jeudi 29 mars 2012

« Mort d’un commis voyageur » d'Arthur Miller - Théâtre des Gémeaux à Sceaux - 22/03/2012

Après " Qui a peur de Virginia Woolf " d’Edward Albee, Dominique Pitoiset se met en scène dans une nouvelle pièce consacrée au théâtre nord‑américain du xxe siècle. Un spectacle visuellement réussi, mais qui manque d’émotion. 

Honnête représentant de commerce qui parcourt les routes pour gagner sa vie, Willy Loman est un homme ordinaire. De ceux à qui l’on a vendu un mythe : le rêve américain et ses promesses d’ascension sociale par le travail, fondé sur l’édification d’une famille tout entière tournée vers ce but. Lorsque les années passent, que la fatigue des longs déplacements s’accumule, le père de famille constate qu’il n’a, pas plus que ses fils, gravi les échelons tant désirés. Acculé par les dettes, viré de son travail sans ménagement, Willy Loman reste incapable de se réinventer, prisonnier d’un logiciel unique de pensée exclusivement tourné vers la réussite, mais muet pour aider ceux qui échouent.

Héritière du réalisme social cher à Henrik Ibsen, la pièce Mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller – à ne pas confondre avec son compatriote, l’écrivain contemporain Henry Miller – obtient le célèbre prix Pulitzer en 1949. Broadway lui réserve un triomphe et encense son metteur en scène Elia Kazan, celui‑là même qui, quelques années plus tard, dévoile les sympathies communistes de son ami Arthur Miller et commet avec son film Sur les quais, une apologie de la dénonciation, opportunément oscarisée en ces temps de chasse aux sorcières. L’ancien mari de Marylin Monroe choisit quant à lui de lutter courageusement contre cette hystérie collective avec sa célèbre pièce les Sorcières de Salem.

Des rythmes déconcertants

On comprend dès lors toute l’aura d’Arthur Miller aux États-Unis, alors qu’il reste encore assez peu joué en France. On ne peut donc que se féliciter d’une nouvelle production du premier chef‑d’œuvre de Miller, créée par Dominique Pitoiset en mars 2010 et reprise cette année en tournée à Bordeaux, Sceaux et Marseille. Le directeur du Théâtre national de Bordeaux propose une scénographie épurée, au décor unique composé d’une vaste colline de gazon qui envahit tout l’espace, avec une voiture accidentée en son centre. Les comédiens déambulent autour, et matérialisent les changements de scène au moyen de différents accessoires, parfois aidés par les éclairages (magnifiques contre‑jours notamment) ou la musique très présente (souvent en décalage, avec des airs guillerets). Le metteur en scène adopte cependant des rythmes déconcertants, accélérant les premières scènes et ralentissant au contraire la respiration de la dernière partie de la pièce, avant le drame final.

L’ensemble de ces choix nécessite des comédiens particulièrement affûtés, capables de suppléer à l’épure par la force de leur jeu. Malheureusement, hormis Pitoiset en impeccable imposteur pitoyable, seul Pierre‑Alain Chapuis apporte une véritable densité au rôle de l’ami à qui Willy Loman refuse la main tendue, celle d’une aide sincère et désintéressée. Les autres rôles s’en sortent passablement, tandis que Nadia Fabrizio surjoue l’épouse pathétique au fil de ses interventions.
On sort de la salle un peu déboussolé, avec cette impression d’un spectacle dont l’émotion est absente malgré ses qualités visuelles. Un léger goût d’inachevé.

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