mardi 14 janvier 2020

« Rusalka » d'Antonín Dvořák - Alan Lucien Øyen - Opéra des Flandres à Gand - 11/01/2020


Nouveau directeur artistique de l’Opéra flamand / Opera Ballet Vlaanderen, depuis le début de la saison 2019-2020, Jan Vandenhouwe s’est fait connaître en France comme dramaturge, notamment à l’occasion de son travail avec Anne Teresa de Keersmaeker pour le Cosi fan tutte présenté à l’Opéra de Paris. Avec cette nouvelle production de Rusalka (1901), c’est à nouveau à un chorégraphe qu’est confiée la mission de renouveler notre approche de l’un des plus parfaits chefs d’œuvre du répertoire lyrique : en faisant appel au norvégien Alan Lucien Øyen, artiste en résidence au Ballet national à Oslo, Vandenhouwe ne réussit malheureusement pas son pari, tant l’imaginaire visuel minimaliste ici à l’oeuvre, réduit considérablement les possibilités dramatiques offertes par le livret.

Øyen choisit en effet de circonscrire l’action dans un décor unique pendant toute la représentation, qui évoque une sorte de monumental double paravent en bois, proche d’une élégante sculpture contemporaine. Les interstices laissent entrevoir des jeux d’éclairage intéressants, dont les couleurs dévoilent alternativement les univers humains et marins, sans toutefois apporter de réelle valeur ajoutée à la compréhension des enjeux. On constate très vite qu’Øyen manque d’idées et se contente d’une illustration décorative, mettant au premier plan les danseurs qui doublent les chanteurs (trop statiques), à la manière du travail réalisé par Pina Bausch dans Orphée et Eurydice à l’Opéra de Paris. Là où Bausch nous avait émerveillé en restant au plus près des intentions musicales et dramaturgiques de l’ouvrage, Øyen s’enlise dans des mouvements trop répétitifs, aux ondulations nerveuses et désarticulées, au centre de gravité très bas. Si l’animalité qui en découle peut convenir à l’évocation du merveilleux (ondine et sorcière réunis), on est beaucoup moins convaincu en revanche sur le travail peu différencié réalisé avec le Prince et ses courtisans.

Le plateau vocal réuni permet de retrouver la Rusalka de Pumeza Matshikiza, entendue récemment à Strasbourg. On avoue ne pas comprendre l’enthousiasme du public pour cette chanteuse très inégale, au timbre rocailleux, à l’émission souvent trop étroite, hormis lorsque la voix est bien posée en pleine puissance. Peu à son aise dans les accélérations, la Sud-Africaine ne convainc pas non plus au niveau interprétatif, à l’instar du pâle Prince de Kyungho Kim qui semble réciter son texte. Si le ténor coréen séduit par ses phrasés souples, naturels, bien placés dans l’aigu, il manque de graves pour convaincre totalement au niveau vocal. On perçoit le même défaut de tessiture chez Goderdzi Janelidze qui donne toutefois à son Ondin des intentions plus franches, à la voix généreuse dans l’éclat. Maria Riccarda Wesseling incarne quant à elle une Jezibaba à la technique propre et sans faille, un rien timide dans les possibilités dramatiques de son rôle, tandis que Karen Vermeiren donne à sa Princesse étrangère la solidité vocale requise. La satisfaction vient davantage des seconds rôles, à l’instar du truculent Daniel Arnaldos (Le garde forestier), à l’expression haute en couleur admirable de justesse, ou des parfaites et homogènes trois nymphes.
Giedrė Šlekytė
Mais c’est peut-être plus encore la direction constamment passionnante de la Lituanienne Giedrė Šlekytė (née en 1989) qui surprend tout du long par son à-propos dans la conduite du discours narratif : on aura rarement entendu une telle attention aux nuances, une construction des crescendos aussi criante de naturel, le tout en des tempi vifs, à l’exception notable des pianissimi langoureux. L’étagement des pupitres, comme l’allègement des textures, est un régal de subtilité, même si on aurait aimé davantage de noirceur dans les parties dévolues à l’Ondin ou à la sorcière. Cette baguette talentueuse devrait très vite s’imposer comme l’une des interprètes les plus recherchées de sa génération. A suivre.

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