Revenants pour Ostermeier, tandis que Braunschweig a présenté à La Colline Une maison de poupée et Rosmersholm en 2009, et le Canard sauvage cette année.
(2) La pièce a failli s’appeler Chevaux blancs.

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