mardi 24 février 2015

« Il Vologeso » de Niccolò Jommelli - Opéra de Stuttgart - 19/02/2015


Fortement touchée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, la ville de Stuttgart a miraculeusement conservé son opéra construit en 1912. Si sa colonnade en rotonde affiche une élégance toute classique en extérieur, c’est surtout la décoration intérieure qui surprend par son assemblage audacieux de couleurs grise, mauve et miel. Une réussite visuelle qui fit qualifier l’ensemble de «plus bel opéra du monde» par le metteur en scène Max Reinhardt. Mais la tradition de cette grande maison remonte plus loin encore autour de la prestigieuse Cour ducale de Wurtemberg, capable d’attirer les plus grands compositeurs de son temps, tel Niccolò Jommelli (1714-1774), à la renommée grandissante avec ses premiers succès Demofoonte, repris en fin de carrière (et donné en juin 2013 à Paris), ou La Didone abbandonata.


Admiré par Mozart, qui lui rendit précisément visite à Stuttgart, le compositeur napolitain occupe les fonctions de maître de chapelle à la Cour de Wurtemberg pendant seize ans, de 1753 à 1769. Pas moins de vingt opéras sont composés lors de cette période prolifique, à l’instar d’Il Vologeso (1766), un dramma per musica enregistré par Frieder Bernius en 1997 chez Orfeo. Afin de fêter les trois cents ans de la naissance de Jommelli, l’Opéra de Stuttgart organise de nombreux concerts et conférences pendant la saison 2014-2015 et se paie le luxe d’une nouvelle production scénique d’Il Vologeso due à Jossi Wieler et Sergio Morabito. Inséparables compagnons de route bien connus dans les pays germaniques (voir notamment leur Rusalka salzbourgeoise en 2008), ils surprennent d’emblée par une scénographie qui mélange éléments contemporains (des habitations dégradées en arrière scène) et anciens (colonnes et escaliers antiques), tandis que les différents personnages jouent de la même dualité autour de leurs habits sans cesse revisités en des croisements tout aussi décalés. Cette atmosphère irréelle apporte une étrangeté constante à l’histoire des amours contrariés de Vologeso avec Berenice – cette dernière en prise avec le désir ardent de l’empereur romain Lucio Vero, lui-même convoité par Lucilla.


Si la mise en scène privilégie la direction d’acteurs, au plus près des corps avec moult accessoires, elle enrichit l’action d’une attitude ambiguë de Berenice lors du retour inattendu de Vologeso en tout début d’opéra. Les postures complices avec Lucio Vero ne trompent pas, l’héroïne devra faire un choix douloureux entre les deux prétendants. Wieler et Morabito apportent aussi quelques touches comiques savoureuses, tels ces rugissements de lion enragé ajoutés lors de la lutte dans les arènes, ou encore l’utilisation de la tessiture grave du contre-ténor en quelques occasions – sans parler des habituels jeux scéniques autour des vocalises. Autant d’ajouts qui permettent de passer outre l’alternance un rien fastidieuse entre récitatifs et airs, Jommelli s’autorisant un unique quatuor après le combat contre le lion, puis un beau duo entre Vologeso et Berenice. On notera aussi un étonnant finale conclu, après la traditionnelle concorde morale entonnée par l’ensemble des protagonistes, par un mouvement orchestral aussi long que l’Ouverture. Une construction en arche qui permet à Wieler et Morabito de terminer comme ils avaient commencé, les personnages se déshabillant à nouveau pour revêtir des habits neufs.


Le plateau vocal réuni convainc de bout en bout par son homogénéité. Très applaudie, Sophie Marilley (Vologeso) montre une belle aisance dans l’articulation d’un timbre séduisant, seulement gêné par un très léger vibrato. L’idée de confier ce rôle à une femme (contrairement au disque de Bernius) apporte un incontestable confort vocal. A ses côtés, la Berenice d’Ana Durlovski offre beaucoup de caractère à son rôle, tout en montrant une belle agilité dans les vocalises, et ce malgré une projection parfois insuffisante. Sebastian Kohlhepp (Lucio Vero) dispose d’un beau timbre, assez clair, mais dont l’interprétation se révèle trop appliquée. Tout le contraire d’une rageuse Helene Schneiderman, déjà présente dans l’enregistrement de Bernius, qui offre beaucoup de relief et de couleurs à Lucilla. Les seconds rôles sont parfaits, particulièrement un superlatif Igor Durlovski en Aniceto.


Dans la fosse, l’ancien directeur musical de l’Opéra de Stuttgart, Gabriele Ferro, apporte beaucoup de dynamisme à son ensemble, parfois un peu aigre au niveau des cordes – très sollicitées. Dans l’ensemble, une très belle soirée, vivement applaudie à l’issue de la représentation. On retrouvera prochainement Niccolò Jommelli à l’affiche de plusieurs maisons d’opéra, dont Naples en mai prochain avec L’isola disabitata, ou lors du festival d’Innsbruck en août, avec Don Trastullo (La cantata e disfida di Don Trastullo).

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