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| Ainārs Rubikis | 
« Grandeur et élégance » clame le programme de l’Orchestre national 
d’Ile‑de‑France, qui fête ainsi en grande pompe ses cinquante ans autour
 de la réunion d’œuvres d’horizons très variées, entre pièces 
contemporaine, néoclassique et romantique. Le concert débute avec la 
création de la Bacchanale de Joel Järventausta (né en 1995), une 
commande offerte au titulaire du prix Ile de créations (désormais 
remplacé par le prix Elan) en 2019. Cette courte pièce de cinq minutes 
environ force à la concentration d’emblée par un bref tutti 
immédiatement suivi d’une atmosphère mystérieuse dans les piani, 
avec force couleurs et effets de bruitages contemporains. Le Finlandais 
montre là toute sa maîtrise des ressources de l’orchestre, avec un sens 
des enchaînements très fluide et toujours envoûtant.
Après cette brève pièce en guise d’apéritif, le concert prend une toute autre allure avec les délices de raffinement du Concerto pour deux pianos
 (1932) de Poulenc, qui montre tout l’esprit vif et piquant des 
différentes influences entremêlées par son auteur. Se succèdent ainsi 
plusieurs hommages à des compositeurs illustres, dont Mozart, mais aussi
 un foisonnement de rythmes forains et jazzy, au rayonnement lumineux. 
Le Geister Duo, formé voilà dix ans et ayant à son actif deux disques 
remarqués (notamment le second,
 consacré à Debussy et Stravinsky), imprime sa marque par un élan 
enthousiaste, au ton franc et direct, qui ne cherche jamais à prendre le
 pouvoir sur l’orchestre. Toujours très précis dans l’écoute mutuelle, 
les deux pianistes laissent entrevoir quelques infimes différences de 
style, des virtuosités sans état d’âme de David Salmon aux subtilités 
plus discrètes de Manuel Vieillard, en lien avec l’esprit de la 
partition. En bis, les deux Français offrent un moment de douce poésie 
avec la version pour piano à quatre mains du « Jardin féerique » de Ma mère l’Oye (1908) de Ravel, interprété sans affèterie, ni effets, en toute sobriété.
Après l’entracte, le public a la surprise de découvrir une scène 
désormais remplie du double de musiciens, pour exécuter la redoutable Quatrième Symphonie (1874/1888) de Bruckner. Comme il y a dix ans avec la même formation à Besançon, on retrouve Ainārs Rubikis (né 
en 1978) dans un programme étonnamment proche, également ponctué d’une 
grandiose seconde partie. D’emblée, tous les regards se tournent vers le
 premier cor Robin Paillette (né en 1985), sur qui repose la réussite 
des premières mesures inoubliables, avec son solo qui s’élève en majesté
 sur un tapis de cordes frémissant. Tout au long de la soirée, le 
corniste sait marier sa solidité technique, sans faille, aux réparties 
plus raffinées qui le sollicitent dans les autres mouvements, notamment 
dans l’Andante, quasi allegretto.
C’est d’autant plus remarquable que la direction de Rubikis met 
précisément en valeur les saillies individuelles, surtout dans les 
passages pastoraux, en allégeant les textures et en ralentissant les 
tempi ostensiblement, en contraste avec le rythme plus soutenu des tutti
 cuivrés. Le Letton fait ainsi ressortir des détails d’une grande 
lisibilité, parfois impressionnant de solennité lunaire, comme si le 
temps était en suspension, notamment dans l’exploration des sonorités 
dans les graves. On gagne ainsi en couleurs et en variété ce que l’on 
perd en compréhension de l’architecture globale, notamment dans l’Andante,
 un peu trop déstructuré, qui renforce l’impression de collage des 
différents thèmes. Malgré un bref cafouillage au tout début du dernier 
mouvement, le concert impressionne par la tenue d’ensemble, d’une grande
 solidité technique, avec quelques belles individualités, entre chant 
ardent des violoncelles, crépitement des bois ou vigueur millimétrée des
 percussions. Parmi eux, se distingue l’excellent Florian Cauquil aux 
timbales, notamment mis en valeur par quelques scansions marquées lors 
du Scherzo.
Quel bonheur, aussi, de constater que le public a retrouvé le chemin des
 concerts, comme le prouve la vente à guichets fermés pour cette soirée 
anniversaire de l’Orchestre national d’Ile‑de‑France. Ce concert très 
réussi démontre une fois encore toute l’excellence de cet ensemble, qui 
force toujours autant l’admiration par sa capacité à diffuser son 
ambition artistique dans les moindres petites communes d’Ile‑de‑France, 
les plus reculées soient‑elles. 

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