jeudi 26 juillet 2012

« Riviera » d'Emmanuel Robert-Espalieu - Théâtre du Chêne noir à Avignon - 21/07/2012

Fréhel, vous savez, cette chanteuse d’avant Piaf ? Étoile filante aux ailes abîmées par les drogues, amoureuse éperdue de Maurice Chevalier. Une immense Myriam Boyer lui redonne vie, dans toute sa force et sa fragilité.
Myriam Boyer
Une carte postale qui évoque la Riviera. Une vieille femme la regarde tous les jours dans son meublé minable de Montmartre. Cette promesse d’ailleurs, d’une vie meilleure, n’est pas l’espoir de quitter la misère pour rejoindre les palaces de la côte. C’est celui de retrouver l’homme aimé, jamais oublié, celui qui, au soir de sa vie, fait rêver la chanteuse Fréhel une dernière fois. Maurice Chevalier, cet amour de jeunesse si vite perdu, se tient là dans la pénombre. À peine visible, il lui demande si sa valise est prête.
Fréhel, grande chanteuse du répertoire « réaliste » des années 1910-1920, a vécu. À cent à l’heure. Alcool, cocaïne, rien ne l’épargne. D’une brève relation avec Maurice Chevalier, l’interprète de la Java bleue ne se remet jamais vraiment. Rapatriée de Turquie dans un état pitoyable en 1923, Fréhel remonte sur les scènes puis tourne au cinéma, avec Jean Renoir notamment, mais son physique ne se remet pas de ce déclin. Elle est considérablement empâtée, sa vie sentimentale est un échec, sa fin de vie un désastre.
Lumineuse Myriam Boyer
De ce riche matériau, le texte d’Emmanuel Robert‑Espalieu choisit de ne retenir que la dernière partie crépusculaire, celle de la déchéance et des derniers espoirs de la chanteuse. Les dialogues savoureux qui s’installent entre Fréhel et Maurice Chevalier, ou avec la jeune Paulette, nous ramène à ce Paris populaire d’après‑guerre, dans une langue vive, spontanée, sans faux‑semblants.
Peu de péripéties, peu d’action. La chanson elle‑même n’est pas si présente, juste évoquée comme un souvenir qui s’échappe de l’esprit vieillissant de la chanteuse. Une seule présence suffit à illuminer le texte. Myriam Boyer, de sa voix grave imposante, donne à son personnage une humanité fragile et robuste à la fois, tel un monument prêt à sombrer. Cette force intérieure, ce ton juste impressionne. Le caractère et la folie lumineuse de Fréhel sont là, sous nos yeux. À ses côtés, ses deux jeunes partenaires apportent la réplique, et fort bien. Mais on ne voit qu’elle. Myriam est Fréhel.
Une aura de mystère
Impossible dans ce jeu hypnotique de déceler les infimes subtilités de la mise en scène de Gérard Gelas, le fondateur du Théâtre du Chêne‑Noir. Les variations d’éclairage apportent une aura de mystère aux apparitions de Maurice Chevalier, tandis que la scénographie légère évoque la misère affective et matérielle de Fréhel. Ces sobres moyens, efficaces et élégants, sonnent juste. Comme la comédienne. Myriam Boyer, un oiseau rare si précieux qui fait revivre « l’inoubliable inoubliée », aussi bien pour les amoureux de la chanteuse que pour le portrait touchant d’une vieille dame qui ose rêver encore.

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