lundi 10 décembre 2018

« Barkouf » de Jacques Offenbach - Opéra national du Rhin à Strasbourg - 07/12/2018

Jamais repris depuis sa création parisienne en 1860, l’opéra-bouffe Barkouf renaît aujourd’hui grâce aux efforts conjugués des opéras du Rhin et de Cologne (qui seul nous offrira un enregistrement discographique, avec les dialogues en allemand), tout autant que du spécialiste mondial d’Offenbach, le chef et musicologue Jean-Christophe Keck, à qui l’on doit la reconstruction de la partition et du livret. L’ouvrage fut en effet plusieurs fois remis sur le métier avant la création houleuse, effectuée dans un parfum de scandale du fait de sa satire du pouvoir en place. Auréolé de l’immense succès d’Orphée aux enfers (1858), Offenbach parvenait enfin à pénétrer le graal que représentait pour lui l’Opéra-Comique, tout en accédant dans le même temps au non moins prestigieux Opéra de Paris (alors appelé Théâtre national de l’Opéra), avec le ballet Le Papillon (1860). C’est très certainement ce prestige reconnu qui le conduisit, avec son librettiste Scribe, à oser rire de la valse du pouvoir en France depuis la Révolution de 1789, tout en moquant le fait que n’importe qui semblait désormais accéder à la fonction suprême – un chien, pourquoi pas ?

Echec à sa création, l’ouvrage pâtit certainement de ce sujet sulfureux, difficile à défendre pour tous ceux qui craignait Louis-Napoléon Bonaparte, dictateur redouté depuis son coup d’Etat sanglant en 1851 et la chasse aux sorcières qui s’en suivit. Malgré la censure, Barkouf pousse la satire aussi loin que possible, ce que les auditeurs de l’époque ne manquèrent pas de savourer, en faisant de nombreuses allusions à la jeunesse du futur Napoléon III, dont la suite rocambolesque de coups d’Etat manqués (Rome en 1831, Strasbourg en 1836 ou encore Boulogne-sur-Mer en 1840), tout autant que son appétit jamais assouvi pour les conquêtes féminines, en font un véritable personnage d’opérette. De même, les allusions au mariage forcé de Périzade et Saëb ressemble furieusement au choix épineux que dû résoudre Napoléon III en 1853 : épouser une femme aimée ou bien l’héritière d’une famille régnante ? On peut ainsi voir la figure de l’Empereur en deux personnages distincts et complémentaires de l’ouvrage, le révolutionnaire Xaïloum et le bellâtre amoureux Saëb.


Las, on comprend aisément que présenter un tel ouvrage sans le contexte historique et les codes nécessaires à sa compréhension n’a pas de sens de nos jours : la modernisation nécessaire des dialogues a de fait conduit Mariame Clément à restreindre ces aspects, ne gardant de l’allusion à Napoléon III que l’image finale des deux tourtereaux enfin couronnés, afin de lui préférer une pochade certes sympathique, mais somme toute moins savoureuse que Le Roi Carotte (voir notamment la reprise lilloise en début d’année). A sa décharge, le livret ainsi vidé de sa charge personnalisée, étale sa pauvreté d’action autour des mystifications improbables de Maïma, propriétaire du chien proclamé gouverneur. Fallait-il y voir, là aussi, une allusion à l’influence considérable d’Eugénie, l’épouse de Napoléon III, une des plus belles femmes de son temps ? Dès lors, Clément fait le choix de présenter une société totalitaire envahie par les faux-semblants et l’apparence (I), avant l’avènement et la chute de la bureaucratie complotiste (II et III) : la scénographie splendide de Julia Hansen est un régal pour les yeux. 

Pour autant, le choix d’une illustration bon enfant, moquant l’absurdité d’un travail répétitif par l’adjonction d’un mime entre les actes, minore la charge potentielle de la farce au profit de seuls gags visuels. On aurait aimé, par exemple, davantage d’insistance sur la cruauté des rapports de domination entre le Vizir et son valet, et plus encore sur les personnages secondaires au nom pittoresque (porte-épée, porte-tabouret, porte-mouchoir, etc). De même, il aurait sans doute été préférable d’exploiter davantage le fort original thème canin, ici traité de façon discrète.


Autour de cette mise en scène agréable mais sans surprise, on se félicite du plateau vocal réuni à Strasbourg, très convaincant. Ainsi de l’irrésistible abattage comique de Rodolphe Briand (Bababeck) dont on notera seulement quelques décalages avec la fosse au niveau vocal, ici et là. Un détail tant ses qualités théâtrales forcent l’admiration. A ses côtés, Pauline Texier (Maïma) endosse le rôle le plus lourd de la partition avec une belle vaillance vocale pour une voix au format si léger, tour à tour gracieuse et charmante. Il faudra cependant encore gagner en agilité dans l’aigu et en force d’incarnation pour rendre plus crédible le virage autoritaire de son personnage en deuxième partie. Fleur Barron (Balkis) ne manque pas de puissance en comparaison, autour d’une émission d’une rondeur admirable. On aimerait l’entendre dans un rôle plus important encore à l’avenir. Son français est fort correct, à l’instar de l’autre non francophone de la distribution, Stefan Sbonnik (Xaïloum). Autre belle révélation, avec les phrasés ensorcelants du très musical Patrick Kabongo (Saëb), idéal dans ce rôle, tandis que Nicolas Cavallier compose un superlatif Grand-Mogol.

On conclura en regrettant la direction trop analytique et allégée de Jacques Lacombe, qui peine à donner l’électricité et l’entrain attendu dans ce type d’ouvrage. Même si ce parti-pris a, au moins pour avantage, de ne pas couvrir les chanteurs, on aimerait donner davantage de folie et d’emphase à ce geste trop policé.

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