vendredi 11 mars 2016

« Isbé » de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville - Müpa de Budapest - 06/03/2016

György Vashegyi
Si l’année Rameau a donné un éclairage superbe au compositeur français le plus éminent de la première moitié du XVIIIe siècle, elle ne doit pas pour autant nous faire oublier ses jeunes contemporains Boismortier, Leclair ou Mondonville, qui s’illustrèrent tous trois avec bonheur dans le genre lyrique. Ainsi du compositeur languedocien Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772), qui reste encore très méconnu en France en dehors des amateurs du baroque, et ce malgré les efforts croisés de deux disques parus en 1997 autour des Grands motets (William Christie, Erato) et de l’opéra Les Fêtes de Paphos (Christophe Rousset, L’Oiseau-Lyre). Auparavant, quelques initiatives isolées avaient cherché à faire revivre la musique du successeur d’André Campra à la charge de sous-maître de la Chapelle royale de Louis XV. On peut ainsi citer la recréation de la pastorale Daphnis et Alcimadure en 1981 à l’Opéra de Montpellier, ou encore la gravure de Titon et l’Aurore réalisée en 1992 par Marc Minkowski (pour Erato).

C’est précisément la toute première pastorale-héroïque de Mondonville qu’il nous était donné de découvrir à Budapest en version de concert, dans sa quasi-totalité – seules quelques pièces de ballet ayant été exclues afin de gagner en force dramatique. Composée en 1742, Isbé fut un échec à sa création pour celui qui voulait alors prouver qu’il était l’égal d’un Rameau. Est-ce la disparité des influences modernes qui explique cet échec? A moins que le livret relatant les hésitations amoureuses d’Isbé ne soit en cause? Toujours est-il que l’inspiration musicale de Mondonville surprend avec bonheur pendant les quelques trois heures (avec un entracte) que dure la représentation, entre effervescences vivaldiennes à l’orchestre et emphase haendélienne pour les chœurs, sans oublier de ravissants passages pastoraux délicatement accompagnés par les vents, contrastés avec des parties plus orageuses principalement incarnées par l’excellent Adamas de Thomas Dolié.

 
Thomas Dolié
Vivement applaudi à l’issue de la soirée par un public enthousiaste, le jeune baryton récompensé voilà déjà huit ans aux Victoires de la musique dans la catégorie «Révélation artiste lyrique», apporte ici toute la plénitude d’un chant désormais pleinement affirmé, superbe d’articulation et d’engagement – des qualités déjà appréciées l’an passé à Hardelot. On espère le retrouver très vite en une production scénique capable de faire ressortir ses admirables qualités d’interprète dramatique. C’est aussi l’un des atouts de Chantal Santon-Jeffery, toujours aussi irrésistible de malice et de fantaisie face à ses collègues plus sérieux en comparaison sur le plateau. Il faut dire que la soprano française dispose des deux rôles les plus intéressants de cette pastorale, se jouant des vocalises avec aisance autour d’un timbre chaud et rond. A peine lui reprochera-t-on un début un rien poussif au niveau de la diction, une qualité toujours très présente parmi les chanteurs réunis par le Centre de musique de baroque de Versailles.

C’est évidemment d’autant plus remarquable pour ceux dont la langue maternelle n’est pas le français. Ainsi de Katherine Watson, au timbre idéal de fraîcheur dans le rôle-titre, ou de la toujours impeccable Rachel Redmond. Bien connue des fidèles d’Ambronay (en 2014 et en 2015), l’Ecossaise illumine chacune de ses interventions de sa voix aérienne et gracieuse. A ses côtés, aucunes fausses notes parmi le beau plateau vocal en présence, des graves cuivrés de Blandine Folio-Peres à la ligne de chant idéale de souplesse de Reinoud Van Mechelen, également impressionnant dans la diction.



De quoi réjouir le chef d’orchestre hongrois György Vashegyi, l’un des principaux artisans de cette réussite artistique qui fera l’objet d’un prochain disque chez Glossa. Fondateur de l’Orchestre Orfeo et du Chœur Purcell entre 1990 et 1991, cet ancien élève de John Eliot Gardiner et Helmuth Rilling n’a eu de cesse d’enrichir le répertoire baroque de son insatiable curiosité, enregistrant une quinzaine de disques tous centrés sur les XVIIe et XVIIIe siècles. Il est également l’un des principaux piliers du festival baroque organisé pour la deuxième année dans la grande salle multimodale du Müpa (Müvészetek Palotája), l’ancien Palais des Arts de Budapest inauguré en 2005, où ses forces musicales sont en résidence. Doté d’une acoustique exceptionnelle, ce complexe au fonctionnement proche par beaucoup d’aspects de la Philharmonie de Paris ou du Barbican Center de Londres, est désormais l’un des lieux incontournables de la vie musicale de la capitale hongroise, aux côtés des deux grandes salles historiques de l’Opéra et du Conservatoire Franz Liszt.

la grande salle de concert du Müpa
Mais plus encore que cet écrin moderne idéal, c’est le travail exceptionnel du Chœur Purcell qui explique en grande partie la réussite de cette recréation. On aura rarement entendu diction plus précise du français de la part d’un chœur, par ailleurs d’une parfaite homogénéité. Très à l’aise, il se permet même des envolées dramatiques risquées, sans perdre de vue ses qualités d’intonation. Avant le disque en préparation, il sera possible de se rendre compte de toutes ces qualités grâce à l’enregistrement vidéo réalisé en direct, bientôt disponible sur le site internet du Müpa. De quoi aussi se délecter des forces de l’Orchestre Orfeo, dont les plus avisés sauront reconnaître le vétéran et toujours bon pied bon œil Simon Standage au premier violon. Evitant toute attaque sèche, György Vashegyi privilégie un équilibre entre musicalité et vivacité, s’attachant à ne jamais couvrir les chanteurs. S’il s’affirme davantage dans les parties strictement orchestrale, on se félicite qu’il ne prenne jamais le pouvoir face aux chanteurs ou au chœur.

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