Parmi les opéras inspirés par l’Inde au XXe siècle, tels que Sita de Holst (voir à Sarrebruck l’an passé) et surtout Padmâvatî de Roussel (voir à Paris en 2008), Satyagraha
(1980) voit son aura grandir sur toutes les scènes lyriques, y compris
dans notre pays, longtemps réfractaire au courant minimaliste. La renommée de son compositeur Philip Glass (88 ans) s’appuie sur une
carrière prolifique en de nombreux domaines, des symphonies aux musiques
de film (dont The Hours en 2002), tout en restant ornée des
premiers succès opératiques de la trilogie des années 1970 dédiée à des
portraits de personnages célèbres : Satyagraha (1980) en constitue le deuxième volet indépendant, après Einstein on the Beach (1976) et Akhenaton
(1983). L’Opéra de Nice a déjà présenté l’ouvrage consacré au célèbre
pharaon en 2020, pendant la pandémie, avant de poursuivre aujourd’hui
avec la figure de Gandhi.
On retrouve pour ces deux productions une figure emblématique en la
personne de la chorégraphe Lucinda Childs, qui a participé à la création
d’Einstein on the Beach, en tant que coauteur et interprète.
C’est donc là une caution de choix pour cette artiste proche de Glass
par son art tout aussi économe, entre gestes répétitifs et harmonieux,
qui s’insèrent parfaitement dans l’ambiance hypnotique à l’œuvre ici. La
danse ne prend jamais le pouvoir, en incluant les chanteurs dans les
mouvements, tout en jouant sur la géométrie et les volumes (avec une
plateforme à deux niveaux sur scène, ainsi qu’une passerelle devant
l’orchestre). Alternant processions et rituels, les interprètes chantent
à différents endroits de la salle, en embrassant ainsi la totalité de
l’espace, à l’instar des vidéos omniprésentes d’Etienne Guiol : ces
dernières impressionnent durablement, du fait de leur projection bien
au‑delà de la scène, sur les balcons et sur le plafond de l’élégante
salle de l’Opéra de Nice.
Il est d’ailleurs à noter que le directeur, Bertrand Rossi, a eu la
bonne idée de faire appel à cet artiste formé à l’école de dessin Emile
Cohl pour créer un spectacle immersif à 360°, appelé « Une journée à
l’Opéra » et créé pendant l’été 2025. La concomitance de ces deux
projets explique la qualité exceptionnelle des projections, qui plongent
le spectateur en un envoûtement permanent, faisant la part belle aux
motifs géométriques comme à l’écriture en sanskrit (la langue des textes
sacrés hindous, choisie par Glass pour les parties chantées). Le
spectacle refuse de se plier à une narration trop explicite au niveau
visuel (à l’exception de barreaux de prison projetés pendant l’épisode
de l’enfermement de Gandhi en Afrique du Sud), laissant l’auditeur se
concentrer sur le texte, entre profondeur poétique, religieuse et
philosophique.
Le plateau vocal doit beaucoup à la prestation toute de mesure et d’équilibre de Sahy Ratia, qui porte la déclamation de Gandhi sans ostentation, avec une confiance sereine adaptée au personnage. Son timbre clair et son émission souple l’aident beaucoup dans cette optique, en lien avec les intentions spirituelles de l’ouvrage. On aime aussi les couleurs et les graves bien articulés de Karen Vourc’h, à l’inverse d’une Melody Louledjian trop sonore par rapport à ses partenaires. Le reste de la distribution montre une belle homogénéité, très applaudi en fin de soirée par le public, à juste titre ravi par cette production mémorable.
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