samedi 18 janvier 2020

« Le Code noir » de Louis Clapisson - Centre des Bords de Marne au Perreux-sur-Marne - 16/01/2020


Complètement oublié depuis la fin du XIXe siècle, Louis Clapisson (1808-1866) a pourtant représenté pour plusieurs générations la figure de l’académisme encensé par ses pairs, lui valant son fait de gloire le plus connu lorsqu’il bat Berlioz pour succéder à Halévy à l’Académie des Beaux-Arts en 1854. Plus étonnant, on rappellera que l’achat de sa collection d’instruments de musique par l’Etat est à l’origine de la création du tout premier Musée instrumental national, ancêtre de l’actuelle collection basée à la Philharmonie. Même si on peut lui reprocher un manque d’originalité, la musique bien troussée de Clapisson mérite pourtant d’être revisitée, tant sa grâce et sa fluidité rappellent ses prédécesseurs Adam et Auber. On ne peut donc que féliciter Jérôme Correas de faire revivre sa musique à l’occasion d’une tournée à travers toute la France, commencée l’an passé à Quimper, et qui devrait se poursuivre jusqu’en 2021 avec plusieurs dates non encore annoncées. Le sujet de l’ouvrage, qui situe l’action au XVIIIe siècle, donne aussi tout son intérêt à cette recréation.

Six ans avant l’abolition officielle de l’esclavage dans les colonies françaises, Louis Clapisson et son librettiste Eugène Scribe surprennent en plaçant le sujet sur le devant de la scène avec l’opéra-comique Le Code noir (1842). Clapisson obtient alors un succès modeste, loin du triomphe de 1856 avec La Fanchonnette, et ce malgré un incontestable savoir-faire dans l’orchestration (savoureux détails piquants aux vents, à la manière de Meyerbeer) ou dans la variété des scènes exotiques – de l’orage à la vente aux enchères des esclaves, sans parler de la figure de Zamba, câpresse de caractère qui aurait pu donner son nom à l’ouvrage tant son rôle est marquant, tour à tour séductrice et cartomancienne, plus fragile ensuite lorsque ses secrets se dévoilent. Malgré son titre accrocheur, le livret ne cherche pas à défendre un point de vue politique, préférant se concentrer sur un marivaudage bien ficelé, même si l’on pourra sourire à la conclusion hâtive des différentes sous-intrigues. Afin de pallier ces défauts et contextualiser davantage le propos, Jérôme Correas a la bonne idée d’ajouter en préambule la lecture d’extraits du code noir, et le spectacle se conclut par un texte court et fort d’Aimé Césaire, à propos de la révolte qui gronde dans les colonies.

Avec peu de moyens, notamment pour ce qui est de la scénographie unique pendant tout le spectacle, Jean-Pierre Baro reste au plus des intentions du livret, notamment en figurant bien l’opposition entre colons et esclaves dans les costumes. On aime aussi la mise en valeur des éléments à l’extérieur de la maison, de la fine pluie à l’orage (toutes deux en forme de métaphore de la tension sous-jacente), tandis que l’ajout de la musique moderne en arrière-scène, lorsqu’une fête est donnée au II, apporte un peu de fantaisie. C’est principalement sur une direction d’acteur soutenue que Jean-Pierre Baro trouve une vérité dramatique prenante – pour preuve la parfaite concentration du public (scolaires compris) pendant les deux heures de représentation sans entracte.


 
Jérôme Correas se montre particulièrement affuté dans la fosse, donnant une belle énergie à ses troupes, tandis que l’effectif allégé aux cordes fait ressortir les saillies savoureuses aux vents, tels les appels de cors et de basson qui évoquent le rapport dominé-dominant inhérent à la chasse à courre. Le directeur et fondateur des Paladins, depuis 2001, a su réunir un plateau vocal d’une belle homogénéité, tout à fait à la hauteur de l’événement. Autour des impeccables Nicolas Rigas (Feuquière) et Jean-Loup Pagésy (Palème), aux phrasés confondants de naturel, le jeune ténor Martial Pauliat (né en 1992) se distingue dans son rôle de Donatien, entre parfaite maîtrise technique et éclat, le tout avec un bel aplomb. Seules les parties parlées apparaissent un rien en retrait.

A ses côtés, Marie-Claude Bottius (Zamba) est plus inégale vocalement, du fait d’une émission étroite mise en difficulté dans les accélérations, où le timbre perd en substance. C’est d’autant plus dommage qu’elle laisse entrevoir de superbes couleurs dans les parties plus apaisées, sans parler de ses intentions dramatiques. Insolente d’aisance, Isabelle Savigny (Gabrielle) en fait parfois trop au niveau théâtral, tandis que la petite voix charmante et touchante de Luanda Siqueira (Zoé) fait mouche à chaque intervention. Enfin, Jean-Baptiste Dumora impose une belle vaillance dans la projection, et ce malgré un chant un peu raide qui n’évite pas quelques décalages avec la fosse.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire