vendredi 21 juin 2013

« Romeo & Juliet » d'après William Shakespeare - Vingtième Théâtre - 19/06/2013

Vincianne Regattieri s’empare de « Roméo et Juliette » pour en faire un tourbillon glamrock aussi déroutant qu’imprévisible. Si quelques parties, vocales notamment, sont encore en rodage, l’énergie déployée sur scène par d’excellents comédiens emporte l’adhésion.


On ne compte plus les adaptations plus ou moins réussies de Roméo et Juliette, l’une des pièces les plus jouées de Shakespeare. Rançon inévitable de la gloire ? Jusqu’à récemment encore, plusieurs jeunes compagnies s’y sont cassé les dents, de Roméo et Juliette la version interdite à Il était une fois Roméo et Juliette, n’hésitant pas à raccourcir et moderniser un texte publié en 1597. Créé en 2012 dans le cadre du festival parisien Onze bouge puis du Festival d’Anjou (prix du Jury), la nouvelle adaptation d’Alain Sizey et Vincianne Regattieri concentre le propos sur le couple amoureux, réduisant les autres personnages à la portion congrue. Seuls les rôles de la Nourrice et du Frère Laurent conservent une place conséquente.
L’attrait de cette production consiste surtout à faire interpréter l’ensemble des rôles par des hommes *, y compris Juliette désormais appelée Juliet en référence au prénom anglais de l’héroïne (s’ajoutant en cela aux nombreux anglicismes présents dans l’adaptation). La nourrice devient de son côté un travelo qui fait irrésistiblement penser à la savoureuse duègne d’Alice Sapritch dans le film la Folie des grandeurs. Embarqué dans le tourbillon d’une mise en scène tout feu tout flamme de Vincianne Regattieri, on oublie assez vite le jeu des apparences pour se concentrer sur l’abondante énergie qui embrase tout le plateau.
Ambiance glamrock
Transposée dans les bas-fonds, l’action voit s’affronter deux bandes rivales dont le ballet virevoltant dépasse souvent les limites de la scène. Ambiance glamrock, les costumes trash et bariolés convoquent kilts, collants et bas résilles, tandis que rien n’échappe au mauvais goût revisité, du haut en strass vert flashy à la queue en fourrure portée à la taille. Sur le plateau nu, les accessoires techniques du théâtre, du coffre aux penderies, composent un décor sans cesse remodelé pour symboliser ici un balcon, là un tombeau. Imaginative, délurée, cette mise en scène parfois difficile à suivre dans ses nombreux rebondissements chaotiques demande un investissement total des comédiens, physiquement éprouvés à l’issue de la représentation.
L’équipe se montre très convaincante dans ses individualités, même si certains rodages sont encore à effectuer dans les scènes d’ensemble, notamment celles chantées a cappella. On doit à l’excellent comédien Vincent Heden la composition des quelques intermèdes musicaux bienvenus qui s’intercalent entre les différents passages comiques et tragiques de la pièce, et renforcent le caractère imprévisible et déroutant de la mise en scène. Côté chant, on retrouve parmi les grandes satisfactions Sinan Bertrand et Alexandre Bonstein, deux artistes complets à l’origine de la réussite du Cabaret des hommes perdus.
La grâce fragile de Juliet
Et quelle belle idée de confier le rôle de Juliet à Sinan Bertrand, dont le timbre clair, la diction et l’éloquence apportent beaucoup à l’élégance sereine de son personnage. Pourtant peu mis en valeur par un collant moulant assez disgracieux, il impose sa grâce fragile face au bouillant Roméo de Lucas Anglarès, magnifique de conviction et d’autorité dans la rage contenue des derniers instants. À ses côtés, Léo Messe parvient à rendre crédible un solide Frère Laurent, tandis que Christophe Bonzom pourra agacer dans le rôle difficile et omniprésent de la Nourrice, tour à tour comique ou bavard en travelo décervelé. Rien à dire en revanche concernant les multiples rôles interprétés par l’impeccable Lauri Lupi ou par Alexandre Bonstein, au regard délicieusement charmeur et facétieux.
Brillamment interprété, le spectacle doit encore se roder quelque peu avant de trouver son rythme de croisière. On ne pourra alors que le recommander chaudement.

* Au contraire par exemple de l’opéra I Capuleti e i Montecchi où Vincenzo Bellini fait chanter les deux rôles principaux par des femmes (pour des raisons vocales).

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