lundi 12 mars 2012

« Invasion ! » de Jonas Hassen Khemiri - Théâtre 71 de Malakoff - 08/03/2012

Le Théâtre 71 à Malakoff accueille la reprise d’« Invasion ! », comédie familiale extravagante qui ose parler d’identité et du fantasme de la peur de l’étranger. L’air de rien et avec une redoutable efficacité.




Un véritable phénomène. À seulement 25 ans, Jonas Hassen Khemiri obtient du jour au lendemain une notoriété considérable en Suède, son pays natal, avec la publication en 2003 de son premier roman Un œil rouge. Le jeune homme s’inspire de la Vie devant soi de Romain Gary, et fait parler son héros de 15 ans avec un langage truffé de fautes d’orthographe et de grammaire. Né d’un père tunisien et d’une mère suédoise parlant le français, Jonas Hassen Khemiri est rapidement fasciné par les multiples possibilités des langues qu’il maîtrise à son tour, en plus de l’anglais. Il confesse ainsi que sa mère devient beaucoup plus chaleureuse lorsqu’elle s’exprime en français ou que son père est plus drôle lorsqu’il plaisante en arabe.

L’amour des mots et le jeu autour de la langue prennent une place importante dans Invasion !, la première pièce du jeune auteur suédois, écrite en 2006. L’utilisation du terme fourre-tout « Abulkacem », par des adolescents à la recherche d’un langage fédérateur, fait ainsi l’objet des premières scènes dont Khemiri ne cache pas la part autobiographique. D’abord innocent, le terme va rapidement déborder son cadre d’origine et incarner le fantasme de l’étranger dangereux qu’il convient de traquer pour se protéger. L’analogie avec Ben Laden est ici évidente, et le metteur en scène Michel Didym s’en amuse, convoquant les images de Georges Bush ou Condoleezza Rice pour illustrer son propos.

Une comédie loufoque et parodique

Créée en France en 2007 au festival d’été de Pont-à-Mousson, le spectacle de Michel Didym a été repris ensuite au Théâtre des Amandiers de Nanterre, avant une vaste tournée en France et en Belgique. Le fondateur de la M.E.E.C. (Maison européenne des écritures contemporaines) se régale de la comédie loufoque de Khemiri, particulièrement dans les scènes parodiques de psychose anti-Abulkacem. Didym ne force ainsi jamais le trait pour ridiculiser le présentateur de télévision narcissique et écervelé (irrésistible Luc-Antoine Diquéro), accompagné d’un panel d’experts aussi incompétents que farfelus.

Accompagné par la musique du groupe de rock Garçons d’étage, le spectacle impose un rythme endiablé à ses comédiens, qui interprètent plusieurs rôles à intervalle serré. Si les rôles d’adolescents au langage de banlieue peinent à dépasser la caricature (Zakariya Gouram particulièrement), tous les autres sont parfaitement maîtrisés. Julie Pilod se montre ainsi impressionnante dans le rôle de la traductrice manipulatrice et retorse, imprimant dans son regard toutes les sensations qui la traversent. Quentin Baillot distille quant à lui une émotion brute, particulièrement rude dans l’éprouvante scène finale.
Car c’est dans sa dernière partie que la pièce de Jonas Hassen Khemiri prend toute sa dimension par un nouveau contre-pied particulièrement efficace. Alors que la comédie devient plus grinçante, la dénonciation subtile prend un tour glaçant, le récit du fait-divers sordide balayant brutalement le fantasme Abulkacem. Délivré des malentendus et des clichés autour de l’autre, la réalité de l’homme ordinaire, du Suédois banal, nous ramène à l’évidente solitude de notre être. Et si l’autre, c’était moi ? À moins que ça ne soit l’inverse ?

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