Faut-il revisiter Médée en pure victime des hommes ? Marie-Eve Signeyrole ose une relecture d’une force théâtrale parfois inégale mais toujours stimulante. De quoi vivifier la rare version originale de l’ouvrage, avec ses dialogues en français, accompagnée par une Laurence Equilbey et un chœur en grande forme, autour d’un plateau de bonne tenue.
Parmi les plus grands succès de Cherubini, Médée
a surtout survécu dans sa version avec récitatifs. La version originale
en français a certes été redonnée à Paris en 2012 au Théâtre des
Champs-Élysées, mais avec des dialogues entièrement réécrits. La mouture
versifiée est donc une curiosité, aux dialogues resserrés mais
augmentés de quelques ajouts contemporains, afin de renforcer le rôle
des enfants, mais aussi de la Médée plus âgée, interprétée par une
comédienne.
On est immédiatement saisi par la grande force déclamatoire de cette
version, qui rapproche Cherubini de l’efficacité dramatique d’un Gluck,
en incorporant plus naturellement les chœurs majestueux, sans effets
appuyés. Avec les forces toujours aussi mordantes d’accentus, on tient
là un des atouts décisifs de la soirée.
On ne tarit pas non plus d’éloges sur la direction de Laurence Equilbey,
qui fait oublier les sonorités parfois ternes des cordes et la verdeur
de ses bois d’époque par une vitalité d’une précision rythmique très
attentive à l’éventail dynamique. C’est d’autant plus appréciable que
Cherubini soigne chacun de ses actes par une introduction orchestrale
d’une inspiration éloquente, que la mise en scène anime de plusieurs
vidéos pour enrichir le récit.
Les événements précédents sont ainsi évoqués rapidement, du vol de la toison d’or jusqu’à la tempête qui a amené Médée et Jason en Corinthe. Surtout, Marie-Eve Signeyrole place d’emblée les deux enfants du couple au centre de l’attention, en les montrant dans des situations quotidiennes ou occupés à chahuter. Pour autant, la vidéo semble prendre trop de place dans le splendide air de Néris, tout en lassant par certaines naïveté et redondance.
Pour relever le défi d’une interprétation théâtrale à la hauteur des nécessités vocales, le choix de la soprano d’origine libanaise Joyce El-Khoury, bien qu’annoncée souffrante, s’avère pertinent pour faire vivre le rôle-titre d’un à-propos toujours juste et équilibré, autour d’une diction admirable. Seul le suraigu criard, surtout dans les accélérations, reste en dessous des attentes. On aime aussi la morgue de Julien Behr (Jason), qui fait valoir une émission naturelle et parfaitement projetée, un rien nouée et quelque peu métallique au début.
Bien qu’un peu raide au niveau théâtral, Edwin Crossley-Mercer compose un Créon d’une force expressive tonitruante, à la ligne admirable d’homogénéité. Si Lila Dufy (Dircé) assure bien sa partie, c’est surtout Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Néris) qui remporte tous les suffrages à l’applaudimètre, pour son timbre merveilleux de rondeur autant que sa ligne de chant de grande classe.
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