mardi 28 septembre 2021

« Robert Le Diable » de Giacomo Meyerbeer - Marc Minkowski - Auditorium de Bordeaux - 25/09/2021


Heureux public bordelais ! Il est finalement bien rare de ressortir d’un concert avec des étoiles plein les yeux, de celles qui laissent un sentiment d’euphorie bien après l’événement passé : c’est pourtant ce qu’a réussi l’Opéra national de Bordeaux pour son ouverture de saison, en proposant un plateau vocal de classe internationale au service de la réhabilitation de Robert Le Diable. Créé à Paris avec un immense succès en 1831, le dixième opéra de Meyerbeer est rarement donné de nos jours, du fait d’une action statique et d’un livret trop littéraire, sans parler de sa durée (4h30 avec deux entractes) rébarbative pour de nombreux mélomanes. C’est pourtant là une grave erreur, tant la partition entraînante et colorée, regorge d’inventivité (cf les détails d’orchestration), ménageant des scènes de caractère variées et spectaculaires

Souvent qualifié de grand opéra, l’ouvrage lorgne davantage vers le drame romantique moyenâgeux (proche du style de Weber), tout en gardant des traces de son écriture initiale en tant qu’opéra comique, avec notamment une scène bouffe irrésistible de drôlerie au III entre Bertram et Raimbaut. Ce même acte, le plus réussi des cinq, contient la scène la plus marquante de tout l’opéra : le macabre ballet des nonnes aux fulgurances piquantes, parfaitement intégré à l’action. Plusieurs airs montrent aussi tout le talent du compositeur à ciseler des bijoux d’expressivité et de précision rythmique – le tout parfaitement mis en valeur par l’énergie communicative de Marc Minkowski, maître en la matière. L’Orchestre national Bordeaux Aquitaine, qui n’a décidément rien à envier à son équivalent toulousain plus connu, participe à la réussite de la soirée, à force d’engagement et d’électricité bienvenus.

On aimerait vivement pouvoir bénéficier d’une mise en scène du chef d’oeuvre de Meyerbeer, à même de faire vivre ces différents tableaux : la dernière production parisienne remonte ainsi à …1985 dans la production de Petrika Ionesco, avec là aussi un plateau vocal de rêve : June Anderson, Samuel Ramey… En attendant, la mise en espace proposée à Bordeaux par Luc Birraux (né en 1989) déjoue toutes les attentes en apportant beaucoup de fantaisie et de plaisir. D’abord discret, le travail du dramaturge se déploie au niveau de la variation des éclairages, tout en jouant sur les volumes avec les éléments techniques mouvants. Mais c’est surtout l’idée de commenter l’action en arrière-scène, en s’appuyant sur les nombreuses et précises didascalies de Meyerbeer (toujours très intéressé par la mise en scène de ses ouvrages) qui apporte une malice inattendue à la soirée. Peu à peu, le récit gagne en liberté et en humour, gardant toujours beaucoup d’esprit et de finesse. On se surprend à imaginer avec le metteur en scène le détail de chaque scène et la forme qu’elle aurait pu prendre, au gré d’une imagination qui vagabonde joyeusement.

La perfection sonore à l’oeuvre sur scène nous ramène vite à l’essentiel : voilà un plateau vocal proche de l’idéal, du moins de nos jours. A tout seigneur tout honneur, John Osborn fait valoir toute sa classe vocale dans le rôle-titre, irradiant de souplesse et de naturel dans l’émission, le tout au service d’une diction française quasi-parfaite. On peut seulement lui reprocher de ne pas avoir suffisamment appris le rôle (ce qui occasionne le recours constant à une tablette tactile pour se rappeler son rôle) : dès lors, l’émission patine quelque peu dans les accélérations, au détriment du texte. Gageons que l’enregistrement réalisé par les équipes du Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française (à paraître chez Glossa, comme à l’habitude) saura gommer ces quelques imperfections. A ses côtés, Erin Morley (Isabelle) reçoit la plus belle ovation de la soirée, amplement méritée : méconnue en Europe, l’Américaine a les mêmes qualités de diction que son compatriote, tout en proposant des nuances d’une infinité subtilité au niveau dramatique. Le timbre de velours bénéficie d’une technique sans faille, qui impressionne dans la longueur parfaitement maîtrisée des tenues de note. Erin Morley fait partie de ces chanteuses qui donnent le frisson et que l’on espère entendre au plus vite.

L’autre grande performance de la soirée est à mettre au crédit de Nicolas Courjal, dont le rôle diabolique de Bertram lui va comme un gant. On a rarement entendu une telle aisance dans la nécessaire articulation entre théâtre et chant, tant le Rennais fait un sort à chaque note avec une imagination réjouissante. Sa morgue et ses intonations sont un régal constant, vivement applaudi par le public à l’issue de la représentation. Amina Edris (Alice) obtient elle aussi une ovation nourrie, parfaitement justifiée, tant son engagement force l’admiration. La soprano égyptienne fait montre de nombreuses qualités vocales, de l’aigu aisé aux graves charnus, sans parler des subtilités dans les piani. On peut juste lui reprocher un timbre un rien plus métallique et dur dans la puissance de l’aigu, mais ça n’est là qu’un détail à ce niveau. Visiblement émue par l’accueil chaleureux obtenu, Amina Edris nous a sans doute offert le moment d’émotion partagée le plus sincère de la soirée. Tous les seconds rôles montrent un niveau superlatif, tandis que le choeur réparti spatialement en deux parties bien distinctes fait entendre un déséquilibre entre hommes et femmes – ces dernières se montrant supérieures dans la précision des attaques et la diction.

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